1.6.21

il était une fois la révélation N


  Retour aux grilles de lettres auxquelles j'ai déjà consacré plusieurs billets. Je vais m'intéresser ici en priorité aux messages inopinés apparaissant dans ces grilles, avec en priorité les échos au jeu NOVEL ROMAN, découvert en 1996 grâce au personnage d'Elisabeth Lovendale dans une nouvelle de Maurice Leblanc.

  En février 2017 je relus le texte Ecrire en colonne de Cyril Epstein, paru en 2005 dans Formules n° 9 (entièrement accessible sur le site de la revue). Epstein y prend pour prétexte une carte postale de 1915 de la place de la Bastille pour composer un "roman", un carré de 9x9 lettres à partir des lettres de GENIE OPERA, et de MW.
  Le laïus préliminaire permet d'envisager un double symbolisme de la Bastille: la colonne républicaine a remplacé la prison royale, l'opéra mitterrandien a remplacé la gare ferroviaire, suggérée évoquer les wagons de la Shoah.

   Voici donc le carré, où c'est moi qui ai coloré 3 colonnes, Epstein s'étant borné à mettre en gras le M central.

G A R E O P E R A
I W A N M A N O N
R O M A N P R I A
A W A G N E R E G
R E N E M A I N R
E I N E R O I M A
R I A G E M I R M
O O N W O M A N M
I O I M P R I M E

   Epstein se contente ensuite de donner sa lecture de cette grille:
Gare opéra iwan. Manon roman pria à Wagner égrène main reine roi, mariage mir. Moon woman M. IO imprime
et une interprétation peu satisfaisante:
Ainsi la France et l'Allemagne se retrouveront à travers les opéras de Wagner et de Massenet (Manon, d'après le roman de l'abbé Prévost).
  Le titre Ecrire en colonne n'est pas vain, et il est aisé de lire girare roi dans la première colonne, signifiant le tournant de la royauté à la république, et anagramme dans la dernière. Pourquoi anagramme? J'ai pensé être sur la bonne voie en constatant que la première colonne, OMNNMREOP, livre l'anagramme NOM PRENOM.
  J'ai vu quelques autres possibilités et ai pris contact pour les lui communiquer avec Epstein, lequel a été stupéfait. Il n'avait ni programmé ni vu cette anagramme NOM PRENOM, et elle lui était extrêmement significative parce que le prénom Manon et le nom Wagner lui étaient essentiels.

  Trois mois plus tard, j'ai été conduit à reprendre El Ferrocarril de Santa Fives (2011), "voyage poèmes" de Robert Rapilly construit à partir d'une histoire réelle, la construction à la fin du XIXe par une entreprise de Fives-Lille d'une voie ferrée en Argentine reliant les provinces de Tucumán et de Santa Fe. Robert habite Hellemmes, quartier de Lille jouxtant Fives.
  Cette aventure ferroviaire a donc inspiré à Robert une série de créations, exploitant des contraintes classiques ou de son invention.
  L'un des plus courts poèmes est repris sur le rabat de la couverture. Il s'agit de 90 lettres qui, disposées en rangées de 9 lettres, font apparaître dans la première colonne FIVES LILLE et dans la dernière LILLE FIVES (Fives-Lille a été le nom d'une des stations de la ligne argentine, rebaptisée en 1951 Vera y Pintado):

F R E I N A B O L
I L O C O M O T I
V E S E M B A L L
E E S S O L E I L
S E M A P H O R E

L E R A I L D E F
I L E I N F I N I
L E I T M O T I V
L O G O R R H E E
E N T R E P A Y S

  Le texte horizontal est ici presque immédiatement compréhensible. Un vertige m'a saisi en découvrant la colonne centrale, NOMOPINMRE, soit l'anagramme de NOM-PRENOM, plus un I.
  Je connais Robert dont les recherches poétiques m'ont beaucoup influencé. Je lui ai aussitôt fait part de ma découverte, et lui aussi a été ébahi. Il n'avait aucunement prévu ce jeu, et pour lui aussi un prénom et un nom étaient primordiaux dans son livre, ceux, mûrement pesés, de son presque unique personnage, le contremaître Manuel Mauraens.

  Il est permis d'imaginer qu'il ne doit pas exister beaucoup de textes ferroviaires calculés pour former des acrostiches par leurs colonnes latérales lorsque disposés en rangées de 9 lettres, et même loisible de s'étonner qu'il en existe deux, conçus indépendamment.  Que dire alors de la présence des mêmes 9 lettres dans la colonne centrale des deux grilles, et de leur anagramme immédiate significative pour les deux auteurs?

  Je remarque aussi qu'à la dernière colonne d'Epstein, ANAGRAMME, correspond LILLEFIVES. Le premier poème du livre de Rapilly est une série d'anagrammes de FIVES-LILLE.

  Ceci n'était qu'un premier pas. Si PRENOM-NOM étaient significatifs pour Epstein et Rapilly, les 81 et 90 lettres de leurs grilles m'évoquaient Elisabeth Lovendale,
ELISABETH LOVENDALE = 81+90 = 171,
personnage d'une nouvelle de Leblanc qui cherche la 14e des 18 lettres d'amour du roi George. Je m'étais avisé en 1996 que l'ensemble prénom-nom comptait 18 lettres dont la valeur correspondait à la somme des 18 premiers nombres, ou aux rangs des 18 premières lettres, et que la seule lettre occupant son rang dans cet ensemble était la 14e, N, ce qui m'avait conduit à la découverte des lettres A-M et O-R bordant le N manquant, au jeu ROMAN AMOR, puis avec la première partie du nom au jeu équivalent LOVE NOVEL.

  Les "lettres" étant cachées dans les reliures d'une édition en 18 volumes des romans épistolaires de Richardson, je n'avais pas douté alors d'avoir décodé une finesse de Leblanc. Je suis plus circonspect aujourd'hui, ayant rencontré maintes coïncidences littéraires ébouriffantes, notamment associées à cette affaire.

  Il se trouve que le numéro de Formules de 2005, outre la grille d'Epstein, contenait aussi des grilles de Rapilly, ainsi qu'une double grille de ma composition.
  Je fus sidéré de découvrir LOVEN dans la grande diagonale du grand carré de ce SONÈ, avec DALE immédiatement orthogonal. Par ailleurs le petit carré pouvait livrer similairement LISA (diminutif d'Elisabeth) et DALE (les deux sous formes d'anagrammes).

  Si je n'ai aucune raison de douter des déclarations d'Epstein et de Rapilly, à propos des colonnes centrales de leurs grilles PRENOM-NOM en 2005 et 2011, Rapilly affirmant en outre n'avoir fait que survoler le texte d'Epstein, je suis absolument certain de n'avoir pas programmé l'apparition de LOVEN-DALE dans mes grilles, élaborées pour former deux textes anagrammes l'un de l'autre, celui immédiatement livré par lecture horizontale, l'autre donné par lecture pandiagonale (mais ne passant pas par les diagonales incriminées).
 
  Voici maintenant du neuf. J'avais déjà repéré la possibilité de lire LEON dans la seconde colonne de la grille de Robert, le "lion" espagnol, alors que le nom Lovendale est une forme de Loewenthal, Lowendal, etc., "vallée des lions". Constatant que toutes les lettres d'ELISABETH LOVENDALE figuraient dans cette grille, je me suis demandé si des lectures symétriques du prénom ou du nom étaient possibles.
  Je suis vite arrivé à cette lecture d'ELISABETH, séduisante par son dessin, et par le fait que le I y soit la lettre en sus de PRENOM-NOM dans la colonne centrale.
  J'ai aussi fait figurer LEON ("lion" en espagnol).

F R E I N A B O L
I L O C O M O T I
V E S E M B A L L
E E S S O L E I L
S E M A P H O R E
L E R A I L D E F
I L E I N F I N I
L E I T M O T I V
L O G O R R H E E
E N T R E P A Y S

  Il y a d'autres possibilités, comme celle-ci, ou les lettres différentes ERSLAHIT offrent une double symétrie:

F R E I N A B O L
I L O C O M O T I
V E S E M B A L L
E E S S O L E I L
S E M A P H O R E
L E R A I L D E F
I L E I N F I N I
L E I T M O T I V
L O G O R R H E E
E N T R E P A Y S

  Il n'est pas possible de trouver une symétrie de ce type pour LOVENDALE. Il n'y a qu'un seul D dans la grille, et la lettre symétrique par rapport à la colonne centrale est R.
  Une autre approche consiste à utiliser le fait que la grille originale de Robert est scindée en deux parties de 5 rangées chacune, et de chercher les symétries à l'intérieur de chaque groupe, par rapport aux rangées centrales 3 et 8.
  Dans le second groupe, D a pour symétrique A par rapport à la rangée 8, et une solution apparaît ci-dessous:

F R E I N A B O L
I L O C O M O T I
V E S E M B A L L
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S E M A P H O R E

L E R A I L D E F
I L E I N F I N I
L E I T M O T I V
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E N T R E P A Y S

  Il y aurait une alternative en remplaçant LE de la rangée 8 par LE dans la colonne LILLE, ce qui approcherait du chevron DNVEA à droite, mais j'ai choisi de représenter la première solution parce qu'il est possible de faire apparaître ELISABETH dans le premier groupe, avec 5 lettres aux mêmes positions relatives dans les colonnes 2 et 8, LEETI et LEONE (leone, "lion" en italien). Les lettres LEV retenues dans la rangée 8 forment lev, "lion" dans diverses langues slaves.
  Au passage, je m'aperçois que lovendale, "vallée du lion", s'anagrammatise en "val de léon"...

  Ce n'est évidemment pas aussi extraordinaire que la colonne NOMPRENOM (+I), mais comment le mesurer? La seule approche qui me soit venue est empirique: j'ai découpé la grille selon ses 90 lettres, soigneusement mêlées et redistribuées en une nouvelle grille.
  J'ai procédé à 4 essais. Chaque itération a livré au moins une disposition symétrique d'ELISABETH, mais je n'ai trouvé aucune solution pour LOVENDALE, selon les deux symétries envisagées.
 
  Si j'ai vu diverses possibilités dans la grille d'Epstein, comme dans le coin inférieur droit le prénom ARIANE, bien venu dans ce dédale, s'entrelaçant avec la belle symétrie IMMMMI, il n'y a aucune possibilité d'y trouver ELISABETH ou LOVENDALE, puisque la grille n'utilise que les lettres OPERAGNIMW.

  Je comptais introduire ici ce que je pensais être une nouvelle découverte. Le nom WAGNER sous-entend le prénom RICHARD, or
RICHARD = ROMAN = 61, et
WAGNER = NOVEL = 68.
  Je me suis étonné de ne pas l'avoir vu plus tôt, car j'ai déjà eu affaire à plusieurs Richard et à la valeur 61 de ce mot, et je me suis aperçu que je l'avais effectivement vu et mentionné dans le billet de mars 2020.
  Je peux tout de même ajouter que la relation peut être soulignée par le fait que ROMAN suive immédiatement MANON dans la grille d'Epstein. Par ailleurs, la rangée centrale de la seconde partie de la grille de Rapilly est constituée du seul mot LEITMOTIV, particulièrement associé à Wagner.
  Tiens, Wagner est mort il y a 138 ans, un 13 février, comme Anne évoquée dans le précédent billet.

  En 1998, la récente découverte du jeu NOVEL ROMAN m'a fait imaginer un projet romanesque fondé sur l'anagramme. Le milliardaire V-A MONLORNE, inventeur du miraculeux VERANOMNOL, meurt à 106 ans le 2 janvier 1908, laissant sa fortune à partager entre tous ceux dont le nom selon l'état civil est l'anagramme de VERANOMNOL, mais les héritiers potentiels meurent les uns après les autres.
  Le titre aurait été Novel Roman, et j'ai finalement mené le projet à terme en 2018.
 
  J'y ai repris l'une des idées que j'avais approfondie en 1998, la mention anecdotique d'un roman dont était donnée la table des chapitres, en 11 chapitres.
  Leurs curieux titres pouvaient intriguer le lecteur, et l'amener à découvrir qu'ils avaient chacun 11 lettres, et formaient un carré inspiré des créations de Perec basées sur ESARTINULO, les lettres les plus courantes en français.
  La diagonale dextrodescendante formait ROSENCREUTZ, car ma lecture de Leblanc m'avait amené à lier la 14e lettre parmi 18 à la 14e période de 106 ans de notre ère, de 1378 à 1484, où aurait vécu le chevalier Rose-Croix. En 1908, 18 fois 106, Beautrelet découvre dans L'aiguille creuse une crypte abritant un corps, dans des circonstances pouvant rappeler celles de la découverte du tombeau du chevalier selon les manifestes rosicruciens.
  Ma grille donnait aussi ARSENELUPIN dans une diagonale brisée, et l'anagramme d'ELLERYQUEEN dans la première colonne.

  En 2012, j'ai appris que Jean Ricardou avait fait 30 ans avant moi quelque chose de fort similaire, dans son roman Les lieux-dits (1969), en 8 chapitres titrés de noms de lieux en 8 lettres, lesquels disposés en carré permettent de lire dans la diagonale dextrodescendante BELCROIX, quatrième des dits lieux.
  Non seulement le principe est identique, mais le mot caché en diagonale s'achève de même, à la langue près, CROIX = CREUTZ.
  Il y a encore une contrainte dans la première colonne, celle de donner les noms des lieux par ordre alphabétique.

  Après coup, Ricardou a constaté une curiosité, à laquelle il a consacré ensuite divers commentaires, jusqu'en 2009. L'autre diagonale de sa grille, MAADRBRE, se réarrange en MAD ARBRE, "arbre fou" qui peut aisément évoquer un personnage de son roman, l'un des seuls qui ait un nom complet, avec prénom et nom, Olivier Lasius.
  Olivier est bien un arbre, et Lasius est un genre de fourmi; Ricardou en choisissait l'espèce Lasius alienus, dont il tirait l'anagramme asilus alienus, "asile d'aliénés" (latin approximatif, mais ça se comprend)... Olivier Lasius est dans le roman un pyromane échappé d'un asile.

  Lorsque j'ai découvert ceci en 2012, je me suis avisé que
LASIUS = ELISABETH = 81, 
OLIVIER = LOVENDALE = 90,
les mêmes valeurs avec un chiasme (un X, une croix) entre nom et prénom.
  C'était assez fabuleux en 2012, puisque ma grille était une conséquence assez directe des jeux découverts grâce à Elisabeth Lovendale, et c'est devenu vertigineux en 2017 avec la découverte des grilles de 81 et 90 lettres, avec les colonnes centrales NOM PRENOM. Comment rendre compte des liens additionnels entre ces paires de grilles, l'une avec les lettres NOM PRENOM en colonne, l'autre avec le mot CROIX en diagonale?

  C'était carrément fou, car le détenteur de la lettre 14, dans la nouvelle de Leblanc, est dit être devenu "comme fou" après que l'Anglaise a eu l'imprudence de lui en révéler l'importance, et en a exigé un prix démesuré. J'avais envisagé la traduction mad, soit M-A-D, 13-1-4, exprimant l'unicité de la 14e lettre parmi 18.

  Ceci m'a donc motivé pour enfin terminer Novel Roman, en y faisant intervenir les nouveaux éléments.
  L'écriture débutée en avril 2018 s'est accompagnée pour chaque chapitre de commentaires sur Quaternité. L'écriture du dernier chapitre en novembre s'est accompagnée d'une formidable coïncidence.
  Le dénouement survenait le 14 août 1908, ce qui était programmé dans le projet de 1998. A partir de 2000, j'ai commencé à m'intéresser au nombre d'or, phi, et c'est devenu une obsession qui m'a fait lire tout ce qui y était consacré, y compris les oeuvres de fiction s'en inspirant. J'ai vite déterminé que la grande section d'or de l'année tombe le 14 août, mais n'y ai jamais vu aucune allusion dans mes multiples investigations.
  J'ai fait jouer un rôle au nombre d'or dans le nouveau Novel Roman, et ceci m'a conduit à mentionner dans le dernier chapitre que le 14 août était la section d'or de l'année. J'ai rédigé le paragraphe correspondant le matin du 25 novembre.
  Deux jours plus tôt, je découvrais une fascinante grille de lettres, et ceci dans le numéro de Formules susmentionné, dans un article d'un nommé Wagner (Nicolas):
  C'est la page de titre du roman Letters de John Barth (1979), se lisant en tant que sous-titre An old-time epistolary novel, by seven fictitious drolls & dreamers, each of which imagines himself actual, soit "Un roman épistolaire d'autrefois, par sept fictionnels curieux & rêveurs, chacun d'eux s'imaginant réel."
  Si l'on éloigne quelque peu l'oeil de la page, la disposition inhabituelle des lettres permet de lire le titre LETTERS, "lettres", précisément.

  C'est dans ce même numéro que figuraient la grille d'Epstein, en 81 lettres, soit 9x9, et la mienne, en 100 lettres, 10x10. Il ne m'avait pas été indifférent que les 90 lettres de la grille de Rapilly en soient une moyenne géométrique, 9x10.
  Les 88 lettres de la grille de Barth, 8x11, sont la moyenne géométrique des 8x8 et 11x11 lettres des carrés des Lieux-dits et de Novel Roman.

  Je me suis aussitôt procuré Letters, et y ai découvert de multiples échos à mes préoccupations. L'anagramme, l'acrostiche et la gématrie y jouent un rôle, et même le nombre d'or, phi. L'après-midi du 25 novembre, quelques heures après avoir mentionné dans Novel Roman la correspondance du 14 août à la section d'or de l'année, je suis tombé sur un passage où ce phi-point du 14 août était aussi précisé.

  L'épistolier amateur de nombre d'or, Jerome Bray, a pour grand projet le Revolutionary Novel, condensé en R.N., un roman écrit par ordinateur, dont le titre serait tout simplement Novel.

  Je n'ai encore distingué aucun message inopiné immédiat dans la grille de John Barth, mais j'y souligne la présence en clair du mot NOVEL, alors que la grille d'EPSTEIN contient en clair le mot ROMAN.
  Les petites lettres NOV-EL correspondent dans la grille aux hauts des grandes lettres R-S, initiales de Ricardou-Schulz, ayant imaginé des grilles de lettres former les tables des matières de romans.
  La grille de Barth est aussi une table des matières, explicitée en fin d'ouvrage:
  Les grandes lettres s'inscrivent dans des matrices 7x5, correspondant à 7 mois successifs, et la disposition des petites lettres dans ces matrices détermine les dates d'envoi des lettres-missives et leurs expéditeurs. L'auteur anglo-saxon le plus connu de romans épistolaires a pour initiales SR, Samuel Richarson, plusieurs fois cité dans Letters. Ceci me donne l'idée d'un acrostiche inversé: Samuel Richardson Expertly Tagged The Eligible Letters.
  En formidable écho à la nouvelle de Leblanc, où le tome 14 des oeuvres de Richardson a disparu, ainsi que la lettre qu'il cachait dans sa reliure, l'avant-dernière lettre de Letters est uniquement composée d'un acrostiche alphabétique du 15e siècle, de A à Z, mais il y manque la lettre N.

  Barth s'est aussi imposé que la première colonne de sa grille, correspondant à la barre verticale du L, formât l'acrostiche alphabétique ABCDEFG, de même que Ricardou avait choisi de visiter ses Lieux-dits par ordre alphabétique.

  Ce sont en partie les coïncidences entre la grille de Ricardou dans Les lieux-dits en 1969 et celle que j'avais composée pour un chapitre de Novel Roman en 1998 qui m'ont conduit à mener à terme le projet en 2018. Mes progrès en matière d'écriture à contrainte m'ont conduit à imaginer pour les 18 chapitres prévus à l'origine des titres en 18 lettres de valeur 171, comme ELISABETH LOVENDALE, et un acrostiche alphabétique de A à R, puisque c'est cette correspondance avec les 18 premières lettres qui m'avait fait découvrir le jeu ROMAN NOVEL.
  Je ne suis pas mécontent de ce à quoi je suis parvenu:

AVECUNDEBUTCOMMECA
BILANLETALEDULCORE
CEJEUBRIDELARAISON
DOSESDANAGRAMMESLA
ELLECHERCHAITNOISE
FATALEAUBEENEGYPTE
GRIFFELESAMBIANTES
HONOREDEVALMONDADA
IDEALELAVALENAMOUR
JAMAISELMONEDEROGE
KEPIIMPECENLOUCEDE
LELUDEPIDUODECIMAL
MIRAGEDELAVIEAUMAX
NORMCEDEADIEUNEANT
ORPHELINIMPLACABLE
PUEZARFALLHAGARMAD
QUEDORANNE
EDELAFOI
RICHEDRAMED
HERITER

  Les grandes diagonales forment aussi des énoncés en 18 lettres de valeur 171, un peu sybillins; je m'en explique ici, où j'étudie aussi certaines possibilités qui me sont apparues après coup.
  La seule que j'ai conservée ci-dessus est le croisement entre HELIE (évoquant le soleil, péri-hélie = "proche du soleil") et LUNE.
  Je constate aujourd'hui que SOLEIL et MOON figurent dans les grilles de Rapilly (SOLEIL SEMAPHORE) et d'Epstein (MOON WOMAN). J'avais aussi remarqué la proximité dans ma grille du mot NANA, en italique ci-dessus.

  Ma grille de 1998 contenait aussi une possibilité SOL LUNA ("soleil lune" en latin), en jaune ci-dessous, ce qui n'est sans doute pas extraordinaire dans une grille ESARTULINO, je renonce à le vérifier en tentant des itérations telles celles faites plus haut pour trouver LOVENDALE.

R A I S O N A U T E L
Y O U S I R E L T A N
E T S U S A L O R I N
U
L C E R A T I O N S
E O N I N T R U S
L A
N E
L U I C A S T O R
L A D U N E R O S I T
Q U I S O R T E
L A N
E S P O I R A L
U N T
E B R I S U N A L T O
L O I U N E S T R A Z

  Pas de possibilité de trouver ici LOVENDALE puisque la grille ne contient pas de V, mais une belle symétrie formant une croix de Lorraine apparaît au centre des trois premières colonnes, en ayant recours à l'équivalence U=V couramment admise dans les anagrammes.

  Cette grille, ou plutôt la table des chapitres correspondante, devait figurer dans le projet de 1998 au chapitre 14, essentiel, faisant mourir Norman Love le 16 avril 1908, mais il réapparaîtra 120 jours plus tard le 14 août. C'était la date présumée de la mort de Lupin dans L'aiguille creuse.
  Dans la réalisation effective de 2018, j'ai fait passer cette table au chapitre 9, mais Norman disparaît toujours au chapitre 14, et j'ai été émerveillé de trouver une anagramme de ROMANNOVEL pour cette nuit du 16 avril, où tombait effectivement la pleine lune de printemps, VERNAL MOON.

  Lorsque j'ai découvert ce que Ricardou avait vu dans sa diagonale MAADRBRE, je me suis demandé s'il n'y aurait pas un écho dans ma diagonale correspondante, LBPSNCRIRAL, rien d'immédiat...
  Je m'avise maintenant que j'avais fait figurer ARSENEL dans une diagonale parallèle, se poursuivant par UPIN orthogonalement.

R A I S O N A U T E L
Y O U S I
R E L T A N
E T S U
S A L O R I N
U L
C E R A T I O N S
E O
N I N T R U S L A
N E
L U I C A S T O R
L A D U N E R O S I T
Q U I S O R T E L A
N
E S P O I R A L U N
T
E B R I S U N A L T O
L O I U N E S T R A Z

  Ricardou avait dérangé les lettres de sa diagonale pour obtenir MAD ARBRE, aussi je m'autorise à permuter quelques lettres de LARIRCN pour obtenir LARCIN R.
  Quelle est la spécialité de l'Arsène, sinon le larcin? Quant au R résiduel, on pourrait penser à l'initiale du prénom de plusieurs pseudonymes du personnage, Raoul, sinon son réel prénom de naissance (il serait né Raoul d'Andrésy).

  Je n'avais pas envisagé cela lorsque j'ai composé la grande diagonale correspondante de la table des chapitres de Novel Roman, ARSENE BLAME PECHEUR.

  Lorsque j'ai découvert les points communs entre la grille des Lieux-dits et celle de Novel Roman, j'ai évidemment pensé que Ricardou était étroitement associé à l'expression "nouveau roman", qu'il était l'auteur de l'essai emblématique Le nouveau roman, et que Les lieux-dits appartenait sans conteste au genre "nouveau roman".
  J'avais évidemment pensé aussi à l'expression lorsque j'ai choisi en 1998 le titre Novel Roman, mais mon projet était fondé sur la double relation entre les mots ROMAN et NOVEL, et mon titre aurait été le même (ou Roman Novel) si l'expression n'avait pas existé.

  Mes obsessions pour le nombre d'or et la gématrie m'ont conduit à une constatation, l'expression
NOUVEAU ROMAN = 160
se découpe idéalement selon le nombre d'or en
NOUVEAU = 99 et ROMAN = 61.
  C'est un cas assez particulier, car les propriétés du nombre d'or font qu'on peut écrire l'approximation
160/99 ≈ 99/061, séduisante par sa symétrie.
  En d'autres termes, la moyenne géométrique entre 061 et 160 est 98,79..., fort proche de l'entier 99. Je rappelle que les nombres de lettres des grilles étudiées précédemment forment deux triplettes autour d'une moyenne géométrique, 81-90-100, et 64-88-121.

  J'ai appris récemment que Ricardou s'intéressait aussi au nombre d'or, et ceci peut apporter de nouveaux éclairages à certaines de mes trouvailles, notamment sur les nombres 61-99-160 dans son oeuvre. Je vais me contenter d'énoncer les faits, puisqu'il n'est plus là pour dévoiler ses intentions.
  Les lieux-dits est donc son dernier "nouveau roman", paru début 1969 à la NRF. 1969 pourait constituer l'anagramme de 99-61.
  Un point crucial du roman est le mot BELCROIX, découpé en BEL-CROIX, avec "bel" dérivé de la racine latine signifiant "guerre". A ce découpage correspondent les valeurs 19-69.
  La dernière page du texte de ce "nouveau roman", dans l'édition de la NRF, est foliotée 160, valeur de NOUVEAU ROMAN. C'est le dernier numéro de page présent dans le livre, qui compte ensuite 6 pages non foliotées, leurs rectos donnant la table des chapitres, les oeuvres de l'auteur, et le colophon de l'imprimeur, les versos étant vierges. Ce dernier numéro devrait plutôt être 162, je passe sur les détails...
  Ce pourrait être une façon de numéroter propre à l'imprimeur, et j'ai donc regardé l'autre Ricardou paru à la NRF, Révolutions minuscules (1971). Il y a aussi un décalage, mais dans l'autre sens, la page logiquement 160 y est numérotée 162.
  J'ai regardé quelques autres NRF en ma possession, parus de 1970 à 1980, et ai trouvé trois autres décalages de ce second type. Les autres livres n'avaient pas de décalage.

  Je n'y insiste pas, constatant que le décalage des Lieux-dits est loin d'être unique. Il n'empêche que ce NOUVEAU-ROMAN (=99-61) est paru en 1969, qu'il s'achève sur une page 160 (=NOUVEAUROMAN), et que ce qui aurait pu rester anecdotique en 1969 prend un tour inquiétant avec la dernière parution de fiction de Ricardou en 1988 (19 ans après 69).
  Il s'agit de la reprise en deux volumes de toutes les nouvelles publiées précédemment, augmentée de deux longs textes, Le lapsus circulaire, au statut de nouvelle, portant l'ensemble des nouvelles au nombre de 16, et Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan, une préface donc, un texte plus long que Les lieux-dits.
  Ces deux nouveaux textes utilisent la symétricologie, technique imaginée par Ricardou, nécessitant le comptage de tous les mots d'une phrase, et les phrases comptent jusqu'à 285 mots...
  Les volumes sont parus aux Impressions nouvelles, maison fondée en 1985 par des disciples de Ricardou, avec pour premier but d'éditer ses oeuvres de textique. L'essai Le nouveau roman portait en exergue Aux nouveaux lecteurs, et la sophistication du genre pourrait nécessiter aussi de nouveaux éditeurs, comme de nouveaux imprimeurs.

  Ricardou a inséré dans la 160e phrase de la préface une modification du logo de l'éditeur, devenu "les romances nouvelles". Ceci fait clairement allusion à son essai Le nouveau roman, mais je me suis émerveillé de pouvoir lire "roman novel" dans le rectangle matérialisé ci-dessus.
  Incidemment, j'ai appris récemment la signification du passage où apparaît cette variante du titre de l'essai, dont l'édition originale avait le nom de l'auteur discrètement en haut; au verso immédiat figuraient les signatures de quatre "nouveaux romanciers", le dernier d'entre eux, en bas, étant Ricardou. J'ai aussi appris que novel n'était pas seulement en anglais le substantif pour "roman", c'est aussi un adjectif signifiant "nouveau"; "nouveau roman" pourrait ainsi se traduire novel novel...
  Cette phrase de la page 47 est reprise au sein de la 314e phrase, page 99, avec ses mots numérotés. En voici les quelques lignes encadrant le logo:
  Les commentaires s'étendent sur trois pages, avec d'abord la constatation que le mot central de cette phrase est (99) centre (99), et qu'il se trouve page 99.
  Ce n'est pas une simple astuce réalisée après coup, sur épreuves, comme ont pu le faire ensuite divers auteurs (Martin Winckler dans La maladie de Sachs par exemple), mais un hommage à Jean Paulhan, lequel a publié pour la première fois Ricardou dans le n° 99 de la Nouvelle Revue Française.
  Ce n° 99 est paru en 1961, le 1er mars 61, 9e année. C'est moi qui ai souligné la nouvelle de Ricardou.
  Celui-ci rappelle que, lorsque la revue est reparue en 1953 sous l'égide de Paulhan, elle s'est d'abord appelée la Nouvelle Nouvelle Revue Française, pour se démarquer de la dérive collaborationniste pendant la guerre, et c'était encore le cas pour le n° 61. La numérotation avait été reprise au n° 1.

  Tiens, le premier n° 99 est paru il y a près d'un siècle, en décembre 1921.

  La "nouvelle nouvelle", Le lapsus circulaire, n'est pas entièrement écrite en symétricologie. Elle ouvre l'autre volume, et on y trouve aussi une autoréférence à un numéro de page, page 66, où il est demandé de revenir à une phrase de la page 61, laquelle phrase est ensuite analysée selon la symétricologie.
  Peut-être est-il hardi d'avancer que 66 est le renversement de 99, mais le renversement est précisément l'un des thèmes de la nouvelle, et un commentaire de la phrase de la page 61 souligne que le mot renversement y est symétrique du mot achever.
  Page 53, le narrateur indique à un taxi l'adresse où il doit se rendre, au 69 rue Louis Braille. Arrivé sur les lieux, page 60, le chauffeur lui demande de lui rappeler le numéro, "9" répond le narrateur, j'aurais juré que vous m'aviez dit "6", réplique le chauffeur.
  Page 47 sont répétées les paires de chiffres d'un numéro de téléphone; étrangement, la paire 19 devient ensuite 16.
  Par ailleurs le prix du livre est donné en quatrième de couverture, 96 tout court alors qu'au même endroit l'autre volume porte 98 F (pour les jeunes générations, l'unité monétaire était alors le franc). Certains éléments de la couverture de ce "96" demandent d'ailleurs de renverser le livre pour être lus.

  Bref, il serait tentant d'avancer que Ricardou ait intentionnellement choisi ces autoréférences aux pages 99 et 61 des deux volumes en fonction des valeurs des mots NOUVEAU ROMAN, ou des propriétés des nombres 061-99-160, mais il y a tant de coïncidences inouïes dans cette affaire que tout me semble possible.

  Voilà. J'ai repris dans ce billet bien des choses déjà vues, mais je l'ai fait selon une nouvelle optique, en omettant maintes curiosités annexes. Tant de billets sont concernés que tout ce que je peux conseiller est de reprendre Quaternité à partir du billet de mars 2017 consacré à la grille d'Epstein.

  Arrivant au terme, j'éprouve le regret de n'avoir pas donné la phrase de la page 66 avec l'autoréférence à la page 61, sachant qu'il n'est pas facile de trouver le livre, et que la réédition dans L'intégrale Jean Ricardou n'est pas encore à l'ordre du jour. Y rejeter un oeil m'a fait déceler une finesse inaperçue jusqu'ici, révélant une autre variante du procédé. Bref, voici la phrase:
  Ainsi, par exemple, entre autres, si mes tristes pensées du moins ne m'en ôtent pas la mémoire (ce qui, j'en conviens, sauf à en revenir sans tarder à la page 61, n'est point des plus faciles), quand j'ai noté qu'"Adieu", les ultimes syllabes, quasiment, de mon conducteur, au terme de l'itinéraire, reflétaient, en quelque façon, l'endroit à partir duquel, "la monumentale maison de Dieu", je m'étais soumis aux digressions de son véhicule, j'ai procédé moi aussi (ce dont, pour éviter de perdre plus de temps, il me faut apparemment ici m'accorder dispense), selon un discours plus symétrique encore, peut-être, que le sien.
  La nouveauté, c'est que le 6e mot avant la fin est "symétrique", tandis qu'à partir du 6e mot à partir du début on trouve "si mes tristes"; c'est moi qui ai souligné l'homophonie ci-dessus. Je donnais ici la phrase de la page 61, dont le mot central est "symétrie".
  La phrase telle quelle me semblait ne respecter que le minimum symétricologique, l'écho entre la première et la dernière syllabe, mais en ôtant les propositions entre parenthèses, l'un des indices explicites donnés par Ricardou dans la préface, il reste 74 mots au centre desquels se trouve "reflétaient", à égales distances duquel apparaissent "Adieu" et "Dieu", début et fin de la phrase page 61.
  J'avais pourtant scruté minutieusement la phrase, à plusieurs reprises, et ceci laisse à présager qu'il y a encore bien des choses à découvrir dans les textes de Ricardou, d'autant qu'il faut compter avec les erreurs, d'une probabilité loin d'être négligeable pour les phrases à jeux multiples, qu'il fabriquait à partir de feuilles A4 découpées en 8 bandes, chaque bande comportant un même nombre de mots, l'ensemble étant ensuite réuni par des gommettes, avec de multiples ratures. Erica Freiberg dactylographiait ces fragiles constructions avant qu'elles ne se désagrégeassent...
  J'ai vu ailleurs de manifestes erreurs, et j'en soupçonne une ici. Si, grâce à d'autres exemples, il me semble évident que "Adieu" et "Dieu" soient intentionnellement équidistants de "reflétaient", ce mot ne serait à l'exact centre de la phrase sans parenthèses que si elle avait 75 mots, avec un mot de plus dans la première partie. Précisément, la phrase de la page 61, avec "symétrie" au centre, a 75 mots, et, dans la préface, Ricardou commente une phrase de 49 mots par une autre phrase de 49 mots.

Note du 6/6: Dans la première heure de ce 6/6, je me suis éveillé avec une évidence proche de ma conscience. Ces symétries sur les syllabes si-mé-tri surviennent à partir des sixièmes sites symétriques de la phrase page 66.
Et cette phrase calquée sur la phrase de la page 61 débute par "ain-si", "1-6", et finit par "si-en", "6-1".
Je crois pouvoir annoncer que le prochain billet sera titré 6-6 face à son dessin.


  Je l'ai déjà dit ailleurs, mais il me semble que ça peut prendre plus de force maintenant, sachant que Ricardou appréciait Perec, et que ces deux textes sont liés à L'art du X, un hommage à Perec figurant parmi les 16 nouvelles. Le texte phare de Perec est
LA VIE MODE D'EMPLOI = 160;
ce ROMANS (= 80, moyenne entre NOUVEAU et ROMAN) s'achève par la mort de Bartlebooth au chapitre 99, l'échec de son entreprise étant marqué par 61 puzzles non résolus, restés dans leurs cartons.
  Ricardou constate page 100 de sa préface que le 99e mot occupant le centre de la phrase page 99, précisément “centre”, contient “cent”. On peut se souvenir que La Vie mode d'emploi s'achève sur un chapitre 99 parce que Perec a sauté le chapitre 66. Un exégète a rapproché le couple 66-99 des guillemets entrants et sortants, “...”.

  En rédigeant ce 313e billet de Quaternité, l'apparition du mot LEONE m'a donné l'idée d'un titre inspiré par le réalisateur.
  Ricardou ayant préfacé ses Révolutions minuscules par des Révélations minuscules, je me suis avisé que Il était une fois la révélation avait pour valeur 299, à quoi il manque pour atteindre 313 14, soit la lettre N, essentielle depuis le début de cette affaire.

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