30.6.09

l'ours de Bair

La biographie de Jung par Deirdre Bair est un pavé decarl gustav 1000 pages, plus 300 pages de notes (auxquelles l'accès n'est guère facile).
C'est un document irremplaçable en ce qu'il s'agit de la première biographie n'émanant pas de disciples de Jung, une bio qui sera, selon la couverture ci-contre,
louée par les chercheurs, lue par le grand public, et abhorrée par les partisans - comme doit l'être toute bonne biographie.
Le dernier point tient peut-être de l'accroche publicitaire, car la lecture du pavé ne révèle en rien une ʌɐʇsnƃ lɹɐɔimage négative de Jung, dont les aspects dérangeants ont déjà été abordés par les prétendues "hagiographies" des disciples, l'irascibilité, les changements d'humeur, quelques dérapages lors de l'avènement du nazisme, où il a accepté de conserver la vice-présidence d'une Société de psychothérapie dominée par les nazis.
Un chapitre touffu est consacré à un aspect méconnu de Jung, contredisant formellement toute idée de sympathie pour le nazisme de sa part, son recrutement comme agent secret par Allen Dulles lui-même, futur directeur de la CIA.

Deirdre Bair a dû fournir un travail de titan pour cette bio, consultant toutes les archives disponibles. Elle a notamment eu accès aux Protocoles, la transcription des entretiens avec Aniela Jaffé qui ont conduit à Ma vie - Souvenirs, rêves et pensées,Une autre photo pour l'édition française, mais toujours avec la pipe... et qui présentent de notables différences avec le livre édité. Si Jung lui-même a eu une grande part dans l'établissement du texte final, le témoignage des Protocoles montre plus de spontanéité, plus d'hésitations, et reflète probablement mieux le vrai Jung que le livre publié. On souhaiterait une publication in extenso de ces Protocoles.
Je me suis particulièrement intéressé au chapitre 32 de Bair, Les visions de 1944, où les Protocoles n'apportent rien de bien nouveau, sinon que le docteur H y apparaissait sous son nom réel, Haemmerli.
Bair situe la mort de Haemmerli quelques jours après le 4 avril; je soupçonne qu'elle s'est contentée de reprendre cette information que j'ai vue dans une autre bio de Jung, probablement dictée par l'envie de magnifier la prédiction par Jung de la mort prochaine de son médecin.
En fait, Haemmerli est mort le 30 juin 44 selon cette source officielle, ce qui dépasse nettement "quelques jours" mais n'est pas incompatible avec le "peu après" indiqué par Jung. Je remarquais ici que ce lent déclin était peut-être plus remarquable qu'une mort rapide, puisque le rétablissement de Jung en a été presque exactement parallèle. Je m'émerveillais que, selon Barbara Hannah, Jung eût quitté l'hôpital début juillet, mais voici ce qu'écrit Bair :
A la fin du mois de juin 1944, Jung rentra chez lui.
Il doit être aisé d'obtenir la date exacte, et il serait passionnant de comparer les bulletins de santé de Jung et de Haemmerli du 4 avril au 30 juin.

J'ai été particulièrement frappé, dans ce même chapitre 32, par cette information, page 757 :
A soixante-dix ans, soit deux ans après l'âge qu'il avait prédit pour sa mort17, il se sentait tout à fait libre de dire où d'écrire ce qu'il voulait.
L'appel de note renvoie à la note 17 de ce chapitre, qu'il faut aller chercher page 1215, précisant que Jung aurait prédit sa mort à 68 ans, ce dont ont témoigné J. Jacobi, B. Hannah et M.-L. von Franz. Toutefois la note mentionne une lettre de Jung du 8 août 46, où il écrivait qu'un rêve de 1927 lui aurait annoncé sa mort à 73 ans, en 1948, mais qu'un autre rêve récent lui permettait d'imaginer que quelques années de plus lui fussent octroyées.
S'il est difficile de juger de la réalité de ces diverses prédictions, il reste que la note 17 concerne au premier chef une prédiction de mort à 68 ans, or la fabuleuse équation de la vie de Jung autour du 4/4/44, exacte en jours, se simplifie en années en 68 ans (4x17) avant 44 et 17 ans après.
A remarquer aussi que les 4/5es de la bio de Bair, en 39 chapitres, tombent à 31,2 chapitres, soit au début de ce chapitre 32 traitant de la maladie de 44. Ce n'est pas époustouflant que les 4/5es d'une bio tombent aux 4/5es de la vie de l'intéressé, mais ce n'était en rien obligatoire.
On ne peut guère soupçonner d'agencements subtils de la part de Bair, laquelle attribue 69 ans à Jung lors de sa maladie, alors qu'il n'a fêté ses 69 ans que le 26 juillet 44, une fois tiré d'affaire.

Bair indique cependant en avant-propos qu'elle est entrée dans l'arène des biographes de Jung par effet de "synchronicité" : en peu de temps diverses personnes ne se connaissant pas entre elles lui ont parlé du besoin d'une biographie sérieuse de Jung... Elle en témoigne, en anglais, sur cette vidéo.

Le titredrapeau en Berne de ce message vient d'une curiosité de la traduction française, où page 228 il est question de l'ours du Jahrbuch, la revue de psychanalyse lancée par Freud; "ours" désigne un manuscrit dans le milieu de l'édition, surtout un gros manuscrit, mais je ne crois pas que cette acception soit familière en dehors de ce milieu, et j'ai trouvé amusant de voir ce terme traduit d'une Bair (vraisemblablement apparentée au bear anglais ou au Baer allemand, "ours"), dans un pavé concernant un citoyen suisse.

Note du 11/03/10 : J'ai appris que "l'ours" d'un journal est l'encadré où figurent les noms de ses collaborateurs. C'est néanmoins un mot rare, et cette acception ne figure pas dans mon Larousse encyclopédique.

29.6.09

un Homme et une Pham

J'ai eu l'occasion de voir l'adaptation de Pars vite et reviens tard.
Je crois qu'il est difficile d'apprécier le film de Régis Wargnier quand on connaît le roman de Fred Vargas, tant l'atmosphère typique Vargas en est absente. Mais je ne suis pas critique ciné, et le film amène quelques coïncidences à mon moulin synchronistique.
José Garcia incarnant Jean-Baptiste Adamsberg, bizarre... Et pourquoi sa bien-aimée Camille est-elle une Vietnamienne ?
Je trouve un semblant de réponse sur la fiche wiki, où il est souligné que Linh Dan Pham incarnait une autre Camille dans le succès de Wargnier, Indochine, son premier rôle. Là où ça se corse (chef-lieu Saïgon), c'est que son amoureux était dans Indochine un autre Jean-Baptiste, le lieutenant Jean-Baptiste Le Guen (Vincent Perez).
Je signalais dans le dernier billet la synchronicité avancée par Roland Lacourbe pour les écritures simultanées du Roi du Désordre et du scénario de Scream, et il y a quelque chose un peu du même ordre ici, à tel point que, pour commencer, je pourrais paraphraser la citation de Lacourbe donnée dans le dernier billet, basée sur l'incipit du Roi du Désordre, "La vie est faite de coïncidences", auquel on peut opposer une citation de L'homme aux cercles bleus, la première enquête d'Adamsberg où sa "petite chérie" était déjà Camille :
"Il n'y a pas de coïncidences dans la vie, vous le savez bien." Fred Vargas imaginait-elle lorsqu'elle écrivait en 1990 cette réplique, adressée par la mère de Camille à Jean-Baptiste, qu'au même moment une équipe cinématographique dirigée par Wargnier accouplait un autre Jean-Baptiste à une autre Camille ?
Ceci n'aurait rien de vraiment extraordinaire si Wargnier n'avait été le premier adaptateur d'un roman de Vargas à l'écran, et s'il ne s'ajoutait d'autres coïncidences au dossier.
- Les noms des Jean-Baptiste sont Le Guen, soit "le blanc" en breton, et Adamsberg, "la montagne d'Adam", adam étant encore en hébreu le nom "homme" (d'où le titre de ce billet), apparenté à l'adjectif adom, "rouge". Le Guen sympathise dans Indochine pour la cause "rouge", communiste, à laquelle adhère Camille.
- Chaque Jean-Baptiste développe une relation forte avec la mère de Camille, qui de plus dans chaque cas est une "reine".
Ainsi Mathilde Forestier est appelée fréquemment "Reine Mathilde". Elle contacte Adamsberg incognito parce qu'elle sait qu'il a été l'amant de sa fille Camille, 9 ans plus tôt.
Eliane Devries est la mère adoptive de l'autre Camille, orpheline et princesse. Un résumé offert sur diverses pages débute par:
Eliane Devries règne avec son père Emile sur l'une des plus grandes plantations d'hévéas du pays.
"DEVISER pour régner" pourrait être la devise de la famille DEVRIES (voir l'Affaire des Piastres).
Le nom Devries, ou De Vries, indique originellement une provenance de la province de Frise (Vriesland). FRiSe, friserait-on le ridicule en remarquant que le mot débute par les mêmes consonnes FRS que FoReStier ?
- Peut-être, mais il est plus évident que les noms des créateurs débutent de manière presque identique, VARGas (je rappelle qu'il s'agit d'un pseudo issu d'un film, La comtesse aux pieds nus), et WARGnier. Et puisque le film nie gravement l'atmosphère de la "reine du crime", je propose de renverser les lettres restantes "nier" en REIN, qui donnent associées aux AS résiduelles REINAS, les "reines" espagnoles, CQFD.
Or Regis est étymologiquement un "roi" (rex, regis latin) et Frédérique Audoin-Rouzeau a renié en devenant Fred la partie royale de son prénom (rik, roi germanique).
La "royauté" de Reine Mathilde est encore soulignée par le nouvel ami qu'elle s'est choisi, Charles Reyer. Rey, c'est le "roi" espagnol, et reyer en serait une forme palindrome, frappante à plus d'un titre.
D'abord puisque je viens d'envisager des "reines" également ibériques, REIN-AS, à partir de lectures contrariées des lettres différentes de wargNIER et vargAS.
Ensuite je rappelle le personnage Charles Reynier de Léviathan, de Boris Akounine, qui m'avait fait remarquer, entre autres échos jungiens, que Reynier est pratiquement un palindrome construit sur la syllabe "rein(e)".

A part l'atmosphère, il y a des différences factuelles entre le roman Pars vite... et le film.
Le roman débute un 17 août, d'une année non précisée, à supposer contemporaine de la parution en 2001. Ce jour, où les premiers 4 apparaissent sur les portes d'immeubles parisiens et où la première allusion à la peste est déposée dans l'urne de Joss Le Guern, est devenu le 10 avril dans le film, d'une année encore non précisée (alors que le film a été tourné à l'été 2006).
Le 10 avril 2001, mardi saint, intervenait dans mon dernier billet, en tant que date officielle de parution d'un roman qui a été un facteur essentiel dans ma découverte sur le 4/4/44 jungien.
Plus généralement, j'ai vu un 10 avril important dans un autre roman de Vargas, Dans les bois éternels, le 10 avril 2004, veille de Pâques, où Violette Retancourt "ressuscite" grâce au sang donné par Adamsberg, Noël, et un éleveur de boeufs...

La première victime de la "peste", René Laurion chez Vargas, devient chez Wargnier Maxime Blanchet, un nom pouvant rappeler les identités évoquant grandeur et clarté du juge dans Sous les vents de Neptune, la dernière étant Maxime Leclerc. Ce Blanchet peut encore rappeler que le Jean-Baptiste d'Indochine était un Le Guen, "le blanc".

Le crieur de Pars vite... se nomme Joss Le Guern, le guern étant l'aulne (ou aune, ou verne) en breton, d'où une autre possibilité de titre pour ce billet : un Aune et une Pham...
L'emplacement de la criée est passé du carrefour Quinet-Delambre à la rue du Cloître-Saint-Merri, profitant de la proximité du centre Pompidou. Le Guern fait ses criées dos à l'église Saint-Merri.
Ceci m'est évocateur, car cette rue du Cloître-Saint-Merri faisait originellement un coude, renommé ensuite rue des Juges-Consuls. J'ai jadis été frappé par diverses similitudes entre L'énigme du mort-vivant (1949) de Raoul de Warren, et Le pendule de Foucault (1988) d'Umberto Eco, parmi lesquelles l'année 1944 et la rue des Juges-Consuls, l'une des plus petites rues de Paris.
Chez de Warren le mage Cagliostro aurait combiné en 1784 un sort lui permettant de s'octroyer 4 tranches de vie de 80 ans pourvu que soient réunies 4 personnes la nuit de la nativité julienne dans la crypte de Saint-Merri, dont il situe l'accès rue des Juges-Consuls. Un même scènario se déroule ainsi en 1784, en 1864, et enfin en 1944, avec à chaque fois la mort d'un des 4 participants à la cérémonie (sauf qu'en 44 la machination échoue et que le mort est l'instigateur, Cagliostro).
Chez Eco un trio d'ésotéristes amateurs imagine un plan secret des Templiers, qui en 1344 se seraient fixés 5 rendez-vous tous les 120 ans; le dernier aurait dû se tenir le 23 juin 1944 à Paris, mais la guerre l'aurait rendu impossible, et les affabulations du trio le conduisent à imaginer son report 40 ans plus tard, dans la crypte des Arts et Métiers; un mage se prétendant le comte de Saint-Germain les a pris au sérieux, et le pseudo-rendez-vous dégénère, conduisant à la mort du mage et d'un membre du trio. Son ami le narrateur erre ensuite dans Paris, son périple le faisant passer par la rue des Juges-Consuls...

Je n'ai fait qu'effleurer la question ici, sur laquelle il faudra que je revienne, maintenant que je vois en 1944 l'année clé de la quaternité-quintessence jungienne. Je rappelle que le premier crime du juge de Vargas (qui n'a rien de consulaire jusqu'à preuve du contraire) a eu lieu le 12 mars 1944, et que ceci m'a conduit à toute une série d'échos entre ce juge et Jung.
Je ne manque pas à chacun de mes passages à Paris d'emprunter cette petite rue, où j'ai notamment croisé le 19 mars 2001 l'actuel maire de Paris au lendemain de son élection, sortant de son QG de campagne, côté impair de la rue des Juges-Consuls.
En 2006 j'ai remarqué cette boutique, sise au numéro 4 rue des Juges-Consuls; elle avait disparu à mon passage suivant.

12 mars 44 : avoir écrit cette date à l'instant me souffle une intuition, que je vérifie... Catherine Binet, la compagne de Perec, est née ce même jour, ce sur quoi il faudra que je revienne.
En mars 1980 Perec, né en 36, avait remarqué qu'il fêtait ses 44 ans, tandis que Catherine née en 44 fêtait ses 36 ans... Je rappelle les 1936 vers d'Alphabets, 44 fois 44, que Perec a dédié à Catherine, et l'heure où il l'a rencontrée, le 23 juin 1975 vers huit heures du soir, devenue l'instant unique décrit par les 99 chapitres de La vie mode d'emploi, l'instant de la mort de Bartlebooth, inspirée du parricide de Gaspard Hauser dans Scénario pour un ballet, de Verlaine. C'est un matricide que commet le juge le 12 mars 44.

Avant de découvrir cet écho Perec-Vargas, je comptais évoquer ma première visite à la galerie d'Elisabeth, une des brodeuses d'Alphabets, dont il est question sur mon autre blog. Ci-contre le onzain 43 brodé par ses soins.
J'ai vu de mes yeux ce 16 juin pour la première fois la pyramide inversée du Carrousel, dont j'ignorais à peu près l'existence jusqu'à la journée Arte qui m'a inspiré pour ce billet (je croyais jusque là qu'il s'agissait d'une structure située juste sous la pyramide du Louvre).
J'ai pris cette photo à 11:23, et 20 minutes plus tard je me trouvais devant la galerie d'Elisabeth, 11 rue des Beaux-Arts, découvant qu'elle jouxtait une autre galerie, sise à la même adresse, L'Etoile d'Ishtar...
Ceci alors que la ǝpıɯɐɹʎd inversée faisait en avril coïncidence avec l'Etoile de Babel de janvier, et que ma recherche m'amenait en mai à Esther-Ishtar (et à Perec), via la représentation cunéiforme du nombre 11...

En traversant la Seine, presque face à l'Institut, j'ai repensé à mes visites il y a bien longtemps à mon grand-oncle Souverbie, membre de l'Académie des beaux-arts, évoqué sur mon autre blog.
Je découvre sur la page wiki Régis Wargnier qu'il a été élu à cette même Académie le 4 avril 2007, le 4/4.... !!!!
Chaque fois que je rencontre une date dans le créneau pascal, je vérifie, et ce 4 avril était un mercredi saint, de même que le 15 avril 1992, jour de la sortie d'Indochine.

Ce billet m'a fait me repencher sur L'homme aux cercles bleus, écrit par Vargas en 1990, et publié en 1991 par un petit éditeur qui a fait faillite alors que le livre n'était pas encore distribué. Curieusement, ce roman qu'il était impossible de se procurer avant 1996 a obtenu le Prix du festival de Saint-Nazaire en 1992.
Saint-Nazaire, dans le 44, or j'avais constaté (et gardé pour moi) que le roman est composé de 44 sections non numérotées, séparées par de triples astérisques. Je rappelle que c'est la latitude 44°44' de Kiseljevo dans le dernier Vargas qui m'a fait l'inclure à mes recherches jungiennes.

Très brièvement, Régis Wargnier est un "nom doré", ce que j'étudie notamment ici en relation avec Perec et Catherine Binet. Ses valeurs 58-95 sont les mêmes que celles d'Albert Einstein, et une recherche sur les deux noms m'a appris que ce dernier est mort le 18 avril 1955, 7e anniversaire de Wargnier, né le 18/04/1948.
Les nombres 95-58 m'évoquent le Choeur d'ouverture de la Passion selon Saint Jean, auquel j'ai consacré cette page où il est question d'Einstein et de Jung...

22.6.09

Halterités

A Béatrice, Bon Anniversaire

J'ai consulté le 16 juin dernier les 3 tomes de l'intégrale Paul Halter, qui risque commetuer l'alpha d'autres "intégrales" du Masque de n'être pas si intégrale que ça, puisque la parution s'est arrêtée en 2001 au 3e tome, soit en tout 15 romans, alors que Halter a publié à ce jour 36 romans et pas mal de nouvelles.
Ce 3e tome contient des préfaces de Roland Lacourbe pour chacun des romans, et j'ai été frappé par la première, pour Le Roi du Désordre paru en 1994, où Lacourbe évoque la synchronicité :
Et maintenant, amateurs de synchronicité, prêtez l'oreille ! Pour ceux qui l'ignorent, ce terme savant forgé par CG Jung désigne cette discipline qui tente d'analyser les coïncidences parfois excessives qui régissent notre monde. A ce propos, il me semble judicieux de souligner la toute première phrase du livre qui montre à quel point les auteurs sont parfois littéralement dépassés par les exigences de leur art : "La vie est faite de coïncidences." Paul Halter ne croyait pas si bien dire... Imaginait-il, lorsqu'il écrivait son roman en 1993, que de l'autre côté de l'Atlantique, une équipe cinématographique entreprenait le tournage d'un film qui allait marquer toute une génération de jeunes cinéphiles ? Son titre : Scream, et son maître d'oeuvre, un certain Wes Craven, nouveau leader du cinéma d'épouvante. Or, quelle est la créature hideuse qui crève l'écran de Scream ? Un être bizarre affublé d'un masque blafard aux traits déformés et caricaturaux, devenu depuis lors le symbole de la peur devant l'inconnu. Un Roi du Désordre américain en quelque sorte. Dont la naissance simultanée incite à s'interroger un peu plus sur ce mystérieux inconscient collectif dans lequel puisent et se nourrissent les créateurs...

Pour information, le Roi du Désordre du roman de Halter sévit à la fin du 19e siècle; il est habillé d'une pélerine à Cette édition Hachette de 1999 a peut-être subi l'influence de Screamcapuchon, d'un pantalon recouvert de grelots, et il porte sur le visage une sorte de masque grossier, en pâte à pain, badigeonné de blanc, qui lui donne un aspect terrifiant. A part les "grelots", ceci rappelle évidemment fortement le tueur de Scream, lequel se manifeste volontiers par le téléphone, plus moderne façon de "foutre les grelots" (faire peur). Les deux tueurs partageant aussi la même propension à poignarder les gens, la remarque de Lacourbe me semble tout à fait juste, mais j'entends souligner que cette évocation de la synchronicité en 2001 à propos de Halter est elle-même une synchronicité...
Je m'explique. C'est en 2001 qu'est paru Des jours et des nuits, de Gilbert Sinoué, que j'ai lu le 31 août dernier. Il s'agit d'une fiction autour d'une analyse jungienne, située dans les années 30, ce qui permet à l'auteur de faire s'exprimer Jung à propos du cas de son héros, l'argentin Ricardo qui rêve d'une femme avec laquelle il aurait dans deux existences antérieures connu un merveilleux amour interrompu par une catastrophe. La précisionEt le désir s'accroît de ses rêves le conduit à rompre ses fiançailles et à partir chercher cette femme dans une île grecque...
Or j'ai reconnu dans ce roman des thèmes développés par Halter dans des romans de 1998 et 2000, avec de tels détails communs qu'il m'a semblé impensable d'imaginer un plagiat de la part de Sinoué, ce que j'ai développé ici.
Ainsi il est fabuleux de trouver en 2001 une analyse "synchronistique" d'un roman de Halter, alors que cette même année est paru un roman jungien dont j'ai vu bien plus tard qu'il pouvait avoir été anticipé par le même Halter...
Et que cette analyse vienne d'un Lacourbe fait encore coïncidence, car, sur mon billet précité, j'avais fait part quand l'effet se reculede mon admiration pour la photo d'Emmanuel Sougez illustrant la couverture du roman de Sinoué :
Puisque la rotondité est le mot clé de ce billet, je me permets d'isoler ce détail de la photo, aux courbes particulièrement harmonieuses (...)
J'associais donc le Beau à la courbe, ce dont je ne me dédis pas, d'autant plus que Paul Halter pourrait bien avoir fait de même.
Le héros du Roi du Désordre est le dandy Owen Burns, inspiré par Oscar Wilde (et Halter a depuis été émulé par d'autres auteurs qui ont utilisé Wilde comme enquêteur, tel Gyles Brandreth). La première phrase du roman, citée par Lacourbe, "La vie est faite de coïncidences.", serait la première phrase de la comédie d'Owen Burns, Il importe d'être Archie Bow, mais la narration situe l'aventure bien avant l'écriture de cette pièce, et il est subtilement suggéré que Burns aurait en fait emprunté cette phrase au narrateur, Achille Stock, qui assiste Burns dans ses enquêtes...
"C'est très beau, ce que vous venez de dire.", réplique Burns à Achille Stock qui vient de lui citer le futur incipit de sa pièce. "Très beau" ou "Archie Bow", le calembour pourrait avoir de multiples niveaux :
- allusion bien sûr à la pièce du vrai Wilde, Il importe d'être Constant (The Importance of being Earnest), d'où est peut-être tiré le nom de BurnsTake a walk on the Wilde side, car "Ernest", (H)alter ego de Jack dans la pièce, a pour pendant l'ami imaginaire d'Algernon, "Bunbury" (titre alternatif de la pièce);
- allusion encore à son ami Lacourbe (to bow = "courber"), qui s'est trouvé avoir à préfacer le roman;
- peut-être enfin allusion à l'assistant Archie Goodwin d'un autre célèbre détective esthète, Nero Wolfe, l'Homme aux orchidées créé par Rex Stout.

Sans que cela implique quoi que ce soit ici, le calembour originel de Wilde connotait pour lui son ambiguïté sexuelle, ce qui a probablement joué un rôle dans les procès qui lui sont tombés sur le râble peu après le succès de la pièce.

J'ai cherché à approfondir la curiosité de la même année 2001 pour le tome 3 de l'intégrale Halter et le roman jungien de Sinoué, découvrant ainsi que le premier était paru le 7 novembre 2001, tandis que Des jours et des nuits serait paru le 10 avril 2001.
Or ce 10 avril était le mardi de la semaine sainte, et je rappelle que c'est 8 jours et 8 nuits après avoir lu le roman de Sinoué qu'il m'est venu le matin du 8 septembre dernier l'intuition fondatrice de ce blog, le 4/4/44 aux 4/5es de la vie de Jung, ce 4 avril qui était aussi un mardi saint. Ainsi mon intuition à propos du 4/4/44 est-elle intimement liée à un livre paru un autre mardi saint, 57 ans plus tard, mais ce n'est pas tout.
J'ai dû me renseigner (par exemple ici) pour savoir quand tombait Pâques en 2001, et je me suis avisé ensuite que je n'en aurais pas eu besoin, puisque cette semaine sainte de 2001 est l'une des 5 concernées Archi Goldenpar ce que j'estime être la plus formidable des coïncidences que j'ai découvertes, décrite sur le billet rien que huit jours : en l'espace de 12 ans, j'ai découvert, chaque cas étant associé à une remarquable curiosité, 5 polars se déroulant exactement pendant les 8 jours de la semaine sainte, et il se trouve que, chronologiquement, la 4e semaine concernée est celle de 1996 dans 4 corners of night, de Craig Holden, tandis que la 5e est celle de 2001 dans une nouvelle de Sébastien Févry, publiée dans un recueil intitulé 5, ni plus ni moins.
La semaine sainte précédente était celle de 1944, dans Et le huitième jour... d'Ellery Queen, dont le 3e chapitre est intitulé Mardi 4 avril, tandis que la 3e section de la nouvelle de Févry est intitulée Mardi 10 avril.

La semaine sainte encore précédente était celle de 1895 dans Le parfum de la dame en noir, où Rouletabille mène son enquête du 7 au 14 avril 1895. Il me semble encore digne d'être mentionné que The Importance of being Earnest, du réel Oscar Wilde, a été représenté pour la 1e fois le 14 février 1895. L'accusation d'homosexualité dont il a alors été victime l'a poussé à intenter un procès en diffamation, qu'il a perdu le jeudi 4 avril suivant, ce qui a conduit à un autre procès et une condamnation à 2 ans de travaux forcés.
Enfin la première semaine sainte concernée est celle du 14 au 21 avril 1889 dans Le Décorateur de Boris Akounine, mais l'utilisation du calendrier julien a pour conséquence que le mardi saint y est un 4 avril.

C'est donc le 16 juin dernier que j'ai découvert cette remarque de Roland Lacourbe sur la synchronicité, de même que, dans le premier tome de l'intégrale Halter, la confirmation d'une hypothèse hasardée sur le billet Paul & Fred, où j'étudiais à quel point les oeuvres de Paul Halter et Fred Vargas étaient parallèles : j'y avais envisagé que Paul aurait pu proposer son premier roman, La malédiction de Barberousse, au concours de Cognac 86, et non seulement c'est bien ce qui s'est passé, mais le roman de Paul est arrivé second après celui de Fred, et le choix final a été si serré que les responsables ont conseillé à Paul de se représenter l'année suivante, où il a effectivement été primé.
Je rappelle que dans les deux romans apparaît un Arnold. Paul a reconnu que le sien était un hommage à son ami Roland, et la question demeure ouverte en ce qui concerne Fred : pourquoi dans 8 de ses 12 romans publiés à ce jour les coupables se nomment-ils soit Roland, soit ARNOLD ou LORAND, anagrammes de ROLAND ? (voir ici le détail)
Jamais 2 sans 3... ce même 16 juin je me suis intéressé au premier roman de Craig Holden, dont j'ai lu les 3 romans publiés après Les quatre coins de la nuit, lesquels me semblent tous riches en intentions secrètes, mais ceci viendra en son temps. Pour l'heure l'élément marquant de La rivière du chagrinrationhel ? est la présence du mystérieux Arnie Holt, principal suspect de divers meurtres de dealers.
Arnie est un diminutif de Arnold, prénom masculin, mais en l'occurrence ARNIE HOLT est l'anagramme de LION HEART (Coeur de Lion), et "Arnie" est en fait Liz Richards, la soeur de Denise Richards jadis victime de cette bande de dealers. Liz est venue jouer les Terminator pour venger sa soeur, sous cette identité masquant leur nom (Richard Coeur de Lion...)
Ceci m'ouvre encore des abîmes synchronistiques, d'abord pour les Arnold des premiers romans de Paul et Fred, dont j'avais eu la confirmation quelques instants auparavant de leur participation au même concours.
RICHARD, alors que c'est un RICARDO qui suit une analyse jungienne dans le roman de Sinoué.
Enfin il faudra reprendre ce blog à partir de Babel et la bête pour évaluer à quel point les mots "coeur" et "lion", et leur association, sont intimement liés à son évolution des derniers mois.
Sinon pour "coeur-heart" à sa naissance même, puisque toujours dans le billet Blogruz originel je remarquais que THERA, "l'île ronde" clé des énigmes soumises par HALTER comme par Sinoué, était l'anagramme de HEART.