21.10.09

François Truffaut (1932-2015)

C'est aujourd'hui le 25e anniversaire de la mort de Truffaut. J'ai pris conscience récemment que j'avais décelé dans sa vie un schéma pouvant être rapproché de celui découvert dans la vie de Jung, et un approfondissement m'a mené à d'autres résonances.
J'ai consacré sur mon autre blog de nombreux billets au tic de Truffaut de citer le nombre 813 dans ses films. Selon ses rares confidences à ce sujet ce serait en hommage au roman "813" de Maurice Leblanc, mais ceci n'explique pas grand-chose, et j'ai repéré de formidables coïncidences autour de ce tic :
- Pour acquérir les droits exorbitants de Une belle fille comme moi, Truffaut a joué pour la seule fois de sa vie au tiercé en 1971, risquant 50 000 F sur la combinaison 8-1-3. Léon Zitrone lui apprit qu'il eût fallu jouer 4-5-1, alors qu'il avait fait dire 5 ans plus tôt à Julie Christie dans Fahrenheit 451 "Why 4-5-1 rather than 8-1-3 ?"- Dans 3 cas des citations 813 uniques surviennent assez exactement aux 8 treizièmes de la durée du film.
- J'ai rapproché ceci de la date 8/13, le 13 août à l'anglaise, et un maître à filmer de Truffaut a été Hitchcock, né un 8/13. Truffaut a également publié des livres, le plus fameux étant ses entretiens avec Hitchcock, qui ont débuté le 13 août 1962, 63e anniversaire du cinéaste.
- Le 13 août 1983 a associé tragiquement la sortie du dernier film de Truffaut et les premiers symptômes de la maladie qui allait l'emporter un an plus tard; j'y reviendrai en détail.

Il m'est donc venu que j'avais associé ceci aux dates de Truffaut, 1932-1984, qui a donc vécu 52 ans, 4 fois 13, entre 32 et 84, 4 fois 8 et 21 (8+13). Or j'ai trouvé également ces nombres 32-52-84 associés au 4/4/44, dans ce billet :
Il y 3 personnes présentes sur la page 4/4/44 de la BD présentée dans mon avant-dernier billet :
JUNG = 52 = 13x4
EMMA = 32 = 8x4 ou
EMMA JUNG = 84 = 21x4
HAEMMERLI = 84 = 21x4
Les valeurs de ces noms correspondent à une suite additive d'or, 32-52-84, quadruples des termes 8-13-21 de la suite de Fibonacci, étroitement associée au nombre d'or.

Je ne crois pas avoir pensé jusqu'ici que les 8/13es de la vie de Truffaut sont tombés en 1964, l'année où est apparu le premier 813 répertorié, dans La peau douce. Si je l'avais vu, j'ai peut-être omis d'en parler car le film a été tourné fin 63, mais l'oeuvre d'un créateur n'a d'impact réel que lorsqu'elle est accessible au public, qui fut en l'occurrence d'abord celui du festival de Cannes en mai 64.
Une peut-être meilleure raison pour éviter de hasarder des hypothèses audacieuses sur l'ensemble des 813 chez Truffaut est qu'il subsiste des incertitudes, notamment sur ses oeuvres antérieures à 64 où aucun 813 n'a été recensé, mais ce tic était un secret du réalisateur, et il faut par exemple un oeil averti (sinon inverti) pour se désintéresser de Deneuve se préparant à recevoir son amant dans La sirène du Mississipi, et voir un fugace 813 inscrit au-dessus du lit :
Il faut être encore plus attentif pour s'apercevoir que la combinaison du coffre ouvert par Mata-Hari agent H21 (1965) est inscrite sur la clé du coffre :
A remarquer qu'il ne s'agit plus seulement de 813, mais d'une double séquence des chiffres fatidiques, qu'on retrouve d'ailleurs à l'identique dans Fahrenheit 451 (1966), où les principaux personnages habitent le bloc 813, le héros Montag étant identifié par le numéro 381 813.
Ceci amène à se demander si d'autres formes de 813 pouvaient convenir à Truffaut, et un exemple extrême m'a été signalé récemment par Michel Rougier, qui a lu mes chroniques sur Blogruz.
Dans Vivement dimanche !, Fanny Ardant consulte un journal. Au cinéma, le spectateur n'a le temps que de déchiffrer le titre de l'entrefilet, mais un arrêt sur image révèle ce texte incohérent : En y regardant de plus près, cette liste est composée successivement de :
- 8 noms de rues
- 3 noms de quais
- 1 nom de boulevard
soit 8-3-1, les chiffres fatidiques... Il serait outrecuidant d'affirmer que c'est pur hasard, et si ça ne l'est pas il faudrait analyser chaque plan de Truffaut à la recherche de 8 trucs, 3 machins, 1 bidule...
Quoi qu'il en soit, il est au moins certain que les noms des voies ne sont pas choisis au petit bonheur, c'étaient toutes des voies du centre de La Ciotat en 1983, deux d'entre elles ayant été renommées depuis. La Ciotat n'est pas là non plus par hasard, car on l'appelle la cité du cinéma, parce que c'est là que les frères Lumière ont inventé leur procédé, tourné leurs premiers films, et c'est là encore qu'a été ouverte en 1899 la première salle de cinéma du monde, l'Eden-Théâtre, sise précisément au bout du boulevard A. France, le dernier nom de l'énigmatique entrefilet.
S'il est besoin d'une confirmation, l'enquête de Barbara Becker (Fanny Ardant) la mène à la caissière d'un petit cinéma, l'Eden, Paule Delbecq qui sera la 4e victime de l'assassin.

Ceci confère à Vivement dimanche !, petit film sans prétention disait Truffaut, une certaine profondeur, sinon une valeur testamentaire, alors que Truffaut avait de multiples projets en cours quand la maladie l'a frappé. Ainsi son ultime film, ultime par la force des choses, contient-il cet hommage caché à la naissance du 7e art (le 7e jour !), et ceci s'ajoute aux multiples curiosités décelées à son propos :
- En octobre 1982 est paru Le mystère de la chambre 813, première traduction d'une novelette de William Irish intitulée originellement Mystery in room 913. J'explique ici mes doutes sur une relation directe entre ce "813" et le cinéma de Truffaut, bien qu'il ait adapté deux romans de Irish, dont La Sirène du Mississipi avec le 813 sur le mur de la chambre de Deneuve. De même ce "813", paru juste avant le tournage de Vivement dimanche !, n'a probablement pas été connu de Truffaut, et il n'en avait nul besoin pour imaginer la chambre 813 de l'hôtel Garibaldi, ayant déjà eu recours à une chambre 813 dans 3 films antérieurs (La peau douce, Adèle H, Le dernier métro).
- Ce retour de Truffaut à un thème hitchcockien, un innocent suspecté de terribles crimes, est une adaptation d'un roman de Charles Williams, né un 13 août (ou 8/13, comme Hitchcock). L'idée de cette adaptation venait essentiellement de la collaboratrice de Truffaut.
- Le film est sorti en 83, et il se passe dans le 83, à Hyères, où il a effectivement été tourné fin 82.
- Truffaut disait que Vivement dimanche ! était un "film du samedi soir", or il est sorti le mercredi 10 août 83, et ses premiers spectateurs du samedi soir l'ont donc vu le 13 août, le 8/13.
- cette année 1983 était la première depuis 1938 à contenir les chiffres 1-3-8.
- le jour de la sortie du film, Truffaut avait vécu 18813 jours pleins.
- Truffaut n'aurait pu comme il l'aimait aller se mêler incognito aux spectateurs de son film, ce samedi 8/13 idéalement, car la veille au soir il sentit "comme un pétard lui éclater dans la tête", premier symptôme de la tumeur au cerveau qui l'emporterait 14 mois plus tard. Le premier plan de Vivement dimanche ! montre un homme recevant un coup de fusil en pleine tête...

Après avoir passé une mauvaise nuit, Truffaut consulta le lendemain un médecin qui lui diagnostiqua une sinusite et lui prescrivit de l'aspirine...
Or, au matin de ce samedi 13 août 1983, Truffaut, né le 6 février 1932 à 6 h du matin, avait vécu 18816 jours, et 18816 c'est 3 fois 6272, l'unité du schéma mirifique de la vie de Jung qui a vécu 4 x 6272 jours avant le 4/4/44, et 6272 jours ensuite.
D'où un rêve. S'il est douteux qu'un meilleur diagnostic eût alors permis une action curative efficace sur cette terrible maladie, l'histoire donne de multiples exemples de guérisons de cas jugés fatals par les autorités médicales, et Truffaut aurait pu rencontrer ce jour si particulier son docteur Haemmerli, un véritable guérisseur plutôt qu'un tâcheron de la profession. La magie du jour aurait eu le même impact que le 4/4/44 pour Jung, et ce 8/13 correspondrait aux 8/13es de la vie de Truffaut, qui vivrait jusqu'au 24 octobre 2015... Il n'aurait tourné à ce jour qu'une dizaine de nouveaux films, la reconnaissance mondiale de son art lui permettant de peaufiner des chefs-d'oeuvre, et de confirmer sa créativité dans d'autres domaines...
C'était un rêve... Si un rapprochement entre Truffaut et Jung ne trouve pas d'écho dans les documents de référence relatifs au cinéaste (de Baecque, Berre, Toubiana...), le motif de la quaternité-quintessence apparaît dans son oeuvre, de façon significative puisque Truffaut a tourné 5 polars, le 5e élément Vivement dimanche ! constituant un retour au genre après une éclipse de 11 ans.
Incidemment, les 5 romans originaux à l'origine des adaptations ont été réunis par Folio Policiers dans un coffret. La collection avait publié Vivement dimanche ! dès 1998, puis vinrent en bloc les 4 autres titres en 2001, le dernier selon le catalogue étant La mariée était en noir, de William Irish.
Or le roman comme le film content la vengeance en 5 épisodes de la mariée, à l'encontre des 5 responsables de la mort de son mari, avec, malgré un dénouement différent dans le film, une particularité remarquable du dernier épisode. Il y a d'ailleurs aussi 5 morts dans Vivement dimanche !, également répartis en 4+1 puisque le criminel responsable de 4 assassinats se suicide lorsqu'il est démasqué (Truffaut avait souhaité pour ce rôle son ami Serge Rousseau, le mari assassiné de La mariée..., mais il n'était pas disponible).
La mariée... est encore l'un des films de Truffaut où la citation 813 intervient aux 8/13es de la durée du film, comme en témoigne cette capture d'écran de mon logiciel, affichant le temps 1:03:13, alors que les 8/13es calculés sur la durée totale donneraient 1:03:37 :Essington ressemble beaucoup à ParisCeci ne donne qu'une idée de la possible adéquation car l'embarquement sur le vol 813 vient ensuite, et l'instant idéal est atteint au cours d'un plan où l'avion est visible.
Je remarquais que ce 813 aux 8/13es du film est souligné par la présence des nombres 8 et 13 l'encadrant en quelque sorte : la vengeresse appâte sa 2e victime, Coral, dans la loge 8 d'une salle de spectacles, et la dernière victime Fergus habite 13 rue de la Némésis (vengeance...)Coral-Fergus = 8-13, ces noms ont quelques assonances avec Carl Gustav...
Je remarquais encore que ces 8/13es correspondaient aux 3/5es de la mission que s'était assignée Julie Kohler. Au moment de l'annonce du vol 813, Jeanne Moreau était en train de ranger dans son sac le calepin sur lequel elle venait de rayer le nom de sa 3e victime.
3/5, 8/13, j'observais qu'il s'agit de rapports de nombres de Fibonacci consécutifs, en conséquence voisins, ce qui permet de hasarder une ultime pirouette. En substituant le rapport 3/5 à 8/13 dans l'équation rêvée de la vie de Truffaut autour du 13 août 1983, sa durée de vie idéale aurait été de 5 fois 6272 jours, comme Jung.
Ce jeu entièrement gratuit peut cependant trouver un écho dans les variations que Truffaut a apportées au roman de Irish. Chez celui-ci, la mariée exécute sans problèmes ses 4 premières cibles, mais la police parvient à comprendre le lien unissant les victimes et la piège lors de sa dernière tentative, qui échoue donc. Il y a quelques surprises dans le dénouement, reposant sur des coïncidences si inouïes qu'il me semble parfaitement justifié d'avoir ici "trahi" l'auteur.
Truffaut, avec son coscénariste Jean-Louis Richard, a imaginé une péripétie pour la 4e cible, Delvaux qui tenait l'arme ayant tué le mari de Julie : il est arrêté par la police au moment où la mariée s'apprête à le revolveriser. Elle exécute ensuite le dernier de la liste, Fergus, en laissant assez d'indices au 13 rue de la Némésis pour que la police remonte jusqu'à elle et l'arrête, sans comprendre les motifs de ses crimes. En prison, elle trouve un moyen pour tuer Delvaux...
Si Truffaut était ici revenu au scénario original, deux victimes auraient été épargnées, et peut-être deux tranches de vie lui auraient-elles été allouées, alors que le petit répit qu'il a accordé à Delvaux lui a peut-être valu ses 14 mois de sursis après le fatidique 8/13...
Très curieusement, car je n'imagine pas que la manie de Truffaut ait pu être poussée jusque à ce détail, la caméra suit quelques instants le panier à salade emmenant le malhonnête fourgueur de voitures volées André Delvaux, suivi par le taxi emprunté par Julie, et une des rares voitures dont on peut déchiffrer le numéro est immatriculée 3138 AD 94, les chiffres 13/8 suivis des initiales d'André Delvaux, lequel s'appelait évidemment autrement chez Irish (la dernière victime prévue est l'écrivain Holmes) ; à remarquer que le cinéaste belge avait été révélé l'an précédent par L'église Saint-Lambert (15ème) où André Delvaux a commis l'irréparableL'homme au crâne rasé (1966), et que Daniel Boulanger (plus écrivain et scénariste qu'acteur) interprétant cet homonyme est plutôt chauve (voir ci-contre).

Je rappelle que les calculs de dates envisagés peuvent être facilement vérifiés grâce à cette page permettant les conversions en jours juliens (qui n'a pas été programmée uniquement pour dater les crimes de Julie Kohler).

Note du 28/12 : Je viens de retrouver dans mes notes de lecture sur Le mystère de la chambre 813 que les enquêteurs s'intéressent aux locataires de la chambre à l'étage inférieur, des sino-américains qui se livrent épisodiquement à d'étranges rites. Ces locataires de la chambre 713, 813 dans le texte original, se nomment les Young.

10.10.09

morceaux choisis

au Dr Noël, au Pr Natali,

Une étrange trame de coïncidences unit trois romans qui sont, à ma connaissance, les seuls polars français évoquant le Lebensborn de Lamorlaye, la filiale française des haras humains créés par Himmler pour éduquer les bâtards semés par ses SS dans les pays conquis, quand il ne s'agissait pas d'enfants raflés à leurs familles.
Alors qu'aucun lien immédiat n'apparaît a priori entre Lebensborn et amputations, ce thème est présent au premier plan des trois romans concernés, et je ne pense pas que leurs auteurs aient été influencés les uns par les autres, mais voici d'abord les oeuvres en question :

1 - En 2004 paraît Serial Eater, de Tobie Nathan, où un tueur choisi parce qu'il est issu de la 2e génération du Lebensborn tue des femmes et en découpe des morceaux qu'il dispose dans des églises, pour écrire en hébreu la formule ototey eleh beqirbo (Ex 10,1). Il tue ainsi 4 femmes pour en écrire les 5 premières lettres, avec 2 mains (alef), 2 jambes (tav), et 1 pouce (yod). Après avoir écrit le premier mot en 3 mois avec 3 victimes, ce "mangeur en série" semble mettre les bouchées doubles le 17 janvier 2002 où il tue le matin une première victime, dont une main est déposée à ND de Lorette, et est capturé le soir de ce 17 janvier au moment où il va transformer sa 5e victime en lettre lamed, à l'emplacement du Lebensborn de Lamorlaye où était née sa mère.
Il s'agit d'un plan ésotérique pour en finir avec la race juive, en prenant "à la lettre" l'expression en hébreu, qui peut se traduire des lettres dans leurs entrailles.

2 - En 2007 paraît Les Orphelins du Mal, de Nicolas d'Estienne d'Orves (NEO), qui a imaginé très librement un Lebensborn très sophistiqué, ayant pratiqué dès avant-guerre le clonage et les techniques génétiques de pointe, menant à ce que, de nos jours, un être conçu à partir des gènes d'Adolf et d'une juive reçoive un colis destiné à servir de signe déclencheur du programme implanté en lui : il s'agit de 4 mains droites, portant des tatouages du Lebensborn, les mains des clones d'OTTO Rahn, imaginé avoir été un des principaux artisans du Lebensborn. L'enquête passe par le Lebensborn de Lamorlaye.
J'ai contacté l'auteur qui m'a assuré n'avoir pas connu le roman de Nathan, et n'avoir aucune idée que OTOT signifie "signes" ou "lettres" en hébreu.

3 - En octobre 2008 paraît Le doigt coupé de la rue du Bison, premier roman du pataphysicien de la première heure et oulipien François Caradec (1924-2008). On découvre donc un doigt coupé, et l'enquête à son sujet amène le principal protagoniste, l'étudiant Pierre Levey, à découvrir le sort de sa mère disparue pendant la guerre : elle est morte au Lebensborn de Lamorlaye, le 31 août 1944. C'est la seule date donnée dans le roman, et je rappelle que le 31 août est apparu avec insistance dans mes derniers billets.
Pierre, étudiant en fin des années 50, dont le père est mort au début de la guerre, dont la mère est disparue à la Libération, a tous ces points en commun avec Perec. S'il est difficile de ne pas y songer, il est délicat de pousser plus loin car Gisèle mère de Pierre est morte en accouchant d'Elise qui ne lui a survécu que quelques heures, dont le père était un SS nommé Elie (Gisèle-Elie-Elise...), tandis que Cécile Perec a été déportée vers Auschwitz. Caradec, bien qu'entré à l'Oulipo un an après la mort de Perec, était cependant parfaitement placé pour mesurer l'ambiguïté de ce rapprochement, et il est curieux que les intrigues des deux romans précités soient fondés sur des plans nazis d'élimination définitive de la race juive, impliquant tous deux pour réussir une certaine assimilation de l'essence de la race ennemie. Il s'agit bien entendu de fictions, auxquelles Nathan et NEO n'ont donné qu'une cohérence minimale, mais ce thème plutôt rare est assurément un autre point commun entre leurs romans, et Caradec y apporte un étange écho avec l'ambiguïté, voulue ou non, entre "Fontaine de vie" et camp de la mort.
Caradec étant mort 15 jours après la parution de son roman, j'ai demandé à un notable oulipien s'il avait donné à ses collègues quelques tuyaux; il m'a répondu que Caradec était secret à l'extrême sur ses écrits, et qu'il ne voyait pas qui pourrait en savoir davantage... Pour ma part, je ne peux imaginer qu'à 84 ans, n'ayant plus rien à prouver, il ait démarré une carrière de polardeux en pompant son sujet; je pense plutôt qu'il s'agissait d'un projet qui lui tenait spécialement à coeur, peut-être déjà en cours dès 2004 lors de la parution de Serial eater, Caradec étant donc devenu une nouvelle victime du très oulipien "plagiat par anticipation".

Les curiosités sont loin d'être finies, mais la suite est en partie subjective. J'ai découvert le 26 septembre le roman de Caradec à la bibliothèque Méjanes d'Aix, en partie par hasard car le livre était sorti du rayon, et je ne sais si je l'aurais remarqué sans cela. En août, les recherches sur Saint-Antoine m'avaient conduit à relire les romans de Tobie Nathan, alias Antoine Habt, et à rédiger cette nouvelle étude, faisant état des progrès dans leur déchiffrement. A cette occasion je me suis dit que la coïncidence des 4 membres coupés dans Serial Eater comme dans Les Orphelins du mal concernait éminemment Quaternité, d'autant qu'il existe deux autres romans qui me semblent apparentés.
Le premier est Lignes de faille, de NancyNancy Huston publie d'abord ses livres en français, mais la couverture de l'édition originale Actes Sud est fort austère Huston, publié en août 2006, auquel a été décerné le prix Femina. Le roman concerne un autre aspect du Lebensborn, la rafle par les nazis dans les pays conquis d'enfants répondant à leurs critères raciaux, enfants arrachés à leurs familles et éduqués dans l'amour du Führer...
Il s'agit ici de Kristina, une petite ukrainienne placée dans une famille de Munich dépendant du Lebensborn, et Nancy Huston étudie ce drame à rebours sur 4 générations, en 4 parties, en choisissant chaque fois de suivre la 6e année de l'enfant concerné. Ainsi la 1e partie concerne Sol, arrière-petit-fils de Kristina, et débute le Dimanche des Rameaux de 2004, tandis qu'il faut attendre la 4e partie, débutant à l'automne 1944, pour suivre le cas originel de Kristina. Bien évidemment il y a des "lignes de faille" tissées avec subtilité entre les différents épisodes, mais ce qui me touche en reprenant le roman est l'abondance des 4.
En effet le Dimanche des Rameaux de 2004 était un 4 avril, et le roman en 4 parties part donc du 4/4/4 pour arriver à la 4e saison de 44.
Je rappelle que c'est ce 4/4/4 que j'ai pris conscience de l'aspect schématique du 4/4/44 jungien, voir mon premier billet.

L'autre roman est L'anneau de Moebius, de Frank Thilliez, paru en octobre 2008, comme Le doigt coupé... Je l'ai découvert en février, et, le titre du roman m'accrochant, j'ai jeté un oeil à la 4e de couverture commençant par
Lamorlaye, Oise.
Tiens donc ! Je l'ai acheté et lu : si le principal personnage habite Lamorlaye, il n'y est jamais question, même allusivement, de Lebensborn, mais j'ai trouvé d'autres raisons de m'intéresser à ce polar, étudiées ici.

Je me suis donc dit qu'il aurait fallu un autre polar évoquant le Lebensborn de Lamorlaye, pour avoir une double quaternité jungienne avec :
- 3 polars Lebensborn-Lamorlaye,
- 1 polar Lamorlaye sans Lebensborn,
- 1 roman classique Lebensborn sans Lamorlaye.
Et le hasard m'a donc fait découvrir ce Doigt coupé... de Caradec, environ 3 semaines plus tard, le 26 septembre. Qu'il concernât au premier chef un doigt coupé était évidemment prodigieux, mais d'autres coïncidences avec le roman de Tobie Nathan sont patentes. Pierre Levey qui enquête sur le doigt coupé soupçonne qu'il pourrait être associé à une pratique d'une secte templière, or le tueur de Serial Eater fait partie d'une secte templière, et sa 3e victime, celle dont il prélève une jambe et un pouce, précisément, appartient aussi à cette secte (dirigée par Mrs Baudouin et Payens, homonymes des fondateurs du Temple). Si les jeux de langage dans le roman de Caradec peuvent faire supposer que le doigt COUPE est un POUCE, son titre pourrait parodier le "pied gauche de la rue Oberkampf", le premier exploit de Rouletabille.

Le prénom de la victime ayant fourni une jambe et un pouce, Marie-Madeleine (Mory), m'avait évoqué l'affaire de Rennes-le-Château (RLC), ainsi que le dénouement de l'affaire le 17 janvier, mais je crois que la Saint-Antoine suffit pour expliquer ce dernier point. Pour le premier, on peut imaginer que le statut de prostituée "sacrée" de Marie-Madeleine ait été un motif suffisant pour l'inclure dans cette "sex-secte". Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que RLC est cité dans le roman de Caradec, où Pierre Levey est déclaré fréquenter les membres fondateurs du Prieuré de Sion et être convaincu qu'ils ont raison de s'intéresser à Rennes-le-Château. Ces fondateurs, ce sont Pierre Plantard et Philippe de Cherisey, non nommés, la pierre levée des Pontilsmais on peut envisager un écho entre "pierre levée" et soit les pierres remarquables des alentours de RLC, soit l'interprétation que Plantard proposait pour son propre nom.
Je ne sais si Caradec avait une implication personnelle ici, en tout cas sa spécialisation dans la littérature comico-surréaliste lui aurait facilement permis de connaître Philippe de Cherisey, partenaire de Roland Dubillard dans le duo Grégoire et Amédée, et Caradec, pasticheur et grand amateur de canulars, aurait pu, qui sait, avoir participé à l'élaboration des fameux parchemins, revendiquée par Cherisey.
Si Les Orphelins du Mal ne concerne pas directement RLC, c'est cependant le seul roman de ma série à être distribué par la librairie Empreintes de RLC, probablement parce qu'un de ses personnages est Otto Rahn, associé à l'ésotérisme languedocien.
Je n'insiste pas sur cette piste, ne connaissant qu'assez peu l'affaire de Rennes-le-Château.

J'indiquais lors de mon premier rapprochement entre Serial Eater et Les Orphelins... que ma première nouvelle publiée, Le Cas Nard (en mars 2001), imaginait 4 soeurs se distraire en coupant les 4 mains et pieds des malheureux qui tombaient en leur pouvoir. Ceci m'avait été inspiré par le nom de la revue qui m'avait demandé un texte, CAÏN, et son numéro, 26, valeur du Tétragramme YHWH. Parce que j'étais frappé par les initiales ABEL des 4 morts de Monsieur Abel de Demouzon, supposés tués par un même individu, j'avais imaginé 4 soeurs tueuses d'initiales CAIN, etle VIDE Raymond Roussel, comme disait Caradec il m'était apparu que leur collaboration égalitaire dans le crime la plus immédiate serait cette quadruple amputation.
Comme je nourrissais par ailleurs une fascination extrême pour les "textes-genèse" de Roussel, j'avais construit ma nouvelle à la manière d'un de ces contes, et mes SOEURS MORDYLAN étaient par ailleurs l'anagramme de RAYMOND ROUSSEL. Pour les amateurs de Roussel, sa bio par Caradec est un incontournable (ainsi que les deux livres de mon ami Philippe Kerbellec, bien sûr).
J'en parlais aussi sur le billet pique épique, où j'avais évoqué le mandala ci-contre, découvert par mon as Depic en entrant dans l'antre des diaboliques soeurs. Les lettres de Scrabble JOUZ encadrant Pallas correspondaient pour moi par leurs rangs (10-15-21-26), aux combinaisons successives des lettres du Tétragramme (Y, YH, YHW, YHWH), puisque, en hommage à La mort et la boussole de Borgès et à L'Adversaire de Queen, j'avais désiré construire un mandala à partir des lettres YHWH.
J'ai eu la surprise plus tard de découvrir, en googlant "jouz", que le mot existait. Un jouz ou juz est une des divisions en 30 parties du Coran, en vue de sa lecture totale en l'espace d'un mois. Je note que le début de chaque jouz est signifié dans le Coran par ce signe qui a tout du mandala, mais le plus extraordinaire est que Serial eater cache un jeu extrêmement subtil autour de la division en 54 parachas de la Torah, en vue de sa lecture annuelle, ce que j'ai démontré ici. Je m'avise en écrivant ceci que la formule choisie par le tueur se translittère en ATTY ALH BQRBW, 3 mots se terminant par les lettres YHW du Tétragramme, l'exégèse juive étant attentive aux combinaisons de lettres du Tétragramme en début ou en fin de mots consécutifs.
Avec ce nom Mordylan, "mordillant", j'imaginais suggérer que les soeurs se repaissaient des morceaux arrachés à leurs victimes.

En y réfléchissant, je me suis avisé que je réagis fortement depuis longtemps au thème Who's got arms has armsdes 4 membres coupés. J'ai été très marqué par Limbo, de Bernard Wolfe, lu il y a plus de 30 ans. Plus tard, L'antre du cauchemar, de Tom Tessier, m'a tant impressionné que j'ai envisagé d'en recycler l'idée dans un roman qui se serait appelé Membres à part...
Alors que je ne vois dans mon enfance rien qui aurait pu me sensibiliser aux membres amputés, je suis intimement concerné par les doigts coupés, car je suis né avec un pouce bifide, avec une phalange surnuméraire en Y, qui m'a été ôtée lorsque j'avais 4 ans. Mes premiers souvenirs sont liés à ce pouce et à l'opération.
Assez curieusement, notre médecin de famille, qui l'était depuis bien longtemps avant ma naissance,l'acteur et chanteur Noël-Noël et que j'ai très peu connu car il a pris sa retraite alors que j'étais encore bambin, avait fait sa thèse sur la polydactylie. Il y en avait un exemplaire à la maison, et je me souviens avoir été un peu déçu en y apprenant que "mon" anomalie n'était pas si rare.
Plus bizarrement, il se nommait Noël (Henri je crois), et le chirurgien qui m'a opéré à Vaugirard se nommait Natali (Jean), nom de même étymologie que Noël (du latin natalis). Je n'ai pu faire ce rapprochement que récemment, postérieurement à la lecture de la nouvelle Noël, Noël, à l'origine de la fabuleuse coïncidence relatée ici.
Incidemment, L'anneau de Moebius évoqué plus haut tourne autour d'un cercle de fétichistes des anomalies physiques, parmi lesquelles les amputations et les orteils surnuméraires.

J'ai choisi de dater ce billet du 10 octobre parce que c'est à cette date que j'ai découvert l'an dernier le 5e polar couvrant exactement une semaine pascale.
Ceci est survenu le lendemain du jour où j'avais lancé un appel à ce sujet sur une liste polar, émoustillé des perspectives ouvertes par la découverte quelques jours plus tôt du 4e polar répondant à ce critère. Je ne vais pas reprendre le détail de l'affaire, me bornant à constater qu'un an plus tard il me semble toujours que c'est l'une des plus belles coïncidences que j'ai découvertes, l'une des plus accessibles, puisque le critère requis est parfaitement net, et la plus ouverte à la contestation.
Car s'il est totalement ébouriffant que parmi les 5 polars répondant à ce critère que je connais, celui correspondant chronologiquement à la 4e semaine ait quatre dans son titre, et celui correspondant à la 5e soit titré 5, ni plus, ni moins, un peu de publicité permettrait d'évaluer le côté personnel de ce petit miracle. Si le bon sens dicte qu'il devrait y avoir pour le moins des dizaines d'autres polars répondant à ce critère, mon petit pouce (car il est resté légèrement plus petit que l'autre) me dit qu'il ne sera pas si facile de les dénicher, et qu'il se pourrait bien que ce soient, sinon les seuls, du moins les 5 polars les plus aisément accessibles à un lecteur français.

J'ai eu du mal à finir ce billet, décidé dès la découverte le 26 septembre du Caradec, et que j'achève donc ce 9 novembre. Une raison en a été la difficulté d'y trouver un titre, et voici que j'ai reçu il y a quelques jours une invitation à une signature du Peintre PataPhysicien Olivier O. Olivier, pour son recueil Morceaux choisis précisément, titre que j'emprunte allègrement.
J'avais évoqué OOO dans ce billet Blogruz.