2.7.21

"Résipiscence", lis "pisse en ce récit"


    Le précédent billet m'a conduit à une avancée majeure dans l'élucidation des deux textes symétricologiques de Ricardou, ouvrant ses deux derniers ouvrages de fiction, publiés simultanément en 1988, Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan, dans Révolutions minuscules, que j'appellerai maintenant la Préface, et Le lapsus circulaire dans La cathédrale de Sens, que je nommerai désormais le Lapsus.
  J'ai appris deux choses depuis. Plusieurs état des tapuscrits de ces deux livres sont conservés à l'IMEC, avec de multiples corrections successives, montrant probablement comment Ricardou est parvenu à calibrer Préface et Lapsus pour qu'ils occupent 100 et 80 pages, mais permettant aussi de voir quelles structures sont invariantes, et donc recèlent des codages essentiels. Je compte aller consulter ceci prochainement.

  Par ailleurs, j'ai appris que ce ne sont pas les seuls inédits de ces volumes. Le second offre Supercherie et Résipiscence, deux textes liés, mais j'avoue mal cerner pour l'instant la logique de leur appariement.
  Résipiscence utilise massivement la symétricologie, et je vais tenter de décortiquer ce texte, tâche plus simple que pour Préface et Lapsus, car il est court, 24 pages, et un seul corps typographique y est utilisé.

  Le sujet en est simple aussi. C'est une histoire de strip-tease, sujet déjà présent dans les trois romans de Ricardou, et dans les trois versions d'Improbables strip-teases.
  Ici une jeune femme, nommée tour à tour Super Chérie, Tootsie, Irène, Isa, est vêtue de 16 pièces d'habillement, qu'elle retire selon un ordre déterminé par les jets de dés de ses clients, le dé principal étant appelé "dé à jouir".
  Les pages du récit livrent les détails de la cérémonie, des particularités des vêtements, car certains préparatifs sont nécessaires pour, par exemple, retirer un bas sans enlever une chaussure.
  Avant la cérémonie, la demoiselle ingurgite l'eau contenue dans une urne. A la fin, nue, elle la restitue dans la même urne. Ce délicat exercice illustre probablement l'obsession de Ricardou pour les lettres I et O. L'O de l'urne devient ur-I-ne.
  D'où l'hypothèse que le titre de la nouvelle se lise, circulairement, "pisse en ce récit". Si le liquide est nommé "isabelle liqueur", la syllabe le désignant populairement apparaît à trois reprises dans la dernière phrase, "propice", "suspicion", et "résipiscence", dernier mot de la nouvelle. La demoiselle est installée sur une fidèle réplique de la "cathèdr(e épiscop)ale" (c'est moi qui souligne).
  Ou encore, dans l'autre sens, "Sens, y pisser", "sans six, pisser"...
  L'urne et le dernier nom de la luronne, Isa, peuvent encore évoquer la rune Isa, , signifiant "glace". Un miroir est utilisé dans la cérémonie, une psyché ovale, face à la cathèdre, la haute chaire de l'évêque. Entre les deux, l'urne au large col. Le commanditaire de la cérémonie est installé dans un confessionnal.

  L'un des modes d'effeuillage étant alphabétique, on peut songer que certain alphabet runique compte 16 runes:
(à remarquer les "pattes d'oiseau" des dernières runes, évoquant la signature de Ricardou)

  Le nombre 16 offre une particularité peut-être exploitée par le texte. C'est le carré de 4, nombre de lettres du prénom JEAN, et son écriture en toutes lettres donne
SEIZE = 64 (19+5+9+26+5), carré de 8, nombre de lettres du nom RICARDOU, et celui-ci revendique à de multiples reprises le rôle des nombres 4 et 8 dans la composition de ses textes.
  Divers indices étaient l'idée que cette propriété ait été vue et mise en oeuvre. Le nombre 16 apparaît 4 fois dans le texte, chaque fois sous la forme "seize", et chaque fois à un rang multiple de 4 dans la phrase. C'est le
4e mot de la 15e phrase, comptant 29 mots;
24e mot de la 51e phrase, comptant 38 mots;
16e mot de la 64e phrase, comptant 60 mots;
32e mot de la 72e phrase, comptant 64 mots.

  La phrase 64 avec "seize" en 16e position semble très significative, de même les 64 mots de la 72e phrase. Ces nombres 64 et 72 trouvent un écho dans la Préface, où le "rond" des arènes de Lutèce est en fait un ovale, dont les axes sont évalués à 72 et 64 pas.

  J'ai compté 114 phrases en tout dans la nouvelle. Le seul point problématique est la présence d'éléments de dialogue enchâssés dans trois phrases, comme dans cette 56e phrase:
Refusant les détours, qu’ils se dispensent alors plutôt desdits alinéas et, pourquoi non, s’ils ne l’ont encore fait et, décidément, ne peuvent en contenir davantage,

        - Est-ce toi, revenue sur la pointe des pieds, à l’improviste, sereine, toute silencieuse, en finesse ?

        qu’ils sautent soudain, sans davantage de suspicion, tout simplement au fin mot de l’histoire.
  Je ne compte ici qu'une phrase, couvrant trois alinéas. J'y reviendrai, ainsi que sur sa signification.

Note d'août: En fait, après consultation des tapuscrits de l'IMEC, il s'avère que le tapuscrit n'avait pas ce bizarre retrait, qui est probablement une erreur de la mise en page définitive, non repérée par Ricardou.

Note de septembre 2023: Erica Freiberg est décédée en février dernier, et il m'est désormais loisible de révéler qu'elle a été, bien plus qu'une "collaboratrice", la compagne de Ricardou pendant près de 50 ans.
  L'art du X s'inspire de leur rencontre, le 26 mai 1967, initiée par Jeanne Hersch.
  Elle est aussi la "Noëlle Riçoeur", prétendue soeur de Jean, prétendue signataire de la Préface de Révolutions minuscules.
  A la lecture de ce billet, elle a compris que la phrase "Est-ce toi..." paraphrasait un propos de Ricardou qui l'avait marquée. Elle ne s'en était pas aperçue lors de la lecture de la nouvelle, dont le thème ne lui plaisait guère.
  Au revoir, Erica...


  Cette phrase fait partie d'un paragraphe, d'où l'absence de retrait à son début. Il est curieux de trouver un retrait pour sa dernière partie, alors qu'aucun retrait n'apparaît dans la Préface, lorsqu'une citation y est enchâssée dans une phrase.
  Résipiscence compte 69 alinéas, un nombre aussi présent dans Lapsus, avec l'adresse du père du narrateur, 69 rue Louis Braille, puis 9, puis 6.
  La famille Ricardou habitait au 6 rue Louis Braille, à Cannes.

  Je me suis abstenu jusqu'ici d'aborder le côté scabreux du nombre 69. Tiens, l'auteur du roman 69, Ryū Murakami, est actuellement âgé de 69 ans.
  Le billet précédent m'a conduit à rapprocher les nombres 66 et 99 d'une part, 16 et 61 d'une autre. La bizarre correspondance dans Lapsus des lettres E-R-U-T avec les rangs alphabétiques 5-17-20-19, avec 19 devenant ensuite 16, m'avait amené à envisager 16=Q, lettre évocatrice...
  Ricardou a semble-t-il joué à s'autocensurer dans ces textes. Ainsi La cathédrale de Sens reçoit-elle d'autres noms dans la Préface, La cathédrale de censure, La cathédrale de sans, La cathédrale de    ...
  Il me souvient que, si "69" désigne la pratique sexuelle que l'on sait, "61" était employé pour une simple fellation. C'est certainement moins courant, et je n'en trouve pas trace sur le web, mais je ne l'ai pas inventé.

  Ricardou a joué avec les subjonctifs "susse", "conçusse", jusqu'à les censurer, ainsi page 103 de la Préface Noëlle Riçoeur écrit "comment vouliez-vous que je ( )", le mot absent étant aisément identifiable.
  Si les phrases explicitement codées de Lapsus sont aux pages 16 et 61, les plus longues phrases de Résipiscence sont la 16e et la 61e, avec respectivement 341 et 248 mots.

  La phrase 16 détaille les 16 pièces habillant la strip-teaseuse, ce qui peut confirmer que les rangs des phrases sont minutieusement calculés.
  Il n'y a que 12 rubriques, séparées par des points-virgules, car 4 sont doubles, bas, bijoux d'oreille, chaussures, et gants. C'est très probablement encore dû aux nombres fétiches 4 et 8 des lettres du prénom et du nom. Incidemment, Résipiscence est un mot de 12 lettres.

   Les 248 mots de la phrase 61 pourraient procéder du même fétichisme, puisqu'à 4 et 8 est aussi associé le rapport 1/2. Je rappelle que la nouvelle est suivie dans le recueil par L'art du X, où il est assuré que Ricardou a compté ses 284 phrases de 12 mots.
  J'ai repéré un jeu subtil dans cette phrase, contenant trois doubles parenthèses, voici par exemple la première:
...(si profuses que d'éventuelles mellifluences eussent pu sourdre (peu à peu) en secret, dessous)...
  Les trois expressions doublement enchâssées ont chacune trois mots, ce sont (peu à peu), (on le comprend), et (mot à mot). Ceci peut former une proposition cohérente, "peu à peu, on le comprend mot à mot", et la phrase symétricologique demande parfois quelque persévérance pour en saisir le sens, mais il y a un autre degré. Les mots centraux de chaque triplet sont "à-le-à", formant ALEA, "dé" en latin, "dé" qui est l'un des maîtres mots de la nouvelle.

  16 et 61 me font aussi penser que les points du dé vont de 1 à 6. Un dé usuel est tel que la somme des faces opposées est 7, 1-6, 2-5, 3-4. Cette phrase 61 termine un paragraphe de trois phrases, le 34e alinéa, presque au centre des 69 alinéas de la nouvelle. Les deux autres phrases ont 52 et 34 mots.
  Le mot "alinéa", présent dans la phrase en trois alinéas vue plus haut, se réarrange en in alea, "dans le dé".
  Les 4 occurrences du mot "seize" apparaissent aux alinéas 14, 28, 35, et 42, multiples de 7. La somme de ces nombres est 119, valeur de JEAN RICARDOU.

  J'en viens à la symétricologie. Les 12 premières phrases, ou 12 premiers alinéas, de Résipiscence ne sont pas symétricologiques, en probable référence aux 12 lettres du prénom et du nom, mais je ne vois pas de raison impérieuse de répartir ces phrases en 4 et 8 (mais la 4e phrase s'achève sur "cathèdre épiscopale", tandis que la suivante évoque "la place de chaque mot, au millimètre relue").

  Le jeu symétricologique débute à partir de la 13e phrase, avec essentiellement un écho immédiat entre la première syllabe de la phrase et sa dernière.
  La première exception apparaît pour la 30e phrase, débutant par "Maladroite" et finissant par "main gauche". L'intention est évidente, et il y a de multiples cas de ce type dans la Préface, mais ici la nouveauté incite à approfondir.
  La phrase compte 149 mots, découpés ainsi par deux parenthèses: 34-(59)-22-(1)-33.
  Ricardou invite dans la Préface à considérer à part les parenthèses, et cette phrase 30, valeur de JEAN, a 89 mots sans les parenthèses, valeur de RICARDOU. Celui-ci a envisagé dans Oui et non (1983) l'utilisation de la suite de Fibonacci dans ses écrits, et le calcul de la valeur de son nom l'aurait aisément conduit à reconnaître en 89 le 11e terme de cette suite (1-1-2-3-5-8-13-21-34-55-89-...). Précisément, la phrase examine le cas où le jet des dés aurait conduit au résultat 11, soit la lettre K, déterminant la première pièce que doit ôter la demoiselle (ses lunettes en l'occurrence, aucune pièce ne débutant par K).
  Le découpage des 89 mots en 34-55 peut souligner la propriété additive de la suite de Fibonacci.

  L'anomalie suivante est pour la phrase 69 (tiens...), débutant par "Je" et finissant par ""le dé d'y voir"...".
  Il n'est pas impossible d'y envisager une intention subtile, puisque le dé est un "jeu", et le "dé d'y voir" un "jeu de mots", mais cette sophistication semble unique dans la nouvelle.
  La phrase compte 99 mots, nombre clé de la Préface, et son mot central est "dé" (in "ce rose dé d'ivoire"). Ce serait le cas le plus immédiat où le mot central d'une phrase aurait un écho avec début et fin, à mon sens du moins, car je ne prétends pas comprendre toutes les finesses ricardoliennes.
  Ces anomalies des phrases 30 et 69 peuvent suggérer l'addition 30+69, résultat 99; l'addition des nombres de mots, 149+99, donne 248, rencontré pour la phrase 61.

  Les autres bizarreries viennent juste ensuite, pour les phrases 70-71 et 72-73, couplées par le procédé. Il y en a d'autres exemples dans la Préface, où l'écho symétricologique en début d'une première phrase survient à la fin de la suivante, avec une suture entre les deux. Bref, voici comment se présentent les phrases 70-71, en 46 et 30 mots,
La seconde... ...complaisance. Cependant... ...çà et .
et les phrases 72-73, en 64 et 41 mots (la phrase 72 est la dernière avec "seize" (en position 32)),
Dès longtemps... ...autre. Trésor secret... ...se scinder.
  Quelle est la signification de ces curiosités? Peut-être que, du point de vue symétricologique, chacun de ces couples ne compte que pour un élément symétricologique, et l'on aurait donc, puisque le total de 114 phrases débutait par 12 phrases non symétricologiques, un compte rond de 100 éléments symétricologiques, sinon 99 en laissant de côté la litigieuse phrase 69 (en 99 mots).
  Le jeu 99-100 semble essentiel dans la Préface, comptant 100 pages dont une vierge, et où le mot "centre" en position centrale 99 page 99 avait en fait la position 100 dans la phrase originale page 47, reprise légèrement modifiée page 99.

  Mon billet de février m'avait fait étudier les phrases et paragraphes 48 et 84 de la Préface, avec des résultats encourageants.
  Voici la phrase 48 de Résipiscence:
Du coup, ce pli étant pris (et selon un progrès sans limite sur l'inépuisable voie des extravagances), toutes sortes d'efforts variés pouvaient concourir à ce que croissent (et se multiplient) d'innombrables sinuosités intercalaires, de telle façon (en regard de la partie succincte, déjà évoquée, réduite à zéro avec le malheureux candidat prématurément éconduit en certaine parmi les impasses peu connues) que se déploie au contraire, avec un prétendant cette fois trop choyé, l'inverse préparation infinie, laquelle, par la vertigineuse pléthore de ses circonlocutions inextricables, conduisait l'exécution de ma docile découverte à demeurer une éventualité sans cesse suspendue...
  Elle totalise 102 mots, répartis ainsi par les parenthèses : 6-(12)-11-(3)-7-(24)-39.
  Soit 63 mots, plus 39 dans les parenthèses. 63/39 se simplifie en le rapport fibonaccien 21/13. On peut aller plus loin en réunissant les 5 premiers groupes, soit 39-24-39, double partage d'or du total 102.
  Corollairement, les 39 premiers mots se répartissent en 24, plus 15 dans les parenthèses, se simplifiant en le rapport fibonaccien 8/5.

  On trouve une équivalence remarquable pour la phrase 84:
Reliquat concédé au système, l'inévitable extrémité détenue par l'empeigne, c'est, autour de la chaussure, comme un ornemental liseré, hexagonal parfois, qu'en toute simplicité elle se voyait enfin citée à comparaître.
  Elle totalise 34 mots, le tiers de 102, 9e terme de la suite de Fibonacci, et le double partage 13-8-13 (équivalent à 39-24-39) est cette fois dessiné par les virgules.
  Il y a une virgule centrale, partageant les 8 mots en 4-4, et les deux propositions de 4 mots finissent par la syllabe "re" ou "ré" présente en début et fin de phrase.
  Cette phrase 84 achève l'alinéa 48, et il y avait un jeu analogue dans la Préface, où le 84e paragraphe était une phrase de 48 mots.
  Les deux premières phrases de l'alinéa 48 totalisent 144 mots (sans les parenthèses), triple de 48, et 12e terme de la suite de Fibonacci. Les propriétés de cette suite font que la moyenne entre le 9e terme et le 12e terme est le 11e terme, 34+144 = 178 = 2 fois 89, valeur de RICARDOU.
  Faut-il aller jusqu'à compter les lettres? La phrase 84 en dénombre 178.
  Qu'en est-il des parenthèses dans les deux premières phrases de l'alinéa 48? J'y compte 47 mots, mais ce pourrait être 48 si Ricardou voyait deux mots dans "au-delà". Selon ses propres dénombrements dans la Préface, un mot composé ne compte que pour un mot, et il supprimait parfois les traits d'union pour éviter toute ambiguïté (pour les chiffres écrits en toutes lettres notamment).

  Un autre degré dans la complexité peut conduire à prendre pour total des phrases 112 au lieu de 114, en considérant que chaque couplage (70-71 et 72-73) équivaudrait à une seule phrase.
  Et alors? Il y a toujours 69 alinéas, or 69 et 112 sont les 7 et 8es termes d'une suite additive de type Fibonacci débutant par 1-8-9, ainsi le nombre moyen de phrases par alinéa approche au mieux le nombre d'or, phi. 
  Le bégaiement est convoqué à diverses reprises, par exemple pour le jeu "concon-féfesse dans la caca-thédrale" dans Supercherie, et la fille de Résipiscence est aussi appelée "phi-phille".
  Linéairement, la césure d'or des 112 phrases tombe sur la phrase 69, précisément la seule phrase dont la symétricologie pose problème, hormis les 12 premières phrases de la nouvelle, lesquelles ne relèvent clairement pas du procédé.

  C'est séduisant, mais Ricardou n'a ouvertement manifesté d'intérêt que pour la suite de Fibonacci elle-même, et pour le Modulor, l'échelle de mesures que Le Corbusier a utilisée pour diverses créations, d'ailleurs basée sur la suite de Fibonacci exprimée en demi-pouces et pouces.
  Ainsi les nombres de Fibonacci 13-21-34-55-89-144 correspondent dans la série Rouge à 16-27-43-70-113-183 cm, et dans la série Bleue à 32-54-86-140-226-366 cm (à noter 16 premier nombre significatif de la série Rouge). Le Corbusier était si imprégné par sa théorie qu'il a terminé sa vie dans le cabanon Modulor, carré de 366 cm de côté.
  J'ai vu une possible importance dans la Préface des nombres 113 et 226, correspondant donc au nombre de Fibonacci 89, valeur de RICARDOU, et la proximité entre 112 et 113 peut amener à se demander s'il n'y aurait pas moyen d'arriver à ce nombre plus significatif.
  Peut-être, car la symétricologie invite à se reporter au centre, soit, 112 étant le double de 56, la 56e phrase déjà donnée plus haut (que je rectifie en tenant compte de la note):
Refusant les détours, qu’ils se dispensent alors plutôt desdits alinéas et, pourquoi non, s’ils ne l’ont encore fait et, décidément, ne peuvent en contenir davantage,

        - Est-ce toi, revenue sur la pointe des pieds, à l’improviste, sereine, toute silencieuse, en finesse ?

qu’ils sautent soudain, sans davantage de suspicion, tout simplement au fin mot de l’histoire.
  J'avais choisi de n'y voir qu'une phrase, mais le cas des phrases couplées peut faire remarquer qu'ici, au sein de la phrase 56 débutant par "Re" et finissant par "re", l'alinéa tireté est lui-même une phrase symétricologique, débutant par "Est-ce" et finissant par "esse ?".
  Ce n'est pas le cas des autres alinéas tiretés signalés plus haut, qui ne sont pas enchâssés dans une phrase mais la terminent, la symétrie étant aussi donnée par couplage.
  Est-ce à dire qu'il faudrait découpler cette phrase 56, l'alinéa tireté devenant la phrase 57 ? Corollairement, le texte compterait 113 phrases, et la fameuse phrase litigieuse deviendrait la phrase 70, 70 et 113 étant deux mesures essentielles de la série Rouge, la première significative en étant 16 (cm).
 
  La phrase 57, enchâssée dans la 56e phrase, serait aussi au milieu des 113 phrases de la nouvelle, d'où, si cette démarche est pertinente, il s'impose de considérer le mot au centre de ses 17 mots, soit "pieds".
  Et alors? Peut-être faut-il considérer la décomposition de ce mot en "dé", lequel est la source de toute cette jactance, et en "pis", la syllabe médiane de Résipiscence correspondant au mot prohibé.

  Ou peut-être faut-il remarquer que trois phrases ont pour centre "main":
- la 16e phrase, la plus longue avec ses 341 mots, a pour centre "maints", elle ne compte aucune parenthèse;
- la 42e phrase a 75 mots, avec au centre "main" (mais elle compte trois expressions entre parenthèses, totalisant 20 mots, et les omettre conduirait au centre "concise");
- la pénultième phrase, soit la 113e ou la 112e selon les décomptes, a 114 mots dont 53 entre parenthèses; celles-ci omises, les 61 mots auraient pour centre "main".
  Ceci pourrait avoir un rapport avec l'expression "jouer des pieds et des mains", peut-être mutée en "jouer dés pied ou dés main", signifiant que la belle doit enlever une chaussure ou un gant.

  Serait-ce une allusion au premier quatrain d'un sonnet de Mallarmé, constamment cité dans la Préface?
M’introduire dans ton histoire
C’est en héros effarouché
S’il a du talon nu touché
Quelque gazon de territoire
  La dernière phrase de Résipiscence cite un vers du sonnet en X, mais en l'attribuant à La Fontaine (de même est attribué à La Fontaine le dernier tercet du sonnet d'Oronte (dans Tartufe), cité en exergue de Supercherie).
  A remarquer que l'alinéa tireté qui pourrait constituer la 57e phrase débute par "Est-ce-toi, re...", assonant avec le dernier mot de la 56e phrase dans laquelle il est enchâssé, "histoire".

  Ou encore faut-il songer que les 226 cm du bonhomme Modulor vont de ses pieds à sa main levée, avec au centre exact le nombril.

  Ou le nombre IL = 21, nombre de points du dé. Les alinéas 14-28-35-42 où apparaît le mot "seize" peuvent inviter à examiner l'alinéa 21, le multiple de 7 sauté. Il est formé de deux phrases de 99 et 127 mots, 226 en tout, la longueur de l'instrument Modulor. Il pourrait y avoir écho entre le 86e mot, "de", correspondant à la main droite du bonhomme Modulor, et le 226e et dernier mot, "dé", correspondant à sa main gauche.
  Cet alinéa 21 est formé des phrases 26 et 27, sans aucune parenthèse, et j'ai étudié plus haut la phrase 30 (JEAN) achevant l'alinéa suivant, subdivisée par les parenthèses en 34 et 55 mots, 34 et 55 pouces correspondant à 86 et 140 cm, le total 89 pouces (RICARDOU) aux 226 cm du Modulor.
 
  Ce n'est qu'en écrivant ce 89 qu'il me revient que Sens est un chef-lieu de l'Yonne, département numéro 89 (RICARDOU).
  Ceci me remémore un cendrier de mon oncle Maurice, faisant lire ceci,
J'avais une soif de lionne (l'Yonne)
Sachant à quoi l'eau sert (Auxerre)
En homme de sens (Sens)
J'y joignis (Joigny)
Un peu de vin et je dis: Tonnerre ! (Tonnerre)
Avalons (Avallon)
ou quelque chose d'approchant, car je ne me souviens pas du texte exact, et il y en a plusieurs versions en ligne.
 O sert à autre chose chez Ricardou, mais il n'est pas dit que l'autre chef-lieu ne trouve pas sens ici...

  Bon, ça commence à partir dans tous les... sens, et il en va souvent de même dès qu'on plonge dans la complexité. Ricardou assurait que ses textes contenaient toutes les clés nécessaires à leur pleine compréhension, mais peut-être a-t-il sous-estimé les capacités de ses lecteurs, comme la propension des écrits à échapper à la maîtrise du scripteur. 

  Je crois que ce court texte livre de bons arguments étayant l'idée que Ricardou y ait utilisé les valeurs numériques de SEIZE, JEAN, et RICARDOU, soit 64, 30, et 89, dont la somme est 183, la taille idéale en cm de l'homme selon Le Corbusier, essentiellement choisie parce qu'elle correspondait à 144 demi-pouces, six pieds, 144 12e terme de la suite de Fibonacci et aussi carré de 12. Ceci pourrait venir appuyer l'utilisation des carrés 16 et 64 de 4 et 8, nombres fétiches des lettres du prénom et du nom, entraînant fatalement leur somme 12 à jouer un rôle structurel important dans les textes.

  J'achève ce billet le 2 juillet, le 2/7 qui est aussi le 183e jour de l'année, ainsi que son exact milieu, à midi (ou minuit si l'année est bissextile). Il y a quelques jours, j'ai remarqué que la concaténation 27 était aussi un nombre de la série Rouge (16-27-43-70-113-183).
  Il y a quelques mois, j'ai remarqué une autre coïncidence similaire: le 11 mars, ou 11/3, ou 113, est le 70e jour de l'année. J'ai envisagé d'utiliser cette date pour publier un billet consacré à la disparition d'Anne, ma compagne pendant 43 des 70 années de mon existence, mais je n'y étais pas encore prêt, et ai principalement centré le billet sur Arnaud Delalande, dont venait de paraître un roman dont le personnage principal se nommait Jeanne Ricoeur; la Préface est signée Noëlle Riçoeur, prétendue soeur de Ricardou (avec "coeur" pour "cardo", et le prénom alternatif de Ricardou dans Lapsus est Noël).

  Hier, une recherche tout à fait indépendante m'a conduit à une découverte ahurissante. Je me demandais si le locatif du latin Roma était Romam; non, c'est Romae, mais la recherche m'a fait découvrir le premier tome de la série BD Ad Romam, Le Trophée d'Auguste, dont Arnaud Delalande est le scénariste.
  Il se trouve que j'étais exactement une semaine plus tôt devant ce Trophée d'Auguste, à La Turbie, lors d'un périple sur les traces de Ricardou, ce qui m'a fait passer par sa maison natale dont j'ai donné une photo plus haut.
  Les mots "monument", "monumental", "monumentalement", sont extrêmement importants dans la Préface et Lapsus. Explicitement, il s'agit de la cathédrale Saint-Etienne de Sens, aussi présente dans Supercherie et Résipiscence, mais Ricardou a confié à sa collaboratrice Erica Freiberg que le principal monument l'ayant influencé était ce Trophée d'Auguste, qu'il retournait voir régulièrement.
  Sur le site qu'elle lui consacre, elle donne en Prologue (signé Noëlle Riçoeur) à un article sur Ricardou et l'architecture, les confidences que celui-ci lui a faites à propos de ce monument. C'est essentiellement l'agencement des mots de la dédicace avec les moellons sur lesquels elle était inscrite qui l'intéressait.
 

  Il faut voir sur place cette inscription "monumentale", d'une largeur de près de 10 mètres.
 
  Le Trophée était une ruine informe au 19e siècle, tiens, une anagramme d'urine. Les architectes Formigé ont mené un travail de fourmi pour lui redonner un début de dignité. Ils ont réuni autant que possible les pierres originales, allant jusqu'à détruire une partie des maisons du village pour les récupérer (sans trop nuire, car le monument païen avait servi à l'édification de l'église).
 
  Il n'est pas anodin que cet Auguste soit Octave-Auguste, un "huitième"...

  Ad augusta per angusta.