8.12.19

Habillée ? Dévêtons-la !


  Ce titre n'a rien d'une profession de foi macho, c'est une anagramme, celle de
ELISABETH LOVENDALE,
personnage d'une nouvelle de Maurice Leblanc, La lettre d'amour du roi George, qui m'a conduit il y a 23 ans au jeu ROMANAMOR-LOVENOVEL.
  Je rappelle que cette Anglaise cherche la lettre numéro 14, son aïeule Dorothée ayant caché dans les reliures d'une édition en 18 volumes des romans épistolaires de Richardson les 18 lettres que lui a envoyées le roi George IV, la 14e lettre contenant la preuve que le roi était le géniteur du fils de Dorothée.
  La 14e lettre étant aussi le caractère N, comme "haine", j'ai cherché plus loin, et découvert que
ELISABETH LOVENDALE
était un nom de 18 lettres, de valeur 171 comme les 18 premières lettres
ABCDEFGHIJKLMNOPQR
et que la seule lettre à sa place était N, la 14e lettre.
  L'absence du N parmi les 18 premières lettres laisse
A-M; O-R, formant  le mot amor, "amour" en vieux français.
  Avant la lettre N de LOVENDALE il y a love, "amour" en anglais.
AMOR+N livre "roman", tandis que LOVE+N livre novel, "roman" en anglais.

  Je n'ai plus douté avoir décodé les intentions de Leblanc lorsque j'ai découvert que dans son dernier roman, Les milliards d'Arsène Lupin, il était question d'un roman français,
PAULE LA PECHERESSE = 171,
traduit en anglais
PAULE SINNER, anagramme d'ARSENE LUPIN, si séduit de cette équivalence qu'il en avait fait la clé menant à sa fortune, dérobée et convoyée par 18 camions, parmi lesquels le camion numéro 14 a un statut particulier.
  Il contient la fortune personnelle du voleur d'Arsène, dont les dix milliards sont donc contenus dans les 13 et 4 autres camions, or
ARSENE LUPIN = DIX MILLIARDS = 134.
  J'avais vu la même possibilité dans La lettre d'amour du roi George, où le jeu 13-1-4 peut aussi correspondre aux lettres MAD, "fou" en anglais, or Elisabeth Lovendale traite de "fou" le détenteur de la lettre numéro 14, sur laquelle Lupin mettra finalement la main.

  Une nouvelle avec des romans anglais, un roman avec un roman français traduit en anglais, la plus grande question pour moi est longtemps demeurée de comprendre comment ce jeu NOVEL ROMAN avait pu rester ignoré.
  Et puis sont venues les grilles de Cyril Epstein et Robert Rapilly, découvertes à quelques mois d'intervalle en 2017. Les 81 lettres de la grille de Cyril permettent de lire dans les première et dernière colonnes GIRARE ROI et ANAGRAMME. Ceci m'a conduit à regarder ce qui se passait dans la colonne centrale, et à constater que OMNNMREOP est l'anagramme de NOM PRENOM. Cyril a été surpris de cette possibilité, alors que sa grille contient un nom et un prénom éminemment significatifs pour lui, Wagner et Manon.
  Les 90 lettres de la grille de Robert permettent de lire dans les première et dernière colonnes FIVES LILLE et LILLE FIVES. Ceci m'a conduit à regarder ce qui se passait dans la colonne centrale, et à constater que NOMOPINMRE est l'anagramme de NOM PRENOM (+I). Robert a été surpris de cette possibilité, alors que sa grille illustre un récit où un nom et un prénom sont éminemment significatifs pour lui, Mauraens et Manuel.

  Ces deux grilles de 9 lettres de large concernent toutes deux le monde ferroviaire, et elles ont été composées indépendamment l'une de l'autre. C'est fascinant, pour ne pas dire fort difficile à croire, mais une autre plongée dans le fantastique était propre à me faire accepter cette incongruité.
  La grille de Cyril est inspirée par une carte postale de 1915 signée Rémy, publiée avec la grille dans le numéro 9 de Formules:
  Or dans ce même numéro, je publiais aussi mon SONÈ, une double grille associée à une carte postale signée Rémi,

mais la rédaction a refusé cette illustration, ne m'autorisant qu'à donner les 100 lettres du texte, se réarrangeant en deux carrés offrant une toute autre lecture, pandiagonale, "Au paradis, on attend l'exil, en à-pic au sens avéré (...)":
  Je suis déjà revenu à maintes reprises depuis deux ans sur cette affaire, riche en rebondissements. Voici un peu de "neuf" avec cette constatation que "nom prénom" est aussi l'anagramme de "mon prénom", et que mon prénom est bien Rémi, ou Rémy selon l'état civil.

  Une étape essentielle a ensuite été le constat que les 81 et 90 lettres des grilles de Cyril et Robert correspondaient aux valeurs des prénom-nom Elisabeth-Lovendale, et que le nom LOVEN-DALE apparaissait de façon tout à fait inattendue dans mon SONÈ.

  Ce LOVEN ou NEVOL dans la grande diagonale m'a rappelé une autre curiosité, en rapport étroit avec le jeu NOVEL-ROMAN.
  En 1998 j'avais imaginé illustrer ce jeu par un roman en 18 chapitres où mouraient tour à tour les 18 héritiers d'une prodigieuse fortune, 18 héritiers ayant en commun des noms anagrammes de NOVELROMAN.
  J'en avais fait un plan assez complet, et rédigé quelques pages, dont la table des chapitres d'un roman imaginaire, formée de 11 titres composés des lettres ESARTULINO + 1 joker; la grande diagonale du carré 11x11 permet de lire ROSENCREUTZ, Rose-Croix, car mes lectures de Leblanc m'avaient conduit à l'idée que le nombre 14 désignait le prétendu fondateur du rosicrucisme.
  En 2012 j'ai appris que Ricardou, tête de file du Nouveau Roman, avait publié en 1969 Les lieux-dits, roman dont la table des chapitres forme un carré de 8x8 lettres, dans lequel se lit dans la grande diagonale BELCROIX.
   J'ai aussitôt pensé à ma diagonale ROSENCREUTZ (ROSECROIX) dans mon projet Novel Roman. Ceci m'a conduit à enquêter sur Ricardou, et à découvrir qu'il avait vu après coup que l'autre diagonale de son carré, MAADRBRE, pouvait se lire MAD ARBRE, alors que l'un des deux principaux personnages de son roman est le pyromane Olivier Lasius, portant un prénom d'arbre, et un nom évoquant la folie (il est aussi appelé Asilus dans le roman).
  J'ai été frappé que
OLIVIER LASIUS = 90+81 = 171
ait les mêmes valeurs que
LOVENDALE ELISABETH = 90+81 = 171,
et que le mot MAD apparaisse en filigrane, mot que j'avais précisément vu associé à la recherche de la lettre numéro 14, et donc du jeu ROMANAMOR.
  Par ailleurs le prénom OLIVIER a été choisi avec une arrière-pensée métatextuelle, car c'était pour Ricardou l'anagramme de LIVRE-I-O, I et O (pour In-Out, "Entrée-Sortie") étant au coeur de La prise/prose de Constantinople ("pas de Prise sans Prose, pas de Prose sans Prise", pas d'entrée, pas de sortie).

  Je pense avoir jadis cherché des anagrammes de LOVENDALE ELISABETH, et notamment soumis le nom à des logiciels spécialisés. L'un des plus longs mots suggérés par un tel logiciel est "déshabillée", mais ceci n'a longtemps eu aucune pertinence. Le seul renseignement fourni par Leblanc sur l'allure d'Elisabeth Lovendale est qu'elle est "vêtue sans recherche".
  Mais "Habillée ? Dévêtons-la !" est devenu significatif depuis que Ricardou s'est immiscé dans cette affaire, car le strip-tease est récurrent dans son oeuvre de fiction. Ceci commence avec L'observatoire de Cannes (1961), où une longue scène de strip-tease occupe les chapitres 28-29 du roman. C'est cette scène que Ricardou a choisie pour présenter le roman dans Tel Quel.
  La scène est reprise intégralement dans ce qui serait le chapitre 15 de La prise/prose de Constantinople (1965), avec de subtiles variations, essentiellement dans les temps des verbes.

  Dans Les lieux-dits (1969), Olivier Lasius impose à Atta un strip-tease alphabétique: elle doit d'abord ôter ses Bas, puis sa Ceinture, ses Chaussures, le Noeud de ses cheveux, son Porte-jarretelles, sa Robe, son Slip, son Soutien-Gorge...

  En 1972, Ricardou a repris la scène déjà donnée dans ses deux premiers romans sous le titre Improbable strip-tease blanc. La nouveauté essentielle est que les majuscules attendues en début de phrase ont disparu, mais d'autres majuscules parsèment le texte, et un lecteur qui les regrouperait les verrait former un texte, une récriture du Cygne de Mallarmé.
  En principe du moins, car il y avait quelques erreurs dans cet exercice typographique inhabituel. C'est peut-être pour cette raison que Ricardou a repris l'exercice l'année suivante dans Improbables strip-teases. Au pluriel, car le récit est illustré d'adaptations par Ricardou d'une vignette de Barbarella.
  Le dessin a été adapté pour se répartir en 64 zones qui seront représentées en noir ou blanc selon diverses règles logiques.
  Il y avait encore des erreurs dans le texte publié, et Ricardou en a proposé une autre version dans Le théâtre des métamorphoses (1982), illustré par une autre adaptation d'une vignette de Barbarella, répartie en 48 zones.
  Il y a encore eu une majuscule oubliée dans cette édition...

  Le strip-tease intervient dans divers autres textes, au premier plan dans Résipiscence, où le "dé à jouir" impose l'ordre selon lequel une créature doit se dévêtir.

  J'abrège, car l'évocation des deux jeux d'illustrations d'Improbables strip-teases a provoqué un dessillement qui aurait pu survenir bien plus tôt, lorsque j'en ai parlé en janvier 2018.
  En août 2016, j'ai étudié Puzzle de Thilliez, essentiellement pour une erreur dans sa réédition en poche, alors que l'édition originale était correcte. Les 64 chapitres de ce roman ont chacun en exergue une pièce de puzzle, permettant de reconstituer un dessin de Thilliez lui-même:
   Dans l'édition Pocket, la pièce du chapitre 61 était un doublon de celle donnée au chapitre 40, ce qui évoquait pour un perecquien les 61 puzzles laissés par Bartlebooth à sa mort, à la fin du roman-puzzle La Vie mode d'emploi, où il y a aussi une erreur, voulue, l'absence du chapitre 66, correspondant à une pièce de l'immeuble, comme à une pièce du puzzle.
  Or le roman a connu une prépublication en feuilleton, en 40 livraisons dans Les Echos, chacune accompagnée d'une pièce de puzzle, permettant de reconstituer quatre illustrations dont j'avais donné la troisième:
   Je n'avais alors qu'une connaissance fragmentaire de l'oeuvre de Ricardou, ne pouvais donc faire le lien avec les deux jeux d'illustrations d'Improbables strip-teases, et avais oublié Puzzle lorsque je m'y suis intéressé.
  Son personnage principal est Ilan Dedisset, confronté au fou Lucas Chardon, lequel tue tour à tour ses amis. La confrontation finale fait comprendre à Ilan qu'il est Lucas, plongé dans une catatonie qui l'a conduit à rêver le personnage d'Ilan pour affronter ses actes.
  J'avais remarqué que Lucas est en verlan calu, "fou" dans le Midi, et que ilan signifie "arbre" en hébreu. ce qui rappelle fort le "mad arbre" des Lieux-dits, sans imaginer que Thilliez soit un lecteur passionné de Ricardou.
  Je rapprochais aussi les 64 chapitres de Puzzle des 64 sections des Lieux-dits, et les 64 pièces du puzzle des 64 lettres des noms des dits lieux, mais ceci peut relever de la communauté d'intention. Les deux auteurs ont évidemment pensé aux 64 cases de l'échiquier.

  Le pavage en damier noir et blanc du lieu créé par l'inconscient de Lucas, visible sur les illustrations 2 et 3 du premier jeu, et la superposition de Barbarella à un carrelage peuvent relever également de cette communauté d'intention.
  Il est plus troublant que ce lieu imaginaire soit nommé Swanessong, "chant du cygne", et que les "cygnes noirs" jouent un rôle dans l'histoire (l'un est visible sur l'illustration 3), alors que les Improbables strip-teases recèlent une récriture du Cygne de Mallarmé (devenu le "signe").

  Lucas a forgé l'identité Ilan Dedisset à partir d'un bout de tissu portant l'inscription II AN 2-10-7, les nombres apparaissant aussi dans le récit sous la forme 2-1-0-7, qu'un codage utilisé par ailleurs peut transformer en CBAH, une anagramme de BACH.
  En appliquant à la position de La lettre d'amour du roi George parmi les 8 nouvelles du recueil le procédé qui à partir de la 14e lettre parmi 18 a conduit à N-AMOR, j'avais vu apparaître B-ACH, or la 14e pièce parmi les 18 de l'Art de la fugue est très particulière.

  Olivier Lasius n'est sans doute pas la réelle identité du fou des Lieux-dits, son vrai nom étant probablement Gallois.

  Tenter de justifier l'anagramme
Habillée ? Dévêtons-la ! 
m'a donc conduit à de nouvelles trouvailles.
  Puisque Elisabeth Lovendale est anglaise, j'ai cherché aussi des anagrammes en anglais, et suis parvenu à
She lived a noble tale.
  Car la 14e lettre lui permettra de revendiquer ses "lettres de noblesse", et penser à cette expression m'a fait remarquer que la lettre initiale de Noblesse est N.
  Il me semble devoir rappeler mes éventuelles "lettres de noblesse". Ma trisaïeule était lingère à la cour de Napoléon III, où elle a récolté un bâtard de haute lignée, assurait-elle, mon arrière-grand-père Max Souverbie. Si ma grand-mère pensait que le père était Maximilien de Habsbourg, son frère avait opté pour Napoléon III, dont le portrait figure en tête de sa généalogie. Ainsi je pourrais revendiquer un droit au N napoléonien...

  Dans le même ordre d'idée, il y aurait
Let's have noble ideal.

  J'ai encore pensé à
She labeled it "a novel".
  Elle l'a étiqueté "un roman". Il faut recourir ici à l'orthographe américaine (labeled au lieu de labelled), mais Lupin est confronté à des Américains dans sa dernière aventure, celle où le camion n° 14 parmi 18 joue un rôle particulier.

  Les 90 lettres de la grille de Robert contiennent les lettres ELISABETH LOVENDALE, et bien sûr NOM PRENOM. Je suis parvenu à cette anagramme des 90 lettres: 
Nom Lovendale, prénom Elisabeth,

il y a ici imbroglio linéal, miroir festif,

folle ivresse et réelle apothéose.

  Ceci est le 294e billet de Quaternité, et 294 est précisément la valeur de
Nom Lovendale, prénom Elisabeth,
mais je ne m'en suis avisé qu'après avoir choisi ce sujet. Avant le 27 novembre où m'est venue l'anagramme en titre, j'hésitais entre publier à la Saint-André mes récents essais de récriture du Sonnet en X, ou commenter mes récentes lectures, mais ces sujets ne me semblaient pas tout à fait "mûrs", même si c'est souvent pendant l'écriture d'un billet qu'apparaissent les plus intéressants échos, et ceci semble s'être à nouveau vérifié.
  L'anagramme du 27 novembre m'a bien plus inspiré, d'autant qu'il est possible que ce 294e billet soit le dernier de l'année, alors que j'avais achevé l'an dernier avec un point complet sur le jeu Novel Roman et les grilles de lettres associées.

  Le 27 novembre est pour moi une commémoration, car le 27 novembre 02, j'étais en voiture avec mon ami Jean-Pierre Le Goff (auteur du fameux Cachet de la poste). Je venais d’évoquer mes trouvailles sur le nombre d’or chez Perec peu avant Valensole, et peu après Valensole Le Goff me dit qu’il venait de voir un improbable panneau NOMBRE D’OR au bord de la route, en pleine campagne. Ce fut la première d'une série de coïncidences relatée ici.

  L'an dernier m'a été l'occasion de nouvelles découvertes ébouriffantes sur le nombre d'or, notamment avec les deux dernières phrases des Révélations minuscules de Ricardou, en 183 et 226 mots, deux mesures consécutives du Modulor, l'un de ces mots étant un mystérieux φ, symbole du nombre d'or, tandis que l'expression apparaît par symétricologie dans une phrase de ce texte composé selon ce procédé.

  Peu avant cette découverte appuyant fortement l'idée d'un certain intérêt de Ricardou pour le nombre d'or, j'avais consacré le billet Label cent septante-et-un au nombre 171, et j'y étudiais son partage d'or 65-106, avec notamment ceci, sous cette nouvelle formulation:
  Dans la nouvelle La lettre d'amour du roi George, un personnage important est
ELISABETH LOVENDALE = 81+90 = 171,
et dans la nouvelle suivante du recueil, La partie de Baccara, un personnage important est
MAXIME TUILLIER = 65+106 = 171.
  Dans le roman Les lieux-dits, un personnage important est
OLIVIER LASIUS = 90+81 = 171,
et dans le roman précédent de Ricardou, La prise de Constantinople, un personnage important est
SYLVERE DANDOLO = 106+65 = 171.

  Je me sens incapable de ne pas rappeler le cas
SELON SUIVANT = 65 106,
et la faramineuse triple coïncidence qui a fait que, vraisemblablement la même année 1999,
- Ricardou a remplacé SUIVANT par SELON dans un lipogramme en E;
- En reprenant un vers de Roussel, j'ai inexplicablement remplacé SUIVANT par SELON;
- Le compositeur Giorgio Battistelli a fait le même remplacement pour le même vers dans le livret de l'opéra Impressions d’Afrique.

  Dans le premier billet où j'avais mentionné ce cas, Puzzle échevelé en 2012, j'avais donné quelques paires de mots de valeurs 65-106, notamment "centre encrypté", ignorant que Ricardou avait créé sa symétricologie, consistant à encrypter au centre d'une phrase un mot en résonance avec les termes initial et final.