3 janvier : je reçois deux Ricardou commandés l'an passé, La prose de Constantinople (1965), son roman le plus cité avec Les lieux-dits (1969), et Le théâtre des métamorphoses (1982), parce qu'il était proposé par le même vendeur.
J'avais déjà consulté ce Théâtre en bibliothèque, et je me souviens avoir accordé plus de quelques minutes à sa troisième partie, Improbables strip-teases, suivie d'une dernière partie, Principes pour quelques transformations, commentaires de ce texte dont il me semble avoir alors compris le fonctionnement.
Il s'agit d'une prose contenant des majuscules si intempestives qu'un lecteur curieux ne peut qu'être conduit à les rassembler, et constater qu'elle forme des mots, des phrases, des vers, au bout du conte un sonnet complet, évidemment inspiré par Le Cygne, de Mallarmé. Voici les 504 majuscules du texte, telles quelles mais en minuscules, sans ponctuation hormis espaces et sauts de lignes commandés par le sens et le mètre :
cette improbable vierge et son ptyx orangéA préciser que les 8 dernières lettres sont obtenues par les mots FIN PROSE qui achèvent le texte.
vont ils donc déchifrer avec un coup de livre
ce passage oublié que chante entre les lignes
le symbolique oiseau au plumage étranger
un signe d autrefois se souvient que c est lui
magnifique mais qui sans espoir se délivre
d avoir inauguré tout le chapitre où lire
quand du stérile hymen a resplendi l écrit
ses lettres secoueront cette blanche agonie
par les pages infligée aux plumes qui les nient
même l horreur du mot où le secret est pris
hypogramme en ce lieu si son pur éclat l'ose
il s'immobilise au songe blanc de l'inscrit
du précis souvenir de la prise enfin prose
Je crois donc avoir compris cela lorsque j'ai feuilleté en 2012 le Théâtre, dont j'ai cité une page dans ce billet, mais, alors que je m'étais intéressé à Ricardou pour des coïncidences entre nos écritures respectives, comment n'ai-je pu alors penser que j'avais procédé à une opération très similaire dans mon roman Sous les pans du bizarre, où j'avais codé les 14 vers du sonnet Vocalisations de Perec dans ses 14 chapitres? En utilisant non des majuscules mais des lettres d'un corps supérieur à celui du texte. Toutefois j'avais introduit une allusion discrète à ce procédé en parsemant un petit poème de majuscules intempestives, sans signification immédiate.
Ainsi, après les coïncidences déjà rares détaillées ici,
- reprise dans mon projet Novel Roman de l'idée déjà exploitée dans Les lieux-dits d'une table des chapitres formant un carré de lettres permettant des lectures diagonales;
- erreur identique en 1999 à quelques mois d'intervalle du remplacement du mot "suivant" par "selon", dans un article de la revue Formules pour Ricardou, dans Sous les pans du bizarre pour moi,
voici une autre curiosité dont je me permets encore de supposer qu'il n'en existe pas d'autre occurrence (mais ceci a été invalidé pour le cas SELON-SUIVANT),
- codage typographique d'un pastiche d'un célèbre sonnet dans un texte préexistant.
Dans le cas de Ricardou, celui-ci précise que son Strip-tease est issu d'un chapitre de La prise de Constantinople, avec quelques menues adaptations. Cette scène était elle-même une récriture d'un passage de son premier roman, L'observatoire de Cannes (1961), passage qui avait d'abord été publié quelques mois plus tôt dans la revue Tel Quel n° 5 sous le titre Description d'un strip-tease.
Par ailleurs la prose avec majuscules poétiques avait été proposée en 1972 dans la revue Les Cahiers du Chemin, sous le titre Improbable strip-tease blanc, puis en 1973 dans les Cahiers Odradek, sous le titre Improbables strip-teases, avec des illustrations de l'auteur, mais celui-ci déplore dans ces deux publications des "bévues dans l'inhabituelle alternance des lettres majuscules", ce qui traduit du ricardolien doit signifier qu'il y avait des erreurs dans le codage désiré, ce qui est bien compréhensible en ces temps reculés où des protes devaient composer lettre par lettre chaque page d'un livre.
Je résiste à l'envie de commander ces deux précédentes publications pour y analyser les erreurs. Une anomalie subsiste dans le présent texte, avec "déchifrer" au second vers, erreur peut-être volontaire car le mot remplace le "déchirer" de Mallarmé, et "déchifrer" pourrait être le chaînon intermédiaire entre "déchirer" et "déchiffrer".
Quoi qu'il en soit, le f minuscule est bien présent dans le texte à une place idoine, car Ricardou indique que chaque majuscule est la première de son espèce suivant la précédente dans le codage, ce qui a dû imposer quelques ajustements dans le texte source pour y caser aussi exactement le sonnet.
Ricardou donne le texte complet de son sonnet dans Principes pour quelques transformations, avec l'orthographe correcte pour "déchiffrer", et quelques cygnes de ponctuation.
Voici l'original de Mallarmé:
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'huiJe remarque que "Fantôme" de Mallarmé est devenu "HYPOGRAMME" en majuscules. C'est un terme de linguistique qui désigne le noyau sémantique d'un texte, mais qui littéralement peut signifier "lettre mineure", et qui apparaît donc ici en "lettres majeures"...
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.
Le terme est dérivé du paragramme imaginé par Saussure, or j'avais conçu pour Sous les pans du bizarre un petit poème respectant une contrainte saussurienne, et j'y avais inséré des majuscules intempestives qui y avaient leur signification propre, mais qui pour moi faisaient aussi allusion au codage du sonnet de Perec.
J'ai déjà dit ailleurs que j'avais achevé mon roman en septembre 1999, pour une publication prévue vers la fin de l'année, mais qui a été retardée. Il m'est alors venu l'idée d'y coder le sonnet de Perec, sans autre justification qu'il m'obsédait et que mon roman avait 14 chapitres. Ceci a parfois nécessité quelques menues modifications, notamment dans les chapitres 13 et 14 où les lettres codantes étaient médiales dans les mots concernés.
J'en ai imprimé une première version en 2 exemplaires, en novembre 99, avec les codages concernant uniquement les 14 vers du sonnet. Le texte que j'ai ensuite proposé à Baleine était calibré pour l'édition en poche, avec quelques modifications car le héros de la série, Albert Fnak, était devenu entretemps Pierre de Gondol. J'avais en outre codé dans l'exergue le titre du sonnet, et dans les notes finales "Arthur Rimbaud".
J'ai reçu la maquette et donné le bon à tirer, mais au dernier moment le patron du Seuil, impressionné paraît-il par mon texte, a décidé que la collection devait paraître en grand format, et la maquette a été recomposée, en perdant le codage initial qu'il a fallu rétablir à l'aide d'un document que j'ai envoyé in extremis.
Ainsi mon texte a-t-il été d'abord écrit sans idée de codage, et l'insertion ultérieure de celui-ci a connu plusieurs phases. Je n'ai pu vérifier avant l'impression s'il n'y avait d'éventuelles "bévues", comme dit Ricardou, mais il s'est trouvé au moins un lecteur, Willy Wauquaire dont il était question dans le précédent billet, pour repérer les lettres bizarres, et pour décrypter patiemment le sonnet.
Une autre caractéristique de ces coïncidences est le délai parfois fabuleux entre la connaissance des faits et leur perception en tant que coïncidences. Je n'ai pas d'explication, sinon les défaillances de ma mémoire et de ma raison.
Pour le cas présent, il s'agit donc d'un feuilletage plutôt minutieux du Théâtre des métamorphoses en 2012, avec un vague souvenir d'avoir compris le principe du codage d'Improbables strip-teases, aussi je ne comprends pas comment je n'ai pu alors faire le rapport pourtant immédiat avec mon propre codage.
Les révélations se font aussi par étapes, ainsi il m'a fallu encore des années après avoir vu le parallélisme entre les Tables des Chapitres de Lieux-dits et Novel Roman pour réaliser que Les lieux-dits était un exemple emblématique du Nouveau Roman.
Il m'a fallu nettement moins de temps pour entrevoir la seconde étape de la présente coïncidence. Je me suis souvenu en écrivant ce billet avoir utilisé récemment le portrait de Mallarmé par Verlaine, et il m'a fallu passer par la fonction Rechercher du blog pour voir que c'était en mai dernier, dans Des lions jusqu'en bas, où la découverte qu'il y avait 32 décompositions de 6 syllabes en mots m'avait fait composer deux poèmes de 16 alexandrins sur ce principe, d'abord un pastiche de Brise marine de Mallarmé, puis une nouvelle anagramme de Vocalisations de Perec.
Ainsi, en l'espace d'une semaine, j'avais réuni dans une même contrainte Mallarmé et Rimbaud-Perec, peu de temps avant de pleinement réaliser que, 27 ans avant mon codage d'un pastiche de Rimbaud, Ricardou avait fait de même avec un pastiche de Mallarmé.
Brise marine est le premier des 6 poèmes récrits sans E par Perec dans La Disparition, sous le titre Bris marin, par Mallarmus; le dernier est Vocalisations, que Perec a pu signer Arthur Rimbaud.
Si j'ai pu utiliser ici ou là un vers ou une tournure mallarméenne, c'est la première fois que je me suis frotté à un poème complet.
Peut-être faut-il explorer un peu plus avant la prose de Ricardou, en évitant toutefois de répéter ce qu'il en dit lui-même: 80 pages de commentaires suivent son Strip-tease, et il y a maintes autres allusions dans les deux premières parties, avec notamment d'autres emplois du "code". Ainsi la première partie offre ce passage
D'une pArt, en le saUgrenu des majuscules sporadiques, c'esT le visage même de l'écRit qui dEvient énigmatique, d'autre PART EN LA VENUE DU...continuant pendant quelques paragraphes pour livrer le message: D'autre part, en la venue du présent second message, c'est le premier que l'on saccage.
grand "a" : avec la décomPosition mécanique, telle image qu'on dessine voit sa sensualité, selon quelques Règles ÉminenteS, toutE meurtrie eN l'apparaîTre numéral d'une blancheur recrudeScEnte (...)
La seconde partie s'achève avec les majuscules F I N P R O S E disséminées dans la dernière réplique d'Ed. Word, formant les deux mots qui achèvent "en clair" la troisième partie, permettant d'achever le sonnet avec le précis souvenir de la prise enfin prose, jeu qui était déjà utilisé dans La prise de Constantinople.
Ce livre inaugure le Mixte, titre de la première partie. On y trouve de la fiction, de la théorie, de la poésie, du théâtre (le texte d'une pièce radiodiffusée sur France-Culture en mars 1973, donné sur les pages de droite de la seconde partie, avec des gloses diverses sur les pages de gauche).
On y trouve encore des illustrations dues à Ricardou, essentiellement 16 avatars du dessin en couverture, qui est une adaptation "déshabillée" d'une vignette de Barbarella, que JR a inscrite dans un carré réparti en quatre quadrants. Il a ensuite numéroté chaque plage blanche délimitée par les traits noirs, de 1 à 48:
Ce nombre 48 est fort probablement voulu, et tout aussi probablement lié au fait que le prénom de l'auteur a 4 lettres, et son nom 8. Il ne se prive pas de rappeler tout au long du livre sa surdétermination par les nombres 4 et 8, ainsi son titre a 4 mots, et les titres de ses 4 parties totalisent 8 mots (Mixte, Communications, Improbables strip-teases, Principes pour quelques transformations).
Ce n'est qu'un avatar du "biotexte" ricardolien, qui culmine peut-être avec la liste des 8 Lieux-dits, faisant apparaître en leur centre les 4 consonnes du nom RiCaRDou:
B a n n i è r e
B e a u f o r t
B e l a r b r e
B e l C R o i x
C e n D R i e r
C h a u m o n t
H a u t b o i s
M o n t e a u x
J'avais développé cela dans mon premier billet consacré à Ricardou, en remarquant que les 4 voyelles de son nom avoisinaient ce centre irradiant, mais je vois aujourd'hui que ces 4 consonnes sont encadrées par les lettres LN et OI, formant le mot LION, alors que le roman semble construit autour de l'exégèse du paquet de cigarettes Pall Mall, et de son blason encadré par deux lions.
Ceci suscite un nouveau vertige. Est-il possible que Ricardou ait consciemment calculé toutes ces combinaisons ? Ou est-ce une nouvelle manifestation du phénomène que je traque inlassablement, baptisé il y a plus de 20 ans l'éon Napol?
"L'éon", comme "lion" précisément, et il m'est d'autant plus facile de tendre vers la seconde hypothèse qu'un lion s'est invité inopinément dans un carré de 8x8 lettres composé selon de sévères contraintes, avec ce LOVEN, lion danois, absolument imprévu (voir notamment ce billet).
La lecture attentive du Théâtre m'a fait prendre conscience d'un détail de la page 252, pourtant donnée dans le billet précité. Les 4 messages à décrypter dans le carré des Lieux-dits sont donc selon Ricardou les diagonales BELCROIX et MAADRBRE, la première colonne exprimant l'ordre de l'ALPHABET, et la dernière à réarranger en TESTER XX, ou TESTER X.
MAADARBRE se réarrange plus immédiatement en MAD ARBRE, faisant allusion à Olivier Lasius (ou asilus), le fou pyromane, mais je ne sais si j'avais à première lecture prêté attention à la note sur ce nom, où Ricardou inverse le bilinguisme MAD ARBRE en FOU TREE, dont une lecture pourrait être FOUTRE E, en parallèle avec TESTER X. Or Ricardou est justement celui qui a pu FOUTRE E dans un lipogramme en E...
FOU TREE... Dans ma grille de Novel Roman, je faisais croiser la diagonale ROSENCREUTZ avec une diagonale brisée ARSENELUPIN. J'évoquais dans ce même billet mon ébahissement lorsque, après avoir écrit en 2002 un pastiche de Parsifal ("le pur fol") faisant intervenir Arsène Lupin, je me suis avisé qu'une anagramme en était "le pur insane".
INSANE est donc "fou" aussi bien en anglais qu'en français, et je m'avise que LEPUR est l'anagramme de PLEUR qui se traduit en anglais par TEAR, dont une ancienne graphie est TEER, anagramme de TREE. Ainsi
ARSENE LUPIN = INSANE PLEUR = FOU TEER = FOU TREE = MAD ARBRE (CQFD).
La note 14 de la page 232 énonce ceci (avec quelques parenthèses omises):
14. D'où, à l'envers, le bilingue "fou-tree". Bref, cela nous fait signe, on serait dans la curieuse chanson du livre "dans lequel le voyageur se demanderait si l'on est en train : fou-tree non!"Ces derniers mots renvoient à la dernière séquence de la première partie, Le métro, où Ricardou imagine un train labyrinthique desservant les gares Belcroix, Madarbre, Tester X, entre autres. Sur cette ligne, les billets offrent des dessins ou des lettres, et les voyageurs s'amusent à ramasser les billets usagés pour les combiner entre eux.
Ricardou propose ainsi 8 combinaisons de 4 tickets (...), 4 avec des images et 4 avec des mots. J'avoue ne rien comprendre à cette affaire, mais voici l'image page 86 offrant un rapport évident avec la note page 252 (je ne prétends pas tout comprendre ailleurs, mais j'ai parfois une certaine idée des motivations des textes de Ricardou).
Ce pourrait être le moment de tenter d'analyser mes sentiments envers JR. Je l'ai découvert en 2000 dans le Formules n° 4 où il tentait de justifier par un laïus abscons couvrant 15 copieuses pages l'apparition d'un E dans sa proposition d'amélioration d'un passage de La Disparition, alors qu'il aurait suffi d'indiquer qu'il s'agissait d'une légère inadvertance, le remplacement sur épreuves du prévu "suivant" par un malencontreux "selon".
J'avoue n'avoir pas été loin dans ce texte où abondent des termes tels que caco(proto-choro-holochoro)texture lipomorphique ou caco(hyper-deutéro)scriptème-"moyen".
C'est une autre cacographie, "ana" au lieu de "atta", qui m'a conduit par une effarante coïncidence à ses Lieux-dits, et à son carré de lettres qui m'a au premier abord paru d'une puérilité à pleurer.
Les coïncidences avec mon écriture m'ont fait lire Les lieux-dits, et y découvrir une possible prémonition du 11 Septembre avec Atta assurant consumer entièrement deux cigarettes, pourvu qu'elles aient été correctement allumées (je rappelle qu'un Atta était le chef du commando qui a frappé les tours jumelles).
Mon premier survol du roman a été tout à fait négatif. A quoi rimaient ces digressions sur les nombres de mots et de lettres des inscriptions sur un paquet de Pall Mall? Puis j'ai commencé à saisir la profonde intrication des divers éléments du roman, de plus en plus vertigineuse, au point de me demander s'il était possible que JR en ait été pleinement conscient, de même que je suis abasourdi des possibilités imprévues qu'offrent mes textes.
Mes relectures m'amènent à d'autres points communs. Novel Roman multipliait ad nauseam les anagrammes du titre, explicitement avec les héritiers VERANOMNOL, implicitement avec pour chacun d'eux une anecdote faisant intervenir une autre anagramme. De même, dans le "Nouveau Roman" Les lieux-dits, les deux seuls intervenants en-dehors de Lasius et Atta sont les frères EPSILON (quantités négligeables), que Lasius remarque être l'anagramme de L'ESPION, mais le lecteur doit comprendre par lui-même que le square LENPOIS où se rencontrent Lasius et Atta est une autre anagramme, et que ces EPSILONS sont LES PIONS se mouvant sur l'échiquier que constitue le roman, en 8 chapitres de 8 sections chacun.
Ceci m'évoque à nouveau L'adversaire d'Ellery Queen (1963), où 6 ans avant Les lieux-dits apparaissaient des personnages aux noms savamment choisis s'affrontant sur l'échiquier de York Square.
Ces jeux de l'écrivain Epsilon ne facilitent pas l'approche du lecteur Lambda, et ceci repose l'éternelle question: à quelles concessions doit consentir un auteur sans dénaturer ses intentions?
Je reviendrai sur d'autres curiosités ricardoliennes dans d'autres billets, je ne mentionnerai ici que quelques phrases d'un passage qui me semble particulièrement grotesque dans une nouvelle issue de Révolutions minuscules (1971):
A quarante mètres, un canot automobile, oblique, la proue dressée, parcourt le plan d'eau de gauche à droite. Huit mètres en retrait, dans le sillage, une silhouette glisse sur l'eau. (...) Les jambes, autour de la charnière des genoux, sont pliées à quarante-huit degrés. Le maillot rose à pois blancs, le ventre, le buste, inclinés à quarante-huit degrés par rapport aux cuisses, sont parallèles aux mollets qui supportent toute la tension.J'imagine que ces précisions 40, 8, 48, et il y en a maintes autres dans le récit, ne sont là qu'en fonction du nom de l'auteur, et je n'en ai rien à fou-tree (mais cette écriture en toutes lettres me fait prendre conscience que 48 s'écrit en 8 et 4 lettres).
Je suis parti plus haut de Barbarella redessinée par JR de manière à offrir 48 secteurs blancs délimités par le tracé, et voici après quelques digressions ce qu'il en fait.
16 versions de l'image sont proposées pages 184 à 259, toutes les 5 pages, avec une "sensualité meurtrie selon quelques Règles ÉminenteS", comme cité plus haut. Le tracé étant effacé, la première image donne les seuls secteurs impairs en noir. Les 3 suivantes donnent les secteurs 1-4-7-..., puis 2-5-8-..., puis 3-6-9-... en noir. On passe à 1 secteur noir sur 4 pour les 4 images suivantes, et j'ai choisi de donner ci-dessus la dernière, 8e de l'ensemble donc, débutant par les secteurs 4-8 et s'achevant par le 48, ce qui devait ravir l'auteur.
Viennent ensuite les 5 possibilités avec 1 secteur noir sur 5, puis les 3 premières avec 1 secteur noir sur 6.
Il apparaît quelques anomalies qui ne me semblent pas voulues. Il manque 7 secteurs noirs de ci de là, et dans la dernière série (1 secteur noir sur 6) les derniers secteurs (43-44-45) sont remplacés par les précédents (42-43-44).
Dans la catégorie des bizarreries susceptibles d'être expliquées, le Théâtre offre dans une des pages de garde la mention, en capitales:
CE LIVRE EST LE QUARANTE-HUITIÈME TITRE
DE LA COLLECTION « FICTION & CIE »
DIRIGÉE PAR DENIS ROCHE
Chaque volume présente une annonce similaire, et la liste des publications dans la même collection en fin de cet ouvrage compte bien ici 48 titres, Théâtre compris. DE LA COLLECTION « FICTION & CIE »
DIRIGÉE PAR DENIS ROCHE
Ce pourrait bien sûr être un hasard, mais Roche était proche de Ricardou, et devait connaître son obsession pour le nombre 48. Il aurait ainsi pu lui réserver longtemps à l'avance ce numéro dans sa collection.
Tiens, Denis Roche a publié, en 1982 aussi, La disparition des lucioles, un titre qui ne manquera pas d'inspirer Patrick Bléron.
J'ai vu cela le 10 janvier, et le fantastique n'a pas manqué de faire une nouvelle intrusion dans la réalité lors d'une balade qui m'a fait traverser ce jour Esparron et remarquer l'immatriculation du seul cyclo garé dehors dans le village.
J 84 R. J comme Jean, R comme Ricardou, et 84 est équivalent pour lui à 48 comme en témoigne par exemple la seconde partie du Théâtre, où il joue avec les numéros de téléphone 42-24, 24-48, 84-42, 48-24, 4 et 8 à cause des lettres de son nom, et 2 parce que c'est 8 divisé par 4, explique-t-il.
L'obsession pour ces chiffres semble avoir réglé sa vie jusqu'à sa mort, à 84 ans (et 36 jours, somme des 8 premiers nombres), en 2016 (48x42 ou 84x24 pour celui qui avait fait se suivre les numéros WAGram 84-42 et SABlons 48-24).
Je n'ai pas réussi à comprendre comment peut exister une telle plaque, la nouvelle législation prévoyant pour tous les deux-roues des plaques 210x130 cm avec 4 lettres et 3 chiffres comme pour les voitures (je note au passage le rapport 21/13 qui m'obsède).
Quoi qu'il en soit, j'imagine que cette plaque est règlementaire, et qu'il ne doit exister en France qu'un seul cyclo immatriculé J 84 R, et que ce cyclo est donc basé à Esparron, code postal 04800.
J'ai souvenir de l'avoir déjà vu garé à ce même endroit, mais ce jour où il s'est révélé significatif est le 10 JAN 18, 10 comme J, 18 comme R, et ceci me fait prendre conscience que la seule édition en poche d'une fiction de Ricardou a été dans la collection 10-18, en 1972 (n° 722).
Ceci me conduit à proposer l'anagramme
Jean Ricardou : Les lieux-dits =
Je suis extralucide ordinal.
Je dois enfin expliciter le titre de ce billet. Le titre du Théâtre des métamorphoses fluctue au cours du livre pour devenir celui des Opérations pour la seconde partie, puis des Transformations pour la suivante, et enfin Le théâtre des métaphores pour la dernière. 4 titres en 4 mots chacun.
Le dernier titre a pour valeur 242, or ce billet est le 242e de Quaternité, ce qui m'a donné envie de jouer aussi à l'extralucide ordinal.
J'ai d'abord trouvé ceci
Le théâtre des métaphores = Thèse: démâter la prothèse
qui ne veut pas dire grand-chose. Je suis passé alors au dictionnaire anglais fourni avec Anagram Artist, et il s'est trouvé que la première proposition en 4 mots était
the here models separate
qui se réarrange aisément en quelque chose de significatif
Here the models separate.
J'ai finalement opté pour
The other males desperate
en pensant aux autres mâles qui se désespèrent de ne pouvoir déshabiller Barbarella à leur guise.
JR s'étend avec complaisance sur la structure de son Théatre: titre en 4 mots, qui avec sous-titre et nom de l'auteur donne 8 mots en couverture, 4 parties dont les titres totalisent 8 mots, première partie elle-même divisée en 2 sections dont les titres totalisent 4 mots, et chacune de ces sections est divisée en 4 sous-sections dont les titres totalisent 8 mots...
Il ne met en revanche pas en avant les 4x4 qui ont plus d'écho pour moi, 4 formes du titre en 4 mots donc, la 4e partie a un titre en 4 mots, et elles est divisée en 4 sections dont les titres ont chacun 4 mots.
Ces 4x4 me rappellent que Perec, dans un de ses derniers textes, J.R. : Tentative de saturation onomastique (1981), a classé Juan Ricardo en 44e position, ce qui n'est probablement pas directement calculé dans cette liste alphabétique (j'ai néanmoins envisagé ici que le nom précédent, Jules Ribenmoins, ait été choisi pour sa 43e position). Il en fait l'auteur (1715-1802) de La Cantina española, un titre qui peut évoquer le contenu disparate du Théâtre des métamorphoses, publié deux mois avant la mort de Perec.
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