pour Siriane, née le 12/3/8
J'ai relu depuis le dernier billet quelques romans de Fred Vargas, venus confirmer qu'elle concerne au premier chef mes intérêts quaternitaires.
Je constate une claire évolution de son oeuvre vers les thèmes ésotériques, traités d'abord rationnellement, puis de moins en moins, évolution telle qu'il était logique de voir apparaître le vampirisme, si logique d'ailleurs que j'avoue ne pouvoir imaginer ce qui viendra ensuite.
J'évoquais dans le dernier billet l'anagramme, et ce semble bien être, avec le vampirisme, un fil conducteur pour les coupables des 6 romans à partir de 1999:
- 1999: L'homme à l'envers, chasse au loup-garou, souvent nommé "vampire" par les protagonistes. Le coupable est prénommé LAWRENCE (Lawrence Donald Johnstone, dont le vrai nom est Stuart Donald Padwell).
- 2000: Les quatre fleuves, un tueur astrologue et ésotériste, qui puise sa force de ses victimes, et qui se prénomme ROLAND (Roland Vinteuil). C'est une anagramme phonétique de LAURENT, forme française du prénom du tueur précédent, dont une orthographe existante est d'ailleurs LORAND, exacte anagramme alphabétique de ROLAND.
- 2002: Pars vite et reviens tard, la peste, souvent associée au vampirisme depuis le Nosferatu de Murnau. Celui qui se venge en répandant la peste se prénomme ARNAUD (Arnaud Damas Heller-Deville, se faisant appeler Damas Viguier), dont une autre forme est ARNOLD, exacte anagramme de ROLAND.
- 2004: Sous les vents de Neptune, un mort-vivant, qui tue bien qu'il soit déjà enterré depuis 16 ans, qui étripe ses victimes mais qu'Adamsberg appelle plutôt improprement "empaleur", comme le Dracula historique surnommé Vlad Tepes, Vlad l'Empaleur (tiens TEPES est l'anagramme de PESTE). Le vrai nom du tueur est ROLAND Guillaumond.
- 2006: Dans les bois éternels, une autre tueuse ésotériste, engagée dans un rituel la menant à la vie éternelle. Une intrigue secondaire montre Adamsberg suspecté d'avoir torturé (et étripé) à 13 ans un garçon de 8 ans; le coupable était en fait un ROLAND (Roland Seyre, ceci dans le même village où le ROLAND précédent avait commis un étripage attribué au frère d'Adamsberg).
- 2008: Un lieu incertain, enfin, avec le vampirisme en clair. Le coupable est un descendant de ARNOLD Paole, "vampire" historique, Paul Josselin de Cressent.
Lawrence-Roland-Arnaud-Roland-Roland-Arnold, et qui ne voit pas le fil pourra demander de l'aide au coupable principal des Bois éternels, Ariane Lagarde... Parmi les 6 romans précédents, deux autres coupables peuvent s'intégrer à la série, en fait dans les deux premiers romans, James Arnold Gaylor dans Les jeux de l'amour et de la mort (1986), et Lorenzo Vitelli dans Ceux qui vont mourir te saluent (écrit en 1987).
La redondance des Roland me paraît inconsciente, justement à cause de leur proximité. A noter que les 3 Roland sont des êtres totalement négatifs, tandis que les autres coupables accomplissent des vengeances justifiables, qu'ils mènent d'ailleurs à leur terme théorique, avec une étrange similitude dans leurs palmarès effectifs malgré des conditions initiales différentes:
- Lawrence a 3 hommes à exécuter, et y parvient, mais son plan lui a fait sacrifier 2 victimes innocentes, total 5 morts;
- Arnaud a 8 personnes sur sa liste, qu'il croit avoir toutes condamnées en leur inoculant la peste, mais il ignore que ses puces sont inoffensives et que les morts sont causées par des tiers, arrêtés alors qu'il n'y a eu que 5 morts effectives;
- Le descendant d'Arnold a 5 "Plog" à éliminer, et y parvient, sans dégâts collatéraux.
Je rappelle donc que, quoi qu'il en soit des intentions de Vargas, elle n'a pas inventé le nom d'Arnold Paole, ni que le premier vlkoslak, "vampire", soit apparu à Kisilova, peu avant et non loin de cet Arnold, et je dois à la discrète et indispensable dp une remarquable info dans la veine vampiro-anagrammatique.
Je citais dans le dernier billet Carmilla (alias Marcilla et Mircalla), en tant que première histoire littéraire vampirique (1871), mais elle me signale bien antérieur, avec, cocorico!, La Guzla, de Mérimée (1827). Il s'agit en fait à l'origine d'un pastiche, attribué à un poète illyrien, réitérant un autre coup de maître du jeune Mérimée qui, en 1825, avait publié à 23 ans Théâtre de Clara Gazul, recueil de pièces d'une prétendue jeune comédienne espagnole, nièce d'un non moins prétendu officier pendu en 1813 par les Français, Gil Vargas.
On sait que Frédérique Audoin-Rouzeau a choisi le pseudo déjà utilisé par sa jumelle, la peintre Jo Vargas, emprunté au personnage d'Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus. Rien à voir donc avec cette nièce Vargas, dont le nom Gazul sera anagrammatisé par Mérimée en Guzla, pour un recueil de légendes et poésies illyriennes où les vampires sont abondamment présents.
Mérimée y recopie des passages du traité de Dom Calmet, comme la légende de Kisilova, où le nom du vampire n'est pas cité, et l'histoire d'Arnold Paul, relatée en détail, puis imagine une anecdote dont son personnage aurait été témoin, survenue dans la famille Poglonovich, nom probablement issu du vampire de Kisilova, Plogojowitz; ainsi Mérimée aurait, 180 ans avant les "Plog" de Vargas, conçu une histoire de "Pogl"...
Concernant l'anagramme vampirique, il m'est souvenu qu'une des premières "vamps" du cinoche fut Musidora, interprète de IRMA VEP dans Les VAMPIREs de Feuillade (1915).
Il est encore curieux que le début et la conclusion de Un lieu incertain concernent Londres, LONDRA en roumain, comme chacun sait langue de prédilection des vampires, autre anagramme de ARNOLD (le roman s'ouvre sur la découverte de 17 pieds coupés à la porte du cimetière de "Higegatte", déposés donc par le descendant d'Arnold).
J'en viens à mon sujet principal, Sous les vents de Neptune, que je n'avais guère aimé en 2004, en partie peut-être parce que je l'avais lu juste après Pars vite et reviens tard, si totale réussite qu'il était difficile de rester au même niveau. Je me souviens avoir pensé à l'époque à des contraintes d'écriture : ainsi la scène grotesque de la "cavale" d'Adamsberg, caché à califourchon dans le dos de Violette, après un incompréhensible passage par Detroit, ne cachait-elle pas un jeu rousselien, Cheval de Troie-Cavale Detroit ?
Libéré du souci de suivre les méandres d'une intrigue alourdie d'épisodes semblant inutiles, j'ai discerné une nette redondance de certains nombres, à savoir 4, 8 et 44, en laissant de côté le 3 du trident arme des crimes, mais précisément le modus operandi de l'assassin lui fait utiliser 4 outils pointus identiques, 3 qu'il soude aux branches de son trident, et le 4e laissé sur place entre les mains d'un suspect idéal passera pour l'arme du crime.
La police scientifique est incapable de discerner la régularité des blessures, malgré les alertes réitérées du rêveur Adamsberg, à contre-emploi dans un rôle de calibreur obsédé par une précision millimétrique...
Une liste détaillée des occurrences des nombres en cause serait fastidieuse, et je m'en tiendrai à deux passages.
Le roman débute le 4 OCTObre (ou 4-HUIT), par une série de 4 événements perturbant Adamsberg, jusqu'au moment où il en saisira le point commun:
- un journal feuilleté machinalement en discutant avec Danglard;
- 3 documents fixés côte-à-côte par des punaises rouges,;
- une serveuse au restaurant équipée d'une fourchette à 3 dents;
- un panneau annonçant une exposition de peinture au Grand-Palais, jusqu'au 17 décembre (la Saint-Lazare soit dit en passant), avec un tableau représentant Neptune.
Il consulte un vieux manuel, y voit Neptune et son trident, se couche et se réveille vers 4 heures du matin. Ses bras se mettent à trembler, rien de commun avec les quatre précédentes tornades. Il cherche de l'alcool et trouve une bouteille de genièvre à 44°, dont il avale deux verres. Il revient au bureau étudier le journal feuilleté quelques heures plus tôt, et y découvrir ce qui l'avait alerté subliminalement : la photo d'une jeune fille assassinée en Alsace et de sa triple blessure au ventre, marque du Trident, du juge Fulgence, l'abominable tueur né en 1904 qu'il a traqué inlassablement, jusqu'à sa mort en 1987, 16 ans plus tôt. Celui qu'il appelle le diable a tué 8 personnes, de 1949 en Loire-Atlantique (44) jusqu'à 1983 en Charente (16), sans jamais être inquiété, pour 4 raisons distinctes énumérées par Adamsberg.
4 photos transmises d'Alsace lui confirment que le crime est absolument identique à ceux du juge qui, s'il n'était mort, aurait actuellement 99 ans...
Intermède au Canada, dont Adamsberg revient en cavale, accusé de meurtre, couvert par le divisionnaire Brézillon qui lui a fourni de faux papiers au nom de Denis Lamproie.
Il découvre que quelqu'un qui ressemble au juge a commis 4 meurtres au trident depuis 87, dans 4 lieux où il a loué des châteaux ou manoirs sous des identités évoquant la grandeur et la clarté : Alexandre Clar, Lucien Legrand, Auguste Primat, Maxime Leclerc.
Curieusement, "lamproie" fait entendre les mots "lampe" et "roi", et c'en est exacte anagramme...
Adamsberg-Lamproie demande l'exhumation, le cercueil ne contient qu'un sac de sable...
J'indiquais dans le billet précédent que cette exhumation à Richelieu fait sens pour Fred Vargas, fille de Philippe Audoin, surréaliste spécialiste de l'étrange Maurice Fourré, auteur à la fin de sa vie de 4 romans symbolistes, dont le second, La marraine du sel, se passe à Richelieu.
Or le premier se passe dans un hôtel de la rue Delambre, et le roman précédent de Vargas tourne essentiellement autour du carrefour Edgar-Quinet-Delambre, où elle évoque une "colonne Morris" inexistante, colonne significative pour un lecteur du roman de Maurice dont l'édition originale affichait une colonne, la colonne Saint Cornille de "Tonton Coucou"...
Ma relecture de Neptune apporte une éclatante confirmation, avec la résidence précédant l'établissement du juge à Richelieu, la Tour-Maufourt (qu'on cherchera aussi vainement en Charente qu'une colonne Morris sur la place précitée), Mau-Four premières syllabes de Mau-rice et Four-ré.
Avec moins de certitude, les noms évoquant grandeur et clarté pourraient se rapporter aux deux autres prénoms de Maurice, Jules (un autre empereur) et Philibert ("très brillant").
Après l'exhumation, Adamsberg reste à l'hôtel à Richelieu, où il réfléchit sur les noms des victimes du juge:
Ne tirant rien d'autre des noms des victimes, Adamsberg repense au témoignage d'un médecin qui a soigné le mort-vivant en Alsace, et qui lui voyait 15 ans de moins que les 99 donnés par l'état civil,
- 4 vents
- 4 éléments
- 1944
qui m'évoquent évidemment aussitôt le 4/4/44, le 4 avril 1944, la date clé où Jung est entré en convalescence tandis que le docteur qui l'avait sauvé se couchait pour ne plus se relever. Jung voyait cette mort correspondre symboliquement au foudroiement par Jupiter d'Esculape, coupable d'avoir outrepassé ses fonctions de guérisseur en ramenant des hommes ayant franchi les portes de la mort, et le trident du juge est à maintes reprises assimilé à la foudre de Jupiter, comme dans la citation ci-dessus et l'illustration ci-contre...
Je n'imagine pas Vargas avoir eu Jung en tête, le 4/4/44 représentant une répétition de 4 en parfaite cohérence avec la logique de son récit, et ce ne serait qu'un hasard minime s'il ne venait s'y greffer une coïncidence de la plus extrême précision. Le juge est donc en fait Roland Guillaumond, qui a étripé sa mère le 12 mars 1944, âgé de 25 ans, au moment même où Jung était entre la vie et la mort. C'est la seule date donnée sous cette forme, avec celle du décès officiel du juge, le 19 novembre 1987.
Le juge était plus jeune (jung) qu'il n'y paraissait, et, sans autre précision, il aurait été maximalement jeune s'il avait eu exactement 25 ans ce 12 mars 44, s'il était donc né le 12 mars 1919, or du 12 mars 1919 au 19 novembre 1987, il y a exactement autant de jours (25088 jours pleins, ou 4 fois 6272), que du 26 juillet 1875, naissance de Jung, au 4/4/44, l'une des seules dates données dans Ma Vie..., celle de son retour parmi les vivants 6272 jours avant sa mort effective.
Soit 17 ans et quelque, et le juge réapparaît 16 ans après sa mort présumée, encore en parfaite santé. Comme il échappe aux flics à la fin du roman, on peut supposer qu'il vivra aisément jusqu'au 20 janvier 2005, 6272 jours après sa fausse mort du 19/11/87.
Il achèvera de toute manière en mourant son entreprise, réunir une main gagnante au jeu de Mah-Jong, soit 14 honneurs répartis en 4 brelans et 1 paire. Carrément le Mah-JONG, dont une autre graphie est d'ailleurs Mah-JUNG, et jong signifie "jeune" en néerlandais...
Et puis cette main gagnante qui est une quintessence, 4+1 combinaisons... Je me prête volontiers au jeu, avec cette tentative de reconstitution du schéma symbolique de l'entreprise, en remplissant quelques blancs laissés par Vargas:
- 12 mars 1919 : Marie Guillaumond accouche de Roland, épreuve si terrible qu'elle refusera ensuite son corps à son mari Gérard, dont elle pourrira la vie par tous les moyens possibles, notamment en le déclarant chaque soir incapable de réussir une "main d'honneurs", lors de la partie obligatoire de Mah-Jong.
- 12 mars 1944 : après la mort de son père Gérard, Roland embroche Marie avec le trident paternel. Ce sera la première tuile de sa main d'honneurs, un Dragon vierge.
- de 1949 à 1983 : sous l'identité du juge Fulgence, constitution de 4 paires d'honneurs, Dragons rouges, Dragons verts, Vents du nord, Vents du sud, par l'étripage de victimes aux noms adéquats, avec le trident légèrement modifié.
- 19 novembre 1987 : mort du juge Fulgence, non pour échapper à la traque dérisoire d'Adamsberg, mais pour des raisons symboliques profondes.
- de 1993 à 2003 : 4 crimes sous de nouvelles identités, complétant les paires précédentes en brelans (kung).
- 20 janvier 2005 : ultime achèvement, Roland Guillaumond s'éloigne en canot du Mas Jung (nom de la propriété de Jose Maria Sert, tel qu'orthographié dans La vie secrète de Salvador Dali), loué sous sa véritable identité, saborde le canot au large, et s'immole avec le trident originel du Père Gérard, constituant avec sa Mère Marie la paire de Dragons vierges complétant la main gagnante MA JUNG (car le JUGE, bien entendu, était resté puceau). Ce dragon est encore le basilic, qui se foudroie en tournant son regard meurtrier vers lui-même, le basilic également présent chez Fourré, où Basilic Affre tue son double le baron Tête-de-Nègre, figure du Diable...
Et Fourré dans tout ça, justement ? Je rappelle que je me suis intéressé à Four-ré à cause de son nom, lu 4-d, soit 4-4, et de ses 4 romans. Or ces romans ont été écrits dans la cinquième partie d'une vie (1876-1959) chevauchant étroitement celle de Jung (1875-1961).
Ceci m'a conduit à calculer la durée de vie de Fourré, né le 27/06/1876, mort le 17/06/1959, soit exactement 30303 jours pleins, nombre étrangement symétrique, immédiat écho au trident du juge vargasien...
Les 4/5es de la vie de Fourré seraient tombés le 12 novembre 42. S'il est difficile de relier cette date à un événement précis de sa vie assez peu documentée, je remarque que ce jour sont sortis deux films aux noms voisins, Frédérica de Jean Boyer et Patricia de Paul Mesnier; ce dernier est l'histoire d'une jeune fille élevée avec 4 orphelins adoptés par sa tante...
Fourré se proclamait Nantais de coeur, et le juge Fulgence débutera sa carrière fulgurante dans ce département 44, où il rendra la justice de 49 à 59, et étripera trois personnes.
Fourré était déjà nettement présent dans les romans de Vargas précédant son évolution "ésotérique". C'est ainsi que dans Un petit peu plus loin sur la droite (1996), on présente à Louis le jeune Gaël, contemplatif irréfutable (page 169), qu'il se remémore ensuite en rêveur définitif (page 210), claire allusion au livre consacré par Audoin père à Fourré.
Dans Sans feu ni lieu qui a suivi en 1997, un tueur s'inspire du sonnet de Nerval El Desdichado pour tuer des femmes square d'Aquitaine (Le Prince d'Aquitaine), rue de la Tour-des-Dames (à la tour abolie), et rue de l'Etoile (Ma seule étoile est morte).
Les enquêteurs amateurs (Louis et les 3 évangélistes) ayant compris le truc tentent de deviner le lieu du 4e crime, sachant qu'il vient ensuite dans le sonnet le soleil noir..., qui est aussi l'éditeur du livre d'Audoin père. Ils imaginent 3 rues possibles, mais le meurtrier en a choisi une 4e, où il sera néanmoins appréhendé, saint Marc ayant deviné qu'il s'agit de Paul Merlin, or un fourréphile notoire est Claude Merlin, auteur et metteur en scène d'une adaptation de La nuit du Rose-Hôtel. Sans raison évidente, sinon qu'il y a des prostituées et donc des Eros-hôtels dans la rue Delambre (du Rose-Hôtel fourréen), le roman de Vargas commence et s'achève dans cette rue par des dialogues entre deux horizontales.
Si la plupart des allusions à Fourré semblent anecdotiques, l'énigme du Soleil Noir est ici au coeur de l'intrigue, et elle est triplement associée à des quaternités jungiennes 3+1 (les enquêteurs, le 4e crime, ses 4 localisations).
Voilà. Je suis désolé du côté hétéroclite de ce billet, dont l'écriture a été perturbée par la découverte des possibilités jungiennes de la date du 19/11/87, ce qui a bouleversé un vague plan prévu au départ, et rejeté au prochain billet d'autres approfondissements sur l'oeuvre de Vargas.
Je suis le premier ébahi du retour du 4/4/44 sous ses diverses formes, mais néanmoins conduit à constater une certaine logique dans l'irrationnel, en parfaite continuité par exemple avec la dernière enquête d'Adamsberg à la latitude 44°44'.
Je rappelle que ma découverte du schéma du 4/4/44 aux 4/5es de la vie de Jung m'est venue plutôt bizarrement, imprimée dans ma tête au réveil le 8 septembre dernier. Pas complètement gratuitement toutefois, puisque j'étais alors occupé par les points communs entre Des jours et des nuits, roman explicitement jungien de Gilbert Sinoué, et les polars "minoens" de Paul Halter. Or il y a des crimes au trident dans l'un d'eux, Le géant de pierre, ce qui est peu banal.
Mieux, Paul Halter habite Haguenau, et c'est dans un Schloss à côté de Haguenau que le Trident s'est établi sous le nom de Maxime Leclerc, pour commettre le dernier meurtre de son programme, à Schiltigheim, celui qui relance Adamsberg sur l'affaire.
Il y a deux crimes au trident dans Le géant de pierre, celui de Maleus dans l'Antiquité (latin malleus, "marteau", voir le Marteau de Thor, avec lequel il projetait la foudre), et celui contemporain d'un gars connu par son seul prénom, Guy, évoquant facilement L'Eclair ! Bertin, propriétaire du Viking au carrefour Quinet-Delambre dans Pars vite et reviens tard, a nommé son troquet selon l'étymologie du nom Toutin de sa mère (page 46), Tor-stein, "pierre ou marteau de Thor", ce qui sera rappelé dans Dans les bois éternels (page 51).
Les crimes du juge amènent un autre curieux écho. Roland Guillaumond, 25 ans, a donc étripé sa mère le 12 mars 1944, en revenant de l'enterrement de son père Gérard, lui attribuant la responsabilité directe ou indirecte de sa mort, à Collery (localité imaginaire) en Sologne.
Ces parents assassinés d'un amateur de demeures seigneuriales, pendant la dernière guerre, m'évoquent la tuerie du château d'Escoire (Dordogne), en 1941, où un certain Henri Girard, 24 ans, fut accusé d'avoir tué son père, sa tante et une domestique à coups de serpe. Acquitté contre toute attente, il est devenu ensuite un écrivain célèbre sous le nom de Georges ARNAUD (voir plus haut les Arnaud-Arnold-Roland, et le Roland des Quatre fleuves tue ses victimes à coups de serpe; par ailleurs la 4e localisation du juge est en Dordogne, où il a tué un certain Daniel Mestre en 1977).
Ayant donné un titre au billet précédent dérivé de celui du premier roman de Maurice Bedel, Jérôme 60° latitude nord, il m'a semblé s'imposer d'utiliser pour celui-ci le second titre de l'auteur, Molinoff Indre-et-Loire. Il s'agit du département 37, or, à cause des âges clés de 37 et 60 ans d'Ariane dans Dans les bois éternels, j'ai été conduit à intégrer le peu que j'avais à dire alors sur Vargas à une page essentiellement consacrée à 37e parallèle, polar de Colette Lovinger-Richard à la structure calquée sur celle des Enfants du capitaine Grant. L'astuce essentielle du roman de Verne est la découverte d'un message en grande partie effacé, dont plusieurs reconstitutions vont être proposées tour à tour, or on retrouve le même procédé dans Neptune, avec un intérêt narratif plutôt faiblard.
Je remercie les membres de l'AAMF (Association des Amis de Maurice Fourré), notamment Béatrice Dünner (qui a repéré le rêveur définitif dans Un peu plus loin sur la droite), et Bruno Duval, qui m'a appris qui était le père de Fred Vargas.
Cette page convertit les dates grégoriennes en jours juliens astronomiques, et réciproquement, permettant de vérifier aisément les calculs vus plus haut.
Note du 6/4 : Je viens d'être informé de cette curiosité sur YouTube, Nerval récitant lui-même son Desdichado:
J'ai aussi pensé depuis que le "Soleil noir" pouvait avoir été à nouveau évoqué par Fred dans le roman suivant Sans feu ni lieu, avec le personnage du noir Sol dans L'homme à l'envers.
Je constate une claire évolution de son oeuvre vers les thèmes ésotériques, traités d'abord rationnellement, puis de moins en moins, évolution telle qu'il était logique de voir apparaître le vampirisme, si logique d'ailleurs que j'avoue ne pouvoir imaginer ce qui viendra ensuite.
J'évoquais dans le dernier billet l'anagramme, et ce semble bien être, avec le vampirisme, un fil conducteur pour les coupables des 6 romans à partir de 1999:
- 1999: L'homme à l'envers, chasse au loup-garou, souvent nommé "vampire" par les protagonistes. Le coupable est prénommé LAWRENCE (Lawrence Donald Johnstone, dont le vrai nom est Stuart Donald Padwell).
- 2000: Les quatre fleuves, un tueur astrologue et ésotériste, qui puise sa force de ses victimes, et qui se prénomme ROLAND (Roland Vinteuil). C'est une anagramme phonétique de LAURENT, forme française du prénom du tueur précédent, dont une orthographe existante est d'ailleurs LORAND, exacte anagramme alphabétique de ROLAND.
- 2002: Pars vite et reviens tard, la peste, souvent associée au vampirisme depuis le Nosferatu de Murnau. Celui qui se venge en répandant la peste se prénomme ARNAUD (Arnaud Damas Heller-Deville, se faisant appeler Damas Viguier), dont une autre forme est ARNOLD, exacte anagramme de ROLAND.
- 2004: Sous les vents de Neptune, un mort-vivant, qui tue bien qu'il soit déjà enterré depuis 16 ans, qui étripe ses victimes mais qu'Adamsberg appelle plutôt improprement "empaleur", comme le Dracula historique surnommé Vlad Tepes, Vlad l'Empaleur (tiens TEPES est l'anagramme de PESTE). Le vrai nom du tueur est ROLAND Guillaumond.
- 2006: Dans les bois éternels, une autre tueuse ésotériste, engagée dans un rituel la menant à la vie éternelle. Une intrigue secondaire montre Adamsberg suspecté d'avoir torturé (et étripé) à 13 ans un garçon de 8 ans; le coupable était en fait un ROLAND (Roland Seyre, ceci dans le même village où le ROLAND précédent avait commis un étripage attribué au frère d'Adamsberg).
- 2008: Un lieu incertain, enfin, avec le vampirisme en clair. Le coupable est un descendant de ARNOLD Paole, "vampire" historique, Paul Josselin de Cressent.
Lawrence-Roland-Arnaud-Roland-Roland-Arnold, et qui ne voit pas le fil pourra demander de l'aide au coupable principal des Bois éternels, Ariane Lagarde... Parmi les 6 romans précédents, deux autres coupables peuvent s'intégrer à la série, en fait dans les deux premiers romans, James Arnold Gaylor dans Les jeux de l'amour et de la mort (1986), et Lorenzo Vitelli dans Ceux qui vont mourir te saluent (écrit en 1987).
La redondance des Roland me paraît inconsciente, justement à cause de leur proximité. A noter que les 3 Roland sont des êtres totalement négatifs, tandis que les autres coupables accomplissent des vengeances justifiables, qu'ils mènent d'ailleurs à leur terme théorique, avec une étrange similitude dans leurs palmarès effectifs malgré des conditions initiales différentes:
- Lawrence a 3 hommes à exécuter, et y parvient, mais son plan lui a fait sacrifier 2 victimes innocentes, total 5 morts;
- Arnaud a 8 personnes sur sa liste, qu'il croit avoir toutes condamnées en leur inoculant la peste, mais il ignore que ses puces sont inoffensives et que les morts sont causées par des tiers, arrêtés alors qu'il n'y a eu que 5 morts effectives;
- Le descendant d'Arnold a 5 "Plog" à éliminer, et y parvient, sans dégâts collatéraux.
Je rappelle donc que, quoi qu'il en soit des intentions de Vargas, elle n'a pas inventé le nom d'Arnold Paole, ni que le premier vlkoslak, "vampire", soit apparu à Kisilova, peu avant et non loin de cet Arnold, et je dois à la discrète et indispensable dp une remarquable info dans la veine vampiro-anagrammatique.
Je citais dans le dernier billet Carmilla (alias Marcilla et Mircalla), en tant que première histoire littéraire vampirique (1871), mais elle me signale bien antérieur, avec, cocorico!, La Guzla, de Mérimée (1827). Il s'agit en fait à l'origine d'un pastiche, attribué à un poète illyrien, réitérant un autre coup de maître du jeune Mérimée qui, en 1825, avait publié à 23 ans Théâtre de Clara Gazul, recueil de pièces d'une prétendue jeune comédienne espagnole, nièce d'un non moins prétendu officier pendu en 1813 par les Français, Gil Vargas.
On sait que Frédérique Audoin-Rouzeau a choisi le pseudo déjà utilisé par sa jumelle, la peintre Jo Vargas, emprunté au personnage d'Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus. Rien à voir donc avec cette nièce Vargas, dont le nom Gazul sera anagrammatisé par Mérimée en Guzla, pour un recueil de légendes et poésies illyriennes où les vampires sont abondamment présents.
Mérimée y recopie des passages du traité de Dom Calmet, comme la légende de Kisilova, où le nom du vampire n'est pas cité, et l'histoire d'Arnold Paul, relatée en détail, puis imagine une anecdote dont son personnage aurait été témoin, survenue dans la famille Poglonovich, nom probablement issu du vampire de Kisilova, Plogojowitz; ainsi Mérimée aurait, 180 ans avant les "Plog" de Vargas, conçu une histoire de "Pogl"...
Concernant l'anagramme vampirique, il m'est souvenu qu'une des premières "vamps" du cinoche fut Musidora, interprète de IRMA VEP dans Les VAMPIREs de Feuillade (1915).
Il est encore curieux que le début et la conclusion de Un lieu incertain concernent Londres, LONDRA en roumain, comme chacun sait langue de prédilection des vampires, autre anagramme de ARNOLD (le roman s'ouvre sur la découverte de 17 pieds coupés à la porte du cimetière de "Higegatte", déposés donc par le descendant d'Arnold).
J'en viens à mon sujet principal, Sous les vents de Neptune, que je n'avais guère aimé en 2004, en partie peut-être parce que je l'avais lu juste après Pars vite et reviens tard, si totale réussite qu'il était difficile de rester au même niveau. Je me souviens avoir pensé à l'époque à des contraintes d'écriture : ainsi la scène grotesque de la "cavale" d'Adamsberg, caché à califourchon dans le dos de Violette, après un incompréhensible passage par Detroit, ne cachait-elle pas un jeu rousselien, Cheval de Troie-Cavale Detroit ?
Libéré du souci de suivre les méandres d'une intrigue alourdie d'épisodes semblant inutiles, j'ai discerné une nette redondance de certains nombres, à savoir 4, 8 et 44, en laissant de côté le 3 du trident arme des crimes, mais précisément le modus operandi de l'assassin lui fait utiliser 4 outils pointus identiques, 3 qu'il soude aux branches de son trident, et le 4e laissé sur place entre les mains d'un suspect idéal passera pour l'arme du crime.
La police scientifique est incapable de discerner la régularité des blessures, malgré les alertes réitérées du rêveur Adamsberg, à contre-emploi dans un rôle de calibreur obsédé par une précision millimétrique...
Une liste détaillée des occurrences des nombres en cause serait fastidieuse, et je m'en tiendrai à deux passages.
Le roman débute le 4 OCTObre (ou 4-HUIT), par une série de 4 événements perturbant Adamsberg, jusqu'au moment où il en saisira le point commun:
- un journal feuilleté machinalement en discutant avec Danglard;
- 3 documents fixés côte-à-côte par des punaises rouges,;
- une serveuse au restaurant équipée d'une fourchette à 3 dents;
- un panneau annonçant une exposition de peinture au Grand-Palais, jusqu'au 17 décembre (la Saint-Lazare soit dit en passant), avec un tableau représentant Neptune.
Il consulte un vieux manuel, y voit Neptune et son trident, se couche et se réveille vers 4 heures du matin. Ses bras se mettent à trembler, rien de commun avec les quatre précédentes tornades. Il cherche de l'alcool et trouve une bouteille de genièvre à 44°, dont il avale deux verres. Il revient au bureau étudier le journal feuilleté quelques heures plus tôt, et y découvrir ce qui l'avait alerté subliminalement : la photo d'une jeune fille assassinée en Alsace et de sa triple blessure au ventre, marque du Trident, du juge Fulgence, l'abominable tueur né en 1904 qu'il a traqué inlassablement, jusqu'à sa mort en 1987, 16 ans plus tôt. Celui qu'il appelle le diable a tué 8 personnes, de 1949 en Loire-Atlantique (44) jusqu'à 1983 en Charente (16), sans jamais être inquiété, pour 4 raisons distinctes énumérées par Adamsberg.
4 photos transmises d'Alsace lui confirment que le crime est absolument identique à ceux du juge qui, s'il n'était mort, aurait actuellement 99 ans...
Intermède au Canada, dont Adamsberg revient en cavale, accusé de meurtre, couvert par le divisionnaire Brézillon qui lui a fourni de faux papiers au nom de Denis Lamproie.
Il découvre que quelqu'un qui ressemble au juge a commis 4 meurtres au trident depuis 87, dans 4 lieux où il a loué des châteaux ou manoirs sous des identités évoquant la grandeur et la clarté : Alexandre Clar, Lucien Legrand, Auguste Primat, Maxime Leclerc.
Curieusement, "lamproie" fait entendre les mots "lampe" et "roi", et c'en est exacte anagramme...
Adamsberg-Lamproie demande l'exhumation, le cercueil ne contient qu'un sac de sable...
J'indiquais dans le billet précédent que cette exhumation à Richelieu fait sens pour Fred Vargas, fille de Philippe Audoin, surréaliste spécialiste de l'étrange Maurice Fourré, auteur à la fin de sa vie de 4 romans symbolistes, dont le second, La marraine du sel, se passe à Richelieu.
Or le premier se passe dans un hôtel de la rue Delambre, et le roman précédent de Vargas tourne essentiellement autour du carrefour Edgar-Quinet-Delambre, où elle évoque une "colonne Morris" inexistante, colonne significative pour un lecteur du roman de Maurice dont l'édition originale affichait une colonne, la colonne Saint Cornille de "Tonton Coucou"...
Ma relecture de Neptune apporte une éclatante confirmation, avec la résidence précédant l'établissement du juge à Richelieu, la Tour-Maufourt (qu'on cherchera aussi vainement en Charente qu'une colonne Morris sur la place précitée), Mau-Four premières syllabes de Mau-rice et Four-ré.
Avec moins de certitude, les noms évoquant grandeur et clarté pourraient se rapporter aux deux autres prénoms de Maurice, Jules (un autre empereur) et Philibert ("très brillant").
Après l'exhumation, Adamsberg reste à l'hôtel à Richelieu, où il réfléchit sur les noms des victimes du juge:
Ventou et Soubise émergeaient, venant se ranger auprès de Wind et Autan. Quatre évocations du vent. Adamsberg (...) dressa la liste des victimes, cherchant des rapports entre leurs douze noms, mais hormis ces quatre souffles d'air il ne décelait aucun autre lien.A noter qu'Adamsberg, dans la cité "cardinale", ne pense pas aux Quatre Vents, aux Points Cardinaux, alors qu'une lecture classique du nom Adam voit dans ses 4 lettres les initiales des 4 directions en grec, Anatolê, Dusis, Arktos, Mesembria (Est, Ouest, Nord, Sud). La première phrase du récit à Richelieu décrit Adamsberg portant un bonnet arctique.
Le vent. L'Air. L'un des Quatre Eléments, avec le Feu, la Terre et l'Eau. Le juge avait pu chercher à rassembler une sorte de cosmogonie le rendant maître des quatre éléments. Le rendant dieu, comme Neptune avec son trident, ou Jupiter avec sa foudre.
Ne tirant rien d'autre des noms des victimes, Adamsberg repense au témoignage d'un médecin qui a soigné le mort-vivant en Alsace, et qui lui voyait 15 ans de moins que les 99 donnés par l'état civil,
Mais que pouvait faire un état civil au diable ?Il sort de l'hôtel et déambule dans les rues droites de Richelieu, jusqu'à un parc où se dresse une statue du cardinal.
Vingt-cinq ans en 1944 et non pas quarante. Pourquoi 1944 ? Adamsberg leva les yeux vers le visage du cardinal, comme s'il attendait de lui une réponse. Tu le sais fort bien, jeune homme, sembla lui confier l'homme en rouge. Bien entendu qu'il le savait, jeune homme.Ainsi Adamsberg a fait trois découvertes successives:
1944. Un meurtre à trois coups, en ligne droite, mais qu'il avait dû éliminer de sa moisson en raison de l'âge beaucoup trop jeune du coupable, vingt-cinq ans et non pas quarante.
- 4 vents
- 4 éléments
- 1944
qui m'évoquent évidemment aussitôt le 4/4/44, le 4 avril 1944, la date clé où Jung est entré en convalescence tandis que le docteur qui l'avait sauvé se couchait pour ne plus se relever. Jung voyait cette mort correspondre symboliquement au foudroiement par Jupiter d'Esculape, coupable d'avoir outrepassé ses fonctions de guérisseur en ramenant des hommes ayant franchi les portes de la mort, et le trident du juge est à maintes reprises assimilé à la foudre de Jupiter, comme dans la citation ci-dessus et l'illustration ci-contre...
Je n'imagine pas Vargas avoir eu Jung en tête, le 4/4/44 représentant une répétition de 4 en parfaite cohérence avec la logique de son récit, et ce ne serait qu'un hasard minime s'il ne venait s'y greffer une coïncidence de la plus extrême précision. Le juge est donc en fait Roland Guillaumond, qui a étripé sa mère le 12 mars 1944, âgé de 25 ans, au moment même où Jung était entre la vie et la mort. C'est la seule date donnée sous cette forme, avec celle du décès officiel du juge, le 19 novembre 1987.
Le juge était plus jeune (jung) qu'il n'y paraissait, et, sans autre précision, il aurait été maximalement jeune s'il avait eu exactement 25 ans ce 12 mars 44, s'il était donc né le 12 mars 1919, or du 12 mars 1919 au 19 novembre 1987, il y a exactement autant de jours (25088 jours pleins, ou 4 fois 6272), que du 26 juillet 1875, naissance de Jung, au 4/4/44, l'une des seules dates données dans Ma Vie..., celle de son retour parmi les vivants 6272 jours avant sa mort effective.
Soit 17 ans et quelque, et le juge réapparaît 16 ans après sa mort présumée, encore en parfaite santé. Comme il échappe aux flics à la fin du roman, on peut supposer qu'il vivra aisément jusqu'au 20 janvier 2005, 6272 jours après sa fausse mort du 19/11/87.
Il achèvera de toute manière en mourant son entreprise, réunir une main gagnante au jeu de Mah-Jong, soit 14 honneurs répartis en 4 brelans et 1 paire. Carrément le Mah-JONG, dont une autre graphie est d'ailleurs Mah-JUNG, et jong signifie "jeune" en néerlandais...
Et puis cette main gagnante qui est une quintessence, 4+1 combinaisons... Je me prête volontiers au jeu, avec cette tentative de reconstitution du schéma symbolique de l'entreprise, en remplissant quelques blancs laissés par Vargas:
- 12 mars 1919 : Marie Guillaumond accouche de Roland, épreuve si terrible qu'elle refusera ensuite son corps à son mari Gérard, dont elle pourrira la vie par tous les moyens possibles, notamment en le déclarant chaque soir incapable de réussir une "main d'honneurs", lors de la partie obligatoire de Mah-Jong.
- 12 mars 1944 : après la mort de son père Gérard, Roland embroche Marie avec le trident paternel. Ce sera la première tuile de sa main d'honneurs, un Dragon vierge.
- de 1949 à 1983 : sous l'identité du juge Fulgence, constitution de 4 paires d'honneurs, Dragons rouges, Dragons verts, Vents du nord, Vents du sud, par l'étripage de victimes aux noms adéquats, avec le trident légèrement modifié.
- 19 novembre 1987 : mort du juge Fulgence, non pour échapper à la traque dérisoire d'Adamsberg, mais pour des raisons symboliques profondes.
- de 1993 à 2003 : 4 crimes sous de nouvelles identités, complétant les paires précédentes en brelans (kung).
- 20 janvier 2005 : ultime achèvement, Roland Guillaumond s'éloigne en canot du Mas Jung (nom de la propriété de Jose Maria Sert, tel qu'orthographié dans La vie secrète de Salvador Dali), loué sous sa véritable identité, saborde le canot au large, et s'immole avec le trident originel du Père Gérard, constituant avec sa Mère Marie la paire de Dragons vierges complétant la main gagnante MA JUNG (car le JUGE, bien entendu, était resté puceau). Ce dragon est encore le basilic, qui se foudroie en tournant son regard meurtrier vers lui-même, le basilic également présent chez Fourré, où Basilic Affre tue son double le baron Tête-de-Nègre, figure du Diable...
Et Fourré dans tout ça, justement ? Je rappelle que je me suis intéressé à Four-ré à cause de son nom, lu 4-d, soit 4-4, et de ses 4 romans. Or ces romans ont été écrits dans la cinquième partie d'une vie (1876-1959) chevauchant étroitement celle de Jung (1875-1961).
Ceci m'a conduit à calculer la durée de vie de Fourré, né le 27/06/1876, mort le 17/06/1959, soit exactement 30303 jours pleins, nombre étrangement symétrique, immédiat écho au trident du juge vargasien...
Les 4/5es de la vie de Fourré seraient tombés le 12 novembre 42. S'il est difficile de relier cette date à un événement précis de sa vie assez peu documentée, je remarque que ce jour sont sortis deux films aux noms voisins, Frédérica de Jean Boyer et Patricia de Paul Mesnier; ce dernier est l'histoire d'une jeune fille élevée avec 4 orphelins adoptés par sa tante...
Fourré se proclamait Nantais de coeur, et le juge Fulgence débutera sa carrière fulgurante dans ce département 44, où il rendra la justice de 49 à 59, et étripera trois personnes.
Fourré était déjà nettement présent dans les romans de Vargas précédant son évolution "ésotérique". C'est ainsi que dans Un petit peu plus loin sur la droite (1996), on présente à Louis le jeune Gaël, contemplatif irréfutable (page 169), qu'il se remémore ensuite en rêveur définitif (page 210), claire allusion au livre consacré par Audoin père à Fourré.
Dans Sans feu ni lieu qui a suivi en 1997, un tueur s'inspire du sonnet de Nerval El Desdichado pour tuer des femmes square d'Aquitaine (Le Prince d'Aquitaine), rue de la Tour-des-Dames (à la tour abolie), et rue de l'Etoile (Ma seule étoile est morte).
Les enquêteurs amateurs (Louis et les 3 évangélistes) ayant compris le truc tentent de deviner le lieu du 4e crime, sachant qu'il vient ensuite dans le sonnet le soleil noir..., qui est aussi l'éditeur du livre d'Audoin père. Ils imaginent 3 rues possibles, mais le meurtrier en a choisi une 4e, où il sera néanmoins appréhendé, saint Marc ayant deviné qu'il s'agit de Paul Merlin, or un fourréphile notoire est Claude Merlin, auteur et metteur en scène d'une adaptation de La nuit du Rose-Hôtel. Sans raison évidente, sinon qu'il y a des prostituées et donc des Eros-hôtels dans la rue Delambre (du Rose-Hôtel fourréen), le roman de Vargas commence et s'achève dans cette rue par des dialogues entre deux horizontales.
Si la plupart des allusions à Fourré semblent anecdotiques, l'énigme du Soleil Noir est ici au coeur de l'intrigue, et elle est triplement associée à des quaternités jungiennes 3+1 (les enquêteurs, le 4e crime, ses 4 localisations).
Voilà. Je suis désolé du côté hétéroclite de ce billet, dont l'écriture a été perturbée par la découverte des possibilités jungiennes de la date du 19/11/87, ce qui a bouleversé un vague plan prévu au départ, et rejeté au prochain billet d'autres approfondissements sur l'oeuvre de Vargas.
Je suis le premier ébahi du retour du 4/4/44 sous ses diverses formes, mais néanmoins conduit à constater une certaine logique dans l'irrationnel, en parfaite continuité par exemple avec la dernière enquête d'Adamsberg à la latitude 44°44'.
Je rappelle que ma découverte du schéma du 4/4/44 aux 4/5es de la vie de Jung m'est venue plutôt bizarrement, imprimée dans ma tête au réveil le 8 septembre dernier. Pas complètement gratuitement toutefois, puisque j'étais alors occupé par les points communs entre Des jours et des nuits, roman explicitement jungien de Gilbert Sinoué, et les polars "minoens" de Paul Halter. Or il y a des crimes au trident dans l'un d'eux, Le géant de pierre, ce qui est peu banal.
Mieux, Paul Halter habite Haguenau, et c'est dans un Schloss à côté de Haguenau que le Trident s'est établi sous le nom de Maxime Leclerc, pour commettre le dernier meurtre de son programme, à Schiltigheim, celui qui relance Adamsberg sur l'affaire.
Il y a deux crimes au trident dans Le géant de pierre, celui de Maleus dans l'Antiquité (latin malleus, "marteau", voir le Marteau de Thor, avec lequel il projetait la foudre), et celui contemporain d'un gars connu par son seul prénom, Guy, évoquant facilement L'Eclair ! Bertin, propriétaire du Viking au carrefour Quinet-Delambre dans Pars vite et reviens tard, a nommé son troquet selon l'étymologie du nom Toutin de sa mère (page 46), Tor-stein, "pierre ou marteau de Thor", ce qui sera rappelé dans Dans les bois éternels (page 51).
Les crimes du juge amènent un autre curieux écho. Roland Guillaumond, 25 ans, a donc étripé sa mère le 12 mars 1944, en revenant de l'enterrement de son père Gérard, lui attribuant la responsabilité directe ou indirecte de sa mort, à Collery (localité imaginaire) en Sologne.
Ces parents assassinés d'un amateur de demeures seigneuriales, pendant la dernière guerre, m'évoquent la tuerie du château d'Escoire (Dordogne), en 1941, où un certain Henri Girard, 24 ans, fut accusé d'avoir tué son père, sa tante et une domestique à coups de serpe. Acquitté contre toute attente, il est devenu ensuite un écrivain célèbre sous le nom de Georges ARNAUD (voir plus haut les Arnaud-Arnold-Roland, et le Roland des Quatre fleuves tue ses victimes à coups de serpe; par ailleurs la 4e localisation du juge est en Dordogne, où il a tué un certain Daniel Mestre en 1977).
Ayant donné un titre au billet précédent dérivé de celui du premier roman de Maurice Bedel, Jérôme 60° latitude nord, il m'a semblé s'imposer d'utiliser pour celui-ci le second titre de l'auteur, Molinoff Indre-et-Loire. Il s'agit du département 37, or, à cause des âges clés de 37 et 60 ans d'Ariane dans Dans les bois éternels, j'ai été conduit à intégrer le peu que j'avais à dire alors sur Vargas à une page essentiellement consacrée à 37e parallèle, polar de Colette Lovinger-Richard à la structure calquée sur celle des Enfants du capitaine Grant. L'astuce essentielle du roman de Verne est la découverte d'un message en grande partie effacé, dont plusieurs reconstitutions vont être proposées tour à tour, or on retrouve le même procédé dans Neptune, avec un intérêt narratif plutôt faiblard.
Je remercie les membres de l'AAMF (Association des Amis de Maurice Fourré), notamment Béatrice Dünner (qui a repéré le rêveur définitif dans Un peu plus loin sur la droite), et Bruno Duval, qui m'a appris qui était le père de Fred Vargas.
Cette page convertit les dates grégoriennes en jours juliens astronomiques, et réciproquement, permettant de vérifier aisément les calculs vus plus haut.
Note du 6/4 : Je viens d'être informé de cette curiosité sur YouTube, Nerval récitant lui-même son Desdichado:
J'ai aussi pensé depuis que le "Soleil noir" pouvait avoir été à nouveau évoqué par Fred dans le roman suivant Sans feu ni lieu, avec le personnage du noir Sol dans L'homme à l'envers.
1 commentaire:
Formidable ton billet. J'ai lu chaque lignes écrites par Fred Vargas et je partage ton intérêt. Le dernier, pour qui avait quelques connaissances de l'ésotérisme était d'une richesse, d'une culture, de possibilités de lectures à plusieurs niveaux, tout à fait extraordinaires. Amitiés fidèles.
Enregistrer un commentaire