14.12.21

c'est dû, trois cent vingt-sept !

 
  J'annonçais au début du billet 321 que je comptais consacrer les billets 321 à 328 aux phrases 321 à 328 de la Préface de Ricardou (Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan, in Révolutions minuscules, 1988). C'était une manière de me forcer à élucider ce qui me demeurait obscur dans ces phrases, mais ça n'a guère fonctionné, et d'autres choses se sont présentées pour les billets 322 à 326.
  Il y a pourtant du neuf sur la phrase 327, que voici:

      Du coup, puisque de cette manière, ni Réimpressions minuscules, ni, à plus forte raison, La cathédrale de cendres, loin de quérir les éventuelles rigueurs de son abstruse plume, jamais ne furent composés par ses soins, et puisqu'ainsi nulle préface, à l'évidence, excessive ou bien non, ne fut sollicitée auprès de moi pour figurer dans le vide intervalle séparant tels volumes, je lui pardonne ma cédille (qui donc vous parle d’un accent ?), sous ma seconde lèvre, aucunement au centre, à la troisième lettre (qui donc a garanti que le cœur était ?), lors de la déchirure, à moins que je confonde, voilà-t-il pas, selon l'ultime habile tour de sa modestie somptueuse, que le deus ex machina, dont l'avis décisif, un dimanche matin, en les Arènes de Lutèce, eût mérité pourtant, de la part des lecteurs évités dans la suite des siècles, une très haute gratitude, m'avait en même temps retiré la meilleure chance de concourir, si peu fût-il, voyez mes pages blanches, à son insigne gloire, en disposant pour l'avenir le plus exact compte-rendu.

   L'avis décisif, c'est celui de Paulhan, donné dans la phrase 325 (voir ici), selon lequel le projet d'écriture de Ricardou était trop compliqué pour que quiconque, y compris lui-même, puisse jamais le comprendre intégralement.
  La phrase a 183 mots, que j'ai donnés ici selon leur correspondance symétricologique.

  Le mot central est "coeur", (92) coeur (92) aurait écrit Ricardou s'il avait donné la phrase avec ses mots numérotés. Ce n'est pas seulement un synonyme de "centre", mais aussi une allusion au nom alternatif de l'auteur, Ricoeur (la Préface est signée de sa prétendue soeur, Noëlle Riçoeur). Je crois avoir établi que la phrase suivante, la dernière, était construite pour faire figurer au centre "j'en", pour "Jean".
  La base de la symétricologie est un écho entre le début et la fin de la phrase. Ici l'écho est la syllabe "du" ("Du coup" et "compte-rendu."). Le degré suivant est un écho avec le centre de la phrase, et il y a une finesse ici avec "qui donc a garanti que le cœur était ?". Le coeur ici n'est pas "dû", mais "coeur".
  Je l'ai déjà souligné, mais j'ai compris depuis qu'il y a davantage. L'une des 6 phrases donnée précédemment avec ses mots numérotés, page 87, débute également par "Du coup":
(1) Du (2) coup, (3) l' (4) envoi (5) de (6) cet (7) objet (8) à (9) partir (10) de (11) tel (12) centre (13) exige (14) du (14) tireur (13), qui (12) hélas (11) quelquefois (10) n' (9) en (8) a (7) cure (6), un (5) luxe (4) de (3) soins (2) assidus (1).

   Ricardou la présente d'abord comme sans intérêt, se limitant à la manie d'avoir la syllabe "du" aux deux extrémités et au centre, alors que le mot "centre" n'y est nullement au centre.
  Après diverses digressions, Ricardou commente ainsi les positions 12 et 14 des mots "centre" et "du":
         Restait-il à interpréter, du surcroît, tel jeu circonstancié du "(12)" et du "(14)", comme une transparente allusion au sonnet (lequel, nul ne l'ignore, c'est le meilleur enseignement parmi tous ceux de l'excellente Sorbonne, vient réunir quatorze vers formés chacun de douze sons), ou, pourquoi non, le vocable méridien comme un cryptique message spécifiant simplement que la place du mot "centre", en le milieu de toutes phrases (quitte à faire advenir, à point nommé, enfin utile, la précédente marque circonflexe), n'est pas pour la lectrice un dû, ou bien encore, ne valait-il pas mieux, je vous le demande, se plaire à hésiter, selon d'interminables minutieux labyrinthes, dans l'espace entr'ouvert par cette double conjecture ?

   Je vais laisser de côté la référence au sonnet, laquelle invite probablement à se reporter à L'art du X, texte fortement codé auquel j'ai consacré plusieurs billets.
  Le mot "dû" de la phrase 327 est souligné par son écriture en romain, et l'autre message de la phrase commentée serait donc que sa syllabe "du" signifie que la place du mot "centre" au milieu d'une phrase n'est pas un .
  Du coup, il est plutôt évident qu'il y a une résonance voulue entre "coeur était dû" de la phrase 327, avec "coeur" milieu de la phrase, et "centre exige du" de la phrase 23, page 15, reprise numérotée page 87, avec "du" milieu de la phrase.
  Il y a encore quelque peu davantage, car, avant cette reprise page 87, Ricardou a donné page 86 une autre phrase numérotée, à l'origine la phrase 12, page 13, en déplorant son manque de correspondances, en dehors des syllabes initiale "Nier", et finale "Fanny.". Il explique page 93 que plusieurs correspondances sont présentes, à condition de considérer à part les expressions entre parenthèses.
  Or il y a deux expressions entre parenthèses dans la dernière phrase donnée in extenso, exprimant que le mot "centre" au milieu d'une phrase n'est pas un , et sans les parenthèses de 26 et 13 mots, il reste 81 mots dont le mot central est "milieu", au rang 41 qui n'est peut-être pas par hasard le renversement de 14.

  La première phrase reprise numérotée est la phrase 197, dont la première forme est page 59:
Certes, et sauf, bien entendu, à se trouver hélas démuni du minutieux concept d'expertise scalaire, a-t-il poursuivi dans son insupportable jargon méridional, il y a, selon la très secrète coutume, deux symétriques façons, ce désir, pour réussir, décisivement avec l'une peut-être, à enfin l'exaucer.

   La phrase est reprise page 67, avec quelques menues variations ("hélas" devant "se trouver", et "exhausser" au lieu de "exaucer"), et certaines syllabes en romain: "muni du minutieux" et "désir, pour réussir, décisivement".
  Ricardou commente de façon peu claire les anagrammes "muni-minu" et "désir-sir dé", en lesquelles il faut peut-être déchiffrer "dire minus", "ce minus" étant la formule explicite remplaçant l'implicite "ce con", désignant le pauvre professeur Jean-Pierre Richard, auteur d'une phrase débutant par "Combien" et finissant par "Lutèce.", relevée acrimonieusement par Ricardou (voir ici).
  Ensuite est donnée la phrase numérotée, page 68:
(1) Certes, (2) et (3) sauf, (4) bien (5) entendu, (6) à (7) hélas (8) se (9) trouver (10) démuni du (12) minutieux (13) concept (14) d' (15) expertise (16) scalaire, (17) a (18) -t- (19) il (20) poursuivi (21) dans (22) son (23) insupportable (24) jargon (25) méridional (25), il (24) y (23) a (22), selon (21) la (20) très (19) secrète (18) coutume (17), deux (16) symétriques (15) façons (14), ce (13) désir (12), pour (11) réussir (10), décisivement (9) avec (8) l' (7) une (6) peut-être (5), à (4) enfin (3) l' (2) endosser (1 ).
  Viennent ensuite les commentaires sur les correspondances, "démuni du minutieux" aux mêmes rangs que "désir pour réussir", de même pour "d'expertise scalaire" et "deux symétriques façons", mais Ricardou se garde bien de souligner les mots intermédiaires, "(13) concept" et "ce (13)", autour desquels ont été forgés ces énoncés, permettant de décoder l'une des occurrences de "ce con". La contrepèterie "muni-minu" pourrait inviter à semblable opération sur les syllabes "ques çons" de "deux symétriques façons".

  Puis vient l'explication du mot "méridional", page 71:
       — Il me semble, du moins à un brin réfléchir, que le terme du centre, signalé, de part et d'autre, avec le même chiffre, "(25) méridional (25)", puisqu'à l'évidence il supporte l'idée d'un milieu divisant le jour juste, moire son site, précisément, d'un accent peu subtil...

   Là encore, il appartient au lecteur de faire ses propres dénombrements, et de découvrir ainsi que cette phrase a 49 mots, de même que la phrase commentée, et que "(25) méridional (25)" en est aussi l'exact milieu, au rang 25.
  Il faut s'attendre à quelque peu davantage, et effectivement les mots "(14) centre" et "milieu (14)" occupent des positions symétriques (et il en va de même des mots "(9) réfléchir" et "moire (9)").

  Peut-être la position 14 de ces "centre" et "milieu" est-elle à rapprocher du centre discuté de la phrase (1) Du ... (14) du (14) ... assidus (1)., elle-même ayant un rapport plus certain avec la phrase 327, (1) Du ... (92) coeur (92) ... compte-rendu (1)..
  Le mot "centre" est aussi présent dans cette phrase 327, en position 81 à partir du début, et il a pour symétrique "confonde", en position 81 à partir de la fin.
  Ceci pourrait être une autre occurrence de "ce con", valide selon les règles que se donne Ricardou, lequel par exemple fait "rimer" dans la phrase essentielle numérotée page 99 "(99) centre (99)" avec "(1) Ce" et "concordance (1).".


  J'avais donné ici cette forme plus lisible, où seuls apparaissent les nombres significatifs, soulignant que la rime "ce" apparaît aussi pour les mots à mi-chemin des extrémités et du centre, "(50) préface" et "romances (50)", ce que Ricardou s'était abstenu de mentionner dans ses commentaires, alors que c'était probablement pour lui essentiel.
  Je suis aussi admiratif de ce tour de force, et de tout le travail fourni pour arriver à ce que cette phrase figure page 99 du livre, en hommage à la parution d'une nouvelle de Ricardou dans le numéro 99 de la NRF.
  Je le suis beaucoup moins de trouver encore "ce con" dans le dernier mot de la phrase, "concordance" (lequel remplace "correspondance" dans sa première version, non numérotée, page 47). Je trouve navrant d'afficher publiquement un différend qui aurait pu rester privé, et heureusement cette diatribe semble être restée lettre morte du vivant de sa victime. J'imagine que Ricardou n'a pas manqué d'envoyer "amicalement" au professeur Richard un exemplaire de Révolutions minuscules, et que ce dernier a peut-être abandonné une éventuelle lecture après quelques paragraphes de cette prose tarabiscotée, sans déceler la "structurale injure" qui lui était adressée.

  Ce n'est heureusement qu'une des facettes de la Préface, laquelle en a de plus nobles: présentation du jeu de boules, éloge de Paulhan, historique de la symétricologie, évocations biotextuelles qui ne peuvent être comprises que par des proches...

  Il est fort possible que Ricardou n'ait pas prévu ces dernières occurrences de "ce con". Un problème d'une contrainte est qu'il ne suffit pas de l'appliquer là où on le souhaite, mais qu'il faut aussi s'assurer que son application ailleurs ne livre pas de significations intempestives.
  Il y a de toute manière des erreurs dans les deux recueils de 1988, qu'elles soient dues à l'auteur, à la dactylographe, ou à l'éditeur, malgré l'attention portée par Ricardou lors de ses multiples relectures. Certaines de ces erreurs peuvent être désastreuses, comme l'omission d'une phrase dans L'art du X.

  Les occurrences certaines de "ce con" interviennent dans le contexte de "minus", or juste avant "d'une improbable concordance", on a "la mise à nu", pouvant précisément hypographier "minus"... à moins que ce ne soit une résonance avec le "minuit" du début de la phrase, "Ce soir donc, il est bientôt minuit", et il n'est pas exclu que Ricardou ait envisagé ces deux possibilités, ou que la raison profonde de cette symétrie "mi" en position 7, non commentée, soit une incitation à aller voir ce qui se passe à mi-chemin, entre les extrémités et le centre.

  Qu'en est-il de la phrase 327? Il est assuré que le décodage symétricologique impose pour certaines phrases de mettre à part ses parenthèses, et il y a deux propositions entre parenthèses dans cette phrase, de 7 et 9 mots. Les 167 mots restants ont alors pour centre "moins", minus en latin ou anglais, et le mot "centre" n'y est alors plus symétrique de "confonde", mais de "ultime".
  Les mots "moins" et "moindre" peuvent avoir leur rôle dans des combinaisons précédentes, ce que j'ai abordé ici, et Ricardou lui-même a souligné une correspondance entre "moindre" et "moi", dans l'avant-dernière phrase numérotée.

  Bref, une certaine indécidabilité est patente, donnant raison à Jean Paulhan, dont "l'avis décisif" aurait conduit Ricardou à abandonner l'écriture, selon la virtualité avancée dans ces dernières phrases, la Préface n'étant qu'un pur exercice mental de la "soeur" de l'ex-auteur.
  Mais la Préface existe, ainsi que les autres textes des deux recueils de 1988, avec toujours de nombreux points à élucider, et je déplore que Ricardou n'en ait livré plus de clés, alors qu'il était bien placé pour savoir que les écrits vont parfois bien au-delà des intentions de leurs auteurs.
  Peut-être d'autres exégètes pourront-ils aller plus loin que moi...

  Cette analyse était plutôt sage, alors je vais terminer sur une petite fantaisie.
  J'ai mentionné à plusieurs reprises la mort de Ricardou (17 juin 1932- 23 juillet 2016) à 84 ans et 36 jours, alors que 1932 et 2016 sont des multiples de 84, alors que 24-42-48-84 sont des nombres fétiches de Ricardou (formant les numéros de téléphone de Communications), et que 2016 se factorise en 42 fois 48 comme en 24 fois 84.
  Dans les pages associées à Communications dans Le théâtre des métamorphoses,  Ricardou indique à propos de son jour de naissance
Si l'on ajoute les deux chiffres du nombre 17, on obtient une valeur de huit. Si l'on compte les lettres du mot "juin", on en découvre quatre.
  Je remarque pour ma part que le 17/6 est le 168e jour d'une année non bissextile, 168 étant le nombre de pieds d'un sonnet d'alexandrins, et que considérer le nombre correspondant à juin, 6, mène à 8-6, le nombre de vers du sonnet, deux quatrains et deux tercets.
  Quant à l'année de la mort, elle peut encore se factoriser en 12 fois 168, toujours le sonnet d'alexandrins, à la source de deux créations importantes de Ricardou, la transposition du Cygne de Mallarmé dans Improbables strip-teases, et L'art du X.
  Si la phrase
...(11) tel (12) centre (13) exige (14) du (14) tireur (13), qui (12) hélas (11)...
fait donc selon Ricardou référence au sonnet, j'observe que "(12) centre" forme avec son symétrique
"qui (12)" le mot "centrique".
  L'épithète "égocentrique" convient certes à Ricardou, et la mise en avant de son nom est probablement à nouveau à l'oeuvre dans le "coeur dû" de la phrase 327, au-delà de l'équivalence "card(i)o"-"coeur".  
  Ainsi les indices des mots "...(12) centre ... (14) du ... qui (12)... livrent encore
12 x 14 x 12 = 2016.

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