17.8.21

une intégrale transmutation


  Retour aux textes symétricologiques de Ricardou qui m'occupent depuis plus de trois ans, après consultation des tapuscrits conservés à l'IMEC.
  Cette étude m'a peu à peu conduit à envisager une formidable structure de ces textes, publiés en 1988 dans deux recueils parus simultanément, Révolutions minuscules et La cathédrale de Sens, notamment Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan, présenté comme une préface à l'ensemble des 16 textes des deux volumes, signée d'une prétendue soeur de l'écrivain donné pour disparu, Noëlle Riçoeur.
  Cette Préface, présentée en 4e de couverture comme "un inédit capital d'une centaine de pages", couvre en fait exactement 100 pages, 99 si l'on omet une page blanche au verso de l'épigraphe de la page 9, et ceci semble avoir été minutieusement calculé, car, page 100, il est souligné que la phrase symétricologique donnée page précédente, avec tous ses mots numérotés, a pour centre son 99e mot, "centre" précisément. Outre le jeu "99-cent(re)", souligné, ce nombre n'est pas gratuit, et est un hommage à Jean Paulhan qui a pour la première fois édité en 1961 une nouvelle de Ricardou dans le n° 99 de la NRF, laquelle est d'abord reparue en 1953 sous le titre Nouvelle Nouvelle Revue Française, pour se démarquer d'une dérive collaborationniste pendant l'Occupation.
  Comme "nouvelle" est de même étymologie que "neuf", cette parution dans le n° 99 de la NRF pouvait faire sens pour Ricardou. Elle a repris en 1958 son nom de Nouvelle Revue Française, mais il feint de l'ignorer.

  Cette phrase de 197 mots page 99 avec "centre" au centre avait été précédemment donnée page 47, avec quelques modifications:
  C'est moi qui ai isolé par un rectangle rouge certaines lettres qui m'étaient significatives. Elles font partie d'une imitation du logo de l'éditeur, les impressions nouvelles, détourné en les romances nouvelles, transformation du plus célèbre titre de Ricardou, son essai Le nouveau roman.
 
  L'édition originale de 1973 offrait une particularité à laquelle il est fait allusion dans la phrase.
  Le verso immédiat de la couverture donnait les signatures de quatre nouveaux romanciers, Michel Butor, Claude Ollier, Robert Pinget, et Ricardou lui-même. Peu avant la phrase de la page 47, il avançait que ce livre n'avait été qu'un prétexte pour réaliser ce qui lui importait: disposer sa signature au bas du revers de la couverture, au haut de laquelle était typographié son nom, selon une double symétrie, recto et verso, haut et bas (on pourrait y ajouter l'inversion du fond, blanc et noir).
  Par ailleurs, ce qu'il omet de préciser, cette signature est centrale parmi celles des sept romanciers étudiés, les trois autres étant exhibées en 3e de couverture, Robbe-Grillet, Sarraute, Simon. C'est à se demander si Ricardou n'aurait pas choisi ses auteurs pour pouvoir figurer par ordre alphabétique en leur exact milieu, car d'autres noms associés au genre pouvaient être proposés.
  Sa signature se limite souvent à une "empreinte d'oiseau", les initiales JR stylisées, une sorte de croix, symbole primordial qui apparaît aussi dans le détail de Mondrian en couverture, comme dans le logo de l'éditeur, avec le croisement entre "impressions" (devenu "romances") et "nouvelles".
  L'oiseau est le "porte-plume", l'écrivain.

  Lors d'une partie dominicale de pétanque aux arènes de Lutèce, Paulhan fit un score nul, ce qui lui imposa d'embrasser le "cul de Fanny", selon la coutume du jeu. Un postérieur fut dessiné sur le sol, et lorsque Paulhan se releva, Ricardou remarqua trois grains de sable sur sa lèvre supérieure, et un grain sur la lèvre inférieure, ce qui lui évoqua la triple fourche de sa signature.

  C'était donc ce qu'il fallait savoir pour comprendre la phrase cruciale de la page 47, reprise numérotée page 99, et commentée ensuite, j'y reviendrai.
  Il y a une autre autoréférence dans la nouvelle de 80 pages ouvrant l'autre recueil, Le lapsus circulaire, où certaines phrases sont symétricologiques. C'est ainsi que page 66, il est indiqué de se reporter à la page 61, dont une phrase de 75 mots est ensuite commentée.
  99 et 61 m'étaient significatifs, car ce sont les valeurs de NOUVEAU et ROMAN, selon les rangs des lettres dans l'alphabet, et il devenait essentiel de savoir si Ricardou avait calibré ce texte afin de faire apparaître sa phrase page 61, de même que pour la phrase page 99 de la Préface.

  J'ai pensé en trouver une preuve en juin dernier en constatant que la phrase de la page 66, invitant à se reporter à une phrase de la page 61, était construite sur le modèle de cette phrase, et qu'elle multipliait les syllabes "si" symétriques, notamment le début et la fin, "ainsi" et "sien", "si-si" page "six-six"...
  Davantage, ces mots peuvent s'entendre "un-six" et "six-un", or les autres phrases de ce texte explicitement données comme symétricologiques sont page 16, également nombre de nouvelles des recueils, Préface mise à part.
  Par ailleurs, un autre nouveau texte de ces recueils est la nouvelle Résipiscence, également écrite en symétricologie, et basée sur le nombre 16. Ricardou semble y avoir exploité le fait que 16, carré de 4, s'écrit SEIZE de valeur 64, carré de 8; les nombres fondamentaux que Ricardou revendique pour la construction de ses textes sont 4 et 8, nombres de lettres de ses prénom et nom.
  Les phrases les plus longues de la nouvelle sont les phrases 16 et 61, et il semble bien que Ricardou y ait calculé les rangs de ses phrases: la 16e phrase décrit les 16 vêtement d'une strip-teaseuse, la 64e phrase a "seize" en 16e position.

  Ceci a conforté la structure de la Préface que j'envisageais, à partir des nombres 61 et 99 (et 8):
- la 1ère phrase a 61 mots;
- la 61e phrase a 99 mots;
- 99 phrases plus loin, la 160e phrase est précisément celle de la page 47, celle avec la représentation spéciale "les romances nouvelles", pour "le nouveau roman";
- 160 phrases plus loin s'achèvent les commentaires sur cette 160e phrase, reprise numérotée au sein de la 314e phrase, page 99, et suivie de 6 phrases de commentaires (1+6?);
- le texte s'achève sur 8 phrases, toutes très longues, vraisemblablement parce que Ricardou souhaitait terminer son texte page 108, pour qu'il occupe 100 pages, 99 en omettant la page blanche au verso de l'épigraphe.

  Il n'y a qu'un seul tapuscrit du Lapsus circulaire à l'IMEC, offrant vraisemblablement un stade presque final du texte, avant sa mise en page définitive. Il est suffisant pour montrer que le numéro 61 de la page autotéférencée n'était pas prémédité. Il s'agissait de la page 54 de l'état antérieur du texte, un 54 barré et remplacé par 66, la phrase incriminée occupant maintenant la page 66 (ce qui aurait pu être significatif face au 99 de la Préface).
  Marc Avelot, lequel a collaboré avec Ricardou à l'édition des recueils, m'a confirmé que celui-ci avait effectivement attendu les ultimes épreuves pour donner le nombre 61 correspondant à la phrase en question. La phrase de la page 66 du livre invitant à se reporter à la page 61 était identique dans son état antérieur, où bien sûr elle ne figurait pas page 66.

  L'IMEC possède deux tapuscrits complets de la Préface. Le premier est lourdement surchargé de corrections et modifications. Il y a souvent des mots ajoutés, probablement parce que les phrases à degré élevé de symétricologie étaient écrites sur des bandes de papier (des feuilles A4 coupées en 8 bandes, satisfaisant à l'obsession de l'auteur pour les nombres 4 et 8), avec un même nombre de mots par bande, et de multiples ratures ou ajouts pour obtenir les symétries désirées. Les bandes étaient ensuite réunies par des gommettes, et le fragile ensemble était aussitôt saisi sur l'ordinateur avant qu'il ne se désagrège. La dactylo était pardonnable d'omettre des mots dans ces conditions, d'autant que ces phrases sont souvent fort tarabiscotées.

  Bref, divers cas se présentent, un mot ajouté ne signifiant pas nécessairement qu'il ne figurait pas sur le manuscrit de Ricardou, détruit. Il est cependant indubitable que la 61e phrase n'avait pas originellement 99 mots, et c'est un autre élément de mon architecture 61-99-160 qui disparaît... 
  Toutefois le nombre des phrases et leur ordre était déjà établi dans ce premier tapuscrit, et il est envisageable que ces 328 phrases mettent en oeuvre les nombres fétiches 4 et 8, 4 fois 80 plus 8, par exemple, mais je ne me hasarde plus à aucune affirmation péremptoire.

 J'avais vu aussi que la relation essentielle 61-99-160 pouvait s'écrire
ROMAN + NOUVEAU = 061 + 99 = 160,
061-99-160 offrant une remarquable symétrie, maître mot du procédé de composition.
 61-99-160 sont aussi les termes 7-8-9 d'une suite additive de type Fibonacci (1-7-8-15-23-38-61-99-160). Des témoignages attestent qu'il était vivement intéressé par la suite de Fibonacci proprement dite (1-1-2-3-5-8-13-21-34-55-89-144...), et par le Modulor, système de mesures architecturales imaginé par Le Corbusier à partir de cette suite, en demi-pouces et pouces. Aux mesures 55-89-144 en demi-pouces et pouces correspondent dans le système métrique 70-113-183 cm, et 140-226-366 cm.
   Il y a au moins un témoignage publié, Oui et non, dans la revue Sud (avril 1983), où Ricardou déclare avoir lu le livre fondamental en la matière, Le nombre d'or de Matila Ghyka (1931). Le livre est préfacé par Paul Valéry, dont Ricardou s'imagine être le fils dans Le lapsus circulaire. La Préface (de Ricardou) avance que Valéry ait utilisé la symétricologie, avec une analyse convaincante du Cimetière marin.

    Dès ma première approche de la Préface, il m'a semblé qu'elle devait se clore sur un summum, ce qui m'a conduit à la découverte d'une possibilité d'harmonie dorée dans ses deux dernières phrases,  comptant 183 et 226 mots, soit les deux derniers nombres de l'instrument Modulor du Corbusier. La symétricologie donnait en outre pour centres de ces phrases "coeur" (il est supposé se nommer Jean Ricoeur), et "j'en" (Jean). Les 226 cm du Modulor équivalent à 89 pouces, précisément la valeur du nom RICARDOU (et celle de RICOEUR).
  Je croyais avoir vu la lettre grecque phi, φ, symbole du nombre d'or, 8 mots avant la fin de la longue dernière phrase,
mais il s'agit en fait du symbole du deleatur, signifiant qu'un mot doit être supprimé.

  Si la pénultième phrase a bien 183 mots sur le premier tapuscrit, la dernière n'en a que 219: il y manque le 16e mot, "illusoires", ainsi que "désormais" et "comment vouliez-vous que je (φ),", visibles sur le scan ci-dessus.
  Ricardou a indiqué en marge d'insérer "désormais" et "comment vouliez-vous ,", ce qui fut fait dans le second tapuscrit, où il a suffi de passer de 36 à 33 lignes par page pour que le mot "(99) centre (99)" apparaisse page 99, et que le texte complet couvre 100 pages, 99 en omettant la page blanche au verso de l'épigraphe. C'est sur ce second tapuscrit qu'il a demandé de remplacer "de feuillets" par "d'illusoires feuillets", et d'insérer "que je (  )".
  A noter que, sans cette dernière insertion, les mots "j'en" figureraient au centre exact des 224 mots que compterait la phrase, et je reste persuadé que cette signature était intentionnelle, même si elle était légèrement décalée dans la forme finale, ou le centre tombe juste après "j'en" (ce qui peut être significatif selon le Modulor). La symétricologie joue aussi au niveau du paragraphe, et celui signalé plus haut, où Ricardou révèle l'importance pour lui de la présence symétrique de ses nom et prénom en couverture, est formé de trois phrases totalisant 166 mots, les mots centraux étant "j'en".
  A signaler aussi que le deleatur était initialement prévu pour être inséré page 103, dans "comment vouliez-vous que je ( ) s'il était maintenant ou midi ou minuit,"; Ricardou a indiqué en marge du premier tapuscrit qu'il inscrirait un deleatur sur le bon à tirer. Ce passage est donc demeuré tel quel dans le livre, et c'est à sa dernière page qu'est apparu le deleatur.

  A moins d'extravagantes acrobaties, il me faut désormais renoncer à ce que les 226 mots de la phrase finale aient été initialement prévus. De même il est clair que dans les deux passages ( ) le mot omis est "susse", alors que j'avais envisagé "fisse" ou "fis" pour la dernière phrase, exploitant la ressemblance du deleatur avec "phi", φ.
  Je ne renonce pas aujourd'hui à considérer mon interprétation comme séduisante, ne voyant guère comment comprendre la dernière phrase, et me demandant s'il y avait besoin de pondre les 183 mots de la précédente pour en exalter le centre, "coeur".

  Ricardou, à la suite de Valéry, assurait qu'une fois un texte publié, son auteur n'avait pas plus droit que quiconque à l'interpréter. Le Talmud allait jusqu'à contester Dieu sur certains points de sa Tora (voir ici, rubrique Le texte du jour).
   Ricardou précise sa pensée dans divers textes, comme Oui et non déjà mentionné. L'écrivain est partagé entre deux postures, celle de l'auteur "qui a quelque chose à dire", et celle du scripteur "qui s'accepte l'agent d'un quelque chose à faire dont la complexité, à mesure, s'amplifie". Ceci sera développé dans les milliers de pages de textique qu'il est hors de question d'aborder ici, ce dont je serais d'ailleurs incapable.

  Bref je constate que c'est le texte publié qui m'est intensément significatif, comme si c'était ce "quelque chose à faire" qui avait orienté le "quelque chose à dire" par des voies détournées, les tâtonnements, les hasards, sinon les erreurs, comme s'il y avait un feedback entre les deux, comme si l'effet précédait la cause. Etrangement, une phrase de la Préface l'énonce:
        Prétendre à un si radical bouleversement de la perspective, où la cause et l'effet échangent en somme leurs fonctions, c'est courir le péril, cependant, j'en conviens, que plusieurs d'entre vous, improbables, ô mes lecteurs rétifs aux révolutions même si miniatures, accusent mon abusif penchant pour les palinodies de m'avoir excité, cette fois, à pousser le bouchon un peu loin.
  Cette phrase survient dans un contexte trivial: Ricardou semble feindre d'avoir inclus Jean-Pierre Richard parmi les joueurs de boules autour de Paulhan, prétexte à une facette de cette Préface que je trouve navrante, traiter cryptiquement de "con" ce professeur de la Sorbonne. La phrase est cependant bien là, et sa seule soumission à la symétricologie semble être de mettre en relation deux opposés, "près" ("pré") et "loin" (mais c'est loin d'être la seule phrase dans ce cas).

  Depuis maintenant 36 ans que je me consacre à l'exégèse de divers textes, j'ai souvent vu la complexité évoluer jusqu'à l'improbable, sinon l'impossible. Ce cas de la symétricologie ricardolienne me semble fort proche de celui de la théorie du 11-43 de Bernard Magné, selon lequel Perec aurait jalonné son oeuvre de ces marqueurs autobiographiques évoquant la déportation de sa mère le 11 février 1943.   Ce n'est pas par hasard si, dans cette adaptation BD par William Henne de La disparition de Perek de Hervé Le Tellier, le code permettant d'ouvrir une mallette est 1143.
  Je me suis pris au jeu, et ma plus belle trouvaille concerne un des derniers textes de Perec, Noce de Kmar Bendana & Noureddine Mechri, dont les 5 strophes impaires sont composées à partir des lettres de l'épouse, incorporant à chaque étape une lettre du nom de l'époux. Alors voilà:
- les strophes totalisent en tout 594 lettres, 473 de la série KMARBEND, soit 11x43, et 121 des lettres différentes de l'époux, OUICH, soit 11x11;
- la première strophe débute par 2 vers totalisant 11 mots et 43 lettres;
- Kmar Bendana est un nom de 11 lettres débutant par la 11e lettre, K;
- la valeur des lettres KMAR (11-13-1-18) totalise 43.

  J'ai été ébahi de cette architecture, et l'ai été encore plus quelque temps plus tard lorsque j'ai eu accès aux brouillons du texte, lesquels montraient sans le moindre doute que rien de ce qui précède n'avait été prévu par Perec, ni d'autres aspects tout aussi ébouriffants.
  Ceci peut annihiler la thèse de Magné, ou du moins inviter à une autre perspective: comment une théorie établie après la mort de Perec peut-elle être si étroitement corrélée à un texte composé à la va-vite?

  Il ne peut y avoir de réponse simple à cette question, mais le parallèle avec le cas Ricardou saute aux yeux, et je connais moult exemples de ce genre, leur non-intentionnalité n'étant toutefois pas aussi immédiate (sauf pour mes textes, où la certitude m'est propre).

  Je n'ai étudié plus haut que les points où les tapuscrits contredisaient mes analyses, mais d'autres phrases essentielles pour moi étaient présentes à l'identique dès le premier tapuscrit.
  Mon schéma 160+160+8 m'avait fait avancer ici l'idée que chacune des 8 dernières phrases de la Préface offrait un codage complexe, et j'y présentais mon décodage des 256 mots de la phrase 1, en rapport avec le Modulor, déduit des 226 mots de la phrase 8. Attendu que cette phrase 8 n'avait d'abord pas 226 mots, ma déduction ne vaut plus rien, du moins dans l'optique raisonnable de l'intentionnalité, et de fait la phrase 1 n'avait pas 256 mots dans le premier tapuscrit, mais 248. Le fait que ces phrases aient été modifiées montrerait en outre qu'elles étaient au départ exemptes d'un codage complexe.
  Je n'avais pas alors vu que les phrases "décodées " à ce stade, 1-7-8, toutes associées au Modulor, correspondaient aux premiers termes de la suite additive 1-7-8-15-23-38-61-99-160..., avec la répartition vue supra 61-99-160 des 320 phrases.

  Depuis, j'ai imaginé avoir décodé deux autres de ces 8 phrases, non encore commentées, grâce à la mise à part des parenthèses qui s'est avérée féconde pour le 178e paragraphe du Lapsus circulaire. La 5e est
          Revenant donc à lui au terme de la légère sidérale hypnose que lui avait infligée, apparemment, et la pharamineuse méridionale jactance, et l'abracadabrante kyrielle des élucubrations, l'illustre directeur de revue, après avoir (ils n'y avaient que trop perduré) ôté de ses lèvres les quatre grains de sable selon un geste divinement machinal, très simple, du revers de son bras (et c'est pourquoi, bien sûr, je crains par anticipation, en vint lors à interférer certain "méchant parler d'outre-manche"), murmura avec la plus aimable des douceurs, non pas, même au neuvième degré (qui vous parle du cimetière des parenthèses au bord de l'eau ?), ce n'était guère son genre, et même si les moins scrupuleux d'entre vous eussent souhaité pouvoir en nourrir le pire de leur chuchotis, "ma chère âme, je ne suis pas tout à fait celle que vous croyez", mais tout bonnement, ayant su lire entre les lignes à demi-mots qu'il s'agissait, outre les sphères, plutôt un peu de littérature, "mon cher ami, votre jeu est trop compliqué pour que quiconque, y compris vous à plus d'un titre, et sauf le Très-Haut peut-être, avec ses machines, puisse jamais apercevoir l'intégrale transmutation que vous me paraissez avoir le dessein de faire...".
  Les parenthèses découpent cette phrase ainsi:
34 (7) 21 (20) 13 (12) 104.
  L'amateur de la suite de Fibonacci ne peut manquer de remarquer que 34-21-13 en sont les termes de rangs 9-8-7, et, s'il la connaît plus loin que le bout de ses doigts, que 987 en est le 16e terme (1-1-2-3-5-8-13-21-34-55-89-144-233-377-610-987...).
  L'une des propriétés de cette suite est qu'un terme de rang 2n peut être exprimé comme le produit du terme de rang n par la somme des deux termes adjacents, soit
F2n  =  Fn x (Fn-1 + Fn+1)
or, dans le cas de F16, ceci devient
987  =  F8 x (F7 + F9) ou en chiffres 21 x (13+34).
  C'est grâce à la phrase de Ricardou que je me suis avisé de cette curiosité concernant 7-8-9, curiosité qui n'avait peut-être jamais été remarquée par quiconque.

  7-8-9 serait aussi en adéquation avec la structure envisagée pour les 320 premières phrases de la Préface, 61-99-160, termes 7-8-9 de la suite additive débutant par 1-7-8.
  Il est remarquable que Ricardou énonce explicitement que la Préface devrait figurer entre les 9 nouvelles du premier recueil, Révolutions minuscules, et les 7 du second, La cathédrale de Sens,
           Heureusement, un brin de réconfort m'est revenu en observant que, par une ostentatoire insigne chance, le mot "(53) Nouvelles (53)" en occupait l'indubitable centre, ce qui n'est que justice, et la moindre, puisque l'actuelle préface doit virtuellement figurer en le vide milieu séparant deux brefs recueils d'histoires, sauf ignorante hache, vous le savez, Saigneur.
or je considérais que les 8 dernières phrases de la Préface devaient être considérées à part des 320 premières (correspondant aux termes 7-8-9 d'une suite additive).

  La phrase compte 211 mots en tout, et elle est à cheval sur les pages 105 et 106.
  105+106 = 211, et je rappelle qu'il est au moins acquis que Ricardou a calibré son texte pour faire apparaître le mot "(99) centre (99)" page 99.
  211 pourrait être significatif, car 2-1-1 sont les termes 3-2-1 de la suite de Fibonacci, alors que les parenthèses font apparaître au début de la phrase les termes 9-8-7. Se pourrait-il que la triade intermédiaire apparaisse, les termes 6-5-4, soit les nombres 8-5-3?
  Oui. C'est le moment de s'intéresser aux 104 mots achevant la phrase, soit 8 fois 13. Un découpage en est possible par les citations entre guillemets, 25 "14" 23 "42", pouvant se partager en 39 (25+14) et 65 (23+42), soit 3 et 5 fois 13: 3+5=8.
  En outre, la phrase est la 5e des 8 dernières phrases de la Préface: 8=5+3.

  Les 3 expressions entre parenthèses totalisent 39 mots, 3 fois 13, encore un produit de deux nombres de Fibonacci. Si le mot central des 211 mots, "l'", n'éveille rien d'immédiat, le mot central des 39 mots des parenthèses est "lors", évoquant "l'or", or une des propriétés des suites additives de type Fibonacci est que le rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or.
  "lors" est le 20e mot des parenthèses, apparaissant dans "en vint lors", qu'il serait tentant de lire "en 20 l'or"...

  Alors? Quel sens donner à cette accumulation fibonacienne? Peut-être Ricardou a-t-il réalisé "l'intégrale transmutation" envisagée par Paulhan à la fin de la phrase.
  Dans Oui et non déjà cité, Ricardou se prêtait au jeu d'imaginer comment il aurait pu utiliser la suite de Fibonacci dans La prise de Constantinople, avec des propositions qui me semblent loin d'être convaincantes, mais il est vrai qu'elles sont toutes présentées dans l'optique du "il se pourrait que"... Les premiers nombres de Fibonacci, 1-2-3-5-8, apparaîtraient vraisemblablement dans de multiples autres textes sans qu'une intention puisse en être dégagée. Selon moi, un nombre n'est "de Fibonacci" que s'il apparaît corrélé avec d'autres nombres de la suite.
  La seule proposition qui pourrait aller dans ce sens est cette citation extraite du roman, seule occurrence du nombre 13,
Des treize lettres qui forment Constellation et des quatorze qui édifient Constantinople, douze sont communes. Si l'on ajoute que les cinq premières lettres de ce quasi-anagramme ...
  On aurait donc 13 lettres de "Constellation" ainsi réparties en 5-8, mais ce n'est pas explicitement souligné, et Ricardou a omis peut-être mieux. Il signale que le chroniqueur officiel de la prise de Constantinople est Villehardouin, lequel partage 5 lettres consécutives en commun avec Ricardou, ce qu'il avait déjà remarqué dans Naissance d'une fiction (1971), où il n'était aucunement question de Fibonacci.
  Il aurait pu être souligné que les noms des deux chroniqueurs ont 13 et 8 lettres, partagées selon ce critère en 8-5 et 5-3.
   Davantage, ces lettres "ardou" donnent l'anagramme "Au (symbole atomique) d'or".

  Hélas, le dernier "argument" de Oui et non, celui qui devrait être le plus convaincant, me semble consternant, comme si Ricardou faisait peu de cas de l'intelligence de ses lecteurs:


  Il m'étonnerait fort que Ricardou ait pensé à ceci en citant "Pise" et "1203" dans La prise de Constantinople, dont une parfaite anagramme est "Léonard le petit Pisan, cons!"

  Rien à voir avec les nombres de Fibonacci 34-21-13 égrenés successivement dans une phrase d'un texte dont les mots sont explicitement comptés.
  Il manquait un mot de cette phrase sur le premier tapuscrit ("divinement"), mais comme déjà dit on ne peut en inférer qu'il manquait sur le manuscrit original.
  Il semble y avoir une coquille dans l'extrait de Oui et non donné ci-dessus, car le titre du livre de Fibonacci n'est pas Liber Aba, mais Liber abaci. Tiens, aux lettres a-b-a correspondent les rangs 1-2-1, 1-1-2 étant les trois premiers termes de la fameuse suite, ceux-là mêmes que j'ai associés aux 211 mots de la phrase 34-21-13.


   J'en viens à plus raisonnable. La consultation des tapuscrits et épreuves m'a fait comprendre à quel point il avait été difficile à Ricardou d'obtenir ce qu'il voulait pour l'insertion de "les romances nouvelles" sous la forme du logo de l'éditeur. Non seulement il devait être réalisé de façon très précise, mais il fallait aussi l'insérer dans la phrase, comme vu plus haut dans la première présentation de cette phrase numéro 160, page 47.
  Pourquoi cette forme, pourquoi cette insertion? Il me semble pouvoir apporter une réponse, en présentant la seconde forme de cette phrase, donnée pages 98-99-100, introduite par les 22 mots de la phrase 314. La forme totalement numérotée étant peu lisible, j'ai choisi de ne numéroter que les mots ensuite commentés, avec des flèches pointant vers les mots numérotés:


  Les 6 phrases suivantes commentent les symétries:
- "centre", 99e mot, page 99, reprenant la syllabe "ce" des premier et dernier mots, "Ce" et "concordance";
- "triple fourche" et "auguste bouche", aux rangs 90-91;
- "prénom" et "émergence" (Jean) aux rangs 28;
- "les romances nouvelles" et "telle préface sempiternelle" aux rangs 49-50-51;
- les ouvertures et fermetures des parenthèses, aux rangs 58 et 79, formant "écriture, jeu avec lecture";
- enfin "auteur révolu" fait face aux "nouveaux imprimeurs", rangs 24-25.

 Il m'est apparu que la disposition choisie permet d'isoler le rang (50) de "romances", et que ce numéro est à gauche du mot, alors que dans la seconde moitié du texte les numéros sont à droite des mots correspondants.
  Bref je me suis avisé que (50) est à mi-chemin entre (1) et (99), et que les mots d'ordre (50), "préface" et "romances" comportent aussi la syllabe "ce" de ces mots de rangs (1) et (99), "Ce", "centre", et "concordance".
  Ceci pourrait expliquer pas mal de choses, pourquoi "roman" est devenu "romance", pourquoi ce texte est une "préface", alors qu'il est nettement plus long que l'ensemble des neuf nouvelles de Révolutions minuscules, pourquoi il est insisté sur la présence de "cent" dans "centre", au centre donc de deux (50).

  Note du 26/10/2023: je m'avise aujourd'hui que les mots "romances (50) nouvelles (49)", se croisant en cette page 99, cas unique, ont pour somme de leurs indices 99, ce qui est encore bien venu, intentionnel ou non (mais j'imagine que Ricardou ignorait que NOUVEAU=99). 
  Ailleurs, page 52, dans la phrase qui a pour centre "Nouvelles impressions d'Afrique", Ricardou affiche la tranquille certitude que l'adjectif "nouvelle" convient à ce qui fait "neuf".

  La première forme de la phrase, page 47, donnée plus haut, avait 200 mots, avec au centre "(100) juste centre (100)". Comme les mots ajoutés l'ont été non loin du centre, les mots "(50) préface" et "romances (50)" en sont équidistants, et il peut y avoir un autre niveau, avec aux rangs 25 "(25) imprimeurs" et "auteur (25)". Je rappelle que "romances" remplace "impressions" du nom de l'éditeur.
   Lors de la fondation en 1985 de la maison, dont le but premier avait été d'éditer l'oeuvre textique de Ricardou, c'est Marc Avelot qui avait eu l'idée de ce nom, et Patrice Hamel qui avait élaboré le logo. Je ne sais s'il pensait au dernier mot de la phrase essentielle de Ricardou en concevant cette symétrie du mot "concordance":


  Alors que certains mots, comme "conscience", sont utilisés ailleurs dans la Préface pour former "ce con", la "pire structurale injure" adressée au professeur Richard, le mot "concordance" offre, au milieu des syllabes "ce con", "cordan", or Ricardou adapte quelques mots précédemment le logo en transformant le "n" de "romance" en le "u" de "nouvelle", ainsi "cordan" est la quasi-anagramme de "cardou", dans ce texte où Ricardou est supposé se nommer Ricoeur, et où "coeur" est sa signature codée au centre de la pénultième phrase...
  Inadvertance ou auto-dérision?
Note du 3/9: Il m'est venu que "ce con", issu par symétricologie d'une phrase de JP Richard, utilise aussi la syllabe "ce", d'où peut-être une autre dimension à ce jeu.

  Entre les jalons (1)-(50)-(99)-(50)-(1), aux 5 syllabes "ce", il y a chaque fois 48 mots, une des formes des nombres fétiches de Ricardou, 4 et 8. Je rappelle qu'il avait demandé à son ami Denis Roche de lui réserver le numéro 48 de la collection Fiction & Cie.
  4 fois 48 mots dans une phrase qui m'a semblé associée à la structure des 328 phrases de la Préface, vues comme 320+8, ou 4 fois 80 plus 8.

  Avant mon passage à l'IMEC je pensais avoir décodé une autre de ces 8 dernières phrases, et le jeu "Ce"-"préface"-"centre"-"romances"-"concordance" découvert ensuite me semble aller dans le même sens.
  Il s'agit de l'antépénultième phrase, en 187 mots:
           C'est pourquoi, immensément carbonisé, sur le champ, en ses pourpres tréfonds combustibles, par tel suave vigoureux verdict sans appel, mon improbable client (qui vous parle, vous, les blancs, de vous introduire dans son histoire ?), et si l'on excepte, je dois en convenir, publié dans le numéro quatre vingt dix neuf (c'était, si du moins j'ai bien lu, page sans, la seule structurale issue, évidemment, pour l'y soustraire), dans le numéro quatre vingt dix neuf (une acrobatie, m'avait-il confié l'ultime soir, singulièrement osé, il y perdit son être, de ses expériences obscures) de La Nouvelle Nouvelle Révolution Française (il la nommait alors, que n'a-t-il murmuré, "la nounou des rêves”), en guise de testament, tout littéraire, un minime récit, L'encensement d'un toilier, ou quelque chose de ce genre, et qui évoquait (c'est la moindre des politesses) une pétanque au bord de l'eau, mon improbable client (qui vous parle, bande de blancs, malgré mes balbutiements, de l'introduire dans vos histoires ?) avait d'emblée, s'agissant de l'Art des Lettres, purement et définitivement renoncé.
  Les parenthèses divisent la phrase ainsi:
23 (12) 17 (20) 7 (20) 6 (14) 23 (6) 10 (15) 14,
et ôter les propositions entre parenthèses mène à exactement 100 mots, dont le centre tombe entre les deux "Nouvelle":
           C'est pourquoi, immensément carbonisé, sur le champ, en ses pourpres tréfonds combustibles, par tel suave vigoureux verdict sans appel, mon improbable client, et si l'on excepte, je dois en convenir, publié dans le numéro quatre vingt dix neuf, dans le numéro quatre vingt dix neuf de La (50) Nouvelle Nouvelle (50) Révolution Française, en guise de testament, tout littéraire, un minime récit, L'encensement d'un toilier, ou quelque chose de ce genre, et qui évoquait une pétanque au bord de l'eau, mon improbable client avait d'emblée, s'agissant de l'Art des Lettres, purement et définitivement renoncé.
  Le "verdict vigoureux" dont il est question, c'est celui de Paulhan à la fin de la phrase précédente, dont la saturation en nombres de Fibonacci a été étudiée plus haut, verdict qui aurait donc conduit le jeune auteur à ne publier qu'un texte, la nouvelle Lancement d'un voilier dans le n° 99 de la NRF.
  La phrase suivante conduit Noëlle Riçoeur à constater que, puisque son frère n'a écrit ni Révolutions minuscules ni La cathédrale de Sens, une préface n'a plus lieu d'être, et la dernière phrase laisse entendre que ses illusoires feuillets n'auront plus d'existence que dans son esprit.

  La Nouvelle Nouvelle Révolution Française, c'est plutôt pour le n° 99 de mars 1961 La Nouvelle Revue Française, car Ricardou sait bien que le doublement de "Nouvelle" a été aboli en 1958, et sans doute imagine-t-il que ses lecteurs le savent aussi. Rétablir le titre réel conduit donc à 99 mots, avec pour centre au rang 50 le mot "nouvelle".
  Est-ce un hasard si la syllabe initiale comme finale est encore "ce" ("C'est" et "renon")? Il serait plus rigoureux de parler des lettres "ce", mais le jeu symétricologique semble souvent faire fi de cette distinction.
  Bref, il ne semble pas fortuit que les jeux cachés révèlent aux rangs 50 parmi 99 les mots "préface", "romance", "nouvelle", donnant à comprendre que cette Préface pourrait être le "nouveau roman" de Ricardou, sinon un "nouveau nouveau roman" (l'expression a été employée).

  La symétrie pourrait aller plus loin, avec le centre de la phrase, "de La Nouvelle (Nouvelle) Révolution Française", en 6 (ou 5) mots, et de chaque côté trois groupes totalisant 47 mots, et trois groupes entre parenthèses, soit 6 groupes de part et d'autre.
  Ressort-il encore de la contingence si les deux groupes de 6 mots autour des 6 mots du centre, "le numéro quatre vingt dix neuf " (ainsi écrit sans tirets, pour imposer probablement le décompte désiré) et "en guise de testament, tout littéraire", rappellent, par la structure 6-4-2 et quelques mots communs, la structure 2-4-6 du titre, Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan. La révolution n'aurait-elle pas transformé le 99 de l'ancien "testament" (en 9 lettres) en ce 66 de la nouvelle "oeuvre" (en 6 lettres)?

  Si la Révolution Française, c'est (17)89, la Nouvelle Révolution pourrait être (19)68, or 68 c'est 89 après un demi-tour. 1968 est aussi la date de la mort de Paulhan (le 9 octobre).


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