Les coïncidences Planète m'avaient amené à quelques recherches sur Jacques Bergier, et à découvrir ainsi qu'il avait servi de modèle à un personnage de Hergé, Mik Ezdanitoff dans Vol 714 pour Sydney.
J'ai lu avec passion tous les albums de Hergé parus jusqu'à la fin de mon adolescence, et les ai souvent relus ensuite, mais je connais très mal les deux derniers albums, Vol 714 pour Sydney (1968) et Tintin et les Picaros (1976).
Sans doute témoignent-ils de la grave crise créatrice de Hergé après les immenses réussites des précédents albums, toujours est-il que je les ai alors relus, sans enthousiasme.
Une petite chose tout de même : la rivalité au San Theodoros entre Alcazar et Tapioca, s'échangeant le pouvoir au fil des révolutions et contre-révolutions, n'offrait-elle pas un écho (synchronistique) à l'échange entre Carl Jung et Theodor Haemmerli ?
Je n'ai pas alors jugé que cela valait d'être développé, et puis j'ai récemment (14 juin) feuilleté Hergé et l’énigme du Pôle, thèse hardie où Paul-Georges Sansonetti prétend décrypter le parcours initiatique de Tintin, notamment par la gématrie.
J'ai du mal à prendre cette tentative au sérieux, à moins d'admettre comme je le fais depuis longtemps que les relations gématriques sont le plus souvent synchronistiques, échappant aux intentions des auteurs.
Toujours est-il que je survolais cette analyse assez négligemment jusqu'à ce que je tombe sur l'interprétation gématrique du drapeau du San Theodoros. Sansonetti y voit un symbole du Soi (terme jungien) et relève
CERCLE ROUGE = 46+66 = 112
NOIR = 56, moitié de 112
J'ai plusieurs raisons de réagir, d'abord parce que 112x56 a constitué ma première illumination en gématrie moderne, avec la découverte il y a bientôt 15 ans que les 112 mots du sonnet de Perec Vocalisations avaient pour valeur 6272 = 112x56. Ceci devait rebondir lorsque je découvris que la vie de Jung se répartissait selon un motif 4-1 autour du 4/4/44, et que la durée unitaire de ce motif était 6272 jours (voir notamment ici).
J'y reviendrai, mais l'apparition de la gématrie de CERCLE ROUGE est aussi pour moi ébahissante, car j'ai publié il y a quelques années Une étude en cercle rouge, en ligne ici, à propos d'une incroyable série de coïncidences entre les oeuvres de Leblanc et Doyle. Au plus bref :
- En mars et avril 1911, le Strand publie une aventure inédite de Sherlock Holmes, The Red Circle (Le Cercle rouge), dont un élément important est le décodage d'un message lumineux par l'équivalence ordinale des lettres dans l'alphabet, à la base de la gématrie (à noter ce générique de l'adaptation TV, où le cercle rouge chevauche des bandes claire et sombre pouvant rappeler le drapeau du San Theodoros).
- En ces mêmes mois de mars-avril 1911, Je Sais Tout annonce et publie la nouvelle inédite Les Jeux du soleil, où Lupin décode un message lumineux basé sur le même code alphabétique.
- Le Cercle rouge de Doyle n'a été publié en recueil qu'en 1917, année où Leblanc s'est livré à un jeu unique dans sa carrière, une novélisation, celle du film américain The Red Circle (1915), sans rapport avec la nouvelle de Doyle, devenu en France sans surprise Le Cercle rouge. Si on ne sait pas grand-chose du film original, perdu, l'adaptation débute par le décodage d'un message lumineux, toujours selon le même code alphabétique...
Ces trois occurrences du même code sont à ma connaissance les seules dans les oeuvres de Doyle et Leblanc. Se reporter à mon étude pour plus de détails. J'y donnais aussi la citation en exergue du CERCLE ROUGE de Melville (sans rapport avec ni Doyle ni Leblanc), attribuée à Krishna (soit NOIR en sanscrit) :
Quand des hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.Cercle, rouge, noir sont trois mots présents dans le sonnet Voyelles de Rimbaud, devenu Vocalisations chez Perec (où les cercles sont devenus des ronds, et le rouge du roux). Les cercles divins étaient associés par Rimbaud au U vert, couleur complémentaire du rouge également présente dans le drapeau du San Theodoros. Ce drapeau est apparu pour la première fois le 2 avril 1936 dans le feuilleton L'oreille cassée (en noir et blanc avant l'album couleurs en 1943), quelques semaines après la naissance de Perec le 7 mars.
Incidemment, Georges Remi (Hergé) est mort un an jour pour jour après Perec, le 3 mars 1983.
Hergé s'intéressait vivement aux idées de Jung, et a débuté une analyse avec le psy jungien Franz Riklin, ce qui l'a aidé à concevoir le scénario de Tintin au Tibet, débutant par un rêve où Tintin voit son ami Tchang l'appelant au secours, puis reçoit une lettre de Tchang lui annonçant sa prochaine arrivée, par un avion dont on vient d'apprendre qu'il s'est crashé dans l'Himalaya (tiens tiens, un ovale rouge sur la couverture).
Dans l'album précédent, Coke en stock (1957), la première planche montre un cas typique de synchronicité avec Tintin et Haddock parlant du général Alcazar et le rencontrant aussitôt : Hergé avait été conduit à Jung par son ami de toujours Raymond de Becker, dont le parcours collaborationniste lui a valu quelques années de prison après la guerre, évitées de justesse par Hergé. Du moins ceux-ci ont reconnu leurs erreurs...
De Becker a ensuite "collaboré" au mouvement Planète, où il a été notamment responsable de l'Encyclopédie Planète Bilan de la psychologie des profondeurs (1968). Il a également écrit la préface de l'édition française de Essai d'exploration de l'inconscient (1962), l'un des derniers écrits de Jung dont je me suis avisé récemment de l'appartenance à un motif 4+1. Un rêve a conduit Jung à l'idée qu'il devait mettre son oeuvre à la portée du plus grand nombre, ce qui le conduisit au projet L'homme et ses symboles, oeuvre collective réunissant 5 essais de longueur similaire, 1 de Jung et 4 de ses principaux disciples. L'ouvrage parut peu avant la mort de Jung, mais Essai d'exploration de l'inconscient fut d'abord seul traduit en français.
Reprendre Tintin et les Picaros dans ma perspective Jung-Haemmerli amène quelques échos : Tintin n'accepte d'aider Alcazar à prendre la place de Tapioca qu'à la condition qu'aucun sang ne soit versé, notamment celui de Tapioca, ce dont celui-ci est le premier à s'offusquer, réclamant d'être fusillé selon la tradition.
La lecture de la fiche Wikipédia m'a fait découvrir que Peggy, la virago épouse d'Alcazar dans l'album, était selon les notes d'Hergé la fille du trafiquant d'armes Basil Bazaroff, apparu dans L'oreille cassée (et curieusement sur une vignette des Sept boules de cristal, en compagnie d'une petite fille).
Ce représentant de la compagnie Vicking Arms est calqué sur Basil Zaharoff, président de la société Maxim-Vickers-Armstrong, et il se trouve que c'est un des personnages principaux du roman de Morris West qui a joué un rôle essentiel dans ma découverte du 8 septembre 2008, Un monde transparent, comme on le voit sur ce tableau synoptique des mots les plus fréquents dans le livre : Basil Zaharoff y est l'employeur (et l'amant) de la comtesse Magda, laquelle vient solliciter Jung pour une analyse en 1913, et West a imaginé une relation érotique entre Magda et Carl. On peut se demander si Zaharoff ne serait pas le vrai père de Magda, car il lui confie qu'il a jadis connu sa mère (un monde trans-parent ?)
Il y a des échos plus personnels.
Dans l'équation essentielle qui a éveillé mon attention,
CERCLE ROUGE x NOIR = 112 x 56,
les valeurs des mots CERCLE-NOIR-ROUGE, 46-56-66, sont en progression arithmétique, or j'ai remarqué une relation de ce type dans le nom du créateur du forum Unus Mundus,
REMO ROTH = 51-61 = 112.
Remo a un second prénom,
FELIX = 56,
d'où son nom complet offre une progression ordonnée 51-56-61.
Remo est la forme italienne de Rémi, et roth est une ancienne forme de l'allemand rot, "rouge".
Une coïncidence récente a concerné le "rouge" sur le forum. Mon dernier billet Autun opportun levain daté du 23 mai a été achevé le 1er juin.
J'y étudiais la remarquable correspondance du calendrier des événements de 1944 avec le motif soleil-lune, 53-87 jours correspondant aux gématries des mots hébreux 'hama-levana. Ceci m'avait ensuite conduit à rechercher quelques développements kabbalistiques autour du motif soleil-lune, et à découvrir que ce qui est souvent considéré comme le premier manifeste de la Kabbale, le Bahir (vers 1240), associe soleil et lune à Zerach et Perets, les jumeaux nés de l'union scabreuse entre Juda et Tamar (Gn 28), s'étant disputés le droit d'aînesse lors de l'accouchement.
La sage-femme vit d'abord une main, à laquelle elle attacha un fil rouge, mais l'autre bébé se démena pour sortir le premier, d'où il fut nommé Perets (du verbe parats, "faire une brèche"). Vint ensuite l'autre avec son fil rouge, qui fut appelé Zerach, du verbe zara'h, "briller", auquel j'imaginais une connotation rouge à cause du fil, mais je découvris très récemment qu'il n'en était rien.
Je pensais développer ultérieurement ce thème fort riche à mes yeux, car Georges Perec vient d'une famille judéo-polonaise Perets, et j'évoquais dans mon billet ma lecture luni-solaire de son poème Noce qui m'a conduit à étudier les rapports dorés dans son oeuvre. Divers développements n'existaient que dans mon esprit lorsque j'ai découvert le 6 juin le nouveau sujet Zerach sur le forum Unus Mundus. J'ai peine à comprendre ce qui a pu conduire son auteur à ce titre, et je renvoie aux divers commentaires sur le sujet, où on verra que je croyais au départ que zera'h signifiait "rouge".
8 jours plus tard je découvrais le "cercle rouge" du San Theodoros, et l'enquête qui s'ensuivit me menait à Peggy Bazaroff, fille d'un marchand d'armes calqué sur Basil Zaharoff, nom vraisemblablement issu de l'hébreu zahar, signifiant "briller" comme zara'h, de probable même étymologie.
Je devais encore apprendre que Hergé avait d'abord nommé le marchand d'armes Mazaroff, dans les strips de 1936 (ci-dessous son arrivée au San Theodoros sur une couverture d'août 1936) : Peut-être cette modification a-t-elle été motivée par le succès en 1937 du ténor Todor Mazaroff, et ce serait fabuleux, car j'ai été amené à imaginer une certaine corrélation entre Alcazar-Bazaroff(Theodoros) et Jung-Haemmerli, or la fameuse vision de Jung lui a montré Theodor en Basileus de Cos, ce qui lui a fait craindre pour sa vie.
Le mot mazar apparaît en hébreu biblique, c'est un hapax (Job 38,32) traduit par "étoiles", comme mazal (qui m'évoque mon village, Mézel, dont les trois roses de gueules du blason pourraient être assimilées à des cercles rouges); nous restons dans le domaine astronomique.
Le mot mazal désigne aussi en hébreu la destinée, et je l'avais rendu par "hasard" dans mon récit Jaron Mézel, sans connaître cette forme mazar, ni sa relation à zahar(off).
Je sais qu'il y a une ville Mazâr-e Charîf en Afghanistan, et Wikipédia m'apprend que mazâr y signifie "tombeau"; Haemmerli ayant pris le lit le 4/4/44 ne l'a quitté ensuite que pour la tombe, le 30 juin, 87 jours plus tard.
A propos du nom Alcazar, gag imaginé en 1938 par Hergé, il est amusant qu'il soit amené dans Tintin et les Picaros (1976) à diriger une révolution de type castriste pour reprendre le pouvoir : Alcazar et Castro ont la même étymologie (latin castrum).
Remo Roth est né le 11/11/43, à 11:11...
Il mentionne volontiers cette jolie date, qui m'évoque aussi les 11-43 compulsifs chez Perec, échos probables à la déportation de sa mère le 11 février 43. La date fatidique peut être signifiée aussi par le nombre 112 : si les 112 mots de Vocalisations sont probablement accidentels, il l'est moins de trouver par deux fois dans son oeuvre un disparu laissant sur son bureau Dix-huit leçons sur la société industrielle ouvert à la page 112 (la date d'impression du Gallimard/Idées est le 11 février 62).
C'est aussi un 11 février, 53 jours avant le 4/4/44, que Jung s'est cassé le pied, prélude à son infarctus.
En poursuivant plus avant l'essai inédit de Bernard Spee sur Hergé précité, dont le chapitre 4 était titré Hergé, disciple de Jung ?, je suis arrivé au chapitre 10, Hergé, un as du cryptogramme ?, où l'auteur décortique l'album Le crabe aux pinces d'or. Il y suggère que le numéro CN-3411 de l'avion de Ben Salaad (fils de salaud) soit une allusion à un événement survenu en novembre 34, 11/34, selon un principe d'inversion appliqué systématiquement avec un certain bonheur aux noms forgés par Hergé (RG = Georges Remi).
Que l'analyse soit pertinente ou non, elle est remarquablement parallèle à la théorie du 11-43 chez Perec, laquelle n'a jamais été démontrée de façon péremptoire.
Une petite chose encore. J'hésitais à mentionner la valeur numérique de l'auteur de l'analyse gématrique de l'oeuvre de Hergé,
SANSONETTI = 136,
soit la valeur de JUNG-HAEMMERLI, depuis peu associés au couple lune-soleil.
Et puis je m'avise que son nom dérive à l'évidence de Samson, dont le nom hébreu signifie "solaire", assez idéalement pour un partisan du mythe polaire.
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