31.8.18

wherever particular people congregate


  J'ai pris contact avec les milieux ricardoliens, où mes découvertes ont été accueillies avec intérêt. Il semble notamment que nul n'avait été aussi loin que moi dans le décodage de la symétricologie, étudiée dans mes billets de février et mars.    
  Bref, j'ai été invité à faire une communication au prochain colloque Ricardou à Cerisy en août 2019, et j'espère me montrer digne de cet honneur.

  En feuilletant justement La Prise de Constantinople, j'ai repéré un nouveau point de rencontre entre l'écriture de Ricardou et la mienne. Je donne in extenso ce paragraphe du chapitre 6 (non numéroté en fait)
- C'est au pied de la cheville, donc (mais il me faudrait ouvrir ici des parenthèses dans les parenthèses), dans le dé même du piédestal (lorsqu'Isis interrompt les larmes - versées, vous connaissez la légende, sur les huit fragments de son époux, qu'elle va assembler enfin pour une vie de gloire - et que le Nil décroît), qu'apparaît le bloc rocheux tout à fait comparable...
et renonce à en donner une interprétation contextuelle, me bornant à constater que, si le nombre de fragments du corps d'Osiris diffère selon les versions de la légende (de 12 à 42, souvent 14), il n'est jamais question de 8 fragments, et que Ricardou fait intervenir ici le principal nombre générateur de son roman. Il y a 3 parties (dont une double) de 8 chapitres, 3 séries (dont une double) de 8 personnages dont les initiales forment ISABELLE, 8 croisades dont la 4e a pris Constantinople, 8 lettres dans RICARDOU...

  J'ai également détourné le mythe d'Osiris dans Sous les pans du bizarre, chapitre no code in the Spanish translation8, en utilisant les nombres générateurs du roman.
  Et la dernière Impression, Rasant le Nil... "Rasant" serait l'AN du TSAR, forme de César, et les gnostiques grecs ont révéré le Nil pour sa gématrie, NEILOS = 365. Lapnus cite la version gnostique du mythe, selon laquelle Isis est informée par un oracle que son frère et époux a été découpé par Seth en "autant de morceaux qu'il y a de jours dans l'année". Isis parcourt toute la terre d'Egypte et juge sa quête achevée lorsqu'elle a recueilli 365 morceaux, qu'elle ressoude et ranime. Elle a hélas oublié que l'année courante était bissextile, et le 366e morceau lui a échappé, le phallus avalé par un poisson du Nil...
  J'imagine qu'il ne doit pas y avoir beaucoup d'auteurs qui aient pareillement adapté le mythe du démembrement d'Osiris à leurs obsessions numérologiques, mais il y a quelque peu davantage.
  Je fais explicitement référence aux Nouvelles Impressions d'Afrique, où Roussel a multiplié les niveaux de parenthèses au-delà des limites de l'intelligible (pour les non-mutants du moins), et Ricardou y fait implicitement référence avec sa proposition d'ouvrir des parenthèses dans les parenthèses, qu'il tourne en utilisant des tirets dans le second passage entre parenthèses.

  Je rappelle que c'est dans cette dernière Impression qu'il y avait le vers
Combien change de force un mot suivant les cas!
que j'ai repris dans mon chapitre 10, mais "suivant" y est inexplicablement devenu "selon", alors que "suivant" aurait été admirablement en accord avec mon propos.
  C'est à l'été 99 que j'ai fait cette erreur, or quelques mois plus tôt, Ricardou relisant sur épreuves son texte à paraître en mars dans Formules n° 3 remplaçait dans son RAPT d'un passage de La Disparition de Perec "suivant" par "selon", probablement préférable d'un point de vue textique, mais catastrophique au niveau de la contrainte lipogrammatique interdisant les E.

  Il y a une petite coïncidence dont j'aurais pu parler plus tôt, mais il s'agit d'une blague à la portée du premier potache venu. Il s'y rattache cependant une anecdote plaisante.
  Donc, dans Le lapsus circulaire (commenté ici), Ricardou risque la facile facétie A la recherche du père tendu, bien adaptée à son contexte car il est question dans la nouvelle d'un échange d'enfants entre le comte Noël Ryvéla et son électricien Jean Ricardou (le père était effectivement électricien à Cannes), or Proust écrivait dans Le temps retrouvé
j’avais assez fréquenté de gens du monde pour savoir que ce sont eux les véritables illettrés, et non les ouvriers électriciens.
  Je ne sais quand j'ai eu connaissance de ce jeu, ni même si je l'ai trouvé de mon côté ou découvert ailleurs, toujours est-il que le 31 décembre 2001 je passais ce message sur la liste Oulipo:
entendu hier une réplique du téléfilm LE TEMPS PERDU sur FR3:
"Il arrive que papa soit un peu tendu"
Ce PERE TENDU est interprété par Jacques Spiesser, qui fut "Un Homme qui dort", texte truffé d'emprunts, notamment à la Recherche.
  J'ajoute aujourd'hui que "un homme qui dort" est un emprunt au début de La recherche, et donne le lien IMDb du téléfilm, où Ricardou remarquerait sans doute que le nom de son réalisateur Frédéric Roullier-Gall a 8-8-4 lettres, et que la fille de Spiesser, en 8 lettres, est interprétée par Nade Dieu, en 4-4 lettres (Ricardou développe dans Le théâtre des métamorphoses les dénombrements proustiens, 12 lettres dans MARCEL PROUST, 24 lettres dans son oeuvre phare, avec 24 correspondant au rang de la lettre X).

  J'ai cité à diverses reprises ce qu'avait vu après coup Ricardou dans la dernière colonne de son carré formé par les noms des 8 Lieux-dits, ETEXRTSX, l'anagramme TESTER XX, interprétée en "tester le croisement des croix". J'avais d'abord vu que le centre de ce carré, au croisement des diagonales BELCROIX et MAADRBRE (MADARBRE vu après coup également),
     B a n n i è r e 
     B e a u f o r t 
     B e a r b r e 
     B e l R o i x 
     C e n D R i e r 
     C h a u m n t 
     H a u t b o s 
     M o n t e a u x
était formé des lettres RCRD, les consonnes de RiCaRDou, les voyelles iaou étant proches.
  Les noms Belcroix et Cendrier, au coeur du dispositif, semblent s'imposer pour tant de raisons qu'il est difficile d'imaginer que ce jeu de consonnes eût été programmé. De fait, s'il l'avait vu, Ricardou l'aurait probablement mentionné dans ses multiples retours sur le carré de 8x8 lettres, en rapport immédiat avec les 8 lettres de son nom.
  Plus récemment je me suis avisé que ces lettres CRDR étaient encadrées par LONI formant LION, or, si le centre arithmétique du livre se situe entre les chapitres Belcroix et Cendrier, le centre réel livre comme du texte réel se situe pages 84-85 (de l'édition Gallimard, soigneusement calibrée), avec la minutieuse description du paquet de Pall Mall, où deux lions soutiennent le blason central, écartelé en 4 quartiers. Il m'a paru qu'une superposition serait plus explicite que de longs commentaires, alors voici:
  Ricardou s'attache aux 4 inscriptions du paquet, chacune en 4 mots, et constate que les deux inscriptions latines du blason ont chacune 16 lettres:
IN HOC SIGNO VINCES ("par ce signe tu vaincras", et on sait que ce signe est la croix)
PER ASPERA AD ASTRA ("vers les astres par la difficulté", faut transpirer pour obtenir la gloire)
  Il m'est apparu que ces 32 lettres (32 comme la naissance de Ricardou en 1932) contenaient les 12 lettres de son nom, à la condition d'utiliser l'alphabet latin où les lettres I et J sont confondues, de même que U et V.
  On a donc IEAN RICARDOV d'une part, et j'ai cherché des anagrammes des 20 lettres restantes. La première qui m'est venue a été
garçons sans épitaphes,
d'où je me suis attaché à de possibles épitaphes:
Passants, ange si proche
citons page sans phrase (en pensant au mixte, et aux pages sans texte du Théâtre des métamorphoses)
ton chagrin passe-passe
sans pose gâchant prise (ou sans prose gâchant Pise)

  Je me suis ébaubi de
ne charge pas son pastis
car mon billet récapitulant les coïncidences ricardoliennes était intitulé Un Ricard, ou le Jean.

  Un programme de recherche d'anagrammes livre
instances saprophages
qui pourrait être interprété comme l'émergence du nouveau roman sur l'ancienne littérature en décomposition.
ses pastiches, parangon
mérite une dernière mention.

  J'ai aussi envisagé des anagrammes des 32 lettres des deux devises. Les possibilités deviennent colossales, et voici par exemple
sa prose prise cria davantage : nichons! (en pensant aux Improbables strip-teases)
sa chronicité passa : envisager pardon (en pensant à Une maladie chronique)
on s'écrit handicaps, on passera rivage (ou on arrive passage)

Aucun commentaire: