1.1.11

Arisu n'est plus ici (jplg 1)

Une récente coïncidence m'invite à consacrer ce premier billet de 2011 à Jean-Pierre Le Goff, à plusieurs reprises évoqué sur mes pages pour les aventures partagées ensemble.
Hélas Jean-Pierre n'est plus totalement parmi nous depuis trois ans, atteint de la terrible maladie d'Alzheimer. Depuis 2008 ses nombreux amis ne reçoivent plus ses courriers, invitations à d'étranges interventions motivées par les méandres de l'insatiable curiosité de Jean-Pierre, éternel émerveillé des coïncidences tissant ce monde.
Jean-Pierre a jadis eu l'honneur de devenir un personnage de BD, dans Demi-tour, collaboration de Benoît Peeters et Frédéric Boilet. Sa passion pour le Rayon Vert l'avait amené à Boilet, auteur en 87 d'une BD portant ce titre, sans rapport avec le film de Rohmer sorti quelques mois plus tôt.
Boilet a été si impressionné par ce personnage hors du commun qu'il l'a fait apparaître dans son projet suivant, de façon quelque peu exagérée, sinon caricaturale :Précisons que Jean-Pierre ne ressemble aucunement à cet "André-Marie", dont le discours est ici calqué sur la Pansémiotique, association qui nous a un temps attirés, Jean-Pierre puis moi, mais dont nous n'avons pu supporter longtemps le radicalisme.
Revenons à plus important. Boilet a longtemps vécu au Japon, où ses contacts lui ont permis de faire éditer Demi-tour en japonais, en 1999. Et voici qu'en septembre dernier ce manga est revenu en France, sous le titre Demi-tour 2.0 :L'intérêt de cette réédition vient d'abord des compléments apportés par les deux auteurs, le nouvel album compte 80 pages contre 64 pour l'ancien (ce qui me rappelle le 5e volume de Quintett).
Sinon la BD elle-même est quasiment identique, et les seules traces de son demi-tour du monde sont les japonisations des noms de deux personnages. Miryam est devenue Misato, et Le Goff se nomme désormais Arisu, son double prénom restant inchangé :Une première curiosité est que Arisu est la forme japonaise du prénom Alice, peut-être choisie pour le Pays des Merveilles, en tout cas pas à cause de l'unique enfant de Jean-Pierre, Alice, dont Boilet ignorait l'existence.
Et puis Jean-Pierre avait été intéressé par mes recherches sur le Carré Iuras, ce qui l'avait amené à écrire en 2002 un texte sur le carré Sator, en ma possession ainsi que deux lettres manuscrites à ce sujet. Mes recherches faisaient apparaître le mot ARISU, mais je demande un peu de patience. Incidemment, Boilet a rendu compte de la fascination de Le Goff/Arisu pour le symbolisme de la croix : Le carré Sator reste à ce jour une énigme, puisqu'il semble construit sur la formule PATER NOSTER, mais que sa paléographie est incompatible avec une origine chrétienne. Mon apport à la question a été de constater que les 11 lettres de la formule PATER N OSTER avaient en gématrie latine la valeur 143 = 11 fois 13, remarquablement équilibrée autour du N = 13 central (vérification sur le Gématron), ainsi 21 lettres du carré Sator présentaient-elles le même équilibre que le carré magique traditionnel de nombres lui aussi équilibré autour de 13.
Mes recherches m'ont ensuite fait découvrir que les 25 lettres de la formule du Titulus, IESUS NAZARENUS REX IUDEORUM (INRI), avaient pour valeur 325 = 25 fois 13, ou encore somme des 25 premiers nombres pouvant former un carré magique (vérification).
Il m'a alors semblé souhaitable d'arranger les lettres du Titulus selon un carré magique de lettres, à l'instar de la formule PATER NOSTER mise en croix ayant peut-être donné naissance au Sator, et j'ai conçu en 1995 un programme pour débusquer d'éventuels résultats.
Programmeur autodidacte, je ne sais si mon programme a trouvé toutes les solutions, ni si certaines ne seraient pas redondantes, malgré une fonction prévue pour éliminer les doublons par rotations ou permutations élémentaires, toujours est-il qu'il a trouvé 111 carrés anagrammes de la formule, où toutes les lignes, colonnes et diagonales ont pour valeur 65.
J'ai toujours la sortie papier donnant ces 111 résultats (cliquer pour agrandir), avec une curiosité : les carrés sont donnés par rangées de 13, les 8 premières rangées sont impeccables, mais dans la dernière rangée, incomplète, seule la première ligne des 7 carrés a été imprimée, 4 fois. Je n'en ai pas cherché la raison et ai recopié les lignes manquantes d'après la sortie écran.
La première bizarrerie est que c'était le dernier carré correctement imprimé qui offrait les plus belles harmonies, motivant ma tentative de manipulation du Carré Iuras. Au-delà des harmonies propres à tous les autres carrés, ce carré avait un N=13 au centre, et 4 groupes de 4 lettres symétriques par rapport à ce centre valaient 52=4x13, notamment les 4 coins IESU pouvant correspondre au vocatif de Iesus.
I U R A S
U S R E E
D N N X O
M I A U Z
U E R S E

Enfin, en tournant le carré d'un demi-demi-tour, sa première ligne correspondait à un mot latin, iuras, "tu jures", pouvant évoquer un serment ésotérique. J'ai alors imaginé un renversement du processus, partir d'une hypothétique découverte de ce Carré Iuras et décrire les étapes de son déchiffrage.
Je n'ai pas eu le toupet de graver un faux carré sur une vieille pierre pour accréditer mon histoire, aussi ma démarche pour publier cette fantaisie a échoué, malgré l'intérêt de la revue Connaissance des Religions qui a néanmoins publié mes découvertes numériques sur le carré Sator dans son numéro 51-52 de 1997.
Curieusement, ma démarche est passée par le musicologue Jacques Chailley, auteur de considérations sur le carré Sator dans Le symbolisme de la gamme. Lorsque j'ai connu Jean-Pierre quelques années plus tard, il habitait 97 rue Jouffroy, et une plaque à l'entrée de l'immeuble commémorait la naissance de Chailley en 1910.

C'est assez amusant puisque Jean-Pierre s'intéressait aux plaques commémoratives étranges... Il est maintenant possible de revenir au document présenté ci-dessus, les 111 solutions trouvées par mon programme.
J'ai mentionné ce document il y a 3 ans sur cette page, où je remarquais la présence de deux carrés IURAS, le 104e que j'avais choisi pour ses multiples propriétés, et le 107e, où IURAS croisait avec un ROMER central qui m'était extrêmement significatif, pour de multiples raisons.
La moindre d'entre elles était que l'allemand Römer signifie "Romain", le nom propre étant rendu en français par Rohmer (ou Roemer).
Lorsque Bruno Duval, ami de longue date de Jean-Pierre, m'a appris la parution de Demi-tour 2.0, où Le Goff était devenu Arisu, j'ai instantanément pensé à son intérêt pour le carré Iuras, anagramme d'Arisu, et à Römer/Rohmer, pseudonyme du réalisateur du Rayon Vert, constituant selon ses dires une anagramme.
Je me suis demandé si l'exacte anagramme ARISU apparaissait sur le document, et elle apparaît effectivement, une unique fois, dans la ligne centrale du 65e carré, à la même position que ROMER du 107e carré.
Ainsi la coïncidence des deux Rayons Verts, de Rohmer et Boilet, a conduit Jean-Pierre à contacter Boilet, ce qui a mené Boilet en 1996 à l'intégrer au scénario de Demi-tour, sous les noms Le Goff puis Arisu, au moment où je tentais de publier mon carré Iuras.
La présence d'ARISU dans le 65e carré a un sens contextuel, puisqu'il s'agit de carrés de somme magique 65, mais offre un écho dans la vie du vrai Le Goff, dont les premiers symptômes inquiétants sont apparus peu après ses 65 ans, le 2 août 2007. Quelques mois plus tard est venu le terrible diagnostic, Alzheimer.

ROMER, ARISU, j'ai examiné les lignes centrales de tous les carrés en quête de mots porteurs de sens, et c'est USINE au centre du 80e carré qui m'a retenu.
Je me souviens l'avoir remarqué jadis, mais je ne connaissais pas alors les hétérogrammes de Perec, a fortiori sa série L'USINE A TROC qui est à ma connaissance ce qui se rapproche le plus des carrés magiques de lettres dont j'avais rêvé l'existence, ainsi son dernier poème compte 13 lignes anagrammes, les 11 vers et les première et dernière colonnes.
Je me sens confus de ne pas m'être souvenu ensuite de l'usine des carrés Iuras, alors que L'usine à troc m'a tant marqué que j'ai écrit une suite analogue de dizains à l'occasion du 10/10/10, présentée ici. J'ai eu une pensée pour Le Goff ("forgeron" en breton) en écrivant le 7e dizain, car mon 8e poème affichait des diagonales LU en hommage au biscuit LU magnifié par Perec, ce que j'avais voulu renforcer par les mots Lefèvre et Utile dans les poèmes voisins. Lefèvre étant impossible à caser, j'avais eu recours à un autre sens du latin faber, "ouvrier, forgeron, artisan".
Incidemment, Webern était passionné par l'énigme du carré Sator (qu'il a tenu à faire figurer sur sa tombe). C'est peut-être sa symétrie qui l'a conduit à imaginer avec Schönberg le sérialisme, lequel inspirera à son tour Perec pour imaginer les hétérogrammes...


Parmi les 42 séries de 5 lettres de valeur 65 composant les carrés Iuras, la série EINSU était majoritaire, l'abondance de ces lettres dans la formule de départ permettant jusqu'à 3 séries par carré, cas du carré Iuras proprement dit où elle est présente dans les deux diagonales et dans une colonne. L'anagramme significative USINE n'apparaît que dans le 80e carré.
Vient en seconde série la plus fréquente EERSU, ou EERSV puisque U et V sont une seule lettre en latin. Elle apparaît aux rangées 2 et 5 du carré Iuras sous les formes VSREE et VERSE, répondant à mes REVES secrets d'alors, mais l'irruption récente de l'USINE Perec me rappelle qu'il appelait VERS les lignes de ses hétérogrammes.
Il y a un écho avec le Rayon Vert de l'étrange RÖMER/ROHMER, détaillé sur ma page consacrée au film. Il y a organisé une rencontre avec Hubert REEVES, qu'il a faite passer pour un hasard auprès de ses assistants, lesquels ignoraient jusqu'à l'identité de ce "physicien retraité" qui apparaît au générique du film sous le nom de Dr Friedrich Günther Christlein. C'est ce "petit Christ" qui explique à 4 dames le phénomène du rayon vert, ce qui fait un sacré lien avec le Le Goff/Arisu de Boilet, spécialiste du "50-50", du "Rayon Vert" et de la "Croix" (voir la vignette plus haut).

Peut-être est-il temps d'aborder le sujet de Demi-tour : la nuit du second tour de l'élection présidentielle de 1995, incertaine jusqu'à l'annonce des résultats, les derniers sondages prévoyant du "50-50", Le Goff (Arisu) décrète que le dessinateur Joachim, 38 ans, logé à l'hôtel Terminus à Dijon, est destiné à Miryam (Misato), 19 ans, logée à l'hôtel Climat en face, petite amie toujours vierge d'un militant RPR nommé Rémi.
Ce sont les MI et leurs demi-tours IM qui ont conduit Le Goff à prédire un demi-tour de Miryam partie pour Paris après s'être fâchée avec Rémi, et à convaincre Joachim parti vers l'Italie de revenir lui aussi à Dijon, mais, si Miryam a effectivement fait demi-tour, c'est pour revenir vers Rémi...

Je dois donc à Bruno Duval de m'avoir fait connaître en 2001 le premier Demi-tour, puis le second très récemment. Je l'ai vu en décembre à Paris où je lui ai fait part d'une info concernant sa date de naissance à laquelle il prête une signification essentielle, le 17 février : Marie-Louise von Franz, considérée comme la continuatrice de Jung, est morte le 17 février 1998.
Bruno m'a annoncé en retour la parution de Demi-tour 2.0, avec ses compléments où les auteurs parlaient de Jean-Pierre Le Goff, mais aussi de lui-même. C'est que l'album était paru en février 97, et qu'un ami genevois le lui avait offert pour son 50e anniversaire, sans savoir qu'il connaissait le Le Goff y apparaissant.
Boilet avait envoyé un exemplaire dédicacé de Demi-tour à Jean-Pierre, « Peut-être, cette fois, ai-je vraiment fait le livre pour vous ?», faisant allusion au Rayon Vert. Jean-Pierre, ayant alors pris ses distances avec la Pansémiotique, n'avait guère apprécié l'album, et c'est Bruno qui a répondu à l'appel, ce dont Boilet rend compte ainsi :
Quelques semaines plus tard, en mars 1997, lors d'une dédicace au Salon du livre de Paris, un homme arrive, se penche sur moi et me dit : Je suis un ami de Le Goff… et je vais vous dire, ce livre, Demi-Tour, vous ne l'avez pas fait pour lui, vous l'avez fait pour moi. »

J'hésite à annoncer à mon (demi-)tour que j'ai vu moi aussi des signes me concernant dans Demi-tour, ce dont j'ai parlé en 2001 dans la revue Pan de la Pansémiotique, mais ces "signes" se sont renforcés avec la nouvelle version et ma récente perspective jungienne.
D'abord cette histoire de 50-50 à Dijon entre deux trains. Depuis notre installation en Provence en 1984, je vais plusieurs fois par an à Paris, et j'ai évité le plus longtemps possible le TGV, avec un voyage durant toute la journée s'achevant par le train 5050 partant de Lyon et arrivant à Paris vers 19:37. Puis il a fallu prendre un autre train à Lyon, correspondance à Dijon avec le 5050, et enfin la SNCF semble s'être ingéniée à supprimer toute possibilité de rallier Paris depuis Digne dans la journée sans TGV.
Je regrette ces longs trajets dans des wagons parfois déserts, propices à la méditation, et je me rappelle notamment que c'est dans le 5050 que j'ai en 1994 fait la découverte essentielle sur le vers de Virgile Ducite ab urbe domum..., future trame de mon unique roman Sous les pans du bizarre, publié en novembre 2000 peu après mes 50 ans (je suis né en 50).
C'est en 2000 aussi que Jean-Pierre a eu l'honneur de la "grande édition" avec son Cachet de la poste chez Gallimard, livre que j'ai remarqué tandis que Jean-Pierre de son côté remarquait le mien, prélude à notre contact.
Par ailleurs MI-IM parallèle au 50-50 était extrêmement évocateur pour un numérologue hébraïsant, car les équivalents hébreux de MI (mem yod) constituent un "couple atbash", c'est-à-dire que l'atbash transforme MI en IM. Or ces lettres mem-yod sont aussi les chiffres 40-10, d'où MI-IM = 50-50.

Ce n'est qu'avec Miryam devenue Misato que je me suis avisé de possibles échos avec ma libido, laquelle est essentiellement vouée depuis plus de 30 ans à Anne-Marie, mais il m'est arrivé d'avoir d'autres désirs, très rarement déclarés, encore moins réalisés.
Or l'un des deux cas de flamme déclarée dont je me souvienne était envers une Japonaise prénommée Misa (peut-être était-ce le diminutif de Misato), en septembre 82. Nous avons passé une nuit ensemble, mais limitée à quelques bisous. J'éprouvais une grande tendresse pour elle, et lorsque nos routes ont divergé le lendemain, j'ai beaucoup songé à un demi-tour...
Je rappelle que mon prénom est Rémi, comme le militant RPR qui a finalement conquis Miryam/Misato.

Un peu d'introspection m'a fait me rappeler d'une Suissesse professeur de guitare à Quillan (11), prénommée IMI (diminutif d'Irmgard). C'est l'amour de la musique qui nous avait rapprochés, et peut-être un peu plus, mais nous avions chacun "quelqu'un", et plus d'intimité aurait créé bien des complications.
Toujours est-il que mon plus beau souvenir de notre relation est un spectacle fin juin 81 à l'église de Quillan, où nous avons joué en duo une gavotte d'une suite anglaise de Bach. C'est la dernière fois où je me suis "produit en public", quelques semaines après la victoire socialiste aux présidentielles le 10 mai 81.
Ceci avait été accueilli avec un enthousiasme limité dans mon milieu libertaire, mais j'étais loin d'imaginer alors qu'il existerait 14 ans plus tard des milliers de jeunes tels Miryam ou Rémi, qui n'auraient connu que le mitterrandisme et qui pourraient voir en Chirac un idéal.
Aujourd'hui, à l'occasion du 15e anniversaire de la mort de Mitterrand, des voix prétendument apolitiques (?) proclament qu'il a été le seul président de la 5e avec de Gaulle à posséder une réelle stature d'homme d'état...
O tempora, o mores, comme disait l'autre.

Et Jung dans tout ça ? Il y a d'abord Joachim, auquel Boilet a donné son visage, Joachim fêté le 26 juillet, anniversaire de Jung. Jung voyait Marie/Miryam figure féminine compléter la Trinité masculine pour en faire une Quaternité. Demi-Tour a 4 personnages, Joachim, Rémi, Le Goff et Miryam.
Je rappelle que c'est le 8 septembre, Nativité de Marie, fille de Joachim et Anne, que j'ai eu mon intuition sur le 4/4/44 aux 4/5es de la vie de Jung.

Il m'est apparu ensuite plus important que ce 8 septembre 2008 fût le premier jour de l'an pataphysique 136, alors que les protagonistes de la première NDE rapportée, Jung et Haemmerli, se trouvaient avoir les mêmes valeurs numériques 52 et 84, somme 136, que Elie et Hénoch, les seuls personnages de l'Ancien Testament à n'avoir pas connu la mort.
Quelle n'a pas été ma surprise en constatant que mon article sur le carré Sator, paru en 1997 sous un pseudo (anagramme d'Arsène Lupin), était immédiatement précédé dans la revue Connaissance des Religions par un article sur Elie et Hénoch, thème plutôt rarissime, l'auteur signalant qu'à sa connaissance le sujet de la mosaïque de Cruas est unique dans l'art chrétien :
Je suis loin d'avoir épuisé le sujet et y reviendrai dans le prochain billet, uosʇɐʍ ɹɐǝp ʎɯ ʎloɥ, que j'ai en fait posté avant celui-ci pour permettre une lecture séquentielle des billets de janvier.

1 commentaire:

Ariaga a dit…

Partir 'en esprit" c'est terrible car le corps est encore là et on ne sait si l'inconscient est conscient ...