12.12.08

Sénégalais & Cingalais

Lors de ma découverte du motif quintessentiel de la vie de Jung autour du 4/4/44, j'ai tapé 4/4/44 sur Google pour voir, et vite ajouté d'autres clés de recherche car tous les premiers résultats concernaient une chanson de Youssou N'Dour, 4-4-44, qui ne m'inspirait guère a priori... 
Stupide préjugé, car lorsque j'ai récemment enquêté plus avant, j'ai appris que cette chanson avait été composée parce que le 44e anniversaire de l'indépendance du Sénégal (4 avril 1960), tombait le 4/4/4 (4 avril 2004), or la genèse de ma découverte remonte à ce même 4 avril 04, dimanche des Rameaux, où le hasard relaté sur mon premier billet m'a fait miroiter l'aspect éminemment quaternaire de la date du 4/4/44 jungien.
 La genèse - le Sénégal : c'est un palindrome, et le palindrome me semble depuis peu lié aux visions de Jung en 44, depuis ma consultation de sa correspondance lors de mon récent voyage à Paris, particulièrement de sa lettre du 1er février 45 à Kristine Mann, sur le point de mourir d'un cancer. Cette lettre est disponible en français dans le second tome de la correspondance de Jung, comme dans ce recueil établi par Michel Cazenave, où je note le chrisme sur la couverture, alors que j'ai illustré de chrismes mon billet sur la particularité de la semaine sainte du 2 au 9 avril 1944, répétant les conditions exactes de l'année 30 supposée être celle de la Passion. 
Jung expose dans cette lettre ses visions de 44, dont le récit est très similaire à celui publié dans Ma Vie..., à ceci près qu'il y omet le sort funeste de son médecin, ce qui n'aurait guère aidé sa correspondante. j'ai été frappé par cette phrase :
Lorsqu'on parvient à se débarrasser de la volonté furieuse de vivre et qu'on a l'impression de tomber dans un brouillard sans fond, commence la vraie vie, avec tout ce pourquoi on était fait et qu'on n'avait jamais atteint.
Ce "brouillard", c'est NEBEL dans la version originale en allemand, où "vie" est LEBEN, renversement de NEBEL (voici le texte original: "als fiele man in einen bodenlosen Nebel, dann beginnt das wahre Leben"). La vraie vie serait l'opposé, ou le complémentaire, du brouillard "sans fond" (bodenlos, alors que Jung naquit à Kesswil, au bord du Bodensee ou lac de Constance) : la totalité de la vie de Jung correspond bien, avec constance, à une unification des contraires. 
 
 Un autre mot m'a percuté dans cette lettre, que j'aurais cependant aussi pu voir dans le récit de Ma Vie..., où il est doublement présent, Ceylan : c'est d'un point situé vers 1500 km à l'aplomb de Ceylan et de la péninsule indienne que Jung "voyait" la terre, et c'est dans un lieu lui rappelant le temple de Kandy, à Ceylan, qu'il est convié, avant que le " messager venu de mon monde" (c'est ainsi qu'il désigne le docteur H dans la lettre à Mann) vienne perturber ses visions féeriques. 
C'est précisément entre Ceylan et l'Inde, dans le golfe de Mannar, que se joue le dénouement de Léviathan de Boris Akounine, avec la mort des assassins Charles et Gustave et la survie de la junge Schweizerin, la jeune suissesse également assassine, mais j'approfondirai cet aspect dans le prochain billet. 
 Le temple de la Dent sacrée de Kandy, que Jung n'a visité qu'en 1938, n'est pas sans rappeler Bollingen, dont les 4 premières tranches ont été construites antérieurement : ensemble architectural hétéroclite construit juste au bord d'un lac, tour à gauche au toit à six pans. 
Le Sri Lanka, l'ex-Ceylan, est aussi l'ex-Serendip qui a donné naissance au concept de serendipity, "découverte par hasard". Wikipédia m'apprend que c'est dans une lettre de Walpole à Horace Mann qu'est né le mot serendipity, or c'est grâce à une lettre de Jung à Kristine Mann que m'est apparue l'importance de Ceylan. 
Wikipédia donne en premier article connexe à la sérendipité celui sur la synchronicité
 
Leben-Nebel : ce palindrome m'évoque immédiatement La Vie mode d'emploi, le livre microcosme de Perec, où il y a à peu près tout ce qui est imaginable, et beaucoup d'autres choses. On y trouve ainsi un lieutenant Nebel qui perd la vie le 7 octobre 1943 (chapitre 27), ce qui vaudra au jeune Paul Hébert d'être déporté à Buchenwald 4 mois plus tard. Soit donc en février 44, et un familier de l'exégèse perecquienne verra dans cette déportation en février une allusion au départ vers Auschwitz de la propre mère de Perec, le 11 février 43, date dont les éléments reviennent obsessionnellement dans son oeuvre. 
Je rappelle que c'est le 11 février 44 que Jung s'est cassé le pied, prélude à son hospitalisation et à son infarctus. Sans développer ce thème ici, le nom du lieutenant Nebel comme l'histoire de Paul Hébert détaillée au chapitre 43 sont liés à une des multiples contraintes du livre, la dissémination dans ses chapitres des deux termes de l'expression désignant les déportés, "Nuit et Brouillard" (Nacht und Nebel), réunis comme par hasard dans le chapitre 43. 
Si vie et brouillard sont donc présents dans le livre, c'est grâce à une exégèse d'un "le Sénégal, plutôt rongé vers la gauche", au chapitre 45, que je dois de connaître le palindrome "la genèse-Sénégal", et le riche index du livre donne trois occurrences de "Ceylan", dont la dernière me retient. Il est question au chapitre 70 d'une pièce de puzzle correspondant à l'Inde à laquelle Ceylan serait restée attachée. C'est sur les hauts-fonds de cet ancien isthme entre l'Inde et Ceylan que manque de naufrager le Léviathan
 
Un autre abîme insondable : en marge d'un faisceau de coïncidences exposé ici, j'avais relu le premier paragraphe du premier chapitre de La Vie mode d'emploi dans un supplément offert avec Télérama du 4 février 2003, et cette relecture dans un contexte inhabituel m'avait révélé des répétitions insoupçonnées dans ce chapitre pourtant maintes fois scruté, caractérisé par le domino "double six". J'en fis part le 6 février 03 à la liste Perec YahooGroupes, en remarquant particulièrement une redondance dans la cinquième phrase qui, sans les autres répétitions, pourrait passer pour une inadvertance de l'auteur :
Ils se barricadent dans leurs parties privatives - puisque c'est ainsi que ça s'appelle - et ils aimeraient bien que rien n'en sorte, mais si peu qu'ils en laissent sortir, le chien en laisse, l'enfant qui va au pain, le reconduit ou l'éconduit, c'est par l'escalier que ça sort.
Aujourd'hui, je me sens vaciller en constatant que le renversement phonétique de "en laisse" est "Ceylan". Tiens, les Cingalais ont reçu leur indépendance le 4 février 48, alors que le Télérama secourable est paru un autre 4 février. 
Les Sénégalais ont rejoint le Salon des Indépendants 12 ans (et deux mois) plus tard, le 4/4/60. 48 et 60, 4 et 5 fois 12 : j'avais avant de commencer ces billets exposant mes récentes découvertes parisiennes l'idée d'en faire un seul billet. Songeant à les organiser, et sachant par expérience que chaque approfondissement d'un sujet me conduit immanquablement à des développements imprévus, j'ai choisi de fragmenter mon propos en 4 billets, avec un 5e billet fusionnant les 4 précédents. Pour marquer l'unité de conception de ces billets, j'ai débuté 5 billets le 12/12 à la même heure, 12:12, jour et heure déjà choisis l'an dernier pour un billet sur mon autre blog; selon les particularités de Blogger, ce sont les jour et heure qui seront affichés lors de la publication des billets. 
Pendant leur écriture, les commentaires imprévus ont tant proliféré que j'ai préféré faire 5 billets distincts, et oublier une concaténation qui aurait été trop longue. Si cette saturation de 12 n'avait pas un sens particulier lors de mon choix, je n'avais pas alors conscience ni des 4 premières étapes de la construction de la Tour de Bollingen échelonnées des 48 aux 60 ans de Jung, ni des indépendances de Ceylan et du Sénégal en 48 et 60. 
 
Pour les amateurs, le clip 4-4-44 de Youssou N'Dour :

1 commentaire:

Sylvie a dit…

Bonsoir,

"""""«Il est certains mots étrangers qui s'imposent à notre mémoire par leur seule vêture sonore, mais dont la signification continue de nous rester opaque, soit que nous ne parvenions pas à la fixer en nous, soit que nous n'entreprenions rien pour la rechercher. Ainsi en fut-il longtemps pour moi du mot anglais serendipity qui sonnait comme un composé bizarre de sérénité et de compassion. Des années durant, je conservai serendipity dans ma tête, me refusant d'en aller consulter le sens dans le dictionnaire, sans doute par crainte d'être déçu par une définition qui, en un brusque retour au principe de réalité, ruinerait tout le charme des syllabes étrangères. Mais il y a peu de temps, retrouvant ce mot dans un texte et ne pouvant parvenir à en deviner le sens, malgré le contexte et peut-être à cause d'un obscurcissement de l'esprit dû à ce charme même, j'ai dû me résoudre à recourir au dictionnaire. Quelle n'a pas été alors ma surprise de découvrir qu'il n'existe pas de terme français correspondant à serendipity et qu'il convient de le rendre selon le contexte par au moins deux périphrases : « découverte heureuse ou inattendue »; « don de faire des trouvailles ». Ce mot désigne donc aussi bien l'objet trouvé si cher aux surréalistes, que la faculté, par eux développée au plus haut point, de découvrir ces objets. Et la révélation de cette double signification sonna en moi comme une trouvaille qui en redoubla le charme phonétique et, déjouant mes craintes, échoua à l'effacer.» (Joël Gayraud, La Peau de l'ombre, p. 235; éditions José Corti, Paris, 2004.)"""""

Je n'ai pas tout lu, mais j'ai regardé le clip :-)

Passez de bonnes fêtes,
Sylvie