4.4.15

Kidron, kidron


  J'ai promis dans le précédent billet quelques développements concernant les 100 chapitres de L'orbite déchiquetée, de John Brunner, dont
les chapitres 1 et 2 sont 1+1 et = 1,
les chapitres 99 et 100 1+1 et = 2.
  J'évoquais le 1+1 = 3 commun à La révolution des fourmis de Werber et au second épisode de Touch, avec pour autre point commun la présence explicite du nombre d'or dans les deux oeuvres, mais les 100 chapitres se terminant sur 2 chapitres spéciaux m'ont aussitôt rappelé mon projet La fin, monsieur Win, construit selon 6 termes de somme 100 d'une série de type Fibonacci, soit
41-25-16-9-7-2.
  Le roman "en clair" se limitait aux 5 premières parties totalisant 98 chapitres. Pour obtenir le chapitre 99, il fallait prendre chaque 100e caractère des 200000 composant les 98 chapitres, et le chapitre 100 était obtenu selon le même principe à partir des 2000 caractère du chapitre 99.

  Les titres des 5 parties calquaient ceux des 5 parties du 10e roman signé Ellery Queen, Halfway House. Ces 5 titres, The Tragedy, The Trail, The Trial, The Trap, The Truth, constituaient un tautogramme en T, 20e lettre de l'alphabet, et d'autres indices m'ont mené à l'hypothèse que Frederic Dannay, principal auteur labellisé "Ellery Queen", utilisait volontiers les nombres 10-20-5 dans ses romans en référence à sa naissance le 20 octobre 1905.
  J'avais détourné cette hypothèse en utilisant tout à fait consciemment les nombres 5 et 20 pour une intrigue dans la famille du patriarche Twenty, magnat corse du thé, mourant à la dernière seconde du 31/12/2000.

  Ma structure en 98+2 chapitres faisait écho d'une part au 20e siècle finissant, d'autre part par l'absence de 2 chapitres aux 100 chapitres prévus par le jeu de contraintes de La Vie mode d'emploi, Perec en ayant omis un chapitre qu'un lecteur idéal aurait pu en partie reconstituer. Perec avait par ailleurs envisagé une structure fibonaccienne pour son roman inachevé, "53 jours". Je n'oubliais pas non plus les deux "books" de The Greek Coffin Mystery by Ellery Queen, en 21-13 chapitres magnifiés par un acrostiche.

  Je rappelle que c'est une recherche "twentyone thirteen" qui m'avait mené au roman de Brunner, où c'est la date d'où vient en 2014 un voyageur du temps. Je connaissais déjà Pygmalion 2113, paru dans la même collection Présence du futur, et je me suis demandé si la date finale de ce roman, le 31/12/2113, était un palindrome intentionnel.
  Quoi qu'il en soit, ceci fait écho au 31/12 de mon "roman du siècle", avec une autre curiosité car après avoir abandonné le projet initial j'ai eu l'idée de le recycler dans Indécente (L'),  où "l'indécente" Tine Dencel déposait La fin, monsieur Win dans les rayons de la librairie de Léon de Pridegor; une intrigue amoureuse unissait ces deux personnages dont les noms étaient issus d'anagrammes, sans avoir envisagé leurs valeurs, 147/91 = 21/13. Je n'avais pas encore vu que ce cas, 88e de ma page dédiée aux coïncidences 21-13, était aussi associé à un 31/12. Le cas suivant était alors le seul associant la date 31/12 à un 21-13 (en l'occurrence une heure, 13:21).

  Il n'y a évidemment aucun rapport logique entre les 100 chapitres de L'orbite déchiquetée et ceux de La fin, monsieur Win, dont je n'ai écrit qu'un essai des deux derniers chapitres, mais la découverte de cette homologie a immédiatement fait tilt car j'avais déjà été amené à associer Queen et Brunner pour deux romans portant le même titre.
  En 1950 est paru le 20e roman signé Ellery Queen, Double, Double, et j'en ai fait un argument essentiel de ma théorie de la signature "20" de Frederic Dannay, car il compte 20 chapitres, ou plutôt 20 sections non numérotées, introduites par des dates.
  C'est de plus un texte qui semble contraint, avec une surdétermination de "4" et de lettres "D", ainsi la première date du roman est le mardi 4 avril (4/4), et son personnage principal le Dr Dodd (3 D en 4 lettres). Ceci a bien sûr attiré mon attention lors des débuts de Quaternité.
  En 1969 est paru le 40e roman de SF de John Brunner (selon cette page), Double, Double, et l'homonymie m'a conduit à le relire il y a déjà un paquet d'années, lorsque j'ai entrevu la complexité de l'écriture queenienne. J'y ai remarqué le nom du personnage principal, Bruno Twentyman, "homme du 20", mais n'ai pas dû lier le fait à ma famille Twenty (je ne sais si ma relecture était antérieure ou non à mon "roman du siècle").

  Je remarque encore aujourd'hui que 40 est le double de 20, et un examen un peu plus approfondi du corpus brunnerien m'amène à quelques autres curiosités.
  Le cas de The squares of the city (1965, en français La ville est un échiquier) est particulièrement frappant. C'est le 32e roman de SF de Brunner, le 27e originellement publié sous sa signature. Il tient nettement plus du polar que de la SF, montrant son personnage principal, Boyd Hakluyt. embringué dans des événements souvent incompréhensibles. Le dénouement dévoile que les protagonistes de l'affaire correspondaient aux pièces du jeu d'échecs, et qu'ils étaient manipulés pour rejouer dans la réalité une célèbre partie.
  Deux ans plus tôt était publié le 27e roman signé originellement de la "vraie" signature Ellery Queen (voir ici ce que signifie ce "vrai"), The Player on the Other Side (1963, L'adversaire en français), qui est explicitement construit comme une partie d'échecs, avec chaque chapitre titré d'un coup du jeu, et les protagonistes homologués à ses pièces.
  L'adversaire comme La ville est un échiquier ont chacun 33 chapitres.
  J'ai associé dans le précédent billet L'orbite déchiquetée, triple volume de la collection Présence du futur portant  les numéros 137-138-139, à la valeur du nom de l'auteur,
JOHN BRUNNER = 47+92 = 139,
et c'est aussi la valeur de mon auteur fétiche,
ELLERY QUEEN = 77+62 = 139.

  Ainsi les 27es romans de deux auteurs de valeur 139 sont centrés sur le jeu d'échecs, et ont tous deux 33 chapitres. L'adversaire est par ailleurs très particulier, car il semblait que les cousins signant Queen avaient produit leur chant du cygne avec leur 26e roman, Le mot de la fin (1958), ayant comme par hasard pour sujet l'alphabet. Cependant, après un long silence, Dannay a imaginé l'intrigue de L'adversaire, dont il a confié la finalisation à un nouveau partenaire, Theodore Sturgeon, pur écrivain de SF. Les romans suivants seront écrits en collaboration avec d'autres auteurs plutôt connotés SF, Avram Davidson et Jack Vance.
  Ces croisements entre les genres sont illustrés par une autre curiosité. John Sladek, également connoté SF, a écrit deux romans et une nouvelle avec un héros parodiant Ellery Queen, Thackeray Phin. La parenté immédiate avec Ellery Queen se double d'une équivalence numérique,
THACKERAY PHIN = 92+47 = 139.
  Ces valeurs 92-47 font chiasme avec JOHN BRUNNER (47-92).

  J'ai La ville est un échiquier dans sa première édition française, dans la collection Dimensions dont c'est le n° 4, bien venu pour cette histoire de carrés (The squares of the city, tandis que l'échiquier de L'adversaire est matérialisé par York Square, avec ses tours bâties aux 4 coins).
  J'ai quelques autres Brunner, parmi lesquels Virus (1973), qui est un autre n° 4, dans la collection futurama. Le numéro se trouve encore adéquat, car le roman s'achève ainsi :
- Ça, c'est sûr, ajouta Valentine. Aussi sûr que deux et deux font quatre.
  Décidément, avec L'orbite déchiquetée s'achevant sur 1+1 = 2, Brunner montre une certaine dilection pour la logique cartésienne...
  Virus montre aussi une architecture probablement intentionnellement régulière, avec 3 parties de chacune 8 chapitres, intitulées Incubation, Contamination, Mutation. Le 3e roman d'Ellery Queen se passe dans un hôpital, et chacun de ses 30 chapitres a pour titre un mot s'achevant en "ion". Quant aux romans à nombres de chapitres imposés, c'est quasiment explicite pour au moins six Queen, et d'autres cas sont à considérer.

  Je précise s'il en est besoin que je ne sais absolument pas si Brunner a lu Queen. Les échos vont de toute façon plus loin qu'une éventuelle influence raisonnable, mais voici qui va encore plus loin dans l'improbable.
  Le 8 mars, Anne était partie visiter le musée du textile Souleïado à Tarascon. J'ai poursuivi le visionnement de la 7e saison de 24 heures chrono, entamé quelques jours plus tôt. Arrivé au 7e épisode, j'ai retrouvé un détail qui m'avait un peu frappé jadis, mais qui devenait bien plus significatif dans le contexte de mes rapprochements Brunner-Queen.
  D'horribles terroristes se sont emparés d'un système permettant de contrôler diverses infrastructures de l'économie US. Dans cet épisode ils menacent de faire sauter une cuve d'isocyanate de méthyle à l'usine Boyd, ce qui tuerait plus de la moitié des 30000 habitants de la ville voisine de Kidron, Ohio. Le directeur de l'usine, un certain John Brunner, parvient à actionner manuellement les soupapes de la cuve en surpression, mais y laisse sa vie.
  J'avais remarqué ce John Brunner, probablement un clin d'oeil des scénaristes car l'écrivain était engagé dans la lutte pour l'environnement. Incidemment, Double, double de Brunner se passe à Brindown, localité fictive du Kent, et une usine chimique y joue un rôle il est nécessaire d'en vider une cuve de phénol. Boyd est un nom si courant qu'un lien n'est pas obligatoire avec le personnage Boyd Hakluyt de Brunner, ou avec John Boyd, autre écrivain de SF.

  Kidron m'est aussi significatif. C'est le nom d'un torrent à proximité de Jérusalem, courant dans une vallée encaissée car kidron (traduit "obscurité") vient de kedar, "obscur". Je me suis interrogé sur l'étrange appellation dans le 26e Queen, Le mot de la fin, d'un village imaginaire de l'état de New York, Mount Kidron, soit un antinomique "mont de l'Obscurité". J'ai exploré le thème Kidron ici, en rapport avec la Passion de Bach où il est question du Bach Kidron (torrent Kidron), parce que le personnage principal du roman de Queen est le double (ou triple) John Sebastian, né(s) à Mount Kidron. Incidemment la ville échiquier de Brunner est celle du dictateur Juan Sebastian Vados (et le 27e Queen se passe sur l'échiquier de York Square, où Ellery, après avoir été confronté dans Le mot de la fin aux jumeaux cachés John Sebastian qui incarnaient tour à tour un même personnage, se trouve affronter un criminel affecté du syndrome des personnalités multiples).

  Le nouveau contexte m'a donc conduit à faire des recherches sur la ville de Kidron, Ohio, pour découvrir que la ville était fictive, mais empruntait son nom à une minuscule bourgade de l'Ohio, dans le comté de Wayne, dont le seul trait notable est la présence d'un musée dédié aux traditions Amish et Mennonite, et d'une boutique vendant des productions Amish (il y a évidemment des patchworks chers à Anne, qui confie souvent son désir d'aller aux USA voir ce genre d'endroit).
  L'article cite l'épisode de 24 heures chrono, indiquant que la ville décrite est en fait Wooster, que le scénariste Brannon Braga, originaire d'un comté voisin de l'Ohio, a entendu parler de Kidron, sans y être jamais allé, qu'il a choisi ce nom because of its obscurity.[4] (ce mot signifie plutôt "non-importance" que "obscurité", rendu par darkness).

  L'article m'apprend encore que Kidron a été fondée en 1819 par des Mennonites suisses qui ont d'abord appelé l'endroit Sonnenberg. Il n'est pas expliqué pourquoi ce nom a été ensuite changé en Kidron, mais la double appellation me sidère car Sonnenberg signifie "mont(agne) du soleil", bien plus logique que le "mont de l'obscurité" queenien. Une des curiosités repérées dans Le mot de la fin est le nom d'un des protagonistes, Samson Dark : dark est donc "obscur" tandis que Samson rend l'hébreu shimshon, signifiant "solaire", "lumineux" (de shemesh, "soleil").
  Au moment où j'apprenais ceci, Anne était en train de visiter le musée du textile Souleïado, dont le nom signifie en provençal le retour du soleil.

  J'ai remarqué la présence dans cette intrigue, intimement liée à l'origine sémitique de l'alphabet, des mots dark et kidron, dérivé de kedar, qui dans cette transcription est très proche de dark, qui en vieil anglais pouvait se décliner en darke (anagramme de kedar).
  Curiosité, l'un des premiers résultats d'une requête "darke" est le comté de Darke, un des 88 comtés de l'Ohio. En cherchant une image pour illustrer ce point, j'ai trouvé ceci :

  Mon enquête sur "Mount Kidron" m'avait montré que cette association de mots était aussi improbable que je l'imaginais, mais qu'elle apparaissait dans une autre fiction que Le mot de la fin, un roman pour la jeunesse laissé inachevé par John Bellairs mort le 8 mars 1991, et terminé par Brad Strickland.
  Tiens, c'est le 8 mars 2015, exactement 24 ans après ce décès, que j'ai redécouvert la présence de Kidron dans 24 (titre original de la série). Le 8/3 ou 3/8 m'évoque encore les 3x8 = 24 chapitres de Virus de Brunner.
  Ce roman inachevé par un autre John B. est donc Le fantôme dans le miroir. Ses héros sont en voiture sur une large route de Pennsylvanie par un beau jour de l'été 1951 lorsque soudain tout bascule : la route devient très étroite et couverte d'un givre hivernal. Ils découvriront ensuite qu'il s'agit de la route de Mount Kidron, et qu'ils sont en 1828, 123 ans plus tôt. Il est assez probable que Bellairs connaissait Le mot de la fin, car le roman de Queen débute par un accident sur une route verglacée, près de Mount Kidron.
  Les héros de Bellairs ont un accident également :
Abruptly they plunged from thin wintry sunlight into spooky, silent darkness as the car skidded into the very center of the thicket.
  La voiture passe du pâle soleil hivernal à l'obscurité en dérapant dans un fourré. Je suis ébahi de trouver ces mots soleil et obscurité dans une même phrase, en pensant au Sonnenberg/Kidron de l'Ohio.

  Alors que le présent billet était commencé, une recherche indépendante m'a conduit à découvrir l'essai Un malfaiteur de l’humanité, Philippe Marlière et les aliens de demain, signé John Kaltenbrunner.
  Ce nom est un pseudo emprunté au Seigneur des porcheries de Tristan Egolf (traduit en allemand Monument für John Kaltenbrunner), que j'ai lu il y a quelque temps. Il va de soi que Kaltenbrunner fait référence au nazi condamné à mort à Nuremberg, thème déjà abordé sur Quaternité (pour la "prédiction" biblique de la pendaison des 10 chefs nazis en l'an 707 du calendrier hébreu, qui pourrait faire écho à l'épisode 7/07 de 24). Il est assez probable que Egolf, autre écrivain écolo, ait pensé aussi à John Brunner en forgeant ce nom.
  Le seigneur des porcheries se passe dans l'Amérique profonde, dans le comté de Greene dont il est uniquement précisé qu'il fait partie de la Corn Belt; il existe un comté de Greene dans l'Ohio, l'un des 4 Etats de la "ceinture de maïs".

  Je n'avais pas mentionné que le chef-lieu du comté de Darke était Greenville, et l'émergence des comtés de Darke et Greene dans une recherche à partir de Brunner a encore des échos queeniens.
  Je mentionnais plus haut les deux romans queeniens (ou phiniens) de John Sladek. Il leur a choisi des titres sur un thème coloré, Black aura (1974) et Invisible Green (1977), or les premiers "faux Queen" parus dans les années 40 étaient des romans pour les jeunes intitulés selon la même thématique :

  Comme Double, double (de Queen) débute un 4/4, j'ai choisi de publier ce billet un 4/4, et je l'ai intitulé Kidron, kidron en référence à la présence de Kidron dans des contextes queenien et brunnerien. Je me suis avisé ensuite que la valeur de Kidron est 71, et que ce 4 avril est le 71e anniversaire du 4/4/44 (par ailleurs 44/71 est un couple doré).

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