22.9.13

Norwegian Gud


  J'ai particulièrement recherché des noms réunissant les valeurs 52 et 84 de Jung et Haemmerli, et le seul cas immédiat jusqu'ici est celui de l'actrice Michaela McManus, avec une circonstance exceptionnelle.
  Son rôle essentiel a été celui du procureur adjoint Kim Greylek dans la saison 10 de New York unité spéciale. Les actions des épisodes y sont en phase avec leurs dates de première diffusion, ainsi l'action du premier épisode de la saison, diffusé le 23 septembre 2008, débute le 8. C'est ce 8 septembre 2008 que prend ses fonctions
Michaela McManus = 52 + 84 = 136
or c'est aussi le premier jour de l'an 136 de l'ère pataphysique, le jour où j'ai découvert l'harmonie quintessentielle de la vie de Jung autour du 4/4/44, le jour où il aurait échangé son destin avec celui de son docteur, Haemmerli.

  L'épisode débutant le 8 septembre présente aussi un schéma quintessentiel. Kim Greylek entend faire condamner un violeur, Noah Sibert, dont 4 victimes ont été identifiées. L'une, Annabelle Ashton, s'est suicidée, et les témoignages des autres n'apportent aucune preuve décisive. Puis les enquêteurs découvrent que la propre femme de Sibert avait été jadis violée, dans des circonstances similaires aux autres cas, mais le violeur alors moins prudent avait laissé une trace ADN et c'était bien Sibert qui avait ensuite poussé la perversité jusqu'à profiter du désarroi de Gwen pour la séduire.
  Les 4 autres victimes sont Annabelle, Caitlyn, Natalie et Emily, pas forcément dans cet ordre, mais l'acrostiche ACNE m'avait rappelé quelque chose que je m'étais refusé à mentionner avant de disposer d'élément précis.
  A partir de 1997, j'ai relevé dans chaque fiction criminelle lue ou vue les noms des victimes en m'intéressant aux possibilités d'acrostiche. Un cas notable est celui d'un téléfilm (ou épisode d'une série policière) où les 4 victimes d'un tueur atteint de psoriasis avaient dans l'ordre les initiales ACNE; une investigation médicale permettait aux enquêteurs d'éviter de justesse une 5e victime.
  Hélas je suis très bordélique, et mes notes sont réparties sur les supports les plus divers, cahiers surchargés d'inscriptions cryptiques dont le sens m'échappe souvent lorsque je les reprends, feuilles volantes, pages arrachées aux programmes TV, pages de garde des livres à portée de main... J'ai cherché en vain où j'avais pu noter cet ACNE, encore récemment sans succès, et c'est évidemment par hasard que j'ai pu remettre la main dessus.
  Les coïncidences autour de Sous les pans du bizarre décrites dans le précédent billet m'ont fait ressortir Métropolice, de Didier Daeninckx, auquel j'avais emprunté une situation et un personnage, or c'est sur sa première page de garde que figurent mes notes sur le téléfilm, dont je n'ai pas pris la peine de préciser le titre. Les noms complets Guy Valvert (le tueur) et Mariette Pellegrin (?) doivent être suffisants pour l'identifier, toutefois une recherche sur ces noms ne m'a rien apporté. J'ajoute que, attendu que j'ai ressorti Métropolice l'été 99, le téléfilm a quelque chance d'être contemporain.
  Enfin ces notes ravivent ma mémoire. Après les meurtres dans les mêmes circonstances de Chloé et Nadele (?), les flics découvrent le cas précédent similaire d'Angélique. Un 4e meurtre survient, celui d'Elisa, puis je crois que le rare médicament utilisé par le tueur, peut-être l'illisible F..., permet de le retrouver avant qu'il ne tue Sandrine.
  A moins que Sandrine ne soit tuée aussi, auquel cas ce serait Mariette la victime sauvée. J'observe que les lettres ACNES forment le latin necas, "tu tues"...

  Quoi qu'il en soit, j'y avais vu un motif 4+1 remarquable avec le PSORIASIS du tueur révélé après l'épellation du mot ACNE, des maladies de "Poe", souvent donné pour fondateur du polar (l'art Poe).
  L'épisode de New York unité spéciale vient souligner la coïncidence, avec de plus une possibilité d'étendre l'acrostiche à 5 lettres, ACNE+G : la 5e victime qui permet de confondre Noah Sibert est Gwen, tandis que le tueur des ACNE est Guy. Je ne vois pas d'autre arrangement de ces lettres que GANCE, or le cas emblématique qui m'a mené à l'étude des "acronymes victimaires" est Monsieur Abel, d'Alain Demouzon, où ABEL voit un plan meurtrier dans les morts de
Augustin-Bernard-Elisabeth-Liliane, ABEL...
  Ceci m'a conduit à écrire en 2000 pour la revue Caïn une nouvelle avec 4 soeurs meurtrières d'initiales CAIN...

  L'essentiel aujourd'hui me semble être la préfiguration de l'épisode de New York unité spéciale débutant le 8 septembre 8, le jour de mon intuition sur le schéma 4+1 de la vie de Jung, intuition dont j'ai tenté de relativiser l'irrationnalité fondamentale autant que possible. Il y avait des circonstances immédiates, mais encore de multiples autres pistes possibles.
  J'ai évoqué ici Jo Nesbø, dont j'ai lu début juillet 2008 la 5e enquête de son héros Harry Hole, L'étoile du diable, découverte à ma médiathèque, qui se signala d'emblée pour ses multiples liens avec mes préoccupations sur les meurtres géométriques et les amputations.
  4 femmes sont assassinées à Oslo; les meurtres ont lieu tous les 5 jours, les victimes, habitant un 5e étage, sont trouvées amputées d'un doigt de la main droite, avec un diamant rouge taillé en pentacle. L'enquête établit que les lieux des 4 crimes correspondent à 4 sommets d'un pentacle basé sur le centre d'Oslo. Ceci semble désigner un suspect habitant au 5e sommet, Sven Sivertsen.
  Il s'agit évidemment d'une mise en scène du vrai tueur, mais ce qui m'avait le plus frappé alors était les 4 amputations et le nom SVEN, en écho aux 4 mains droites amputées des 4 frères SVEN dans Les Orphelins du Mal.
  Par ailleurs le roman s'inscrit dans la continuité de La mort et la boussole, de Borges, où des morts les 4 de 3 mois consécutifs aux sommets d'un triangle équilatéral amènent à prévoir un 4e meurtre complétant le triangle en losange, avec une effarante possibilité d'acrostiche, et de La bibliothèque de Villers, de Benoît Peeters, où 4 meurtres tous les 25 jours aux 4 sommets d'un carré se concluent par une dernière mort au centre du carré, les noms des victimes, trouvées chacune avec un pentacle gravé dans le dos, formant l'acrostiche LIVRE, sous la forme IVRE+L.
  La dernière victime est le bibliothécaire Lessing, comme "les signes" ou "les cygnes", or c'est un SVEN, "cygne", qui occupe le 5e sommet du pentacle d'Oslo. Un thriller choisi pour son titre numéral, 7, m'a fait découvrir le tueur SWAN, "cygne", qui choisissait les 7 lieux de ses meurtres pour leurs formes, triangles, losanges ou carré correspondant aux pièces du tangram, et pour leurs emplacements dans Philadelphie, reconstituant la figure distendue du cygne. C'est ce roman qui m'avait appris le plan initial de Philadelphie, autour d'un quinconce de 4+1 places.

  Je remarque aujourd'hui le nom du coupable présumé au 5e sommet du pentacle, Sivertsen, "fils de Sivert", remarquable écho au Sibert violeur de 4+1 femmes dans l'épisode de New York unité spéciale. Il s'agit vraisemblablement de noms d'étymologie identique, quoique la généalogie des personnages de fiction soit délicate à remonter...

  Les 5 premiers Harry Hole forment aussi un motif 4+1 dans l'édition française, avec les 4 premiers parus chez un petit éditeur, Gaïa, le prometteur Jo Nesbø ayant ensuite été récupéré par Gallimard, pour L'étoile du diable et son pentacle, précisément.
  Ceci m'a rendu curieux des autres Harry Hole, pas au point de les acheter cependant. J'ai donc lu ceux qui étaient disponibles à la médiathèque, lectures agréables avec parfois des échos à mes intérêts majeurs, notamment l'an dernier avec Le léopard, 8e Harry Hole, où 5 des 8 personnes ayant passé une nuit dans un refuge sont assassinées les semaines suivantes, 4 femmes et 1 homme, prénommés dans l'ordre Adele, Borgny, Charlotte, Marit, et Elias.
  Les initiales ABCME peuvent former une quinte alphabétique parfaite 1-2-3-4-5, sachant que certaines numérologies réduisent M = 13 en 1+3 = 4, notamment le code de Cheiro dont John Lennon était un adepte. Je m'attendais à voir ceci intervenir dans la résolution de l'énigme, avec le H de Harry = 8 dans ce 8e opus, d'autant que l'auteur avait déjà utilisé des jeux alphabétiques dans d'autres romans, mais il n'en a rien été.
  Avant l'assassinat d'Elias, les soupçons portaient sur lui... Je rappelle que le couple Elie-Enoch est primordial dans mes préoccupations jungiennes.

  Il devenait urgent d'avoir lu les 5 premiers Harry Hole. Il me manquait le 2, Les cafards, trouvé d'occasion en début d'année, et le 3, Rouge-Gorge, acquis neuf tout dernièrement en Folio, lu juste après Pandore et l'ouvre-boîte.
  Cette lecture m'a confirmé qu'il existait des niveaux cachés d'écriture chez Nesbø, dont la profondeur et l'intentionnalité restent à déterminer, mon ignorance du norvégien ne me qualifiant guère pour cette tâche.
  Je dois pour cela déflorer les ressorts d'une intrigue sophistiquée, avis à ceux qui préféreraient lire d'abord le roman.

  Il est construit en 10 parties, dont certaines ont des titres d'inspiration nettement biblique, Genèse (premier livre de l'Ancien Testament), Urias, Sept jours, Bethsabée, La révélation (soit l'Apocalypse, dernier livre du Nouveau Testament), Le jugement dernier...
  La clé de l'affaire remonte au siège de Leningrad, dans un avant-poste tenu par 5 volontaires norvégiens, parmi lesquels se détache le charismatique Daniel Gudeson (tiens un autre 4+1), jeune idéaliste parti combattre le bolchevisme. Il est décrit comme angélique, et il influence notamment son ami Gudbrand Johansen, celui qui est surnommé Rouge-gorge, Rødstrupe, pour son habileté à égorger les Russes avec sa baïonnette.
  Le 12 décembre 42, Daniel Gudeson tue un Russe dont il s'approprie la casquette de fourrure et le nom, Urias. C'est le port de cette casquette, au lieu du casque réglementaire, qui cause d'ailleurs sa mort, dans les premières minutes du 1er janvier 43 où il est victime d'un sniper russe.
  Cette mort affecte le groupe, et Sindre Fauke fait part à Gudbrand Johansen de son intention de se livrer aux Russes, ce qu'une ellipse narrative permet d'imaginer s'être réellement passé. En fait Gudbrand a tué Sindre, et échangé son corps avec celui de Daniel, qu'il a respectueusement enterré lui-même. Ceci explique pourquoi la fiancée de Daniel, Signe Alsaker, ne reconnaît pas son corps, ce qui laissera planer un doute sur sa mort.

  Blessé début 44, Gudbrand Johansen est soigné à Vienne, où il a choisi de se faire appeler "Urias". Il tombe amoureux de l'infirmière Helena, également convoitée par le médecin-chef qui se livre à un odieux chantage, en menaçant de décréter Urias apte au service, ce qui équivaut à le renvoyer à la boucherie du front de l'Est. On reconnaît ici une transposition de l'histoire de l'Urias biblique, ou Urie, envoyé se faire tuer par David qui convoitait sa femme Bethsabée.
  Gudbrand-Urias parvient à obtenir une affectation dans la police d'Oslo, mais Helena ne peut partir avec lui. Il ne peut supporter de la laisser en proie au médecin-chef, qu'il égorge avant de partir, et c'est sous l'identité de Sindre Fauke qu'il revient en juillet 44 en Norvège, toujours sous l'autorité du collaborateur Quisling. Il prend contact avec la Résistance; s'il s'avère qu'il y a bien un Sindre Fauke déclaré déserteur par la Wehrmacht, son contact Even Juul exige de lui qu'il exécute un des membres de "sa" famille, tous collabos, et "Sindre" s'en acquitte au-delà de la demande puisqu'il tue les 4 Fauke, "ses" parents et "ses" deux frères, ceux qui auraient été le mieux à même de révéler sa fausse identité.
  A la libération, faire partie du bon camp lui permet de mener une vie normale et de faire fortune, tandis qu'une sévère épuration touche tous les collabos.

  Plus de 50 ans plus tard, Sindre apprend qu'il est condamné par un cancer, et il redevient Gudbrand-Urias-Daniel pour une vengeance longuement différée. Il tue d'abord un survivant du groupe de Leningrad qui pourrait le dénoncer, puis un politicien qui a eu des mots très durs sur les collabos et qui est surtout coupable d'être proche de sa fille Rakel.
  C'est ensuite le tour de Signe, la fiancée de Daniel, traîtresse qui a épousé le résistant Even Juul. Il laisse sur les lieux le message "Dieu est mon juge", et c'est lui-même qui montre à Harry Hole dans un dictionnaire biblique que c'est la signification du nom hébreu Daniel. Les enquêteurs étaient déjà sur la piste du groupe de Leningrad, mais Daniel est officiellement mort, Sindre insoupçonnable, et Gudbrand supposé mort à Hambourg dans un bombardement.
  Sindre confie à Harry que Even Juul, depuis longtemps son ami, montrait une bizarre fascination pour Daniel, jusqu'à parfois demander qu'on l'appelle Urias, puis ne plus s'en souvenir. Harry bâtit à partir de ces révélations l'hypothèse que Juul pourrait être atteint du syndrome des personnalités multiples, et que ce farouche antifasciste, auteur d'une histoire de la Résistance norvégienne, pourrait parfois laisser la place à "Daniel", rancunier envers ceux qui ont renié les aspirations sincères d'un tout jeune homme...
  Even Juul semble alors se suicider, peut-être parce qu'il a démasqué le tueur qui était en lui. Harry n'est pas tout à fait convaincu par ce dénouement car le fusil de précision acquis par le tueur n'a pas été retrouvé, arme rare dont l'usage n'a jusqu'ici pas été justifié.
  Harry comprend le plan du tueur le 17 mai 2000, jour de Fête Nationale en Norvège, où le prince héritier s'adresse à la foule du balcon du Palais Royal. Il parvient de justesse à empêcher Gudbrand-Urias-Daniel de tuer le prince, du 21e étage de l'hôtel SAS Radisson, le plus haut édifice de Norvège, où il avait loué une suite sous le nom Daniel Gudeson.

  C'est bien entendu lui qui avait tué Even Juul et maquillé le crime en suicide, et ce plan criminel obéissait encore à un schéma 4+1, avec une apothéose finale.
  L'extermination de la famille Fauke correspondait par ailleurs à un schéma 1+4, mais j'arrive à ce qui me semble essentiel.
  Gudbrand n'a pas montré à Harry la rubrique Urias (ou Uriah, Uriyah) de son dictionnaire biblique, ce qui aurait révélé la signification "feu de JHWH", Ignis Domini dans la Vulgate. Or il s'agit pratiquement de ce que signifie Gudbrand en norvégien moderne.
  En fait Gudbrand est un vieux nom signifiant "épée de Dieu", mais l'acception "épée" pour brand est aujourd'hui oubliée, et ce mot évoque le "feu" en norvégien moderne, brann, dont il existe d'autres formes dialectales. Tout ceci semble un peu complexe, et ma recherche m'a conduit à découvrir que le personnage Brand de la pièce du norvégien Ibsen était associé au feu :
The word "Brand" means fire in Danish, Norwegian and Swedish.
  Cette sérigraphie proposant diverses figurations de personnages d'Ibsen me semble suffisamment éloquente pour éviter de chercher plus loin. Les lumières des experts en norvégien seraient bienvenues. The next Ibsen could be Nesbø (CNN).
  Ainsi Gudbrand a emprunté à Daniel le surnom Urias dont le sens en hébreu est pratiquement celui de son propre nom. Puis Gudbrand a pris l'identité de Sindre Fauke dont il tue toute la famille vivant dans une ferme perdue d'une réelle région, le Gudbrandsdal !
  Le nom "épée de Dieu" sied d'ailleurs aussi à "Rouge-gorge" dont le mode d'exécution favori est l'égorgement au poignard ou à la baïonnette, et l'acception "épée" de brand est étymologiquement dérivée du "tison". En danois, hollandais et suédois brand signifie "feu", "incendie".

  Ceci va plus loin, car les trois prénoms Gudbrand-Urias-Daniel sont théophores (épée de Dieu, feu de Dieu, jugement de Dieu), et ils forment l'acronyme GUD, "Dieu" en norvégien (ci-dessus "Dieu est bon").
  De plus les deux noms connus associés à ces personnages sont eux aussi théophores, Gudeson pour Daniel, "fils de Dieu", Johansen pour Gudbrand, "fils de Johan", de l'hébreu yaho'hanan, "grâce de JHWH".
  L'ange Daniel avait clairement une vision mystique de sa croisade contre le bolchevisme, ce qui lui a notamment fait donner une sépulture chrétienne à Urias. Dans le document testament qu'il laisse derrière lui, Gudbrand se déclare prêt à rejoindre le Seigneur (l'appellation de JHWH dans la Vulgate).

  Je n'imagine pas que ces lectures soient accidentelles, et ceci me conforte dans l'idée que le jeu sur les victimes A-B-C-M-E du Léopard ne l'était pas davantage, mais il y a d'autres niveaux dont l'intentionnalité est moins assurée.
  Le premier grand roman au second degré sur les personnalités multiples a été L'adversaire d'Ellery Queen (1963). S'il a été traduit en norvégien dès 1964, Mannen med de to liv, "L'homme aux deux vies", il ne semble pas y avoir eu d'édition ultérieure et les "jeunes" tel Jo Nesbø (né en 60) ne connaissent guère Queen. Nesbø ne cite Queen ni dans son autobiographie ni dans cette longue interview sur Rouge-gorge.
  Mon ami Kurt Sercu, webmestre d'un site queenien incontournable, n'a trouvé que la couverture de cette édition suédoise Spel mot en okänd, "Jeu contre un inconnu".
  Je rappelle que le nom de naissance du Queen principal, Dannay, est Daniel Nathan, et que ce premier Queen écrit sans son cousin Lee, avec lequel il s'était brouillé, met en scène ce qui semble être la vengeance de Nathaniel, passant pour mort, à l'encontre des 4 cousins qui ont usurpé son héritage. Les cousins York sont tués tour à tour après avoir reçu des cartons porteurs des lettres J-H-W, ce qui pourrait désigner l'homme à tout faire de York Square, John Henry Walt, un être frustre qui n'a pu planifier ces meurtres.
  Puis le dernier cousin reçoit un carton H, et Walt tente effectivement de le tuer, mais on découvre qu'il est un pion entre les mains d'un mystérieux individu lui dictant ses ordres dans des lettres signées Y. Le dénouement révèle que c'est Walt lui-même qui s'envoie ces lettres, sous l'emprise d'une autre personnalité, celle du dieu de l'Ancien Testament, JHWH ou Yahweh, une autre de ses personnalités étant probablement Nathaniel.

  Il ne m'a pas semblé innocent que quelqu'un nommé Daniel Nathan, en bisbille avec son cousin, imagine cette histoire d'un Nathaniel cousinicide, et j'ai trouvé significatif que Dannay ait choisi pour finaliser son synopsis un Theodore, équivalent grec de Nathaniel ("don de Dieu").
  Les échos avec Rouge-gorge sont multiples :
- un Nathaniel ou Daniel supposé mort qui revient assouvir sa vengeance;
- les jeux multilingues Nathaniel-Theodore et Urias-Gudbrand;
- les acronymes divins JHW et GUD (à noter que Nesbø est un Jo, qui dans Johansen équivaut au JHW hébraïque);
- la 3e victime du vengeur est la fiancée qui l'a trahi, Myra pour "Nathaniel", Signe pour "Daniel";
- l'idée que Even Juul puisse abriter plusieurs personnalités, alors que le cas auquel se réfère Queen est celui d'Eve White/Black, évoqué récemment.

  On peut remonter plus loin, car les meurtres selon le Tétragramme JHWH de L'adversaire sont évidemment inspirés par la nouvelle La mort et la boussole, de Borges, où le vengeur se nomme Red Scharlach, nom allemand de la scarlatine, affection dont le symptôme essentiel est la gorge rouge !
  J'ai indiqué à plusieurs reprises que j'étais pris de vertige devant toutes les pistes ouvertes par cette nouvelle et ses avatars. La nouvelle de 42 débute par l'assassinat du rabbin Yarmolinsky, les 4 noms des victimes aux 4 points cardinaux formant l'acrostiche YGAL, qui en hébreu signifie "celui qui rédime", "le vengeur"...
  ...et il y aura 53 ans plus tard un Rabin assassiné par un Ygal, le premier ministre israélien abattu par Ygal Amir. Les esprits forts ne peuvent bien sûr considérer de telles coïncidences que comme fortuites, mais jusqu'à quand le hasard peut-il être invoqué ? Car c'est aussi le meurtre de la personnalité la plus importante de son pays qu'a planifié Rouge-gorge... Un lien entre Israël et Norvège est aisé car Rabin a été tué à cause de la poignée de main avec Arafat en septembre 93 concluant les Accords d'Oslo, rappelée au tout début de Rouge-Gorge par une rencontre quadripartite entre Barak, Arafat, Poutine et Clinton à Oslo en octobre 99, totalement imaginaire.
  J'avais entamé ici l'étude de la nouvelle de Borges, signalée récemment sur Quaternité, et cet autre billet m'a fait y relier un pastiche de 45 de Queen, Le mystère des ballons rouges, où c'était un Jonathan, autre forme de Nathaniel, qui attirait le flic ayant tué son frère dans un piège au terme d'un jeu de piste macabre, de façon très similaire à ce qui se passe dans La mort et la boussole, qu'il est hautement improbable que Narcejac eût connue en 45.

  Question prémonition, Nesbø pourrait mériter un accessit car c'est en Norvège qu'a eu lieu la tuerie de masse commise par un seul homme la plus importante de l'époque contemporaine, les attentats de Anders Breivik le 22 juillet 2011. De même que Breivik a diffusé ce jour un document de 1500 pages détaillant ses motivations, Gudbrand laisse un manuscrit de plusieurs centaines de pages expliquant tous ses choix. De même que Gudbrand ne parvient pas à tuer le prince héritier, Breivik a manqué sa cible la plus importante, l'ex-premier ministre norvégien.

  Le lecteur français peut trouver quelque écho aux revendications de la droite norvégienne au nom de Gud, "Dieu", car le GUD (Groupe Union Défense) est une organisation étudiante d'extrême droite qui a repris le logo d'Occident, la croix celtique similaire à la roue solaire utilisée par les fascistes scandinaves (vue plus haut sur la couverture anglaise de Rouge-Gorge).

  Deux dates très précises de Rouge-gorge m'interpellent. La 4e partie, Urias, s'achève le 30 juin 44, où la narration laisse "Urias" à Hambourg sous un bombardement. J'ai dévoilé plus haut les ressorts de l'intrigue, mais le lecteur ne sait pas à ce stade qui est "Urias". L'enquête établit ensuite qu'il s'agissait de Gudbrand Johansen, supposé mort dans le bombardement, mais ce n'est qu'à la découverte finale du manuscrit de Sindre Fauke, La grande trahison, qu'est révélée la vérité. Gudbrand a voulu faire croire à sa mort à Hambourg et a débarqué quelques jours plus tard en Norvège sous l'identité de Sindre.
  Or c'est le 30 juin 44 qu'est mort Theodor Haemmerli, et peut-être ce même jour que Jung a quitté l'hôpital. En tout cas Jung a débuté alors une nouvelle vie, profondément changé par les événements de 44. L'hospitalisation de Jung, le 11 février, coïncide à peu près avec celle de Gudbrand évacué à Vienne après avoir été victime d'une grenade le 17 janvier. Je rappelle que Theodor équivaut à l'hébreu Nathaniel, et que Gudbrand a endossé la personnalité de Daniel.

  L'autre date est le 1er juin 2000, où s'achève Rouge-gorge. Le 1er juin est pour moi le Jour des Queen, ce que j'ai encore évoqué le 1er juin dernier dans le billet Jour des Rois, parce que les cousins Queen étaient nés en moyenne le 1er juin 1905, ce que je soupçonne Dannay d'avoir exploité dans plusieurs romans. Je me souviens avoir été conscient le 1er juin 2000 qu'il s'agissait du 95e anniversaire de Queen, 95 étant la valeur de l'hébreu milka, "reine".
  Je remarque que Rouge-gorge a été publié initialement en 2000, comme mes Pans du bizarre, que j'ai (ou n'ai pas) écrit l'été 99 (voir le billet précédent), ainsi Nesbø rédigeait probablement son manuscrit en même temps que s'écrivait le mien, où il est explicitement question des meurtres divins de L'adversaire.

  Quelques petites choses encore. Je me suis demandé si la vision le soir du 7 septembre 08 d'un épisode de Barnaby avait pu influencer mes intuitions de la nuit suivante. Dans ces Noces de sang, une anagramme révèle le secret de la naissance de Robin Lawson, second mort de l'épisode. Robin, diminutif de Robert, est aussi le nom anglais du rouge-gorge.
  C'est un Robert qui est la première victime de L'adversaire, peut-être en hommage à Stevenson qui a imaginé avec Jekyll-Hyde un cas de personnalité multiple bien avant la reconnaissance effective du syndrome.

  Rouge-Gorge a choisi le 21e des 34 étages de l'hôtel SAS Radisson pour perpétrer sa dernière exécution. Je retrouve le partage fibonaccien de 34 en 21 et 13 qui me hante depuis que j'ai découvert dans la bibliothèque familiale l'acrostiche The Greek Coffin Mystery By Ellery Queen courant sur les deux parties en 21-13 chapitres d'un Queen de 1932, et dont les avatars les plus marquants ont été les rapports Haemmerli/Jung ou Nathaniel/Daumal = 84/52 = 21/13.
  Je rappelle que le pataphysicien Alain Calame, spécialiste de Borges, a écrit Une affaire en or, pastiche fibonaccien de La mort et la boussole, où les quatre meurtres sont commis à 5-8-13-21 heures, ce dernier correspondant à l'exécution de Lönnrot par Scharlach.
  J'ai un jour feuilleté dans une solderie le Guide de Paris de l'Ivre de Pierres (mai 82), compilation de Jean-Paul Jungmann, et y ai trouvé un autre pastiche de la nouvelle de Borges, Fantaisie architecturale, signé Bernard Marcadé. Je l'ai bien sûr acquis et l'actualité me le fait ressortir aujourd'hui. Voici le premier paragraphe de ce texte :
  L'histoire se passe dans un parc de la Villette alternatif, dont l'entrée principale est avenue Corentin Cariou. J'ai démarré ce billet parce que j'avais retrouvé l'acrostiche ACNE dans Métropolice, dont j'avais emprunté le meurtre d'Enrico Conti à la station de métro Corentin Cariou, et je suis épaté de retrouver ce nom en arrivant à son terme.

  Il y a une circonstance extérieure ébouriffante. C'est hier 21 que j'ai exhumé l'Ivre de Pierres, dont une phrase a excité ma curiosité :
Brusquement il y eut une interminable odeur d'eucalyptus.
  C'était vraisemblablement une citation de Borges, et ce matin premier jour de l'an 222 du calendrier républicain j'ai ressorti mon exemplaire de Fictions (Folio n° 614, 1981) pour y vérifier que cette interminable odeur d'eucalyptus était non seulement dans l'incipit de La mort et la boussole, mais que la 4e de couverture offrait aussi cet incipit.
  Vers midi, j'ai vu qu'un colistier de la liste Oulipo proposait l'exercice de la Semaine du Livre, recopier la 5e phrase de la page 52 du livre le plus proche de soi, sans en indiquer les références. Ceci m'a semblé amusant, et j'ai pris Fictions à la gauche de mon ordi, et trouvé la 5e phrase de la page 52 digne d'être citée :
Telle fut la première intrusion du monde fantastique dans le monde réel.
  Juste après avoir posté le message, je me suis souvenu avoir remarqué que le texte Fantaisie architecturale s'achevait page 52 du livre de Jungmann (52 étant la valeur de JUNG). Le livre était à la droite de mon ordi, en fait plus proche de ma main droite que Fictions au moment où j'ai reçu le message sur la 5e phrase de la page 52, et constaté que la phrase donnée plus haut était effectivement la 5e de la page 52, que voici in-extenso, car ce bouquin ne doit pas être dans toutes les bibliothèques (cliquer pour agrandir).
  Si la liste Oulipo est privée, quoique ouverte à tous, une bonne partie de ses messages est accessible sur un site sauvage, et ceux du 22 septembre sur la Semaine du Livre sont lisibles ici.

  Note du 26 : Quelques jours après cette fabuleuse coïncidence un peu de recul m'amène à d'autres constatations.
  Jungmann a édité à partir de 1977 4 volumes du L'ivre de pierres, plus le Guide du Paris de L'ivre de pierres (1982), autre motif 4+1, et le découpage de LIVRE en L-IVRE fait écho à l'acrostiche IVRE-L de Peeter(s), autre Pierre(s), dans La bibliothèque de Villers (1980), avatar explicite de La mort et la boussole. Le Paris de L'ivre de pierres ne dépare pas du Pâhry des Cités obscures de Schuiten-Peeters, notamment dans L'étrange cas du docteur Abraham montrant le centre Beaubourg apparaître à Pâhry au 19e siècle.
  La 5e phrase de la page 52 ouvre un nouveau paragraphe, soit donc un autre motif 4+1 avec les 4 phrases précédentes de la page (il manque pour la première le mot "Il", page 51 ou LI en chiffres romains).
  Cette 5e phrase page 52 a 48 lettres, et elle m'a fait découvrir dans Fictions la 5e phrase page 52 qui a 60 lettres (48+12, motif 4+1 déjà repéré pour la construction par Jung de Bollingen, son "livre de pierre").
  Depuis juin le mot "roi" et ses différents avatars ont accédé au premier plan de ma recherche, or le "LIVRE" chinois était jadis transcrit KING (plutôt ching maintenant). J'ai redécouvert récemment que Rabelais avait remplacé les Helye et Enoch de la première édition de Pantagruel par Artus et Ogier, or le roi ARTUS est le renversement du sanskrit SUTRA, "livre"...

  Note du 27 : je suis également émerveillé par la 5e phrase de la page 52 de Fictions,
Telle fut la première intrusion du monde fantastique dans le monde réel.
  Elle est issue de la première nouvelle du recueil, Tlön Uqbar Orbis Tertius, dans l'édition Folio également utilisée par Perec pour ses citations de Borges dans La Vie mode d'emploi. J'ai eu la curiosité de googler la phrase, 5 résultats ce 27, le 5e étant Quaternité (4+1 !), les 2 précédents le blog de tor-ups, et dans ces lettres "de tor-ups" je repère aussitôt l'anagramme de (R)ødstrupe, le titre original de Rouge-gorge.
  Pourquoi ce nom ? Parce que l'existence d'Uqbar n'est connue que par un exemplaire particulier du 46e volume de l'Anglo-American Cyclopaedia, Tor-Ups, de 921 pages au lieu des 917 de l'édition normale. Les 4 pages supplémentaires sont consacrées à Uqbar (et le volume devrait donc être indexé Tor-Uqb).
  Je remarque que TOR-UPS est l'anagramme de PROUST, un autre des 20 auteurs dont 10 citations sont réparties dans les chapitres de La Vie mode d'emploi.

  Note du 30 : le 28 un mèl d'Etienne Cornevin, 'pataf émérite, transmettait un article daté du 23 sur son site des Nouvelles-Hybrides, où j'ai aussitôt repéré le début de la 3e phrase,
Les distributeurs de ballons de rouge (« cafés ») ferment (...)
avec ces ballons de rouge en gras et rouge vinasse, alors que j'ai parlé plus haut du Mystère des ballons rouges de Narcejac, en rouge avec lons rouges en gras en pensant à Lönnrot dans la nouvelle de Borges.

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