7.3.11

l'insolite affaire de stylo

7 mars : Georges Perec aurait aujourd'hui 75 ans.
Deux coïncidences sont survenues ces derniers jours, liées à Perec et au 7 mars.
Depuis quelques jours, la liste Oulipo s'intéressait à divers reclassements de l'alphabet. Le 4 mars à 8:17, l'érudit Alain Chevrier signala un poème d'Aragon de 1920, adressé à Picabia, consistant en un abécédaire complet, mais dans un désordre éventuellement calculé :

D F A L B C O E H G
I K J M Q R P X S U
W T N Y V Z

J'y jetai un oeil, et repérai que les seules lettres à leurs places étaient S et Z, ce qui me fit penser à S/Z, essai de Roland Barthes que je n'ai jamais lu, mais que je sais vaguement concerner Balzac.
Sans trop réfléchir, je commençai à taper une réponse, remarquant que Perec avait aussi utilisé un alphabet complet dans le désordre, pour numéroter les sections du dernier texte paru de son vivant, « Penser/Classer » (republié ensuite dans le livre de même titre), indiquant dans l'antépenultième section qu'il s'agissait de l'ordre d'apparition des lettres dans le 7e chapitre de Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino.
Il y remarquait que trois lettres restaient à leur place usuelle, I, Y et Z.
Plus avant, il écrivait que « Penser/Classer » lui faisait penser à « Passer/Clamser »...

J'écrivais mon message en écoutant d'une oreille France-Inter, où Alain Rey parlait de son Dictionnaire amoureux des dictionnaires récemment paru. A l'instant exact où j'écrivais le nom Perec, l'intervieweur disait que beaucoup d'écrivains y étaient répertoriés, "évidemment Georges Perec, Roland Barthes, beaucoup d'autres" (...)
Je l'ai signalé dans mon message, posté à 8:35, sans d'abord y voir quelque chose d'extraordinaire, car la loi des grands nombres veut que, des millions d'auditeurs étant probablement à l'écoute, il n'y ait rien d'étonnant à ce qu'au moins l'un d'eux ait été à l'instant même préoccupé par Perec et Barthes.
Un peu plus tard, il me vint à l'esprit que la coïncidence marquait deux textes aux titres proches, de par la présence du signe "/". Je ne vois à première vue pas d'autre titre de ce genre, et il est d'ailleurs assez probable que Perec ait emprunté la forme à Barthes, qu'il respectait profondément.
Je n'étais plus très sûr de ce que j'avais entendu, et ai réécouté l'émission ici. Effectivement, vers le temps 8:40 de l'interview, les noms Georges Perec, Roland Barthes sont articulés distinctement sans séparation aucune, et ce sont les seuls noms cités.
Me renseignant sur le poème d'Aragon, j'appris qu'il avait pour titre la pensée ! Et qu'il avait écrit peu après un alphabet exactement ordonné, avec pour titre Suicide (passer/clamser !)

Ce même 4 mars, j'ai commencé à lire L'insolite aventure de Marina Sloty, de Raoul de Warren (1980), déjà lu il y a un certain temps, une dizaine d'années, et que je n'avais alors guère apprécié.-- Une coïncidence de date est venue booster ma lecture : le 1er novembre 1943 apparaît dans le récit, alors que je venais de le trouver ailleurs dans des conditions plutôt énigmatiques dont je ne peux parler pour l'instant, car il s'agit d'une expérience littéraire en cours (ce sera pour le prochain billet).
Je crois que je n'aurais pas eu besoin de ça pour trouver un grand intérêt au roman, dont je reparlerai, mais voici la coïncidence touchant au 7 mars.
Le 7 mars 1959, Marina Sloty, 25 ans, est prise dans un dérèglement temporel qui l'expédie 89 ans plus tôt, le 7 mars 1870. Elle parvient à identifier les causes de cette faille temporelle, qui se reproduisent le 4 avril suivant, ce dont elle profite pour regagner son époque, le 4 avril 1959.
Je me suis souvenu d'une nouvelle lue en 2003, par hasard car Philippe Claudel n'est pas mon genre d'auteur. Elle est intitulée Tania Vläsy, 13e et dernière nouvelle du recueil Les petites mécaniques (2003). Cette Tania Vläsy âgée de 36 ans mène une vie insipide dans une ville non nommée, jusqu'au 4 avril 1959, 13 heures, où deux hommes viennent la chercher et lui font passer des tests sous le numéro 5691. Elle est déclarée être "La Reine". C'est ensuite un défilé perpétuel d'une part d'hommes nus qui la possèdent, d'autre part d'employés qui viennent emporter les bébés qu'elle éjecte sans trêve. Dans la dernière phrase on apprend qu'elle s'est tiré une balle dans la tête peu après 13 heures ce 4 avril.
J'avais remarqué ce numéro 5691 = 7 x 813 dans ce recueil où les deux nouvelles les plus longues occupaient les rangs 8 et 13; la 8e, L'autre, imagine un autre Rimbaud, celui qui serait mort à sa place à Marseille. J'avais exploité dans mon roman le fait que Rimbaud soit né dans le 8 et mort dans le 13.
Je reviens à Marina Sloty, dont j'ai achevé la lecture le 6 mars, peu avant minuit. J'ai éteint ma lampe de chevet, et entendu la cloche sonner les 12 coups. C'est donc dans les premières minutes du 7 mars qu'il m'est venu l'idée de calculer les valeurs numériques de ces prénom-nom, soit
MARINA-SLOTY = 56-91
56 91, alors que Tania Vläsi était devenue "5691" ce même 4 avril 1959, et que j'avais scindé de moi-même ce nombre en 56-91, en résonance avec 8-13. Pourtant, malgré cette parfaite correspondance, malgré les noms slaves, présents dans le titre des textes, de ces deux personnes dont le destin a basculé le 4/4/59, je n'imagine pas de lien rationnel entre ces fictions, et je verrais plutôt dans ces rencontres un écho à cette phrase issue de l'insolite stylo de Raoul de Warren :
Ne trouvez-vous pas extraordinaire que dans cette affaire les volontés humaines semblent ne compter pour rien et que les événements se produisent avec une sorte de fatalité désespérante ?
8 et 13 sont encore des termes de la suite de Fibonacci, 1-1-2-3-5-8-13-21-34-55-89-..., où le rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or.
Marina Sloty est ce que j'appelle un nom doré, correspondant au partage doré optimal de sa somme 147 en 56-91, appréciable car ces nombres sont proportionnels aux termes 8-13-21. Il se trouve que Marina Sloty réalise aussi l'opération 1959 = 1870, or
1870 = 34 x 55
1959 = 34 x 55 + 89
34-55-89 sont les termes suivant 8-13-21 dans la suite de Fibonacci. Bizarre...
Plus curieux encore, le nom Sloty est d'évidence apparenté au polonais zloty, qui signifie "or" ou "doré" (et c'est aussi le nom de la monnaie polonaise).
Sloty/Zloty, et j'avais commencé la journée où j'ai entamé la relecture de Marina Sloty par l'évocation du S/Z, de Barthes (plutôt que de Barthez).

On reconnaît dans d'autres langues slaves les consonances de zloty pour le mot "or", et je me suis souvenu que Perec avait fréquenté en 1956-57 des membres d'un mouvement artistique serbe nommé Zlatni Rez, "Section Dorée", étant tombé amoureux d'une fille du groupe, ce qui lui inspira son premier roman, L'atttentat de Sarajevo, refusé par les éditeurs.
J'ai la curiosité de vérifier par le traducteur Google comment se dit "section dorée" en serbe, et j'obtiens златни пресек, qui se lit zlatni presek, presque Perec qui vient de l'hébreu perets signifiant précisément "brèche", "coupure". C'est d'ailleurs le mot рез, rez, que Google donne pour "coupure". Et "brèche" c'est раскорак, raskorak (Perec a signé Parac son lipogramme What a man !).

Je me suis intéressé ailleurs aux noms dorés, le plus cher à mes yeux étant probablement Georges Perec (= 76-47). Je laisse de côté mes études sur le nombre d'or dans son oeuvre pour m'attacher à la collision de ces derniers jours entre Perec et Sloty (47+91 = 138, alors que le rapport Sloty/Marina est 13/8).
Les rapports prénom/nom étant inversés, on pourrait imaginer un couple idéal Georges Sloty et Marina Perec dont les valeurs 167 et 103 (76+91 et 56+47) sont encore en rapport d'or optimal.
Une recherche sur la toile ne livre aucun Georges Sloty, mais la première "Marina Perec" (aujourd'hui 7 mars) est la directrice d'une compagnie californienne nommée Oro Loma ("colline d'or" en espagnol).
La suivante est une jeune artiste moscovite, née un 31/8 (1988), une date qui m'est chère car correspondant au 21/13 dans le calendrier pataphysique. Ses oeuvres rappellent fort la période psychédélique, et après avoir hésité entre divers mandalas j'ai choisi cette composition qui pourrait illustrer La Vie mode d'emploi :
Google ne signale pour l'heure aucune autre Marina Perec que cette moscovite et la californienne d'Oro Loma.

167/103 : les noms parfaitement dorés sont rares, 1 chance sur 100 environ. Il en existe d'autres ou le rapport est moins parfait, par exemple entre les nombres 103/64, le rapport précédent dans la même série additive : 64 est bien l'entier le plus proche de 103/Phi, mais 64 x Phi serait plus proche de 104.
Ces derniers noms sont moins rares, 1 chance sur 60 environ, néanmoins je ne connais en chair et en os qu'une seule personne remplissant ce critère (du moins parmi celles dont j'ai calculé les valeurs), Roland Brasseur = 64-103 (167) précisément, perecophile auteur de divers livres et articles sur Perec, dont ce 54e jour dans la collection Gondol.
Précisément, Roland est intervenu en février sur la liste Perec, après la mention d'une critique d'un ouvrage récent de Denis Cosnard, Dans la peau de Patrick Modiano, où le parallèle entre Perec et Modiano est développé :
Ainsi, pour les deux écrivains, les chiffres 11 et 43 résonnent de façon particulière. Nombre de chapitres ou numéros de téléphone, ils cachent une date terrible et une coïncidence : la mère de Dora Bruder et celle de Perec ont quitté Drancy pour Auschwitz par le même convoi de novembre 1943.
Plusieurs participants de la liste ont rappelé que ce convoi 47 n'était pas parti de Drancy en 11/43, mais le 11 février 43, et Roland Brasseur a rappelé qu'il avait fait une communication en 99 sur les cousinages Perec/Modiano, soulignant un autre niveau de coïncidence : les deux mères originaires de Pologne à qui Hitler et Pétain ont imposé un tragique retour au pays des zlotys se prénommaient toutes deux Cécile.
Je rappelle que ma relecture de Marina Sloty a été pleinement attentive après la découverte du 1er novembre 43 apparu le matin même dans des circonstances que j'espère pouvoir révéler dans le prochain billet, lequel sera bien entendu daté du 4 avril.

Si je ne connais pas personnellement David Bellos, auteur de la première biographie de Perec, il m'a cependant aidé à chaque fois que je lui ai demandé quelque chose, notamment pour ma page Spenser / classer ? au titre évidemment inspiré de Perec.
Il se trouve que David Bellos a un nom doré, avec un rapport prénom/nom identique à celui de Marina Sloty
DAVID/BELLOS = 40/65 = 8/13
Bellos pouvait se sentir particulièrement concerné par l'écriture de Perec du fait de ses origines polonaises.

Dernière petite curiosité :
PENSER/CLASSER = 77/77 = 1
L'INSOLITE AVENTURE DE MARINA SLOTY = 377
soit le 14e terme de la suite de Fibonacci.

1 commentaire:

Françoise Granger a dit…

Totalement subjuguée par ces développements dont la plupart échappent à mes compétences effroyablement limitées en mathématiques et troublent ma sereine rationnalité... mais, la curiosité étant une belle qualité, j'y retourne de ce doigt.
MERCI de cette ouverture sur des hypothèses alléchantes !