13.12.24

Schefferville

à IL & JE

  Je viens d'apprendre qu'avant Norferville (2024) sont parus deux romans se passant dans une ville minière du grand nord canadien, Terminal Grand Nord de la québécoise Isabelle Lafortune (2019), se passant dans la réelle Schefferville, et The Darkest Season, de RJ Ellory (2022), traduit en 2023, Une saison pour les ombres. Le roman se passe à l'imaginaire Jasperville, inspirée par Schefferville, également à la source de la Norferville de Thilliez.

  J'ai lu le roman québécois ce 9 décembre, et y ai découvert quelque chose qui va bien au-delà des ressemblances avec Thilliez.
  Plusieurs coïncidences quintessentielles sont survenues lors de ma découverte de l'harmonie 4-1 de la vie de Jung autour du 4/4/44, le 8 septembre 2008.
  L'une touchait un de mes intérêts, l'utilisation de dates pascales cachées en littérature, et j'avais découvert en juin 2008 une nouvelle de 2001 en 8 sections, datées du Dimanche 8 avril au Dimanche 15 avril, ce qui correspondait exactement à la semaine pascale 2001.
  Je connaissais déjà deux romans couvrant exactement une semaine sainte, celle de 1895 dans Le parfum de la dame en noir de Gaston Leroux (1909), et celle de 1944 dans Et le huitième jour... d'Ellery Queen (1964). Les prodigieux hasards contés ici m'ont fait découvrir deux autres romans de ce type.
  Le 30 septembre, ce fut Les quatre coins de la nuit, de Craig Holden (2000, 1999 pour l'édition originale Four corners of night). L'action s'y déroule du dimanche 31 mars au dimanche 7 avril 1996. S'il est anecdotiquement fait allusion aux Rameaux et à Pâques, il est clair (et j'en ai discuté avec lui) que l'auteur y envisage une rédemption christique de son personnage principal.
  Le 10 octobre, ce fut Le Décorateur de Boris Akounine, composé de 9 chapitres datés du Mardi Saint 1889, au matin, au Dimanche de la Résurrection, pendant la nuit. C'est apparemment clair, mais je soupçonne que l'auteur s'est inspiré ici de la naissance de Hitler le Samedi Saint 20 avril 1889 (Hitler était explicitement présent chez Queen).

  Alors Terminal Grand Nord se déroule sur 7 jours, du Lundi 2 avril 2012 où sont découverts les corps des jeunes Innues (indiennes autochtones) Natasha et Gina Mackenzie, disparues depuis le 15 mars, au Dimanche 8 avril, où est découvert et tué le responsable direct de leur mort.
  On aura deviné qu'il s'agit de la Semaine Sainte 2012, mais il n'y a aucune allusion explicite à Pâques dans le roman. Une recherche associant "Terminal Grand Nord" et "Pâques" n'a de plus rien donné. Serai-je le seul concerné par ces coïncidences?
  Il semble cependant que la piste religieuse soit à suivre, car les 4 personnes directement impliquées dans la mort de Natasha et Gina sont Martin, Marc, Lucas, et John, prénoms fort proches des Evangélistes. Dans Saga, de Tonino Benacquista, les 4 scénaristes d'une série nettement christique sont Mathilde, Marco, Louis, et Jérôme...
  Rien de nouveau sous le soleil...

  Lucas est un ami de Natasha, il l'a initiée à la fumette et introduite dans des parties fines. Il a tenté de l'empêcher de participer avec sa jeune soeur à la soirée du 15 mars, sans succès. Il tente de se suicider le 3 avril après la découverte de leurs cadavres.
  Marc a séduit Natasha pour le compte de son employeur, la société minière Métald'Or. Il la paie 5000 dollars pour participer avec sa jeune soeur à la soirée du 15 mars. Il est assassiné le 5 avril pour l'empêcher de parler.
  John Casey est un ministre que Métald'Or entend corrompre pour se voir attribuer l'exploitation des mines de Schefferville. Il accompagne Marc à la soirée du 15 mars, et est filmé en train de violer Gina, mineure et vierge. La mort des filles n'était pas au programme, et John échappe au chantage qu'on lui impose en se suicidant le matin du 6 avril, Vendredi Saint commémorant la crucifixion d'un autre JC.
  Martin Vollant est un flic d'origine innue, sur place lors de la soirée, pour superviser la manipulation. Il récupère les filles ensuite, mais Gina fait une syncope mortelle provoquée par les diverses drogues qu'on lui a fait absorber, et il est contraint de tuer Natasha. Il est démasqué et tué le 8 avril, Pâques.

  Il y a d'autres JC, comme Joe Cardinal, celui qui a justement organisé la soirée pour piéger John Casey. C'est le chef de la communauté innue de Sept-Iles, la grande ville la plus proche de Schefferville. Il s'attend à être tué par ses commanditaires et met sa famille à l'abri.

  La narration du récit est essentiellement confiée à Giovanni Celani, écrivain, ami du flic de Québec Emile Morin envoyé à Schefferville pour enquêter, et qui l'emmène parce qu'il est né à Schefferville, où il était connu en tant que Johnny C.

  Dans cette affaire christique ne peut être omis le nom d'un comparse important, Christian Dutronc, secrétaire du Premier Ministre. Il a intrigué pour que soit nommé John Casey, sachant que son goût pour la jeune chair en ferait une proie facile au chantage. Selon l'exégèse chrétienne, le verset d'Isaïe "Un rameau sortira du tronc de Jessé" concerne Jésus.

  Maintenant j'avoue que je ne vois guère à quoi tout ça rime. J'imagine que madame Lafortune a un problème avec la religion, car c'est plutôt hard d'associer les 4 Evangélistes au meurtre sordide de la jeune vierge Gina. Au passage, ce peut être un diminutif de Virginia, et on peut penser à la Vierge, mère de Jésus.
  Peut-être des implications locales m'échappent-elles, et que la connaissance des événements de 2012 au Canada pourrait aider. Mais 2012 est une année intéressante en soi pour un projet pascal, car le "huitième jour" queenien y tombe le 8 (avril).
  En fait, il y aurait une bonne raison à l'année 2012, car l'activité minière, abandonnée en 1982, a repris en 2011. Wikipédia m'apprend que la ville doit son nom au vicaire du Labrador, Lionel Scheffer, et qu'un notable premier ministre canadien, Maurice Duplessis, y a passé ses derniers jours (Lafortune y fait allusion, ainsi qu'à la visite d'Elizabeth II).
  Le roman est manifestement destiné au lectorat local. Beaucoup d'auteurs québécois utilisent une langue très proche du français hexagonal, mais ce n'est pas le cas ici, et le texte aurait besoin d'être traduit ou accompagné d'un lexique pour être pleinement compris.

  J'avoue aussi l'avoir lu très rapidement, sans essayer de tout comprendre.
  J'ai été frappé par un détail. Un personnage secondaire se nomme Samuel Jourdain, et
— Vous savez ce que signifie le mot Jourdain?
— Si j’le sais? Tu veux rire? Ben sûr que j’le sais. Ça me colle dessus en masse. J’ai lu ça sur Wikipédia.
Sam décela l’étonnement dans l’expression faciale d’Émile.
— Fais pas une face de même, j’sais me servir ­d’Internet. Ça veut dire, en hébreu: rivière de la peine, genre. Beau programme, hein?
  Je ne le savais pas, ou l'avais oublié, mais ça m'a aussitôt rappelé le premier roman de Craig Holden, The River Sorrow (1994), devenu La rivière du chagrin. Cette rivière Sorrow traverse la ville imaginaire de Morgantown, et j'imagine que Holden a sciemment utilisé cette référence biblique. Dans son roman suivant, The Last Sanctuary (1996), un certain Joe Curtis (JC) aux multiples références christiques prend la tête d'une petite secte en Alaska. C'est assez proche de ce qui se passe dans Et le huitième jour... de Queen, et j'avais interrogé Craig à ce sujet; il m'avait répondu qu'il ne l'avait pas lu.
  Et son roman suivant est donc celui qui couvre la Semaine Sainte de 1996.

  Il est évidemment mentionné dans mon billet d'octobre 2008, et il est plutôt probable que quelqu'un qui s'intéresse aux dates pascales en littérature trouve ce billet, bien référencé. Je l'ai aussi traduit en anglais en 2011.

  Il n'y a a priori pas beaucoup de rapports entre l'intrigue de ce roman et celle de celui signé par Thilliez, mais il y a d'étranges coïncidences onomastiques, certaines sur des prénoms courants, John, Marc, Antoine, Florent, mais d'autres sur des prénoms et noms qui le sont moins, Mackenzie, Kashtin, Angelune.
  Chez Lafortune, Angelune est le prénom de la fille de l'enquêteur, Emile Morin. Elle l'accompagne à Schefferville, et c'est elle qui recueille un mot échappé à Lucas juste après sa tentative de suicide, avant qu'il ne tombe dans le coma, "kashtin".
  C'est un mot innu qui signifie "tornade", et c'est aussi le nom d'un groupe. On découvre chez Lucas dans un CD de Kashtin des infos qui mettent les enquêteurs sur la piste de Marc.
  Chez Thillez le premier suspect se nomme Florent Kashtin. Ce n'est en fait pas l'assassin recherché, mais c'est tout de même un vilain qui va mourir ironiquement dans une tempête, après avoir tenté de tuer Teddy Schaffran (je m'interrogeai ici sur ce nom, pouvant s'expliquer maintenant par son voisinage avec Scheffer).

  Chez Thillez, Angelune Gill est l'une des Innues disparues à Norferville, alors qu'on la croyait chez sa copine, Kelly McKenzie, dans la réserve innue de Maliotenam, proche de Sept-Iles (d'où part le train pour Nor-Schef-ferville).
  Chez Lafortune, les soeurs Mackenzie viennent de cette réserve de Maliotenam, dont Joe Cardinal est le chef. La page Wikipédia sur Maliotenam m'apprend que le duo Kashtin en est originaire, et que ses membres se nomment Claude McKenzie et Florent Vollant. Je rappelle que l'assassin final des soeurs Mackenzie est Martin Vollant.
  A croire que les auteurs, comme monsieur Jourdain, connaissent Wikipédia, et ont tiré les noms de leurs personnages du site.
 

  J'apprends aussi que le nom (déformation de l'innu Mani utenam) signifie "Ville de Marie". Ceci aurait-il joué dans l'idée de faire tuer la vierge Gina par les 4 évangélistes? Je rappelle que c'est le chef de Maliotenam qui a organisé la soirée tragique, Joe Cardinal, Joe diminutif de Joseph, et c'est parmi les cardinaux qu'est élu le représentant de Jésus sur terre, chez les catholiques romains.

  Chez Thillez, 5 hommes ont organisé un réseau de prostitution à Norferville, et ont tué au fil des ans 13 femmes, celles dont la disparition avait peu de chances d'être remarquée.
  Il s'agit de 3 blancs, Paul Liotta, chef de la police, John Malconne, Nick Lavigne, et 2 Innus, Marc Meshkenu et Sid Nikamu (ils sont assassinés par le trio, lequel tente de maquiller leurs morts en suicides). Deux des prénoms du quatuor meurtrier de Lafortune sont présents, John et Marc, et Saint Paul a été vu comme le cinquième évangéliste. Nick est souvent associé au Diable chez les Anglo-Saxons (et un Sid est connu pour être vicieux).

  Incidemment, en lien avec mes précédents billets, je découvre que Bach a aussi été vu comme le cinquième évangéliste. Je rappelle que la découverte du 5e texte "Semaine Sainte", celui de BA, Boris Akounine, après celui de CH, Craig Holden, est due à ma passion pour BACH.
  Reprendre Norferville après être revenu sur le roman pascal de Craig Holden m'a amené à une constatation: il débute par un viol en mars 1996, sans plus de précision, tandis que Les quatre coins de la nuit débute par l'enlèvement de la petite Tamara, 12 ans, le 31 mars 1996, Dimanche des Rameaux.

  Chez Thilliez, Florent Kashtin est le fils d'Antoine Kashtin, le chef de la réserve innue de Norferville, tandis que, chez Lafortune, Martin Vollant est le fils d'Antoine Gagnon, le principal personnage blanc de Schefferville.

  Les débuts des deux romans ont un point commun. Les enquêteurs s'étonnent que les corps des victimes aient été placés près de pistes où ils seraient découverts. Les raisons sont différentes dans les deux cas, mais il y en a évidemment une qui est commune aux auteurs: il n'y aurait pas de roman sinon.
  Les fins sont également proches. Chez Lafortune, Angelune a démasqué Martin Vollant, mais celui-ci s'empare d'elle et s'apprête à la tuer, tandis que, chez Thilliez, Léonie Rock a démasqué John Malconne, mais le trio s'empare d'elle et s'apprête à la tuer. C'est un dénouement tout à fait banal dans une intrigue policière.
 
  Rien de marquant donc. Quant aux similitudes onomastiques, je ne sais rien de la fréquence des noms propres au Canada, donc de la probabilité de ces collisions. Je vais faire appel à la chère Danielle à Montréal, laquelle aura peut-être aussi des infos sur le Québec en 2012.
   Question ressemblance, j'avais été frappé par celle entre Le syndrome [E] et le superbe roman de Theodore Roszak, La conspiration des ténèbres. S'il y avait emprunt conscient de l'intrigue, je ne comprenais pas comment le nom du cinéaste subliminal de Roszak, CASTEL, pouvait  réapparaître dans celui du colonel de la DGSE exploitant un autre cinéaste subliminal, CHASTEL. Et il y avait d'autres coïncidences onomastiques.
  Il me semble que le problème se situe bien au-delà de l'éventuel plagiat... Une autre question ahurissante est celle posée par les Secrets d'auteur de Labyrinthes, où "Thilliez" donne un total fantaisiste pour le nombre de chapitres de son livre, alors que le réel nombre est 55, évidemment commandé par Fibonacci.
 
 
  Je reviens à la Pâque 2012. Depuis 2008, je crois n'avoir rencontré qu'un roman couvrant exactement une Semaine Sainte, celle de 1932, dans un polar italien où c'était explicite et ne semblait receler aucun arrière-plan subtil. Infos dans ce billet de 2019, l'année de parution de Terminal Grand Nord. On y trouvera aussi un bilan de mes recherches pascales.

  Le 14 avril 2012, le dimanche suivant Pâques ou Quasimodo, j'ai publié ce billet où j'étudiais le roman de Claudine Chollet, paru en juillet 2008, Polycarpe et le Nombre d'Or, dans lequel une précision sur la pleine lune m'avait  conduit à penser qu'un événement essentiel se produisait dans la nuit suivant le Vendredi Saint 2007, ainsi ce roman semblait réunir deux de mes principales obsessions, Pâques et le nombre d'or....
  Ce n'était en rien intentionnel, car Claudine avait donné au hasard sa date de pleine lune, sans connaissance du comput pascal, mais qui se fierait aux seules données du roman serait immanquablement conduit à dater la Pâque 2007 au 22 avril (c'était le 8, comme en 2012).

  La Semaine Sainte couverte par Terminal Grand Nord va donc du lundi 2 au dimanche 8 avril. Le roman est réparti en sections introduites par lieux et dates précises, en gras, par exemple:
Résidence de Joe Cardinal
Maliotenam, le mercredi 4 avril 2012
10 h
  J'ai eu la curiosité de dénombrer les sections correspondant à chaque jour, et voici les résultats, de lundi à dimanche:
11 - 15 - 8 - 5 - 8 - 3 - 5
  En tout 55 sections, nombre de Fibonacci, et les 5 derniers nombres sont des Fibos.
  Une césure d'or 34-21 apparaît après les 3 premiers jours, ceux sur lesquels les Evangiles sont muets. Jésus arrive à Jérusalem le Dimanche des Rameaux, puis on passe au Jeudi pour la Cène et l'arrestation de Jésus.
  Une autre césure 13-8 apparaît pour les 4 derniers jours, mort et résurrection.
   Et une autre encore pour les deux derniers jours, 3-5. Le peu de choses qui se passe en ce samedi 7 avril semble témoigner de l'intentionnalité de l'utilisation de la Semaine Sainte, alors que le rythme propre à un polar usuel tend à s'accélérer vers la fin.

  Le chapitre correspondant au Samedi Saint dans Et le huitième jour... se limite à trois mots:
Et Ellery pleura.

  Je n'ai évidemment pas été le seul à repérer la trame pascale de ce roman, et d'autres articles y ont été consacrés.
  Mais si d'aventure Lafortune était tombée sur mon blog, il lui aurait été difficile de n'y pas voir mon obsession pour le nombre d'or, que j'associe notamment à Queen.

  Quoi qu'il en soit, l'objet est là, quelles qu'aient été les intentions de l'auteure: un roman couvrant exactement la Semaine Sainte 2012, et dont la structure reflète assez exactement la suite de Fibonacci.
  Si les 11 et 15 sections des deux premiers jours déparent dans cette approche Fibo, ce sont les valeurs des deux digrammes WH et YH composant le tétragramme YHWH, dans un roman où l'hébreu est convoqué par Samuel, "son nom est Dieu".

  Et c'est précisément en avril 2012 que j'avais envisagé la conjonction de Pâques et du nombre d'or....

  Pas de Pâques chez Thilliez, mais du Fibo à foison. J'ai interrompu l'étude de "ses" textes après avoir jeté un oeil sur Le cahier d'enquête de Franck Thilliez, paru en mai dernier. Il m'est tout à fait évident que les nouvelles de ce cahier ne lui doivent rien, en conséquence la signature "Thilliez" est pour moi un mensonge, et je n'espère plus avoir d'éclaircissements sur les énigmes que posent les textes signés de ce nom.
  Néanmoins, j'ai succombé il y a peu devant le recueil Le Pire des Noëls, 21 nouvelles écrites par les membres de la Ligue de l'Imaginaire. Celle signée "Thilliez" est Neige, et son début m'a fait penser à un film de Chabrol, Alice ou la dernière fugue (1977); sans surprise, le dénouement est identique, et bien plus original que le flic capturé par le criminel.

  J'ai signalé la chose sur le Cercle littéraire des amis de FT, que je n'avais pas visité depuis longtemps, et c'est là que j'ai appris l'existence des romans se passant à Schefferville et Jasperville.
  J'ai donc lu le premier, celui d'Isabelle Lafortune, IL, et je vais lire celui de JE, Jon Ellory, qui fera peut-être l'objet d'un prochain billet.

  J'apprends que Lafortune a écrit un second roman Chaîne de glace (2022), avec les mêmes personnages. Après les petites mains, il semble que les flics s'y attaquent aux véritables responsables, les chefs de la Métald'Or.