4.1.09

la mer des Indes

Barbara Hannah m'a appris, dans son Jung - sa vie et son oeuvre, qu'au moment de son infarctus de 44 Jung avait déjà écrit les premiers chapitres de Mysterium coniunctionis (dont le premier tome ne parut qu'en 55).
J'ai jeté un oeil sur ces premiers chapitres, et me suis attardé sur le second, La quaternité, où Jung donne parmi ses exemples un passage du Tractatus Micreris :
En la mer des Indes sont les figures du ciel et de la terre, de l'été, de l'automne, de l'hiver et du printemps, le masculin et le féminin. Si tu appelles cette chose spirituelle, ce que tu fais est probable; si tu la nommes corporelle, tu dis vrai; céleste, tu ne mens pas; si tu la dis terrestre, tu as bien parlé.

Une note indique que "la mer" (en général) représente la materia prima pour les alchimistes.
Jung schématise ainsi ce qu'il interprète comme une double quaternité:
Ses commentaires débutent ainsi :
[8] La double quaternité ou ogdoade représente une totalité, un être qui est à la fois céleste et terrestre, spirituel et corporel, et qui se trouve dans la "mer des Indes", c'est-à-dire dans l'inconscient. C'est, à n'en pas douter, le microcosme, l'Adam mystique, l'homme primordial au double sexe considéré en quelque sorte dans son état prénatal où il est identique à l'inconscient. C'est pourquoi, dans le gnosticisme, non seulement le "Père du Tout" est décrit comme masculin et féminin (ou plutôt ni l'un ni l'autre), mais il est en outre appelé βυθός : le fond, l'abîme.

Le chapitre est assez court pour qu'il soit permis de penser que cet exemple, tout à fait frappant, ait figuré dès le premier jet, rédigé avant l'infarctus et les visions où Jung s'est vu contempler la terre de l'espace, à la verticale de Ceylan, baignant comme on sait dans l'océan Indien, ci-devant mer des Indes.
Il n'y a pas que la "mer des Indes" qui fasse signe dans ce commentaire où apparaît aussi Adam, alors que le nom occidental de l'isthme qui unissait jadis Ceylan à l'Inde est le Pont d'Adam, que Jung a peut-être vu avant la récente révélation des photos satellite.
Je me sens encore contraint d'évoquer le roman Léviathan d'Akounine, dont le dénouement se passe précisément au Pont d'Adam, où le paquebot Léviathan manque de se fracasser sur ses hauts-fonds, son capitaine félon l'ayant dirigé à gauche de l'île Mannar, au lieu d'à droite où se situe la passe.

Je me réjouis particulièrement de cette image trafiquée par Krish Ashok, où le Pont d'Adam et l'île Mannar ont été remplacés par la main d'Adam et le doigt de Dieu de la célèbre fresque de Michel-Ange.
Je rappelle que juste après l'échec de sa tentative le capitaine ChARLes est tué, par le commissaire GUSTAVe assassiné à son tour, par la principale criminelle, la JUNGe Schweizerin ("jeune Suissesse") Renata Kléber, qui survit à un grave accident et le héros d'Akounine prédit que la justice lui sera clémente.
Ainsi une "Jung" suissesse survit en "mer des Indes" après la mort de "Carl et Gustav", alors que le texte alchimique fusionnait masculin et féminin. Si cette fausse Suissesse est en fait l'aventurière belge Marie Sanfon, il y a encore des échos dans le commentaire où Jung évoque Bythos, "l'Abîme", le premier éon de l'Ogdoade dans la gnose valentinienne, composée de deux tétrades. Dans mon précédent billet, j'évoquais le "brouillard sans fond" opposé par Jung à la "vraie vie" (Zoé, "la Vie", est un autre éon de l'Ogdoade valentinienne).
Coïncidence ou synchronicité, ce commentaire sur l'ogdoade débute le paragraphe 8 de Mysterium coniunctionis (les références jungiennes utilisent cette numérotation par paragraphes). Le 8 est aussi au coeur de l'aventure de Léviathan, où les protagonistes se disputent un trésor de 512 pierres précieuses de 80 carats, 512 cube de 8 ayant été choisi à cause du symbolisme bouddhique du nombre 8.

Diverses opportunités convergentes m'ont inspiré un pastiche des premières strophes du Lac, de Lamartine, jadis appris par coeur à l'école.
Il faut savoir que LAMARTINE est l'anagramme de A TERMINAL, et qu'un mot alchimique important est AZOTH, issu du fait que les trois alphabets latin, grec, et hébreu débutent par la même lettre A(lpha,leph) et s'achèvent sur des lettres différentes, Z, Oméga, Thaw.

                          LA CLÉ

Ainsi toujours poussés par le Moi qui tout scinde
En contraires trop stricts, dualismes imposés,
Ne pourrons-nous jamais dans l'océan des Indes
              Unir les opposés?

O clé ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et comme l'an neuf voit son quatrième jour,
Regarde ! je viens seul devant la sainte pierre
              Que je creuse à mon tour !

J'inscris profondément dans cette noble roche,
Le secret, à la fois total et relatif,
De la libération qui pourrait être proche
              Si l'on est attentif.

Il me souvient qu'un soir je rêvais en silence,
Laissant bien loin ce monde et son chaos de mots,
Emporté par le flux de l'antique Sapience
              Résolvant tous les maux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Débutèrent leur chant par un Zoth abyssal,
Jusqu'à ce que, sans bruit, ô sublime mystère !
              Advînt A Terminal !

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