3.1.23

Dannay pour l'éternité


à Fred et Jorge Luis

  J'ai rapproché la nouvelle de Borges La mort et la boussole (1942) des romans "yahvistes" de Fred Dannay, La décade prodigieuse (1948), Coup double (1950), et L'adversaire (1963). Les deux premiers ont été finalisés par Manny Lee, le cousin de Dannay, l'autre par Theodore Sturgeon.
  La nouvelle de Borges n'est parue qu'en 1954 en anglais, mais Dannay l'a lue vers 1947-48, car Anthony Boucher en avait effectué une traduction pour le magazine de Dannay; celui-ci refusa de la publier, mais accepta Le jardin aux sentiers qui bifurquent, paru en août 1948 dans EQMM (première traduction en anglais de Borges).
  On peut voir ici les débuts de la traduction de Boucher et du brouillon de la préface de Dannay. Dans cette préface il est remarqué que le "señor Borges" mentionnait admirativement Ellery Queen dans sa nouvelle Examen de l’œuvre d’Herbert Quain, dans le même recueil Fictions. J'en parle dans cet article destiné au numéro 29 de Caïn, mais la revue a été interrompue au n° 28.
  Borges a été de fait un lecteur enthousiaste des premiers Queen, jusqu'à La maison à mi-route (1936) dont sa critique a été traduite par Alain Calame et publiée dans le numéro 29 d'Enigmatika (où Calame a donné son pastiche de La mort et la boussole). Le labyrinthique Borges ne semble pas avoir perçu toutes les subtilités métatextuelles de ce roman, étudiées dans le n° 27 de Caïn.

  Il est patent que La mort et la boussole est une nouvelle plus policière que Le jardin aux sentiers qui bifurquent, et les arguments de Dannay pour refuser sa publication dans EQMM sont peu convaincants.
  Peut-être ce refus est-il lié à la parution prochaine, à l'automne 1948, du premier Queen depuis 1945, Ten days' wonder, alors que jusque là les cousins avaient fait paraître au moins un livre chaque année. C'est que Lee renâclait à mettre en écriture le synopsis métaphysique concocté par Dannay, basé sur la transgression des Dix Commandements.
  L'une des transgressions est la profanation du Nom divin, le Tétragrammaton, JHWH, or ce mot rare "Tétragrammaton" est aussi présent dans la nouvelle de Borges, et ce n'est pas le seul point commun.
  Dans les deux oeuvres le criminel exploite la cérébralité du détective, et a soin de disposer sur son chemin des indices l'orientant vers un schéma numérique, quaternaire chez Borges, dénaire chez Queen. Dans les deux oeuvres encore des indices ne s'adressent qu'au lecteur:
- chez Borges la première victime est le rabbin Yarmolinsky, dont la chambre se trouve en face de la suite du "Tétrarque de Galilée", curiosité car il n'y a plus de tétrarque depuis belle lurette (c'était le titre d'Hérode);
- le roman de Queen est composé de 10 chapitres, de Le premier jour à Le dixième jour, sans que cela corresponde à une succession temporelle effective; le dernier chapitre est composé de 10 sections, numérotées de 1 à 10 (j'avais étudié le motif 9-1 dans La maison à mi-route).
  Le détective de Borges est Erik Lönnrot, initiales EL, alors que le personnage Queen est fréquemment appelé El;
  Le premier crime chez Borges a lieu à l'Hôtel du Nord d'une ville non nommée, et l'enquête d'Ellery concerne un meurtre chez les Van Horn, North Hill drive, à Wrightsville (ville imaginaire).

  Les Queen avaient connu une mésaventure éditoriale en 1940. Peu avant la publication de leur nouveau roman Il était une vieille femme, basé sur une comptine, était paru le chef-d'oeuvre d'Agatha Christie basé sur la comptine Dix petits nègres, si réussi que la publication de Il était une vieille femme fut remise à plus tard (1943).
  On peut imaginer que Dannay n'ait pas souhaité publier une nouvelle qui avait tant de points communs avec son roman à paraître, mais il est difficile ce comprendre ce qui l'a conduit à publier en 1950 Double, double (Coup double), une nouvelle série de meurtres commandée par une comptine, un roman jugé faiblard par la plupart des critiques (y compris Boucher).
  Je pense que ce 20e roman fait partie d'un plan arithmologique. Dannay est né le 20/10/05, et j'ai remarqué que:
- son 10e roman, Halfway house (La maison à mi-route), a 5 chapitres, et met diversement en jeu le motif 9+1;
- le18e roman, Ten days' wonder, a 10 chapitres, répartis en 9+1 comme énoncé plus haut; il est basé sur une transgression des 10 commandements, jusqu'au plus grave, le 10e, Tu ne tueras pas;
- le 20e roman, Double, double, a 20 chapitres; s'il n'y a pas de motif immédiat 9+1, on peut l'imaginer par les rangs 18 et 20 de ces derniers titres (18/20 = 9/10); ce roman a aussi en commun avec Ten days' wonder que la présence d'Ellery est nécessaire au plan du criminel.

  Ce n'est qu'une approche, soulignée par la présence de half, "moitié", dans le premier titre, et celle, double, de double dans le dernier. 5 est bien la moitié de 10 (ten), et 20 le double de 10, le double du double de 5...

  Quant au motif 9+1, une hypothèse est bien le Décalogue, dont un commandement intéresse au premier chef l'auteur de polars, bien qu'il ne soit pas le dernier dans la liste canonique.
  L'exégèse juive a représenté 5 Commandements sur chaque Table, et vu dans cet arrangement une mise en équation du Tétragramme YHWH, dont les lettres sont aussi les nombres
10-5-6-5.
Le W, waw, est grammaticalement la copulative "et", d'où YHWH pourrait se lire
Y = H et H,
10 = 5 + 5.

  Aux rangs 10-5-6-5 correspondent dans notre alphabet les lettres J-E-F-E, formant l'espagnol jefe, "chef".
  Ce mot jefe n'apparaît pas dans La mort et la boussole, mais il est important dans Le jardin aux sentiers qui bifurquent, une nouvelle dont la complexité est telle que, malgré maintes lectures, je suis surpris chaque fois par son dénouement. L'essentiel du récit n'y a aucune importance, seul y compte le nom du professeur Albert, assassiné sur l'ordre d'un espion allemand en Angleterre, lequel, ne disposant d'aucun moyen de communication avec son chef à Berlin, a trouvé ce moyen de lui transmettre, via la presse, ce mot ALBERT, nom d'une ville stratégique en France.
  L'une des dernières phrases de la nouvelle est
El jefe ha descifrado ese enigma.
Le chef a déchiffré l'énigme.
  Seul le nom importait, or "Le Nom" est la désignation usuelle du Tétragramme JHVH, dont la prononciation est interdite (ou "l'articulation", la dernière phrase écrite par le rabbin assassiné étant La première lettre du Nom a été articulée).
  Au passage, Borges énonce dans cette nouvelle la théorie du multivers, avec près de 20 ans d'avance sur la formulation scientifique de cette hypothèse, laquelle rendrait compte de la grande objection d'Einstein (Albert!) à la théorie quantique: Dieu ne joue pas aux dés.

note du 22/03: J'ai appris que dans la première version de la nouvelle, Albert était Corbie, réelle ville française de la Somme ayant eu son importance pendant la guerre de 14, mais Albert est une autre ville de la Somme bien plus névralgique.

  Dans La mort et la boussole, s'ils ne sont pas des jefes, il y a néanmoins des chefs, à commencer par le "Tétrarque de Galilée", à l'Hôtel du Nord.
  Lorsque Lönnrot se rend au sud de la ville pour prévenir le dernier crime commandé par le Tétragramme, ce sud est dit "un faubourg usinier où, sous la protection d'un chef de bande barcelonais, prospèrent les manieurs de pistolet", le plus renommé étant Red Scharlach.
  Dans la version originale, ce "chef de bande barcelonais" est un caudillo barcelonés, et il ne fait pas de doute pour les spécialistes que ce soit une allusion à Alberto Barceló (tiens, un chef prénommé Albert), le maire mafieux de la cité au sud de Buenos Aires, Avellaneda, dont le principal homme de main était le tenancier d'un bordel, Ruggieri.
  Il me semble probable que la ressemblance de ce nom avec le français "rouge" soit grandement à l'origine de "Red Scharlach", que voici ci-contre à gauche, quelques semaines avant son assassinat, en compagnie de Carlos Gardel. A l'anglais red, "rouge", est accolé l'allemand Scharlach, "scarlatine", mot issu de la couleur "écarlate".

  Il est bien plus conjectural d'avancer que, Avellaneda étant dérivé de avellana, "noisette", Borges ait souligné la ressemblance entre amygdalê, "amande" en grec, migdal, "tour" en hébreu, et les bordels zwi migdal de Buenos Aires.
  Incidemment, Borges signalant que la rue de Toulon de sa nouvelle décrivait le Paseo de Julio à Buenos Aires, une rue spécialement "juive", une recherche croisée avec Zwi migdal amène des centaines de résultats, presque uniquement en espagnol.
  S'il est évident qu'il connaissait les Zwi migdal, est-ce en rapport avec les choix d'inscrire sa nouvelle entre l'Hôtel du Nord en forme de tour et le mirador de la villa du Sud, et des initiales de ses victimes, MY-DA-G-EL, pouvant se lire MYGDAEL, à l'hébraïque?
  La piste avellana-amygdalê peut amener à se demander si ce n'était pas le mot (A)MYGDALE qui était visé. J'avais remarqué jadis qu'un symptôme de la scarlatine touchait les amygdales.

  C'est le film Last Embrace (Meurtres en cascade) qui m'a fait connaître les Zwi migdal, et j'ai été curieux de lire le roman dont il était adapté.
  Il n'était pas traduit en français, et l'exemplaire qui m'est parvenu des USA avait en couverture une mygale...
  Dans cette histoire, les petits-fils des macs de la filière US des Zwi Migdal sont tués par le goel ha-dam, le "vengeur du sang", terme biblique. En hébreu translittéré, l'expression s'écrit GAL EDM, 6 des lettres des initiales des victimes de Borges. GALY EDM serait le pluriel "vengeurs du sang", et Red Scharlach appartient à cette catégorie puisqu'il venge la mort de son frère.

  Les initiales des seuls patronymes des victimes forment YGAL, "il venge".
  Je doute fort que Borges ait pensé à toutes ces possibilités. Je ne l'imagine d'ailleurs pas connaître l'hébreu, mais il était proche de Xul Solar, Juif originaire de Riga, ésotériste et kabbaliste.

  Si Ellery appartient à une famille goy, catholique semble-t-il, Dannay et Lee étaient juifs et ont reçu une éducation israélite. Je ne peux préjuger de ce que Dannay a pu lire dans la nouvelle de Borges, mais il devait au moins connaître les Zwi migdal dont le vaste réseau s'étendait aux USA.
  Toujours est-il que peu après sa lecture de La mort et la boussole est paru Double, double, en 1950, et que le mot chief, "chef", y est au premier plan.
  L'homme le plus riche de Wrightsville meurt d'une crise cardiaque, léguant ses 4 millions de dollars à son docteur, Dodd. Juste après se suicide un homme d'affaires ruiné. Ceci donne des idées à l'assistant de Dodd, Ken Winship, considéré par Dodd comme son fils, son héritier potentiel si Dodd n'était superstitieux et se refusait à faire un testament.
  Alors Winship tue deux hommes de Wrightsville connus pour être le "mendiant" et le "voleur", et se débrouille pour faire venir Ellery, afin qu'il saisisse la correspondance avec une célèbre comptine, et en informe Dodd, se voyant comme la prochaine victime d'une malédiction.
  Quelques tours de passe-passe accumulent les signes de malheur autour de Dodd, lequel rédige un testament, et meurt dans un "accident" le lendemain.
  Mais Dodd a légué sa fortune à une fondation médicale, ce qui évite à Winship d'être soupçonné. Cependant certaines personnes possèdent des indices gênants, et il doit ainsi éliminer le notaire de Dodd, un lawyer précisément, poursuivant la série de la comptine. Les enquêteurs se demandent où trouver le "chef indien" qui suivrait, mais c'est un tailleur qui est victime d'un incendie. Ellery trouve une version de la comptine où Indian chief  est remplacé par Merchant chief, ce qui collerait mieux, et une autre recension sépare Merchant de chief par une virgule.

  Une dernière tentative de meurtre a lieu, à l'encontre d'Ellery qui est un "chef" à sa manière.
  C'est que, dans les romans d'Ellery Queen, Ellery est aussi un romancier, auteur des aventures du détective Dave Dirk, lequel a une secrétaire qui l'appelle "chef". Ellery est aidé dans son enquête par Rima, la fille du Mendiant, qui par jeu l'appelle "chef".
  Ellery l'introduit auprès de Dodd, qu'il soupçonne avant d'avoir saisi le lien avec la comptine, et Rima sympathise avec Ken Winship, si bien qu'ils se marient.
  Ellery a compris que c'était Winship l'auteur de la série criminelle, mais ne dispose d'aucune preuve pour le confondre. Alors, avec l'aide du chef de la police, il monte un dossier contre Rima, l'accusant des 5 meurtres et de la tentative contre lui, avec pour preuve qu'elle était la seule à Wrightsville à l'appeler "chef". La justice sera clémente avec elle, car il est évident que seul un esprit dérangé peut s'être ainsi laissé influencer par une comptine.
  Winship aime vraiment Rima, et avoue tout avant qu'elle ne soit emmenée par les policiers.

  Pour qui connaît un tant soit peu Queen, cette scène rappelle le 9e jour de La décade prodigieuse, où Ellery accuse Howard de la série de transgressions des commandements, jusqu'à l'assassinat de Sally, et en déduit son évidente folie (madness). Mais ici Ellery est sincère, et son accusation provoque le suicide de l'instable Howard, conformément au plan du véritable criminel.
  Un an plus tard, le 10e jour, Ellery comprendra qu'il a été manipulé.

  Vers la fin de Double, double, les noms des victimes tournent dans l'esprit d'Ellery, comme s'il y avait quelque chose à en déduire:
MACCABY.
Hart.
Anderson.
Jacquard.
Dodd.
Holderfield.
Jonathan Waldo.

The room was beginning to feel unstable; the floor developed a tilt.

MacCaby.
Hart.

Put two men in a hotel room for a few hours, thought Ellery, and it begins to smell like a tomb.

Anderson.
Jacquard...
  Peut-être la solution réside-t-elle dans les initiales:

Rich man, Poor man,    MacCaby    Hart
Beggarman, Thief,       Anderson   Jackard
Doctor, Lawyer,            Dodd          Holderfield
Merchant, Chief.          Waldo        W  (chef)

  Comme déjà indiqué, il y a deux Waldo, les jumeaux David et Jonathan, et l'un a survécu. Il pourrait être la prochaine victime de Winship, mais celui-ci préfère tenter d'éliminer Ellery, le "chef" qui le menace. Après l'avoir démasqué, Ellery suggère que Winship sera exécuté pour ses crimes, lui qui est le "chef" ayant orchestré la machination.

  Quoi qu'il en soit de ce dernier point, le fait est que les initiales des 7 morts effectifs sont MHAJDHW, pouvant se réorganiser en JHWH et MAD, "fou", ou DAM, "sang" en hébreu. Une réédition du roman a porté le titre racoleur The case of the seven murders.
  Ma lecture répond-elle a une intention de Dannay? Tout ce qu'il est possible de dire est qu'il a précédemment utilisé le Tétragrammaton dans La décade prodigieuse, où il en donne les transcriptions IHVH et YHWH ("sans parler des autres combinaisons"), et que les meurtres de L'adversaire obéiront explicitement à la signature J-H-W-H.
  Je remarque que le prénom de la dernière victime est Jonathan, en hébreu un nom théophore, YHWNTN, signifiant "don de YHWH". Le second mort de la série est John Hart, John venant d'un autre prénom théophore, YHWHNN, "grâce de YHWH".
  Winship souhaitait éliminer les jumeaux David et Jonathan dans l'incendie de leur maison. Incidemment Dannay est né Daniel Nathan, mais le docteur qui l'a déclaré à l'état civil l'a inscrit sous le nom David Nathan, car il privilégiait les grands noms de l'Ancien Testament. Difficile d'imaginer que Dannay n'y ait pas pensé en baptisant ses jumeaux, avec la dernière tentative de Winship visant Ellery lui-même.

  Mais les coïncidences les plus improbables se produisent, et une nouvelle de Queen a pour titre Miracles Do Happen.
  Précisément, devant l'extraordinaire coup du sort qui a contraint Winship à poursuivre la série qui devait s'achever avec le docteur, Ellery invoque "une autorité supérieure qui régit toutes choses croyables et incroyables".
  JHWH rend MAD ceux qu'Il veut perdre...

  J'ai déjà signalé la profusion des 4 et des lettres D dans Double, Double, a commencer par le titre et le début de l'histoire un 4/4. En écrivant ceci, il me vient que c'est dans ce seul roman de Queen qu'est donnée l'identité du détective des romans d'Ellery, Dave Dirk, deux mots de 4 lettres débutant par D... Il est évident qu'il y a là une intention, mais pour signifier quoi? Comme le dit Ellery, chaque fait admet plusieurs significations, par exemple:
- Dannay avait 44 ans à la parution du roman;
- glorification de l'initiale de son prénom de naissance Daniel;
- piste vers les 4 couples de morts, les 2 premières fortuites, les 2 suivantes provoquées pour faire tester Dodd, celles du docteur et de son notaire, enfin les jumeaux, et ces 4 couples épellent JHWH...

  La similitude est frappante avec le scénario de Borges. Une première mort fortuite, le soir du 3/12, celle du rabbin laissant la mystérieuse allusion au Nom. Les deux morts suivantes, les soirs des 3/1 et 3/2 suivants utilisent cette piste du Nom pour allécher Lönnrot, amené à penser que le Nom est le Tétragrammaton, et que les soirs des 3 sont en fait des 4 selon le comput hébraïque, d'où il est conduit le 3/3 suivant à l'endroit où l'attend Red Scharlach.
  Borges aurait pu accentuer l'harmonie du schéma en datant la première mort du 3/1, les suivantes du 3/2 et du 3/3, idéal pour magnifier le triangle isocèle formé par les lieux des meurtres. Les indices quaternaires donnés à Lönnrot auraient ainsi mené au 4/4 temporel, et au 4e sommet du losange.

  Le choix de Borges de l'assassinat du rabbin à la date "hébraïque" du 4/12 m'avait amené à une constatation. C'est un 4/11 (1995) qu'a été assassiné à Tel-Aviv le premier ministre d'Israël, nommé précisément Rabin. Si c'était vers 9:30 du soir, et donc un 5/11 "hébraïco-borgésien", le décalage horaire avec Buenos Aires est tel qu'il y faisait jour en ce 4/11.
  Au-delà des incidences politiques, l'événement a eu d'énormes rebondissements car il aurait été inscrit depuis 3000 ans dans la Bible, et un chercheur en "code biblique" avait trouvé en 1994 que la seule ELS (séquence de lettres équidistantes) "Yitzhak Rabin" du Pentateuque croisait avec un verset énonçant "l'assassin qui assassinera".
  Michael Drosnin a alerté les autorités, et transmis son message à Rabin, mais il ne pouvait donner de détails sur un attentat aisément prévisible par ailleurs, les accords d'Oslo ayant déclenché une violente hostilité des nationalistes.

  J'ai dit ailleurs ce que je pensais du code biblique. Il n'existe un texte de la Bible hébraïque unique que depuis la première édition imprimée au 16e siècle. Tous les manuscrits antérieurs connus diffèrent entre eux, notamment du fait de la possibilité d'écrire les mots de différentes façons, et rien ne permet de dire que la version choisie pour l'édition imprimée soit plus authentique que telle autre.
  Ainsi il est illusoire d'imaginer qu'un message portant sur des milliers de lettres remonte au texte biblique "original", si tant est qu'une telle chose ait eu une réalité, ce que dément l'analyse textuelle.
  Néanmoins le procédé peut être intéressant d'un point de vue synchronistique, et il n'est pas anodin que quelqu'un ait pu voir dans un texte l'annonce de l'assassinat de Rabin, bien que ça me semble bien en-dessous de la prédiction de la chute du communisme russe en juin 1991 par Vlaicu Ionescu, plus de 20 ans à l'avance, selon son interprétation de Nostradamus.
  La prédiction de Drosnin aurait pu être auto-réalisatrice, car elle était connue des extrémistes religieux, lesquels auraient été fondés de penser que son actualisation pourrait servir leur cause. De fait, bien que l'assassinat aurait pu logiquement renforcer le Parti Travailliste, c'est le Likoud nationaliste et Netanyahou qui ont remporté les élections suivantes.

  J'ai déjà mentionné que les initiales des patronymes des victimes de Borges, YGAL, correspondaient au prénom de l'assassin de Rabin, Ygal Amir (ou Yigal mais en hébreu ça ne s'écrit qu'avec 4 lettres, יגאל)
  Comme déjà dit, ce prénom signifie "il venge" ou "il rachète", et c'est ce verbe qui donne le substantif goel ha-dam, "vengeur du sang". Il est question du vengeur du sang et des villes de refuge (où le vengeur n'a pas le droit d'opérer) dans trois courts passages bibliques, et c'est précisément dans l'un de ces passages qu'apparaît l'expression unique "l'assassin qui assassinera" (Dt 4,42).

  J'avais été plus loin dans mes recherches il y a une quinzaine d'années, mais avais renoncé à approfondir tellement ça me semblait fou et difficile à partager, à tel point que j'avais oublié des résultats essentiels, lesquels me semblent pouvoir aujourd'hui être complétés par de nouvelles dingueries...

  Après coup, Drosnin avait trouvé d'autres grilles pouvant avoir trait à l'assassinat de Rabin, donnant par exemple le lieu, Tel-Aviv, la date hébraïque, et surtout il avait trouvé une autre représentation de la grille initiale où "Yitzhak Rabin" (en lettres blanches cerclées de bleu) croise avec "l'assassin qui assassinera" (encadré en carmin), permettant de lire "nom de l'assassin" et "Amir" (idem, première ligne). Il signalait aussi la présence de "Netanyahou" (idem, troisième ligne). Cliquer sur l'image l'agrandira.
 

    J'avais été frappé que "nom de l'assassin" et "Amir" soient dans l'un des autres passages sur les villes de refuge, (Nb 35,11), et il suffit d'élargir la grille pour trouver dans le verset suivant le "vengeur du sang", le GAL (גאל), encadré en bleu. Drosnin aurait pu exploiter ceci, d'autres l'ont probablement fait.
  "Amir" (עמיר) se lit à l'envers en Nb 35,11, soit רימע, qu'on pourrait donc entendre "Rima". Or, s'il est pertinent de rapprocher l'assassinat de Rabin de la nouvelle de Borges, et il l'est à mon sens plus que du code biblique, puisque Borges parle en clair de l'assassinat d'un rabino, il devient ahurissant de constater que Ellery accuse Rima de toute la série des morts de la comptine, dont les initiales épellent JHWH et MAD, tandis que les victimes de Borges correspondant à l'articulation de JHVH épellent YGAL, le prénom d'Amir...
  A noter que ARIM (RIMA plutôt) apparaît au sein d'une répétition de 4 lettres, ARIM ARI M(QLT), "(vous ferez) des villes, des villes de r(efuge)", un doublet m'évoquant Double, double.

  C'est beaucoup fou, mad, et j'ai aussi repéré dans la grille le mot hébreu MAD (מאד), signifiant "beaucoup", achevant le verset Dt 2,4 (4e ligne, encadré en rouge).
  J'ai aussi repéré une ELS MAD verticale (7e colonne à partir de la droite, juste en-dessous d'un JHWH, 6e ligne). Les voici reportés sur la grille donnée par Drosnin dans La Bible: le code secret:
 

  Les 4 lettres entourées de losanges (!) sont donc "Amir", avec plus loin celles "nom de l'assassin", entourées de trapèzes. Drosnin a complété la formule "l'assassin qui assassinera" pour obtenir "nom de l'assassin qui assassinera", avec donc "Amir" se trouvant juste au-dessus de cet autre "nom de l'assassin". Ce n'est "juste au-dessus" que parce que Drosnin a choisi le saut de lettres de sa grille pour y parvenir (chaque ligne est en fait une portion d'une rangée de 1590 lettres, et "Amir" se situe donc 9540 lettres avant "nom".
  J'ai donc encadré de rouge JHWH deux lignes au-dessus. Le respect des noms divins entraîne Drosnin à écrire J-WH (et A*HYM pour ALHYM, Elohim, "Dieu").
  En-dessous du "-" de ce J-WH (י-וה) vient donc verticalement l'ELS D A M (ד א מ), ainsi les initiales des victimes de la comptine se retrouvent proches dans la grille de Drosnin.

  Dans ma grille proposée plus haut, j'ai aussi encadrée de jaune David, DWD (דוד) et Nathan, NTN (נתנ) soit le nom de naissance de Dannay selon l'état civil.
  A noter que l'ELS verticale DWD croise avec le W de RWÇH (רוצח), "assassin", et que ce mot est écrit sans W (רצח) dans l'autre occurrence mise en valeur plus haut. C'est néanmoins le même mot, écrit défectivement, et il y a des centaines sinon des milliers d'autres cas de ce type dans le seul Pentateuque, que l'édition critique de Kittel ne prend pas le soin de relever. Ceci suffirait en principe à décourager toute recherche d'un code portant sur le nombre des lettres.
  Un émule de Drosnin pourrait avancer que Daniel Nathan est le réel assassin de Rabin, avec la complicité de Borges...

  Ceci reflétait à peu près l'état de mes recherches lorsque j'ai abandonné cette piste, et je suis sidéré d'avoir oublié la possibilité de renverser Rima en Amir.
  Aujourd'hui où je ne vois plus de limites à la dinguerie coïncidentielle, je relève quelques nouveaux points.

  Le Tetrarca de Galilea de Borges peut amener à considérer les 4 premières lettres de GALI-lea, dont la première permutation livre IGAL, prénom de "l'assassin", et les 4 premières lettres du mirador où se conclue la nouvelle livreraient pareillement AMIR, nom de "l'assassin".
  Ce sont les saphirs du Tétrarque que convoitait Daniel Azevedo, lequel s'est fourvoyé en forçant la porte voisine du rabbin. Or, à propos des tables du Décalogue faites de saphir, Drosnin a remarqué que le mot hébreu SPIR était le renversement du nom du découvreur du code, Elyahou Rips.

  Drosnin aurait également décodé l'élection de Netanyahou avant l'événement, et plusieurs grilles l'illustrent, où il aurait également lu son surnom, universellement connu, Bibi. Ce surnom, bi-bi, n'est il pas équivalent à double-double?
  Le dernier mort de la série du roman de Queen est prénommé Jonathan, "don de JHWH", nom équivalent à Netanyahou".
  Le criminel du roman n'est-il pas un "fils paresseux", ayant souhaité devenir un "homme riche" en tuant son père adoptif? Ceci devient en anglais idle son, rich man, exacte anagramme de Michael Drosnin.

  Mes recherches sur la comptine m'ont fait découvrir que Irwin Shaw avait titré deux romans par ses deux premiers couples, Rich man, Poor man, et Beggarman, Thief.
  Dans cette édition de 4 romans consécutifs dans son oeuvre figure Evening in Byzantium (1973) dont le résumé de l'adaptation TV (1978) m'a appris qu'il y était question de terroristes ayant détourné simultanément trois avions de lignes, pour larguer des bombes atomiques sur trois villes américaines, New York, Washington, Los Angeles. Les terroristes ont auparavant tenté d'assassiner le scénariste Jesse Craig (Glenn Ford) parce qu'il avait imaginé une intrigue étonnamment proche de leurs plans...
  "Le monde ne sera plus jamais comme avant", est-il énoncé au cas où les terroristes mèneraient à bien leur projet, et des propos analogues ont surgi après le 11 Septembre.
  Des commentateurs n'ont pas manqué de suggérer que Ben Laden avait pu être inspiré par le film.

  J'ai parlé ici du second livre de Drosnin dont la couverture montre les TOURS (migdalè en diagonale, dans des losanges!) JUMELLES (hatoumim vertical, dans des cercles) et l'AVION (matos, dans des carrés).
  J'y remarquais que la transcription donnée migdalè était pratiquement identique aux initiales des victimes de Borges, MYDAGEL dans leur ordre exact. Je soulignais que la nouvelle se déroulait entre deux tours, celle de l'Hôtel du Nord et le Mirador de Triste-le-Roy.
  Consulter ce billet du 26/7/12 m'a fait résoudre une énigme. Le billet récent losanges carrés croix arbre m'a conduit à découvrir qu'un blogueur avait emprunté mon image de losange illustrant mes propos sur Borges, et que cette image portait le titre Mydagel alors que l'image utilisée sur Quaternité était mygdael. Je l'avais reprise d'une page de mon site supprimé, conçue sous Word, où elle n'avait de titre qu'image001. Je l'ai utilisée à plusieurs reprises sur Quaternité, par exemple ici, en reprenant l'image antérieure mygdael, mais j'avais oublié, probablement à la seconde utilisation, qu'elle avait été déjà utilisée avec le titre mydagel sur cette page de 2012, là probablement où le blogueur l'a trouvée.

  J'achève ce billet le 3 janvier, alors que le soleil vient de se coucher. Ce serait l'anniversaire de la mort de Daniel Azevedo. Le nom de naissance de Borges est Jorge Francisco Isidoro Luis Borges Acevedo, ainsi lui comme Daniel "David" Nathan, avec ses jumeaux David et Jonathan, auraient pu jouer avec leurs noms de naissance.


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