31.8.19

il s'goure rouge à vrai vert


  Mon précédent billet, Sinople : rouge comme le vert, était essentiellement motivé par ma découverte que le sinople avait d'abord désigné le rouge en héraldique, avant d'y devenir le vert. Ceci aurait considérablement enrichi mon intervention à Cerisy le 2 août.
  J'avais pourtant le sentiment que j'avais déjà eu cette information, et ceci m'a fait consulter les courriers de Jean-Pierre Le Goff, qui s'intéressait, entre de multiples autres thèmes, à la complémentarité du rouge et du vert. J'ai mis de côté les divers courriers sur ce thème, pour les lire ensuite, et n'ai d'abord prêté une franche attention qu'à la lettre intitulée Du rouge au vert, l'énigme du sinople, où il étudiait cette délicate question en septembre 2002, et où il émettait une intéressante hypothèse.
  J'ai achevé mon billet sur cette redécou-verte, en m'émerveillant que ceci ait conduit JPLG à une intervention dans la Manche, où un petit fleuve côtier a été baptisé Sinope, à 50 km environ de Cerisy.

  Après avoir achevé le billet, j'ai lu les autres courriers de JPLG mis de côté, et ai été éberlué par Rencontre de lumières, où il conviait deux mois plus tôt ses lecteurs à une autre intervention dans la Manche, à Canisy, où est né Jean Follain. Voici le document (cliquer pour agrandir):

  Donc, JPLG revient ici sur une coïncidence entre deux textes qu'il avait lu coup sur coup en 1979. Dans Canisy, Follain se souvient d'avoir vu dans le ciel deux grands disques, l'un rouge, l'autre vert, ce dont les autres témoins ne semblaient guère s'étonner.
  Dans Le coeur aventureux, Ernst Jünger parle dans un texte intitulé Rouge et vert des couleurs rouge et vert qui seraient magnifiées, l'une au crépuscule, l'autre à l'aurore, et s'étonne que ces éclairages particuliers ne semblent pas frapper la plupart des gens.

  Ces deux livres sont parus aux éditions Gallimard en 1942, que JPLG ne signale pas être l'année de sa naissance. Il convie ceux qui le désirent à l'accompagner le 6 juillet 2002 à Canisy, où il déposera sur le seuil de la maison de Follain une pomme rouge et une pomme verte.

  Ce 6 juillet était mon 52e anniversaire. Que JPLG l'ait passé à Canisy m'effare, car, lorsque j'ai consulté une carte pour voir où se trouvait Cerisy, j'ai aussitôt remarqué sa proximité avec Canisy, à 10 km environ.
  Canisy, c'est presque l'anagramme de Siniac, le pseudo sous lequel Pierre Zakariadis a écrit une cinquantaine de polars. L'un était inédit à sa mort, en mars 2002, La course du hanneton dans une ville détruite, et c'est un roman qui se passe du côté de Saint-Lô après le débarquement des Alliés, essentiellement à Canisy où se sont réfugiées diverses personnes. Siniac avait confié à ses proches que c'était un texte auquel il tenait beaucoup, très éloigné de son style habituel.
  Je m'étais promis d'aller y faire un tour, ce que je fis le matin du 2 août, qui aurait été le 77e anniversaire de JPLG. Le programme du colloque étant très chargé, je n'ai eu que le temps de prendre quelques photos du monument aux morts, où De Gaulle était venu le 7/7/60, le lendemain de mon 10e anniversaire.
  En partant le lendemain, je suis repassé par Canisy, et ai vu à la sortie du village le château ou manoir dont il est peut-être question dans le roman de Siniac.
  Le personnage principal du roman est Barbara Roussel, peut-être en écho à Raymond Roussel dont il est plusieurs fois question dans l'oeuvre de Siniac, et dont il est très souvent question à Cerisy. Les trois interventions du matin du 3 août étaient consacrées à Roussel, avec deux intervenants déjà mentionnés sur Quaternité, Hermes Salceda et Sjef Houppermans.

  Je ne savais pas que Follain était né à Canisy, et à vrai dire, son nom m'était presque inconnu. Je connaissais au moins le nom Jünger, et j'ai (ou j'avais) son roman Abeilles de verre, relevant paraît-il de la SF, mais j'avais vite abandonné sa lecture.
  Jünger a donné lieu à une coïncidence similaire à celle donnée dans L'oeil vert nous espionne, billet publié le 6/7 dernier, mon 69e anniversaire. Le 22 juin, j'ai lu un roman d'Eric Verteuil, auteur étroitement associé à un réseau de coïncidences initié par JPLG, et y ai remarqué la commune de Châteaurenard, dont j'ai aussitôt envisagé de vérifier l'existence. Lorsque j'ai eu accès à mon ordi, j'ai d'abord regardé ma boîte mèl, où FaceBook me suggérait d'adhérer au groupe Châteaurenard...
  C'est le 12 août que j'ai relu le courrier de JPLG reçu voici 17 ans, conviant à Canisy le 6 juillet 2002 en mémoire de Follain et Jünger, et le 13 août FaceBook me suggérait 8 groupes littéraires, parmi lesquels un consacré à Ernst Jünger. J'étais tout à fait certain de ne pas avoir tapé sur mon clavier "junger", et en ai été encore plus certain lorsque j'ai vu que FB m'avait déjà proposé ces mêmes groupes le 11 août.
  Ainsi, si j'avais été jusqu'à soupçonner de mystérieuses connexions entre mon esprit et FB, m'ayant proposé le groupe Châteaurenard quelques heures après que j'eus souhaité me renseigner sur cette commune, là FB avait anticipé l'irruption de Jünger dans mon affaire...
  FB me proposa à 6 reprises encore ces mêmes 8 groupes, soit 8 fois 8, jusqu'au 21/8.
  Je ne sais plus si mon titre L'oeil vert nous espionne exploitait consciemment l'anagramme sinople-l'espion, il était d'abord motivé par le désir d'obtenir la gématrie 284 pour ce 284e billet. C'est ensuite que j'ai lu Les émeraudes de Satan, commenté dans le précédent billet, où cette anagramme a pris plus d'importance, me menant à retrouver la dualité du sinople.

  Comme çoeur dp est intéressée au premier chef par Siniac et Canisy, je lui ai transmis aussitôt la lettre de JPLG. Elle connaissait évidemment Follain, et m'a fait part d'une coïncidence plus immédiate le concernant. Follain avait épousé la fille du peintre Maurice Denis, Madeleine, et Follain et Denis sont morts dans les mêmes circonstances, écrasés par des véhicules automobiles.
  Ceci m'est évocateur, et l'est devenu encore plus lorsque j'ai appris que Madeleine était aussi peintre, et qu'elle avait pris le pseudo Dinès pour se démarquer de son père.
  Mon grand-oncle Jean Souverbie, peintre et académicien (1891-1981), était proche de Maurice Denis, lequel l'avait d'ailleurs pressenti pour devenir son successeur à l'Atelier des Saintes Mesures, mais Jean avait décliné l'offre, et préféré fonder une Académie de la Section d'Or...
  Jean a eu 6 enfants, dont Madeleine, que nous voyions souvent, et Romain, qui choisit aussi de pratiquer la peinture, et qui le fit aussi sous un pseudonyme, Romain Souber, pour se démarquer de son père. Je me souviens en avoir été très frappé lorsque Madeleine nous en a fait part à l'occasion de sa première exposition.
  C'était en avril 1963 si j'en crois Jean-François Miniac, le seul à s'être intéressé en ligne à Souber. Je n'avais pas encore 13 ans. J'étais déjà un grand lecteur, écrivain aussi à l'occasion, de fanfreluches potaches, et je me souviens avoir commencé alors à utiliser des alias, comme Ramon Stournbik...
  Miniac est aussi écrivain, notamment de livres sur la Normandie, notamment des Mystères de la Manche, des Nouveaux Mystères de la Manche, et des Nouvelles affaires criminelles de la Manche...

  Siniac-Miniac...

  Si j'ai réussi à retrouver tout seul que le sinople avait d'abord été le rouge en héraldique, c'est encore çoeur dp qui s'est avérée indispensable en remarquant la proximité de "verrou" avec "vert-roux".
  Elle a ensuite suggéré "vers où?", ce à quoi j'avais aussi pensé, en relation avec JPLG et Romain Souverbie.
  Il y a quelque temps, peut-être une dizaine d'années, j'ai refait une balade agréable partant du passage à niveau des clues de Chabrières. Au bord du chemin, une inscription en vert doré sur un rocher me frappa, "vers où":
   La roche avait été soigneusement creusée avant d'être peinte. J'appris plus tard que c'était l'oeuvre d'un artiste coté, herman de vries, lequel a semé dans toute la région d'autres messages, parfois un unique point. Ce chemin a d'autres inscriptions, montrées ici, "quoi", "pourquoi", "où"... C'est très legoffien, mais je n'ai pu partager ceci avec JPLG atteint d'Alzheimer en 2007.

  Pourquoi Souverbie ? La découverte de l'inscription "vers où" m'a aussitôt plongé dans de profondes rêveries. Jouer avec les lettres m'a conduit à "Souver", qu'il me semblait être le pseudo jadis choisi par Romain.
  Peu avant, à l'occasion de l'installation de ma mère dans une maison médicalisée en août 2007, mon intérêt récent pour le nombre d'or m'avait fait découvrir qu'une toile de Jean Souverbie que je voyais jadis chaque jour dans l'appartement familial semblait avoir une construction dorée. Romain m'apprit que le nombre d'or avait effectivement été essentiel pour son père, et que lui-même utilisait aussi diverses proportions répétitives dans ses toiles.

  Je n'ai pu non plus communiquer à JPLG ce lien familial avec le nombre d'or, JPLG qui s'y intéressait aussi, parce qu'il y avait vu comme moi un facteur de coïncidence. J'ai rappelé en juillet comment ma première participation à une de ses interventions avait été l'occasion d'une belle surprise, l'apparition d'un panneau "NOMBRE D'OR" quelques minutes après que nous en avions parlé.

  Me replonger dans ses courriers m'a conduit à une autre surprise. En février 2000 JPLG a lu L'insolite aventure de Marina Sloty, sans raison particulière car il s'était jusqu'ici défié de Raoul de Warren. Il n'a d'ailleurs guère apprécié le roman, mais a été frappé par la précision apportée par l'auteur pour localiser le portail temporel qui fait passer Marina de 1959 à 1870. Il a cherché l'endroit exact sur une carte IGN, et prévu de s'y rendre pour y déposer une enveloppe cachetée similaire à celle décrite dans le roman (il ne donne cependant pas de date pour cette intervention, et il n'en est plus question dans les courriers ultérieurs).
  Je n'avais guère apprécié non plus le roman à première lecture, mais toute sa complexité m'est apparue lorsque je l'ai relu en 2011, et à cette complexité sont associés des nombres de Fibonacci que je n'imagine guère avoir été intentionnels:
- 1870 = 34 x 55
- 1959 = 34 x 55 + 89
- les dates mentionnées dans le roman pour cette double année 1870-1959 vont du 21 janvier au 11 septembre, soit 233 jours plus tard;
- c'est le 20 avril qu'est descellée la fameuse enveloppe, 89 jours après le 21 janvier, 144 avant le 11 septembre;
- la gématrie s'en mêle, avec le titre du roman de valeur 377, et le nom de l'héroïne, dont les valeurs 56+91=147 sont 7 fois 8+13=21.
  La présence des nombres de Fibo inférieurs (1-2-3-5) ne peut guère être considérée comme significative, mais que dire de l'éventualité de voir tous les 9 Fibos suivants, 8-13-21-34-55-89-144-233-377?

  Comme JPLG 11 ans plus tôt, j'ai cherché en 2011 où se situait le portail décrit par Warren, en utilisant maintenant GoogleMaps, et envisagé de m'y rendre. De fait, j'ai étudié la possibilité de passer par là lors de mon tout récent déplacement à Cerisy, mais le détour était par trop important.

  Un autre courrier sélectionné de JPLG est consacré à l'anagramme LA GOUACHE VERTE = ET LA VACHE ROUGE trouvée par un de ses correspondants.
  Pour ce billet, j'ai voulu évoquer le rouge et le vert en relation avec une autre complémentarité, VERITE et GOURANCE (car il y a VERT dans l'un et ROUGE dans l'autre. Je voulais un titre de valeur 288 pour ce 288e billet, et Il s'goure rouge à vrai vert est ce à quoi je suis parvenu...
  Parmi les autres recherches,
vérité gourance = rouge, ça nie vert
vérité de gourance = avec green, red itou = ce rouge n'aide vert
 vérité y gourances = rouge, verte, Canisy

  288 m'est important car c'est la somme de 72 et 216, les valeurs des sefirot hesed et gevura, Clémence et Rigueur, une autre complémentarité, alors que jusqu'ici mes billets du 31 août, ou 21/13 pataphysique, ont été souvent liés au couple blanc/noir, en souvenir du Des jours et des nuits de Sinoué lu le 31/8/2008.
  Clémence et Rigueur sont aussi homologuées aux planètes Jupiter et Mars, Tsedeq et Madim, "juste" et "rouge".

  Le nom Souverbie permet aussi une belle anagramme, soulignée par le choix du pseudo Souber de Romain,
SOUVERBIE : la BOURSE ou la VIE !
  C'est un nom occitan, avec les variantes Souberbie, Suberbie, qui signifie "au-dessus de la route". L'inscription "vers où" de herman de vries était au-dessus du chemin.

  Je souhaite enfin donner l'intégrale du courrier Du rouge au vert, l'énigme du sinople, d'une part parce qu'il était sur papier vert, pour faire pendant à la lettre sur papier rouge donnée plus haut. Ce n'est sans doute pas par hasard, mais d'autres courriers de JPLG sur le rouge et le vert utilisent des papiers d'autres couleurs.
  D'autre part parce que j'ai envie de terminer sur des mots de JPLG. Il faut bien sûr encore cliquer sur les images pour obtenir un format plus lisible.

Note du 3 septembre: Le commentaire ci-dessous de Patrick Bléron m'a fait aussitôt lire son récent Vertige, puis sa dernière Alluvion, consacrée au polar Experiment in terror de Blake Edwards (1962), avec Lee Remick dont je suis tombé amoureux dans un film de Kazan où elle était lumineuse.
  Ceci m'a fait regarder le film, où Lee Remick travaille dans une banque, et le premier plan à la banque la fait passer derrière un guichet SCH - Z, ce qui m'a aussitôt évoqué mon nom, SCHULZ.
  Ensuite, je me suis souvenu que ma dilection m'avait fait hypographier le nom de l'actrice à la fin du chapitre 5 de Sous les pans du bizarre, sous la forme L R MI CK.
  Ceci m'était venu presque naturellement, en énumérant les passions de Pierre de Gondol, lequel selon la légende établie par JB Pouy était libraire, avait une copine nommée Iris, buvait du mercurey, aimait les toiles de Chardin et la musique orientale. La nécessité de caser le mot Khan dans ce chapitre m'avait fait choisir le joueur de vina Ustad Asad Ali Khan, et donc ma liste devenait
     Lire

     Relire

     Mercurer
     Iriser

     Chardiner
     Khanner
pas forcément dans cet ordre au départ, et il y avait bien sûr quelque laïus additionnel à la suite des verbes.
  J'avais remplacé les E manquants par des sauts de ligne, et j'en avais mis aussi un après MI, il me semble pour marquer que REMICK contient mon prénom, REMI (d'autant que Pouy m'appelle volontiers RMI).

8.8.19

sinople : rouge comme le vert


  Peu avant mon départ pour Cerisy, j'ai regardé dans une librairie la 4e de couv' d'un poche qui avait attiré mon attention, Les émeraudes de Satan, de Mathieu Bertrand.
  Il y est question d'une quête pour retrouver les sept émeraudes d'une couronne diabolique découverte à Jérusalem par les Templiers... Le Pape charge Paul Kaminsky, des services secrets du Vatican, de cette mission, mais le mystérieux Ordre Epsilon désire aussi les pierres...

  Des émeraudes et de l'Epsilon, voilà qui m'évoque aussitôt Les lieux-dits, sa fiole verte, de sinople dirait l'héraldiste, contenant un élixir rouge, comme le vase d'émeraude du Graal contenant le sang du Christ, et plusieurs allusions du roman confirment cette piste. Il y a aussi ses deux frères EPSILON, dont l'anagramme L'ESPION est explicitement donnée; c'est au lecteur qu'il revient de voir une autre anagramme dans le square LENPOIS, où a été expérimenté l'élixir, mais le mot SINOPLE est absent du roman.
  Bref j'ai acheté Les émeraudes de Satan, et sa lecture a d'étranges résonances ricardoliennes.

  Le roman a 24 chapitres. Son chapitre 8 est L'Ordre Epsilon, fraternité composée de 9 membres issus de l'élite mondiale, pesant secrètement sur toutes les grandes orientations depuis le début du XIXe siècle.
  Son chapitre 16 est intitulé L'espion, un agent de l'Ordre Epsilon très haut placé dans la hiérarchie vaticane.
  8-16 suggère 8-16-24: le chapitre 24 et dernier est intitulé Le couronnement. Les émeraudes ont été toutes décou-vertes, et serties sur la couronne originelle. Le Pape doit s'en coiffer lors d'une cérémonie annoncée comme un changement décisif dans l'histoire de la religion...

  Le sinople serait donc particulièrement à l'honneur dans ce dernier chapitre, contribuant à une structure 8-8-8 dessinée par les chapitres 8-16-24.
  Incidemment, je connaissais le sinople et n'avais pas pris la peine de me renseigner plus avant pour mon intervention à Cerisy où il était précisément question des anagrammes EPSILON-L'ESPION-SINOPLE, et j'apprends avec stupeur en me demandant soudain l'origine de ce mot que sinople désignait auparavant le rouge en héraldique, le vert étant la prasine. Les raisons de ce renversement  au XIVe siècle sont obscures, mais il apparaît crucial pour Les lieux-dits, où il est insisté sur la complémentarité du rouge et du vert, et où il y a deux frères Epsilon, qui sont dits pratiquer "deux fétichismes adverses"; l'un est antiquaire, et a affaire aux "choses", l'autre est libraire, et a affaire aux "mots". Avec le Jardin des Oppositions LENPOIS, il me semble qu'on pourrait voir ici un dispositif conçu à partir du générateur SINOPLE, l'anagramme L'ESPION étant explicite pour inciter à chercher d'autres anagrammes de EPSILON.
  Curiosité: l'espinol est en espagnol un suc tiré de l'épinard, lequel s'écrivait il y a peu EPINARS (comme ici dans l'Encyclopédie de Diderot), anagramme de PRASINE, le premier nom héraldique du vert.
  Mon intervention m'a fait mentionner l'éventuelle étymologie rapiens pour les lions "rampants" du paquet rouge de Pall Mall. RAPIENS est une autre anagramme exacte de PRASINE
  Le SINOPLE, originellement teinture rouge, venait plus logiquement de la terre ocre de la région de Sinop (ou Sinope), en Turquie. Mon intervention m'a fait évoquer, à partir de MAADRBRE, adam, "homme" en hébreu, edom, la couleur rouge, et adama, l'argile rouge.

Note: çoeur dp, qui vient de lire ce billet mais qui n'a pas lu Les lieux-dits, m'écrit que vert-rouge lui fait penser au verrou, et au tableau de Fragonard. Elle ignorait qu'il y a dans le roman de Ricardou diverses allusions au tableau, voilées mais néanmoins assez claires pour que Le verrou ait été choisi comme illustration de la nouvelle édition des Lieux-dits.
  Chapitre Chaumont, le libraire Epsilon montre à Atta et Olivier une toile d'Albert Crucis, Réflexion, montrant une chambre où est fixée au mur une gravure galante, dont la description est en tout point conforme au Verrou. Le décor de la chambre a des points communs avec cette gravure galante, et après la disparition de Crucis, elle a été recréée à l'hôtel de Monteaux, et nommée Chambre de l'Exposition.
  Chapitre Monteaux, Atta et Olivier visitent le laboratoire, un laboratoire qui a été dit par ailleurs être à Belcroix, ainsi le couple passerait bien à Belcroix, mais sans respecter l'ordre alphabétique. Le directeur leur parle de l'unique fiole qui reste de l'élixir de Gallois, un flacon émeraude contenant un liquide pourpre, et leur demande d'attendre pendant qu'il va le chercher, offrant à chacun une cigarette Pall Mall.
  Pendant l'attente, Atta dit à Olivier qu'elle se verrait plutôt avec lui dans la Chambre de l'Exposition, à Monteaux, et elle les voit jouer la scène de la gravure, lui fermant le loquet de la porte, elle tentant de l'en empêcher...
  Dans les deux descriptions sont employés les mots "loquet", "targette", mais jamais "verrou", "vert-roux"... Ceci me semble fort proche de l'absence de "sinople", signifiant donc "rouge" ou "vert" selon l'époque, le mot pouvant être suggéré par les anagrammes EPSILON-L'ESPION-LENPOIS (le Jardin des Oppositions).
  Le directeur revient avec le flacon qu'il tend à Atta, mais elle le lâche et il se brise par terre. Elle dit ensuite à Olivier qu'émue par ce qu'elle imaginait qui se passerait entre eux dans la Chambre de l'Exposition, son esprit a vu dans le flacon un symbole masculin.
  Ceci pourrait-il être lié à l'anagramme doublement phallique qu'on peut trouver dans SINOPLE (L'OS PINE)? Le plasticien Jean Dupuy, alias l'anagrammiste Ypudu, a vu de son côté une complémentarité sexuelle dans VERT-ROUGE:


  Je ne sais si Mathieu Bertrand a délibérément utilisé l'anagramme EPSILON-L'ESPION, ni s'il a joué avec le nombre 8 et ses multiples, si significatifs pour Ricardou. Je compte prendre contact avec lui après la publication de ce billet.
  Il y a 8 chapitres dans Les lieux-dits, et trois parties de 8 chapitres dans La prise de Constantinople, où rien n'est numéroté, à commencer par les pages. La 1e partie référencée a 8 chapitres introduits par ▽; la 3e partie référencée a 8 chapitres introduits par △, la 2e partie référencée a 8 chapitres introduits alternativement par △ et ▽.

  Le Sceau de Salomon, , est aussi présent dans Les émeraudes de Satan, avec une énigme demandant de découvrir un onzième sceau de Salomon dans l'église Saint Vincent, à Carcassonne. Les héros y trouvent effectivement deux fois 5 étoiles à 6 branches dans les vitraux des murs de la nef, bien que je crois dénombrer 6 vitraux sur cette photo:
  Ils découvrent ensuite à l'intérieur de l'église 3 statues de saints formant un triangle, et 3 chapelles formant le triangle opposé. C'est au centre exact de ce Sceau qu'est cachée la troisième émeraude.

  Comme dans beaucoup de romans de ce genre, chaque découverte implique la résolution d'une énigme. Il n'y a pas ici 7 énigmes, mais bel et bien 8, la première menant à la découverte des énigmes relatives aux caches des émeraudes. Ainsi la troisième émeraude correspond à la quatrième énigme parmi huit, ce qui serait encore ricardolien (Belcroix est le quatrième des huit lieux-dits, parce qu'il y a 4 et 8 lettres dans JEAN et RICARDOU).
  On avait aussi dans Le Livre de saphir, de Gilbert Sinoué, une série de six énigmes à résoudre. Elles dessinaient un Sceau de Salomon à l'échelle de l'Espagne,
et le but de la quête était au centre de ce Sceau.   Un autre point commun entre les deux romans est l'oecuménisme. Chez Sinoué un juif, un musulman et un chrétien doivent s'unir dans cette quête, tandis que chez Bertrand le père Kaminsky reçoit l'aide d'une jeune musulmane, Elaheh, curieusement fille du Vieux de la Montagne, car la secte des Haschischin, des Assassins, semble toujours active de nos jours.

  J'en viens à l'intrigue des Emeraudes de Satan, plutôt sommaire. Il y a un récit à la première personne, le narrateur étant le Pape nouvellement élu, Pie XIII. J'avoue que ça ne correspond pas tellement à l'idée que je me faisais de l'intimité d'un Pape, mais je ne me prétends aucunement expert en la matière...
  L'archange Gabriel apparaît à Pie XIII, et l'informe que toutes sortes de désastres vont intervenir s'il ne rassemble pas les 7 émeraudes cachées jadis par Clément V. Ces 7 émeraudes correspondaient aux 7 péchés capitaux, mais le port de la couronne par le Pape va les transformer en les vertus opposées...
  Pie XIII charge donc Paul Kaminsky de la mission, périlleuse car d'une part divers sortilèges sont attachés à ces gemmes, d'autre part l'espion d'Epsilon communique à l'Ordre toutes ses informations.

  L'Ordre Epsilon n'a en fait guère d'incidence sur l'histoire, et permet à l'auteur de remplir quelques chapitres. Le président de l'Ordre a pour objectif, contrairement au vote des membres, de s'approprier toutes les émeraudes, mais il est assassiné et remplacé par Peter Bishop, lequel entend appliquer la décision de l'Ordre, détruire une seule émeraude pour empêcher la reconstitution de la couronne.
  J'imagine que le nom Peter Bishop est une facétie faisant allusion à Pierre, premier Pape ou Evêque de Rome, et ceci me rappelle que j'ai utilisé ce mot bishop, le nom anglais du fou des échecs, dans mon intervention à Cerisy, où d'autres intervenants ont mentionné le nom de Tom Bishop, un spécialiste américain du Nouveau Roman, venu plusieurs fois à Cerisy. Ceci m'a fait penser à Tom Archer, un personnage de L'Adversaire d'Ellery Queen, roman échiquéen où ce nom est explicitement choisi parce que archer est un autre nom du fou des échecs.

  Djibril, le nom arabe de Gabriel, est aussi apparu au Vieux de la Montagne, ce qui l'a conduit à envoyer sa fille aider le père Kaminsky.

  Le déchiffrage des énigmes et les frasques de l'Ordre Epsilon remplissent 300 pages, et on arrive au dernier chapitre, Le couronnement. Les 7 émeraudes ont retrouvé leurs emplacements sur la couronne, dont le Pape doit se coiffer le 27 mars 2013 à 17 heures lors d'une messe dans la chapelle d'Urbain VIII, selon les instructions de Gabriel.
  La veille, le camerlingue a été trouvé pendu... Le suicide est fort improbable, Kaminsky et Elaheh enquêtent, et découvrent des choses fort inquiétantes. Le pape a été manipulé. Ce n'est pas Gabriel qui lui est apparu, mais le Diable, et revêtir sa couronne va instaurer son règne sur la Terre. Les héros parviennent in extremis à contrecarrer ce plan...

  Tout ceci me semble un peu léger, mais certains thèmes me sont riches en échos. Pourquoi l'Islam est-il représenté ici par le Vieux de la Montagne? Ce thème a été exploité par Tobie Nathan dans son Dieu-Dope, roman énigmatique où il m'a semblé voir une correspondance de ses 28 chapitres avec les 28 lettres du premier verset de la Genèse. L'anagramme y est aussi présente, avec un Vieux de la Montagne actuel nommé Antoine Habt, anagramme du nom de l'auteur...
  Jarry a consacré l'une des pièces de L'amour en visites (ici sur Gallica) au Vieux de la Montagne, où il est question de son mariage avec la princesse Belor. C'est un texte étrange que j'ai souvent eu envie d'approfondir...

...mais ce n'est pas encore le moment. Je passe aux 7 péchés capitaux qui me sont chers, pour diverses raisons.
  Il y a La clairière des eaux-mortes, de Raoul de Warren, où est proposée une liste alternative des péchés, donnant l'acrostiche LUCIFER. Une liste de vertus opposées est proposée, donnant l'acrostiche CHARITE, puis une liste de péchés découlant des premiers, donnant l'acrostiche PLATINE. Tiens, PATELIN conviendrait aussi, un presque synonyme de LIEUDIT.

  Il y a aussi une énigme de Demouzon, Trois fois sept, vingt-et-un! (dans Le crime de la porte jaune), où 10 ans avant Seven sont imaginés des meurtres illustrant les 7 péchés. Les meurtres sont commis aux dates correspondant aux gématries des noms des péchés, à commencer par LUXURE=101 le 10 janvier, 10/1. Le meurtrier a aussi surdéterminé son programme par d'autres 7 fameux, les Merveilles du monde et les poètes de la Pleïade.

  L'an dernier est paru MAD, premier roman de Chloé Esposito, et premier volet d'une trilogie consacrée à une héroïne totalement amorale, Alvina Knightly. Il m'a semblé indispensable de le lire car le mot MAD m'est essentiel, pour son équivalence ordinale 13-1-4 notamment.
  Le roman se déroule sur 7 jours, du 24 au 30 août 2015, en 7 chapitres intitulés des noms des 7 péchés capitaux.
  MAD ne m'a rien inspiré, mais en juin dernier est paru le second volet de la trilogie, BAD, se déroulant pendant la semaine suivante, du 31 août au 6 septembre 2015. Le 31 août m'est une date essentielle, que j'utilise chaque année depuis la création de Quaternité, et c'est le 31 août 2015 que j'ai consacré un second billet au Livre de saphir de Sinoué, mentionné supra.
  J'imagine que le dernier volet, Dangerous to Know, annoncé pour 2021, occupera la semaine suivante.
  Entre les parutions de MAD et BAD j'ai écrit Novel Roman, dont les titres de chapitres composent un carré 18x18 aux multiples contraintes. Ces contraintes m'ont conduit à envisager un chapitre 16 s'achevant par les lettres MAD, que je ne savais comment justifier. Une recherche m'a appris que mad signifie "bien" en breton, où "le bien et le mal" se dit ar mad agh ar fall. J'ai donc terminé mon titre par ar fall agh ar mad, et un seul mot français pouvait le débuter pour satisfaire aux contraintes imposées, Puez. Il m'a fallu ensuite expliciter ce titre par le contenu du chapitre.
  mad est aussi l'adjectif "bon" en breton, tandis que bad est "mauvais" en grand-breton...
  Au 5 septembre de BAD correspond le 29 août de MAD, et son chapitre Avarice. Le dernier crime de l'énigme de Demouzon a lieu le 5 septembre, le 5/9, parce que AVARICE=59.

  Il y a encore l'anthologie Les sept péchés capitaux, où Alberto Manguel (également venu à Cerisy) donne 3 textes d'auteurs classiques pour chaque péché, soit 3x7 = 21 en tout.
  Bref, il y a une certaine insistance à multiplier les sept péchés par trois, et à souligner l'antinomie péché-vertu, bien-mal. Les 3 anagrammes-acrostiches en 7 lettres de Warren m'évoquent le jeu EPSILON-LESPION-SINOPLE, probablement intentionnel chez Ricardou, probablement pas chez Bertrand, et la diagonale MAADRBRE m'a conduit à évoquer Adam et l'arbre du bien et du mal.
  Le breton mad n'était pas dans le texte de mon intervention, mais je l'ai mentionné dans le feu de l'action, sans aller jusqu'au jeu que j'avais vu compléter le jeu anglo-hébreu mad-MAD, fou-très > TSEROUF: le "très bon" sanctionnant la création d'Adam, TWB MAD, peut devenir aussi en breton-hébreu mad-MAD.

  Mon intervention le 2 août m'a évoqué Jean-Pierre Le Goff, qui aurait eu 77 ans ce jour. L'un des thèmes sur lesquels se focalisait Jean-Pierre était la complémentarité vert-rouge.
Note: je viens d'aller consulter le dossier où je conserve précieusement les courriers de JPLG, et j'ai trouvé Du rouge au vert, l'énigme du sinople, lettre où il conviait ses près de 400 correspondants à balader avec lui le 14 septembre 2002 le long de la Sinope, petit fleuve côtier de la Manche se jetant dans la mer à Quinéville (50310), à 50 km environ de Cerisy (50210).
  Cette Sinope est bien verte... quid du rouge Cerisy?
  JPLG a creusé la question, sans éclaircir l'énigme. Il m'a appris d'où venait le nom de la ville de Sinope, via Robert Graves (auquel j'ai déjà eu affaire):
  Les Argonautes arrivèrent à Sinope, en Paphlagonie, ville qui doit son nom à la fille du fleuve Asopos, à qui Zeus, qui s'était épris d'elle, avait promis le cadeau qu'elle souhaiterait. Sinopé demanda comme cadeau la virginité, s'installa dans cet endroit et passa le restant de sa vie dans une solitude heureuse.
  JPLG donne le fac-similé de la rubrique du dictionnaire de Furetière, que voici:
 
  L'étymologie donnée par ce père Menestrier conduit JPLG à envisager que les Croisés devaient parler grec à Constantinople (...), prose mal apprise, et que leur sinople, la teinture rouge, pouvait être comprise comme (pra)sina hopla, "armoiries vertes", ce qui pourrait expliquer le passage du rouge au vert...

2.8.19

Du très sage au très fou, du tressage au tserouf


  Voici le texte de mon intervention au Colloque de Cerisy Ecrire pour inventer, le 2 août à 14h30. Ce n'est qu'à mon retour que j'ai découvert un prolongement essentiel, donné dans le billet qui suit.

DU TRES SAGE AU TRES FOU, DU TRESSAGE AU TSEROUF

  J'ai lu Ricardou tardivement, avec une certaine stupéfaction car j'écris aussi, et ai découvert que Ricardou avait utilisé bien avant moi des procédés que j'imaginais avoir inaugurés.
  Ainsi, j'ai publié en 2000 un roman1 où j'avais codé un sonnet par des lettres imprimées en caractères spéciaux; Ricardou avait fait de même près de 30 ans plus tôt avec son Improbable strip-tease blanc2.
  Ainsi, j'ai imaginé pour un projet de 1998 une table des matières avec 11 titres de chapitres en 11 lettres, permettant de former un carré de lettres où apparaîtraient d'autres messages, notamment en diagonale ROSENCREUTZ, "Rosecroix"; Ricardou avait procédé de manière parfaitement analogue dans ses Lieux-dits3 en 1969, avec 8 titres de chapitres en 8 lettres formant un carré, permettant notamment de lire en diagonale BELCROIX.

  Mon carré textuel s'est révélé répondre mieux que prévu au programme que je m'étais imposé, et il en était allé de même dans le cas de Ricardou, lequel a consacré plusieurs textes4 aux surprises découvertes après coup dans sa grille.
  Je me propose de rappeler brièvement la structure des Lieux-dits, les curiosités commentées par Ricardou lui-même, puis d'ajouter mon grain de sel avec quelques observations.

  Les Lieux-dits, c'est donc 8 chapitres de 8 séquences chacun, 8 chapitres qui ont pour titres des noms de villages en 8 lettres, 8 noms qu'il est suggéré dans le texte de disposer en un carré, et voir ainsi que le quatrième lieu, BELCROIX, apparaît aussi dans la diagonale dextro-descendante.

  Ricardou a envisagé que les 8 séquences bien délimitées se correspondissent d'un lieu-dit à l'autre, mais ceci donnait lieu à une telle uniformité qu'il décida des débordements d'une séquence sur l'autre, et, corollairement, des débordements d'un lieu-dit sur l'autre. Ce dernier point avait une conséquence, l'un des lieux ne pourrait être visité, et Ricardou décida que ce serait le principal, Belcroix.  Cependant, si les voyageurs éludent effectivement Belcroix, un incident significatif survient pendant le trajet qui mène Atta et Olivier Lasius de Belarbre à Belcroix, trajet modifié pour conduire directement à Cendrier. Un rapprochement érotique se produit, conclu par un partage de cigarettes, et le paquet de Pall Mall est alors longuement commenté, dans une description qui occupe assez exactement le milieu de l'ouvrage.
  Ricardou avait alors abandonné le tabac, mais il fumait auparavant des Pall Mall, la question se posant de savoir s'il avait choisi cette marque à cause des particularités de son emballage, ou s'il avait scruté l'emballage des cigarettes qu'il fumait. Toujours est-il qu'il détaille ses 4 inscriptions en 4 mots chacune, tirant des conclusions de leurs nombres de lettres. Le blason central est minutieusement décrit, avec son écu écartelé montrant en tout 8 pièces, 6 lions et 2 tours. Ricardou souligne la croix ainsi formée, et la rapporte à la devise sous le blason, In hoc signo vinces, "Par ce signe tu vaincras", la formule qui serait apparue à Constantin avant la bataille du pont Milvius, et qui lui aurait permis une victoire décisive.
  Deux lions tiennent l'écu entre leurs pattes, mais Ricardou les voit se le disputer. Ce sont des lions dits rampants, que l'étymologie relie préférentiellement à rampa, "côte", des lions grimpants donc, mais une autre étymologie voit ce mot venir de rapiens, "enlevant de force", en accord avec l'interprétation de Ricardou, lequel imaginera plus tard l'acronyme RAPT, Récrit Avisé Par la Textique, "rapt" étant issu de ce même verbe rapio. Nous avons donc une double figuration des deux éléments composant BEL-CROIX, Ricardou voyant BEL relever du latin bellum, "guerre", avec d'une part les lions se disputant la croix de l'écu, d'autre part la croix de Constantin, évoquant bien sûr La prise de Constantinople, et les croisades, alliant "guerre" et "croix".


  Il y a donc deux contraintes additionnelles au choix de noms de lieux en 8 lettres, l'impératif de les visiter par ordre alphabétique, concernant essentiellement la première colonne, et que cette disposition fasse apparaître la diagonale BELCROIX.
  Ceci suggérait d'aller voir ce qui se passait symétriquement dans la dernière colonne, et dans l'autre diagonale.
  Les toponymes choisis sont si crédibles qu'ils existent bel et bien, hormis Belcroix, sous cette forme, Bellecroix en trois syllabes ayant de nombreuses occurrences.
  Ricardou a vu diverses possibilités de recomposer la dernière colonne, TEXTES au pluriel, plus X, la croix, et R, initiale de l'auteur. Ou encore TESTER XX, soit tester le croisement des deux BELCROIX, et voir que ce croisement se fait sur la lettre C, initiale de CROIX.

  C'est ici qu'il pourrait commencer à y avoir davantage, car, en interprétant ce TESTER XX, "voir ce qui se passe au croisement du X formé par les deux diagonales", on découvre au centre de la grille les lettres RCRD, les 4 consonnes  du nom RICARDOU.
  C'est l'occasion de constater que le nom RICARDOU se partage exactement par moitiés en consonnes et voyelles, de même que le prénom Jean. Les 4 et 8 lettres de ses prénom et nom, ainsi que leur rapport 1/2, ont été utilisées explicitement dans La prise de Constantinople. Ici ce sont encore les 8 lettres de RICARDOU qui sont convoquées pour justifier la saturation des 8 du roman, et il est permis de supposer que le rapport 1/2 est à l'origine de la place de Belcroix en position 4.
  Il est encore loisible de souligner que Cendrier est en position 4 à partir de la fin de la liste, et c'est donc au coeur, autre mot relié par Ricardou à son nom, au coeur de ces mots de 8 lettres en position 4 qu'apparaissent les 4 consonnes de RICARDOU, coeur qui est aussi le croisement des diagonales du carré.
  C'est déjà une curiosité majeure, puisque les noms Belcroix et Cendrier semblent bien plus que les autres lieux-dits avoir d'excellentes raisons d'avoir été choisis, indépendamment des lettres les composant. Ces raisons semblent liées à l'épisode du paquet de Pall Mall, central dans le roman, dont l'emballage évoque doublement BEL et CROIX, et les deux cigarettes allumées par Atta et Olivier finiront dans le cendrier de la voiture.
  Il y a une autre analogie entre ces deux chapitres centraux, Belcroix et Cendrier. Il est donc décidé de ne pas visiter Belcroix, et le passage par Cendrier s'avère des plus brefs. Nos fourmis, Atta et Lasius, y parviennent à la toute fin de la dernière séquence du chapitre Cendrier, et y découvrent leur but, la librairie La Cigale, rue des Octaves, réduite en cendres. Un avis sur la façade noircie apprend que le libraire, M. Epsilon, s'est installé à Chaumont.
  La magie de l'écriture les transporte aussitôt à Chaumont, et c'est Epsilon en personne qui ouvre la séquence suivante, la première du chapitre Chaumont.

  Il est possible d'aller plus loin, mais pas plus loin d'abord que les lettres adjacentes à CR et DR dans les noms BELCROIX et CENDRIER, et ces lettres sont LO et NI, formant LOIN précisément, mais aussi LION. Or les 4 lettres au centre de la grille évoquent aisément les 4 quartiers de l'écu écartelé du paquet de Pall Mall, l'écu que se disputent deux lions couronnés. Il est alors surprenant d'avoir les lettres LION de part et d'autre de ce quaternaire central RCRD, en rappelant encore que les noms Belcroix et Cendrier ont des motivations tout à fait indépendantes de ce jeu.


  Il y a moyen d'aller plus loin encore. Si l'on lit RICARDOU dans le RCRD central, la métaphore échiquéenne peut faire penser que le nom anglais de la tour des échecs est ROOK, et si l'on se hasarde à homologuer cette tour ROOK aux lettres ROUC de RICARDOU, il reste DRAI, qui dans certains dialectes germaniques signifie "trois".
  Or les deux meubles composant l'écu écartelé sont une tour et trois lions, ou plutôt trois lionceaux puisque l'héraldique veut que ces félins deviennent des lionceaux lorsqu'il y en a plus de deux.

  Je rappelle à nouveau qu'il ne s'agit aucunement de prétendre interpréter ici des intentions conscientes, voire inconscientes, de Ricardou, mais de tester minutieusement la "croisée des croix".

  En reprenant la métaphore échiquéenne, il est encore à remarquer que les consonnes RCRD correspondent aux symboles français de pièces des échecs, Roi, Cavalier, Dame.

  Après la dernière colonne, j'en viens à la diagonale dextro-ascendante, MAADRBRE, où Ricardou ne voyait d'abord que charabia, jusqu'à ce que sa collaboratrice lui fît remarquer qu'il suffisait de déplacer une lettre pour avoir MAD ARBRE, éminemment significatif dans un roman dont un personnage essentiel a un prénom d'arbre, Olivier, et un nom de fourmi évoquant doublement la folie, Lasius alienus. Le genre et l'espèce sont bien réels, et Ricardou ne se prive pas du jeu lasius-asilus. Par ailleurs il semble bien que Lasius soit en fait Gallois, un pyromane évadé d'un asile.
  Ricardou remarque que la lecture MAD ARBRE s'obtient en dérangeant les lettres, or "dérangé" est synonyme de "fou".
  En dérangeant les lettres à nouveau, "arbre" pourrait devenir "barré", qui est aujourd'hui un autre synonyme de "fou". J'ignore si cette acception existait en 1968, lors de l'écriture du roman, mais elle aurait pu être mise à profit en 2009, lors de la dernière intervention de Ricardou sur la question.
  Quelle qu'ait pu être la date effective où "barré" est devenu synonyme de "fou", il faut rappeler que Les lieux-dits se passe "aujourd'hui", mot-clé du roman (pour "au jour d'huit").

  En revanche, la "barre" désigne depuis belle lurette la diagonale senestro-descendante de l'écu en héraldique, cette diagonale même où se présentent les lettres BARRE (l'autre diagonale est appelée "bande").
  Je ne crois pas que Ricardou ait souligné que le fou des échecs se déplace en diagonale, la lecture MAD étant ici aussi diagonale. Incidemment, le symbole du fou dans les diagrammes d'échecs est une mitre d'évêque (bishop, son nom anglais), avec une croix, . Incidemment encore, sa désignation française vient d'une homophonie avec le nom originel de la pièce en persan, foul ou fil, signifiant "éléphant".
  On dit aussi d'un fou qu'il lui manque une case, et, toujours selon la métaphore échiquéenne, la lecture MAD est obtenue en "barrant" une case, au sens propre d'annuler, ou au sens populaire de faire partir.
  La barre, c'est aussi ce qui permet de diriger un navire, notamment un voilier, anagramme d'OLIVIER, dont les lettres se réarrangent encore en LIVRE I-O, la prise et la prose, et le choix du prénom Olivier semble s'inscrire dans la continuité de Lancement d'un voilier et de La Prise de Constantinople.

  A propos de ce roman où se multiplient les anagrammes de ISABELLE, l'une de celles proposées est BEL ASILE, qu'il est vertigineux de rapprocher de BEL ARBRE et de MAD ARBRE,vu l'écho entre MAD et LASIUS-ASILUS.

  Les 8 lettres MAADRBRE permettent de former un mot, ce qui est plutôt inattendu pour 8 lettres choisies selon ces modalités. Ce mot est RAMBARDE, dont un synonyme est "garde-fou".

  Ricardou s'appuie sur la répartition en deux séries de 4 de la première colonne, BBBB formant massif, mais un massif qui découle logiquement du programme de départ, puis CCHM, pour considérer aussi les 4 premières lettres de la diagonale dextro-ascendante, MAAD. Il ne remarque pas qu'elles pourraient former le mot ADAM.
  Un hébraïsant sait que ce mot s'écrit en 3 lettres en hébreu, aleph-daleth-mem, les lettres à l'origine de nos A-D-M. En conséquence le jeu Adam-arbre pourrait être valide, et il rappelle le rôle essentiel du double arbre du jardin d'Eden. Le contexte Belarbre-Belcroix est évocateur, car la tradition chrétienne a vu la croix du Christ avoir été faite du bois de l'arbre de vie, et ceci est notamment mentionné dans le roman du Graal, cité à plusieurs reprises dans Les lieux-dits.
  Le Graal, ce serait un récipient en émeraude contenant le sang du Christ, et il semble impératif d'y relier l'épisode du dernier chapitre des Lieux-dits, où Atta et Lasius découvrent la fiole de l'élixir conçu par Gallois, peut-être le père de Lasius. C'est un élixir pourpre contenu dans une fiole de couleur émeraude, la superposition des couleurs donnant au liquide la teinte noire de l'encre.
  Gallois appelait cette fiole son encrier, et je constate que CENDRIER contient toutes les lettres d'ENCRIER.
  Olivier Lasius donne le prénom de son père, Christophe, et s'il s'agit bien de Gallois, ce prénom signifie "porteur du Christ".
  En revenant à la métaphore échiquéenne, le Gallois Perceval est un chevalier. Dans la version de la légende de Wolfram von Eschenbach, Parsifal est interprété comme le "pur fol".

  Le récit avait déjà insisté sur la complémentarité du rouge et du vert, or cette complémentarité pourrait être également marquée par la confrontation Adam-Arbre. Car les 3 lettres ADM vocalisées adam, "homme", écrivent aussi edom, "rouge". A la même famille sont reliés adama, "argile", et dam, "sang", le liquide rouge symbolisant la vie.
  Les rédacteurs de la Bible ont notoirement usé de l'anagramme, et le premier cas concerne peut-être Adam. On sait que le récit de la création est émaillé de "Dieu vit que cela était bon". Dieu se décerne par six fois ce satisfecit, sous cette forme "bon", tov, mais la septième fois, après la création de l'homme, ADM, la formule devient "très bon", tov meod, meod s'écrivant par les mêmes 3 lettres MAD.

  C'est parmi la verdure du square Lenpois, à Belarbre, qu'Olivier Lasius remarque la fille en rouge, Atta, "parmi des robes vertes et les bruns costumes des visiteurs". La rencontre était prédite dans Le Jardin des Oppositions, le nom donné au jardin Lenpois par son ancien gardien, lequel a signé cet opuscule du nom Asilus. A remarquer que Ricardou le nomme aussi "garde", à rapprocher du "garde-fou", de la RAMBARDE vue supra.
  Les couleurs complémentaires sont dites aussi "opposées" (sur le cercle chromatique).
  Atta et Olivier s'attablent au café du square, devant une menthe verte pour Atta et un jus de tomate pour Olivier, dont le prénom évoque aussi une nuance de vert.
  Lenpois est l'évidente anagramme d'Epsilon, le nom de deux personnages du roman, et Ricardou en donne explicitement une anagramme "l'espion".
  Il y en a une autre qui me semble s'imposer, "sinople", la désignation héraldique de la couleur verte.
  Difficile dans le contexte ricardolien de ne pas penser à Constantinople, et José-Maria de Heredia a exploité cette rime millionnaire pour finir un sonnet des Trophées:
Comme ceux qui jadis prirent Constantinople,
Il porte, en bon croisé, qu'il soit George ou Michel,
Le soleil, besant d'or, sur la mer de sinople.

  La métaphore échiquéenne suggère encore "les pion(s)", en oubliant un "s".

  Malte intervient pour deux raisons dans le roman, la croix de Malte à 8 pointes, aussi appelée croix de Saint-Jean, et la fièvre de Malte, aussi appelée fièvre folle, fièvre dont a souffert Gallois, mort dans un incendie provoqué par son fils.
  Malte livre par anagramme "le mat", la mort du roi aux échecs.
  C'est aussi le nom de l'arcane sans nombre du tarot, "Le Mat", qui représente un fou, et qui s'appelait aussi "Le Fol".
  On peut songer encore à (H)AMLET, mot français à l’origine, le nom commun désignant un hameau, un lieu-dit...

  Je reviens sur la confrontation entre l'anglais MAD, "fou", et le mot hébreu formé de la même séquence de lettres, meod, "très". L'ensemble ferait "fou-très", ce qui peut rappeler "fou-tree", le pendant à "mad-arbre" que Ricardou a proposé dans Le théâtre des métamorphoses. Ainsi, l'anagramme "arbre-barré" trouverait sa correspondance approchée dans l'autre mot de la diagonale.
  Sans doute pourrait-on pousser plus loin les investigations, car ces lettres FOUTRES sont une anagramme de TSEROUF, un mot hébreu désignant un ensemble de procédés alphabétiques parmi lesquels l'anagramme.
  S'il apparaît ici fortuitement, Ricardou connaissait ce mot, et sa nouvelle Gravitation de 1963 décrit minutieusement deux grilles de mots croisés.
  Sans doute pourrait-on pousser plus loin les investigations. Il ne serait point trop malaisé, notamment, de partir des trois groupes OU, ER, et TSF et de retrouver une combinaison de leurs lettres telle que le vocable hébreu TSEROUF soit figuré.
  Ricardou ne donnait pas la signification de ce vocable, mais il est permis d'imaginer qu'il la connaissait, et que cette anagramme du mot désignant l'anagramme en hébreu ait été faite sciemment.
  Parti du mot "texte", lisible dans la dernière colonne de la grille, mot de même racine que le tissu, proche du tressage, que je m'autorise à  scinder en "très sage", je suis arrivé au "très fou".

  Il est difficile de conclure puisqu'il s'agit a priori de simples coïncidences, mais une coïncidence est-elle jamais simple? Tout ce que je peux dire est que j'ai relevé de multiples coïncidences du même ordre, notamment dans mes propres écrits où je suis supposé bien placé pour juger de leur non-intentionnalité.
  Une autre coïncidence entre Ricardou et moi est que nous nous sommes interrogés sur ce phénomène.