20.5.22

Ariane, ma soeur... Minotaure, demi-frère...


  Le précédent billet, publié le 12 mai, m'a fait parler d'Ariane, l'une des identités de Julie Moscato, prisonnière pendant 8 ans de Caleb Traskman, alias le Minotaure, dans Labyrinthes, le roman de Thilliez.
   Il a imaginé que les épreuves de Julie aient provoqué une fugue psychique, dont la première conséquence est une amnésie. Parce qu'une araignée a été sa seule amie pendant ces 8 ans, elle choisit de se nommer Ariane. Ce n'est évidemment qu'un prétexte, car Ariane, soeur utérine du Minotaure, a selon le mythe permis à Thésée de retrouver la sortie du labyrinthe de Knossos après avoir tué le Minotaure, grâce à la pelote de fil qu'elle lui avait donné.
  La grande villa de Traskman, décrite dans Il était deux fois, a tout du labyrinthe, avec 200 m de couloirs, 444 portes dont seules 44 peuvent s'ouvrir, et une pièce secrète où Julie était recluse.

   Avant notre déménagement fin 2014, j'avais accumulé tant de livres que j'en avais donné une partie, et mis en vente en ligne ceux qui avaient quelque valeur.
   Après le déménagement, j'ai laissé en vente les quelques centaines de livres qui n'avaient pas trouvé preneur, et depuis ils continuent à partir, petit à petit.
   Ce 14 mai, j'avais une proposition pour Mystique ouvrière et tradition hermétique, le Christ de Tulle, de Luc de Goustine (1986). J'avais dû en fait l'acheter en solderie vers 2001, car une étiquette indique son prix en francs, avec une équivalence en euros.
   Je n'en avais aucun souvenir, mais j'ai constaté que j'avais dû au moins le feuilleter, car j'avais fait quelques annotations en dernière page:
p 133 Crète 31+1
p 130 ACCA OTTO
  L'auteur est passionné par le chiffre/nombre 8 et ses multiples, et page 133 il s'intéresse au Jeu de l'oie, "spirale immémoriale qui se déroule en 63+1 étapes", et le rapproche du disque de Phaistos, découvert en Crète en 1908, dont les deux faces offrent des groupes de symboles qui n'ont pas à ce jour été déchiffrés. L'auteur écrit à propos de la face A, où il voit 31+1, soit 32 cases:
  La fleur qui en occupe le centre comme une aragne - Ariane - est à HUIT pétales, et s'accorde ainsi aux 4 x 8 étapes qui mènent à elle.
  Je me suis intéressé plus tard au disque de Phaistos, évoqué dans le roman Des jours et des nuits, de Gilbert Sinoué (2001), ayant joué un rôle essentiel dans mon intuition du 8 septembre 2008 sur l'harmonie 4+1 de la vie de Jung autour du 4/4/44, et j'ai donné ses deux faces dans mon billet blogruz du 9 septembre, Sur la route du mandala.
   Pour avoir 32 cases, il faudrait considérer à part la rosette, or cette rosette a deux autres occurrences sur cette face, et une autre sur la face B. Par ailleurs le message, si message il y a, devrait plutôt être lu selon les spécialistes à partir du centre.
   Goustine voit une autre fleur à 8 pétales dans cette monnaie crétoise (vers - 420), au centre d'un labyrinthe, l'avers montrant le Minotaure:
 

  Du moins est-ce un mandala, avec de plus des quinconces aux centres des 4 parties du labyrinthe...

   Bref, juste après avoir lu Labyrinthes où Julie devient Ariane à cause d'une araignée, je retrouve par hasard ce lien aragne-Ariane, peu immédiat car, si les deux mots sont d'origine grecque, ils ne semblent pas liés étymologiquement.
   Si les 8 ans de réclusion de Julie sont probablement inspirés par Fibonacci (à partir de 2008 qui plus est), peut-être les 8 pattes de l'araignée (et ses 8 lettres) viennent-elles surdéterminer le jeu.

   De nouvelles recherches sur le disque de Phaistos m'ont mené à cette page prometteuse de 2014, annonçant le déchiffrement de l'inscription. C'est peut-être un article paru dans Sciences et Avenir, toujours est-il que l'hypothèse de Gareth Owens et John Coleman n'est guère excitante, et est accueillie avec scepticisme par les spécialistes. Elle n'est pas mentionnée sur la copieuse page Wikipédia.
   J'y remarque une grave coquille, non corrigée bien que signalée par des lecteurs, et voici un scan du paragraphe au cas où une correction tardive surviendrait:
 

  Ventris a bien entendu déchiffré le linéaire B, plutôt que déchiré les papyrus qu'on aurait eu l'imprudence de lui confier.
   Cette coquille me rappelle immédiatement Ricardou, lequel a publié à trois reprises ses Improbables strip-teases, où un sonnet est codé en majuscules dans un texte. J'avais également caché un sonnet dans Sous les pans du bizarre (2000), codé par des lettres en corps supérieur à celui du texte, ignorant que Ricardou avait déjà eu cette idée près de 30 ans plus tôt.
   Ricardou a d'abord publié son texte en 1972 dans Les Cahiers du Chemin, sans explication ni commentaire. Le sonnet était une récriture du sonnet de Mallarmé débutant par
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
  La récriture de Ricardou débute par
cette improbable vierge et son ptyx orangé
vont ils donc déchiffrer avec un coup de livre
  Je donnais les textes complets ici. Hélas 3 des 505 mises en majuscules (R-U-I) avaient été oubliées, ce qui rendait problématique le travail des éventuels déchiffreurs.
   Le texte est à nouveau paru en 1973 dans les Cahiers Odradek, toujours sans commentaires, et avec de nouveaux oublis (I-I)...
   Il figure enfin dans Le théâtre des métamorphoses (1982), cette fois avec d'abondants commentaires et le texte en clair de la récriture du sonnet. On imagine que les épreuves ont été scrutées avec minutie, et pourtant il est apparu une nouvelle erreur, avec une autre mise en majuscule oubliée, page 201, le second F de DECHIFFRER.
   Ainsi, le "déchirer" de Mallarmé est-il devenu "déchiffrer" chez Ricardou, et "déchifrer" dans son ultime codage...

   Je pense avoir suffisamment défriché le terrain pour faire comprendre à quel point m'est significative la coquille "déchiffré" devenu "déchiré", d'autant qu'elle touche Michael Ventris, personnage qui m' a très tôt fasciné.
   J'ai fait la connaissance bien plus tard de Michel Sirvent, universitaire notamment auteur d'écrits sur Ricardou, et qui parle de ses Improbables strip-teases ici Je n'ai pas manqué de lui faire remarquer que son nom était l'anagramme de Ventris.
   Je trouve encore amusant que le vers de Mallarmé se termine par "ivre", dont "déchiré" est devenu un synonyme.

   J'avais codé dans Sous les pans du bizarre la récriture lipogrammatique de Voyelles à cause de la gématrie 6272 du sonnet, en 4 strophes, 14 vers, et 112 mots, car 6272 c'est 4 fois 14 fois 112.
   Ce sonnet m'obsédait tant que j'en ai donné en 2006 une anagramme, s'achevant sur le vers
Au Knossos infini franchir son portail d'or!
  Je serais bien en peine d'expliquer pourquoi. La valeur 6272 du sonnet est réapparue lors de ma découverte de septembre 2008 de l'harmonie de la vie de Jung. Il a vécu 4 fois 6272 jours avant le 4/4/44, et 6272 jours après. Les romans minoens de Sinoué et Halter ont joué un rôle dans mon intuition de départ.

  Le labyrinthe du Minotaure/Traskman de Thilliez m'a conduit à un nouveau coup d'oeil aux deux romans de Halter où le Minotaure est convié, d'abord bien sûr La nuit du Minotaure (février 2008), dont j'ai parlé ici.
   C'est dans ce roman que j'ai appris l'existence du grec archaïque wanax, qui m'était alors significatif. Il y a un rebond aujourd'hui, car mon dernier billet était dédié "à Wana", un oulipote dont je venais d'apprendre la mort. Il se nommait Guy Deflaux, alias Wanatoctoumi, alias Wana...
   On peut trouver ses textes en ligne, par exemple ici, et je lui suis particulièrement reconnaissant d'un texte composé pour mes 60 ans, L'hélice d'escargot. Ce texte compte 377 mots, codant les 377 premiers chiffres du nombre d'or, 1,618... J'imagine que Guy savait que 377 est le 14e terme de la suite de Fibonacci (mais il peut y avoir d'autres raisons à ce choix, voir son texte), et mon billet précédent m'a conduit à me demander si Thilliez avait calibré Labyrinthes pour que le roman s'achève sur une page 377.

   Wanax, c'est Wana + X, et en 2020 j'avais émis l'hypothèse que les romans de 2016-18-20 de Thilliez formaient une sorte de trilogie, avec divers points communs, amnésie, roman dans le roman offrant d'étranges similitudes avec l'affaire en cours, présence du X, et je concluais ainsi:
Bref le X semble présent dans les trois volets de la trilogie, avec Xavier, Andréas, la société du Xiphopage, et les multiples échanges ou chiasmes.
  Ces points communs se retrouvent dans Labyrinthes, avec pour le X le personnage d'André, avec lequel Véra joue aux échecs par téléphone (ou croit jouer puisque son univers est imaginaire).
   Le jeu d'échecs est un autre point commun à ces romans, et dans La nuit du Minotaure le programme criminel du "Minotaure" utilise aussi ce jeu.
   Le roman dans Labyrinthes est Les recluses, manuscrit de Sophie Enrichz dans lequel Véra Clétorne découvre de formidables similitudes avec ce qu'elle est en train de vivre.
   Le roman dans Rêver était La quatrième porte, également titre du premier roman publié de Paul Halter.
   Le dernier, et hélas peut-être ultime, roman de Fred Vargas était Quand sort la recluse, dont la coupable Irène Ramier a choisi son prénom d'après l'instrument de sa vengeance, l'araignée dont un ancien nom est "yraigne" ("aragne" est aussi cité). Le pigeonnier où Irène s'est recluse pendant des années a fourni "ramier". Je me suis demandé ici si les choix des prénoms des derniers coupables de Vargas me devaient quelque chose...
   J'ai consacré le billet Paul & Fred (publié un 5/5!) aux points communs entre Halter et Vargas. Peut-être va-t-il falloir y joindre Franck.

   L'autre roman de Halter est Le crime de Dédale (1997), où sont trouvés en Crète des papyrus censés être le récit par le roi Minos de l'assassinat du Minotaure par Dédale, ainsi qu'une tablette de terre cuite supposée indiquer la localisation du labyrinthe:
 

  On voit qu'y sont utilisés certains symboles du disque de Phaistos, d'ailleurs mentionné, dont la rosette à 8 pétales qui avait intéressé Goustine, et la colombe.
   Les déchiffreurs dénombrent en tout 21 symboles, dont le dernier est le Minotaure, le précédent étant le labyrinthe, dans une représentation proche des monnaies crétoises. 21 est le 8e terme de la suite de Fibonacci, premier des nombres donnés dans Labyrinthes, peut-être parce que c'est le 21e roman de Thilliez.

   Je n'en dis pas plus sur le roman, de peu de poids à mon avis comparé aux meilleurs Halter (la critique est Thésée, mais l'art est Dédale...) Ce qui m'y frappe le plus aujourd'hui, ce sont quelques notes griffonnées sur les pages de garde:
 

  Je pense que ces notes datent de septembre 2008 lorsque, après avoir lu Des jours et des nuits de Sinoué, où il est question du disque de Phaistos, j'ai relu les romans minoens de Halter. J'ai donc noté quelques caractéristiques du disque, dont ses 45 caractères différents.
   Ceci avait-il un rapport avec les opérations notées en vis-à-vis?
45 = 15 x 3
465 = 155 x 3
46665 = 15555 x 3
  Je n'en sais rien, mais je suis ébahi de trouver ici 15555, vu dans le précédent billet être le numéro de publication de Labyrinthes, en résonance avec ses 55 chapitres, entre autres, et c'est le Minotaure de ce roman qui m'a conduit au Crime de Dédale.
   C'est en 2007 que j'ai découvert la présence du nombre 46665 dans deux oeuvres présentant par ailleurs un point commun, unique à ma connaissance (elles s'achèvent sur une énigme numérique cachant le titre de l'oeuvre, le nombre 46665 précède immédiatement cette énigme). J'ai longtemps considéré ceci comme un de mes meilleurs exemples de coïncidence, jusqu'à ce que j'entrevoie en 2020 une possibilité d'explication rationnelle, donnée à la fin de ce billet. Toutefois ce n'est qu'une hypothèse, et MZ Danielewski possède la réponse.

  Voici donc que j'avais lié ce 46665 à 15555, ce numéro de publication de Labyrinthes dont les 55 chapitres sont à l'évidence intentionnels. Est-ce en rapport avec ce numéro, avec la parution le 5/5, avec le premier personnage, Camille, dont la valeur est 55? Toutes ces questions ont des réponses.

   Je reviens à la seconde annotation que j'avais faite sur le livre de Goustine, ACCA OTTO. Goustine étudie de nombreux 8 associés au Christ, dont la couronne d'épines qui peut former des 8. Une tradition rapportant qu'elle était faite d'acacia, il cite le mot acca, nom de la lettre H en italien, où ascia signifie "hache". C'est moi qui avais fait le rapprochement avec otto, "huit" en italien..
  Je l'avais noté, car il m'est immédiat que
H = ACCA = 8,
H étant aussi la 8e lettre de l'alphabet italien, qui compte 21 lettres (Fibonacci!). Curieusement, c'est la seule lettre qui n'apparaît pas dans le nom qui lui est associé.

  Au-delà de ACCA = 8, la composition effective 1-3-3-1 est remarquable, correspondant à la 4e ligne du fameux Triangle de Pascal, donnant les coefficients du développement du binôme (a+b) à la puissance n, en partant de n=0. Dans le cas trivial où a et b valent 1, on a bien
23 = 1+3+3+1 = 8.
  J'ai rappelé ici qu'une curiosité du Triangle de Pascal est qu'on y trouve la suite de Fibonacci, selon une procédure qu'on peut répéter à l'infini.

   La séquence 1-3-3-1 interpelle le jungien, car le partage de 4 en 3+1 est un leitmotiv chez Jung, lequel a énoncé quelque chose du genre "Les seules mathématiques que je connaisse, c'est 3+1=4".
  Par ailleurs Jung considérait aussi l'ogdoade, ou double quaternité, témoin par exemple l'un de ses plus fascinants mandalas, Fenêtre sur l'éternité.

   J'avais complètement oublié ce mot acca, alors que ce motif 3+1 m'était également essentiel il y a 20 ans. Ce n'est pas mon premier grave oubli, et je me demande si, faute d'être capable de mieux m'organiser, je ne devrais pas me faire tatouer les choses importantes, comme l'héroïne de Rêver, de Thilliez.
  Rêver pourrait être adjoint à la trilogie Traskman, formant ainsi un motif 1+3, et avoir ce motif à l'esprit me fait réaliser que le nombre 4 est au premier plan dans ces 4 romans, avec dans chaque cas une possibilité immédiate 3+1.

   Dans Rêver, le criminel enlève tour à tour 4 enfants, énonçant dès le premier rapt qu'il y en aura 4, ni plus ni moins. Les 3 premiers enfants sont identifiés, mais pas le 4e, et autour de ce 4e cas s'accumulent de formidables énigmes dont Thilliez donne une explication acceptable.
  Parmi ces énigmes il y a le roman La quatrième porte, de Josh Heyman, contenant d'étranges similitudes avec l'affaire en cours. C'est également un titre de Paul Halter, où l'énigme est liée à un couloir desservant 4 portes. Le subterfuge du criminel consiste à faire passer la 3e porte pour la 4e.

   Le manuscrit inachevé s'ouvre sur une page de titre où l'auteur est Thilliez, puis vient un prologue signé Jean-Luc Traskman, lequel a trouvé dans les affaires de son père Caleb  un manuscrit inachevé, sans titre. Suit une nouvelle page de titre, Caleb Traskman - Le manuscrit inachevé.
  Son personnage principal est la polardeuse Léane Morgan, qui vient de publier sous son pseudo Enaël Miraure un roman intitulé Le manuscrit inachevé. Dans ce roman, l'héroïne Judith Moderoi lit le dernier manuscrit, inachevé, du polardeux Janus Arpajeon...
   On compte donc 3 romans titrés Le manuscrit inachevé, plus un "manuscrit inachevé".

  Il était deux fois révèle que Caleb Traskman appartenait à un quatuor d'artistes criminels, la Société du Xiphopage. Les 4 sont déclarés morts à la fin du roman, mais l'acrostiche formé par les têtes de chapitres laisse entendre que Traskman serait vivant.

   Au début de Labyrinthes, le docteur Fibonacci énumère 4 protagonistes du récit qu'il s'apprête à faire à Camille : "la journaliste", "la psychiatre", "la kidnappée", "la romancière". La romancière est à part dans le lot car c'est un personnage secondaire de l'histoire de la psychiatre Véra, sans aucune réalité.

   J'avais énoncé dans mon billet sur ces romans que la dernière phrase de Rêver,
Et qu'une autre histoire commence.
livrait l'acrostiche EQUAHC, permettant de forger le mot CHAQUE, alors que le premier mot de la dernière phrase du Manuscrit inachevé est "Chaque", la phrase entière livrant l'acrostiche "C'est Léane". Dans l'autre version du dernier chapitre, donnée dans Il était deux fois, la dernière phrase livre l'acrostiche "Abracadabra". Je remarquais que ces deux expressions avaient pour valeurs 84 et 52, le rapport 84/52 donnant 21/13, deux nombres de Fibonacci.
   Je remarquais aussi la valeur de CHAQUE, 55, autre Fibonacci, comme 89, nombre de chapitres de Rêver, et ne savais évidemment pas alors que Labyrinthes aurait 55 chapitres.

  Dédale est aussi présent dans un autre roman de Halter, celui qui avait le plus de points communs avec Des jours et des nuits de Sinoué. C'est Le Chemin de la lumière, un roman en 55 chapitres, comme Labyrinthes, et qui se prêterait bien à un partage fibonaccien, car il a deux parties de 13 et 42 chapitres, la seconde se prêtant à un partage 21-21.
  Les 21 derniers chapitres sont consacrés à l'exploration de 10 labyrinthes égyptiens, associés au chemin de la lumière, un disque magique cerclé de 34 cupules, encore Fibonacci... J'ai toutefois pu en discuter avec Paul Halter qui n'avait aucune intention fibonaccienne, et son disque est inspiré par le réel kernos à 34 cupules de Milia.

   Avant de creuser l'affaire du disque de Phaistos, en septembre 2008, j'y avais porté quelque attention après avoir vu La découverte du ciel (2001) à la TV, donc probablement en 2003. Ses héros volent le disque qui serait une clé permettant d'accéder aux Tables de la Loi...
   J'avais surtout été marqué par la date énoncée dans les tous premiers plans, un 13 août. Cette date m'est essentielle, car les américains l'écrivent 8/13, évoquant le nombre 813, souvent commenté, encore très récemment. Je m'étais alors procuré le roman original, et y avais constaté l'absence de cette date.
  Un rectangle 8x13 unités avait été le point de départ de cette création fibonaccienne commune, en avril 2008:

   Il m'était important que, pour le "8 13" appliqué sur ce rectangle, "8" soit formé en accolant "1" et "3", ce qui m'évoque aujourd'hui le H = ACCA (ou 8 = 1331) vu supra.

  J'ai arrêté hier soir (19 mai) l'écriture de ce billet sur ces derniers mots, pour visionner quelque chose. France-Inter avait parlé un peu plus tôt d'une nouvelle série avec Patricia Arquette. Je n'avais pas saisi le nom de la série, et un coup d'oeil sur la filmographie de l'actrice m'a appris que c'était Severance, mais aussi qu'elle avait joué en 2018 dans Escape at Dannemora, mini-série qui m'avait échappé. J'ai commencé à regarder le premier épisode, en VO, et ai remarqué après un quart d'heure un B-318, numéro d'un taulard.
 

  Je m'étais à nouveau dit hier, à propos de l'accolement 13, que ça ressemblait plutôt à B qu'à 8 (ce qu'avait vu aussi André Breton, qui signait parfois 17 13).
   Je rappelle que le 13 août ou 8/13 est la veille du jour où tombe le phi-point de l'année, ce qui m'avait conduit à forger cette phrase, parfaitement exacte, et de valeur 813:
The eight thirteenths of a year fall exactly on eight thirteenths of eight thirteen.

  Une petite chose encore. Camille, "la clé de tout" selon le docteur Fibonacci, m'a conduit à envisager dans le précédent billet que les initiales des différentes identités de Julie,
C amille
L ysine
A riane
V éra
I  ulie
S ophie
fournissent l'acrostiche CLAVIS, "clé" en latin, où les lettres I et J sont confondues.

   Il m'est venu ensuite qu'en laissant de côté l'identité réelle Julie, il reste CLAVS, qui peut notamment former LUCAS, car les lettres U et V sont aussi confondues en latin, ce qui a souvent été utilisé pour les anagrammes (témoin VOLTAIRE = AROUET Le Jeune) .
  Or Lucas Chardon est le principal personnage de Puzzle,  le one-shot de Thilliez qui précède Rêver, en 2013, et sa construction est très proche de Labyrinthes.
  J'ai étudié le roman ici. Le premier chapitre montre Lucas Chardon, trouvé catatonique dans un chalet aux côtés de 8 cadavres, annoncer 4 mois plus tard à sa psychiatre Sandy Cléor qu'il se rappelle maintenant ce qui s'est passé, et que "l'histoire que je vais vous raconter dépasse tout ce que vous pourriez imaginer". Ce sont les derniers mots du chapitre I, tandis que dans celui de Labyrinthes le psychiatre Fibonacci dit à Camille "L'histoire que je vais vous raconter est longue et complexe".

   L'histoire met en scène un certain Ilan Dedisset, et sa copine Chloé Sanders, confrontés à une série de crimes. Le dénouement montre que Lucas s'est forgé cette identité à partir des marques de blanchisserie sur son drap d'hôpital, II AN 2-10-7. De même Julie se forge ses diverses identités à partir de détails de son environnement immédiat. Il est remarquable de considérer parallèlement
J (ulie) --> L-V-C-A-S et
LUCAS --> I (lan),
tandis que la "clé" est immédiate dans le nom CLEor de la psychiatre.

  Il est dit dans le dernier chapitre de Puzzle que Chloé Sanders est la réelle petite amie de Lucas, alors que ce nom est évidemment dérivé de Sandy Cléor. De quoi se poser des questions, de même que dans le dernier chapitre de Labyrinthes où il est dit que Lysine Bahrt est un personnage réel, alors que l'anagramme de LABYRINTHES est évidente.

  Je songe encore que Luca (2019) est un volet de la saga Sharko, où Luca est un bébé issu de manipulations génétiques, devant son nom à LUCA, acronyme forgé par les scientifiques pour remplacer l'Adam biblique:
— Que signifiait-il ?
—  Last Unified Common Ancestor. Mon Luca ne serait pas le dernier ancêtre commun à toutes les espèces, mais le tout premier d’une nouvelle ère d’êtres humains. Ceux pour lesquels l’immortalité ne serait plus une chimère.
  Je rappelle qu'Adam a aussi été vu comme un acronyme, en hébreu pour Adam-David-Messie, en grec pour les 4 directions.

   Il s'agit en fait plutôt de Last Universal Common Ancestor, sans rapport semble-t-il avec Lucy, vue devoir son nom à un autre acronyme, ce que John Lennon a démenti. Après tout, les coïncidences, ça existe...


12.5.22

Fibonacci régit de noirs labyrinthes

à Wana

  5 mai, 5/5, parution du nouveau Thilliez, Labyrinthes.
  Une des premières choses que je fais en présence d'un livre est de consulter son nombre de chapitres, il est ici de 55, nombre de Fibonacci, et je repère sur la première page de ce chapitre 55 le nom d'un personnage, Marc Fibonacci.
  Il a pour interlocutrice Camille Nijinski, et il m'est immédiat que la valeur numérique de CAMILLE est 55.

  Une autre chose qui m'est importante est le numéro d'un livre dans sa collection, ou, sinon, son numéro ISBN, en 'l'occurrence 9782265155558, un identifiant unique qui se découpe en:
978: indiquant qu'il s'agit d'un livre, selon la classification EAN plus générale;
22651: numéro d'éditeur;
5555: numéro de publication;
8: clé de vérification, calculée à partir des 12 précédents chiffres.

  Ainsi un livre publié le 5/5 a 55 chapitres, le numéro de publication 5555, et un personnage essentiel a un prénom de valeur 55... C'est presque le premier mot du livre, dont voici les deux premiers paragraphes du chapitre 1:
  — Comment va-t-elle, docteur ?
  Camille Nijinski avait ôté ses gants fourrés et se massait doucement les mains. La chaleur infernale qui régnait dans l’hôpital contrastait avec les températures à pierre fendre de l’extérieur et tiraillait les crevasses encore à vif sur ses doigts. D’un geste, le docteur Fibonacci lui intima de ne pas s’avancer davantage dans la chambre. Face à eux, la patiente dormait ; le bip lent de l’électrocardiogramme indiquait un sommeil paisible qu’il n’était pas question de perturber.
  Ce n'est au moins pas par hasard que le docteur (un psychiatre) se nomme Fibonacci, car beaucoup de nombres de la célèbre suite apparaissent dans le roman, jusqu'à 2584, son 18e terme. Je ne vais pas en donner le détail, il est plus simple de signaler les manquants, 233, 377, et 987.
  On trouve mentionnée cependant l'année 1987, et il y a peut-être un jeu subtil pour 377, car la dernière ligne du roman est page 375, et le recto suivant, non folioté mais correspondant à la page 377, offre au lecteur de résoudre ce labyrinthe.
 

  Le chemin passe par 10 lettres fournissant le mot de passe (XIPHOPHORE) pour accéder ici à quelques secrets de l'auteur (mais il n'y est pas question de Fibonacci).
  A noter que Labyrinthes est nettement plus court que les romans précédents de Thilliez (498 pages pour 1991, 507 pour Il était deux fois), ainsi le texte a pu être calibré pour que l'énigme figure page 377.

  Ce n'est évidemment pas un hasard si le roman a 55 chapitres, et je reviendrai plus loin sur d'autres chapitrages fibonacciens chez Thilliez.
 Qu'en est-il de la date de parution le 5/5? Depuis quelques années, son roman annuel paraît début mai, et les dates officielles de parution des deux romans précédents étaient le jeudi 6 mai 2021 pour 1991, le jeudi 7 mai 2020 pour Il était deux fois), ainsi la parution ce jeudi 5 mai suit exactement le même schéma. Il est d'ailleurs envisageable que la connaissance de cette parution un 5/5 ait été un déclic pour orienter la construction fibonaccienne.

   En ce qui concerne le numéro de publication, donné plus haut comme 5555, quelques précisions sont nécessaires.
   Si les 5 chiffres précédents sont dévolus en principe à l'éditeur, c'est variable selon son importance, et les plus grandes maisons ont un identifiant de 2 ou 3 chiffres, ainsi Fleuve appartient au groupe Editis, qui gère quarante marques d’édition, dont Pocket et 10/18. Le code principal pour Editis est 226, et 2265 pour Fleuve (2266 pour Pocket, 2264 pour 10/18).
   Il reste un chiffre qui est utilisé pour le numéro de publication des maisons les plus importantes, ainsi le réel numéro de publication de Labyrinthes est 15555.
  Ces numéros progressent plus ou moins linéairement, comme on peut le constater avec les numéros des Thilliez depuis son premier opus chez Fleuve, Le syndrome [E], portant le numéro 08729.
   Plus ou moins, car depuis 6 ans, il est attribué des paires de numéros consécutifs aux romans de Thilliez, 11558-11559 pour ceux de 2016-2017, 11780-11781 pour ceux de 2018-2019, 14427-14428 pour ceux de 2020-2021.
   Quoi qu'il en soit, les autres thrillers parus récemment chez Fleuve ont des numéros débutant par 155, par exemple ce numéro 15534 paru en janvier.
   Il est donc normal que ce numéro de Labyrinthes soit 155XX. Pour le 55 final, soit c'est contingent, soit non. Si c'est un hasard, peut-être Thilliez informé du numéro qu'aurait son prochain roman a-t-il imaginé de lui donner 55 chapitres et d'y jouer avec la suite de Fibonacci.
  Peut-être ce choix était-il prédéterminé, et Thilliez aurait alors demandé à l'éditeur de lui attribuer ce numéro.
   Mais peut-être encore le hasard est-il complet, ce que je n'ai aucune peine à envisager tant je suis habitué à de telles coïncidences autour de la suite de Fibonacci.

CAMILLE = 55 (3+1+13+9+12+12+5)
  Ici je dois commencer à spoiler, et invite donc c.eux.elles qui n'auraient pas lu le roman à commencer par le faire, en signalant qu'il est utile d'avoir lu auparavant Il était deux fois, et peut-être d'abord Le manuscrit inachevé.
   Il n'y a pas de lieutenant Camille Nijinski. C'est l'une des identités endossées par une femme atteint de fugue dissociative, et selon le psychiatre Fibonacci elle aurait forgé ce nom à partir de deux personnalités étudiées dans La folie de l'artiste, Camille Claudel et Vaslav Nijinski. Il n'y a que trois femmes dans cette étude, et le choix était donc limité.
   Bien sûr, Thilliez aurait pu choisir Camille pour sa valeur 55 et forger ensuite cette explication. La gématrie ne lui est pas inconnue, et il l'utilise dans Vertige.

   Il se trouve qu'il y a actuellement 21 romans de Thilliez accessibles sur le marché, 21, 8e terme de la suite de Fibonacci, et ce 21e roman aurait aussi pu être le déclic orientant vers Fibonacci.
   Le terme précédent est 13, et le 13e roman est Angor (2014), une aventure de Sharko-Hennebelle introduisant un nouveau personnage, une Camille qui y a d'abord le premier rôle. Voici les deux premiers paragraphes du chapitre 1:
  [U]ne jeune automobiliste de 23 ans, impliquée dans un accident de voiture, a été retrouvée morte plusieurs heures après le drame, à un kilomètre à peine de son domicile familial, à la sortie de Quiévrain.

  Assise à son bureau, l’adjudant Camille Thibault surligna « a été retrouvée morte » et ne prit pas la peine de lire la suite. Elle referma le journal belge La Province, édition du 28 juillet 2011, avant de passer à l’enveloppe suivante, qui contenait un numéro du quotidien suisse 24 Heures, même date. Elle se rendit directement à la rubrique des faits divers et trouva d’un coup d’œil ce qui l’intéressait.
  Camille Thibault revient dans le roman suivant, Pandemia, dont j'ai parlé ici, pour une belle coïncidence personnelle. Thilliez offre une mort atroce à ce sympathique personnage...
note de mars 23: Je n'avais pas remarqué que
ANGOR = 55 

 
  Ce 5/5 est aussi paru Le plaisir de la peur, où Thilliez donne des conseils d'écriture qui ne m'ont guère intéressé. J'y ai cependant repéré cette curiosité:
Dans mon roman Pandemia, Camille Guérin travaille avec des microbes très dangereux alors que son mari risque la mort en attrapant le moindre rhume.
  Cette scientifique se prénomme en fait Amandine. La confusion pourrait indiquer à quel point le prénom Camille était important pour Thilliez ces derniers mois.

  Labyrinthes est donc le 21e roman de Thilliez, et le premier nombre de Fibonacci qui y apparaît est précisément 21. Le docteur Fibonacci et Camille sont au chevet d'une malade inconsciente au début du chapitre 1, et le docteur invite Camille à s'installer dans la chambre 21, où ils seront au calme pour discuter.
  Comme il est aisé de le vérifier sur une édition numérique, le mot "Camille" apparaît 21 fois dans Labyrinthes, 8 fois dans le chapitre 1, 13 dans le chapitre final 55, 8 et 13 étant les nombres précédant 21 dans la fameuse suite.

   Incidemment, Thilliez a publié en 2002 un premier roman, Conscience animale, épuisé, et une réédition n'est pas souhaitable à mon avis. En conséquence, 21 romans sont parus avant Labyrinthes, 8 chez des petits éditeurs, 13 chez Fleuve.

  Au départ de Labyrinthes, le lecteur est conduit à penser que Camille Nijinski enquête sur une amnésique trouvée à côté d'un cadavre. Le docteur Fibonacci confie qu'elle a pu lui parler avant d'oublier:
Vous devez savoir qu’il y a cinq protagonistes dans le récit que je vais partager avec vous. Toutes des femmes. Écrivez, c’est important pour la suite : "la journaliste", "la psychiatre", "la kidnappée", "la romancière"... (...) La cinquième n’apparaît que plus tard, elle est la clé de tout. Son identité ne pourra vous être révélée qu’à la fin de mon récit.
  5 est aussi un nombre de Fibonacci, le 5e, et c'est important car tous les Fibonacci d'ordre multiple de 5 sont multiples de 5 (plus généralement Fkn est multiple de Fn).  F10 est 55,  F15 est 610 (la journaliste enquête sur un film super 8 de 5'34" composé de 610 plans).
  Par ailleurs, le rapport de deux Fibonacci consécutifs tend vers le nombre d'or, phi, dont l'expression algébrique dépend de 5, (1+√5)/2. Certains transforment cette expression pour n'utiliser que des 5, (5+5√5)/(5+5), ou .5+.5x5.5.

  Le docteur a la jactance aisée, car son récit est supposé représenter les 53 chapitres suivants, alternant les histoires de la journaliste, Lysine Bahrt, la psychiatre, Véra Clétorne, la kidnappée, Julie Moscato, déjà connue des lecteusr de Il était deux fois; elle a été kidnappée en mars 2008 par le romancier Caleb Traskman; son père n'a jamais renoncé à la chercher, et finit par découvrir en 2020 son corps plastinisé en Pologne. 
  Quant à "la romancière", c'est Sophie Enrichz, qui fait partie de l'histoire de Véra, et dont la réalité peut prêter à caution quand il est énoncé, assez tôt, que c'est l'anagramme de "schizophrénie". S'il est aussitôt signifié que c'est un pseudo, le procédé peut induire à se pencher sur le curieux nom Lysine Bahrt, et y découvrir "labyrinthes"...
  Par ailleurs, un lecteur familier du polar sait que Vera Claythorne est l'un(e) des Dix petits nègres, et il y a d'autres indices onomastiques, ainsi un Christian Nolan fait partie de l'histoire de Véra, tandis qu'un Robert Angier apparaît du côté de Lysine. Robert Angier est le personnage principal du film Le prestige, de Christopher Nolan.
  Je suis bien placé pour le savoir, car j'ai imaginé en 2018 dans le chapitre 13 (un Fibo!) de Novel Roman l'artiste Regina (anagramme de "angier") réaliser un tour analogue à celui d'Angier grâce à un appareil inventé par un certain Nolan.

   De fait les indices interrogeant la réelle identité des personnages s'accumulent, et à la fin du chapitre 42 "Lysine" découvre qu'elle n'est pas la journaliste, tuée par le "Minotaure" sur lequel elle enquêtait, mais Ariane, une marginale qui ne connaissait que son prénom.

  L'intrigue se démêle dans les derniers chapitres. Après 8 ans de captivité, Julie parvient à échapper à Traskman en juin 2016. Elle a perdu la mémoire, et une 'araignée pendant au rétroviseur de la voiture qui la recueille la conduit à s'imaginer Ariane.
  L'hiver 2021, un nouvel épisode dissociatif lui fait endosser l'identité de Lysine, pour quelques semaines, et elle devient enfin Véra pour quelques jours. C'est alors que Traskman la retrouve, mais Julie-Ariane-Lysine-Véra parvient à le tuer.
   Julie semble avoir alors recouvré la mémoire pour raconter son histoire au docteur F, avant de partir dans une autre fugue psychique et de s'imaginer être le lieutenant Camille Nijinski.

   Pourquoi cette dernière personnalité serait-elle "la clé de tout", selon le docteur F? Peut-être parce qu'en latin I et J sont confondus, ainsi
C amille
L ysine
A riane
V éra
I  ulie
S ophie
fournissent-elles l'acrostiche CLAVIS, "clé" en latin.
  Ceci donne évidemment une autre dimension au choix du prénom Camille, qui contient en outre les lettres CLE (qu'on trouve aussi dans CaLEb, le Minotaure). Tiens, ces prénoms totalisent 34 lettres, 7-6 et 6-4-5-6 permettant le découpage fibonnaccien 13-21.

   Je remarque que les deux identités de Julie les plus développées, Lysine et Véra, fournissent LV, 55 en chiffres romains.

  Dans ses secrets d'auteur, Thilliez ne dit rien non plus de ce possible jeu CLAVIS, dont il y aurait pourtant lieu d'être fier, et qui s'inscrit dans la lignée des acrostiches du Manuscrit inachevé et de Il était deux fois.  
  J'y remarque quelque chose d'étrange:
  Vous l’avez peut-être remarqué, il y a trois temporalités très différentes dans le livre : la séquestration de Julie qui s’étend sur huit ans, la quête de Lysine qui dure une semaine, et le mystère autour de Véra, qui se passe principalement sur vingt-quatre heures. Ces trois fils sont à peu près équilibrés, en termes de volume, même si le nombre de chapitres diffère légèrement : 20 sont consacrés à Véra, 23 à Lysine, et 16 à Julie. Durant le récit, je ne cite volontairement jamais d’année, sauf à la fin. On ne sait pas précisément quand se déroule l’histoire. En 2008 ? En 2013 ? En 2021 ?
  J'ai procédé à mes propres calculs, et trouvé 18 chapitres pour Véra, 19 pour Lysine (+Ariane), 16 pour Julie, total 53, + les 2 chapitres Camille, 55: le compte est bon.
  A quoi peuvent correspondre les chiffres de Thilliez? Un état antérieur du texte? Je ne me risque pas à conjecturer plus avant, mais si le côté fibonaccien a été décidé en dernier lieu, il se précise que la valeur 55 de CAMILLE serait un hasard.

   Quant aux dates, que vient y faire 2013? Les seules dates précises sont
- le 29 juin 2016 où s'évade Julie, ce qui lui fait constater qu'elle est restée 8 ans prisonnière de Traskman;
- un jour d'avril 2021 où au chapitre 54 Lysine/Ariane décide de partir au hameau du Bout du Croc; elle y arrive en tant que Véra au chapitre 3, et les détails de l'histoire de Véra ne sont guère compatibles avec cette date d'avril.

  Je n'insiste pas sur les incohérences propres au roman, ni sur celles avec Il était deux fois, où Traskman s'était suicidé en pleine rue sous les yeux des passants...
  Je rappelle qu'il y avait déjà du Fibonacci dans ce roman se passant en 2020, où le personnage principal, le père de Julie, est alors âgé de 55 ans. Lorsqu'il découvre que Julie a été emmenée en Pologne (ce qui n'a rien à voir avec son destin dans Labyrinthes), il l'imagine découpée par le plastinicien Kalinine en "89 tranches sérielles", un nombre qui n'a rien d'immédiat, sauf pour les fans de Fibonacci.

  J'ai vu aussi une accumulation fibonaccienne dans Sharko, le roman précédent, avec notamment une structure en 89 éléments: 1 prologue, 87 chapitres, et 1 épilogue (voir ici).
  Mon attention a d'abord été éveillée par Deuils de miel, s'achevant sur un chapitre 34, avec une nette césure à la fin du chapitre 21. Je devais découvrir ensuite que ce chapitrage était erroné, résultant d'un saut inopiné du chapitre 29 au 31 chez le premier éditeur, La vie du Rail, erreur répercutée dans la première édition Pocket, corrigée dans les éditions ultérieures. Le découpage 21-13 pouvait néanmoins être encore considéré car il y avait un court épilogue.

  J'en ai parlé à partir de juillet 2015, dans plusieurs billets, et quelle ne fut ma surprise en découvrant le nouveau Thilliez en juin 2016, s'achevant sur un chapitre 89, mais avec son chapitre 57 explicitement manquant, à télécharger après avoir déchiffré un code. Le livre comptait néanmoins 89 éléments car il y avait un prologue.
  Je me suis alors demandé si ce twist n'avait pas été inspiré par mes commentaires sur Deuils de miel.
note de mars 23: S'il faut compter les éléments, Le manuscrit inachevé a 1 Préface de "J.L. Traskman", 1 Prologue de "Caleb Traskman", et 79 chapitres, soit 81 éléments. Il était deux fois a 83 chapitres et 1 Epilogue, soit 84 éléments.
En tout, cela donne pour les deux premiers opus de la trilogie 165 éléments, soit 3 fois 55, le nombre de chapitres du dernier. CQFD? 

  J'ai déploré à diverses reprises dans mes commentaires de structures de romans les présences de prologues ou d'épilogues, compliquant les analyses, et voici que la cuvée Thilliez 2022 offre 55 chapitres, sans prologue ni épilogue, avec une accumulation de Fibos en sus.
  De fait, je sais que Thilliez a au moins lu mon commentaire sur Rêver, transmis par une connaissance commune. Il n'a pas daigné réagir, peut-être parce que j'y énonce qu'il peut parfois, consciemment ou non, utiliser les idées d'autres auteurs. Ainsi, pour le présent opus, dont le twist essentiel est que ses trois histoires entremêlées se déroulent à trois époques distinctes, autour d'un même personnage central, je constate que ça a déjà été fait, par Michel Bussi dans Nymphéas noirs (2011), que Thilliez a très probablement lu. Je n'ai pas relu le roman en étant informé du twist final, et certains lecteurs ont repéré des incohérences ou tricheries de l'auteur.
  Les jeux avec le temps et l'identité étaient déjà apparus dans le polar, et je me souviens notamment de Un assassin, ça va ça vient (1981), de Siniac, ainsi que de La caverne des idées (2003), de Somoza.

  Thilliez a très probablement vu le film de Manzor Dédales (2003), où trois acteurs incarnent les personnalités multiples d'un même être dissocié, avec parmi ces personnalités le flic qui a enquêté sur le cas, et le psychiatre qui s'en occupe...
  La dissociation originelle a été provoquée par le mythe d'Ariane et du Minotaure, et il me semble que Thilliez aurait trouvé un autre titre que Labyrinthes s'il s'était souvenu de ce détail. J'ai étudié Dédales ici, et ses prodigieux points communs avec un autre film sorti quasi simultanément.












  Il est aussi possible que Thilliez soit l'un de ces auteurs qui s'imaginent maîtriser totalement leur écriture, et qu'il n'accepte pas qu'à ses constructions intentionnelles il puisse se superposer des jeux étranges venus d'ailleurs... C'est une réaction que j'ai déjà rencontrée, et je sais par expérience qu'il est fort difficile de franchir le pas vers ce monde inconnu.

  Je me suis rarement intéressé jusqu'ici aux numéros ISBN (ou EAN), et ce n'est qu'à l'occasion du présent billet que j'ai eu la curiosité de creuser la signification de leurs chiffres.
  Le cas (1)5555 pour le numéro de publication des 55 chapitres de Labyrinthes m'a fait me pencher sur les premières éditions de Deuils de miel, s'achevant sur un chapitre 34. Sa première édition à La vie du Rail avait pour les 9 chiffres significatifs (éditeur+publication) 291503442, avec 34 dans le numéro de publication.
  La première édition Pocket (février 2008) avait pour ces 9 chiffres significatifs 226616634, avec 34 achevant le numéro de publication. Les éditions ultérieures, avec le chapitrage corrigé et de nouvelles couvertures, ont aussi de nouveaux numéros ISBN.
  J'avais commenté le numéro 13121 dans la collection, que je découpais en 21-13 pour la structure des 34 éléments, et 1 pour le chapitre manquant (je remarque la présence du nombre 1321 au chapitre 76 d'Angor, dénombrant des morts).

  Aujourd'hui, je m'ébaubis du nombre 226 dévolu à Editis, dont la filiale Pocket a réédité les premiers Thilliez, car l'un d'eux est La forêt des ombres, où j'ai repéré l'harmonie fibonaccienne qui m'a le plus étonné chez l'auteur, bien que le roman soit à mon avis indigne de ses réalisations ultérieures.
  Il s'agit en fait d'équivalences gématriques donnant des nombres de la série Bleue du Modulor. Le Corbusier a conçu son système à partir de la suite de Fibonacci exprimée en pouces, et aux mesures en pouces 13-21-34-55-89 correspondent en cm 32-54-86-140-226. Tous ces nombres apparaissent associés au tueur du roman, le Bourreau 125:
BOURREAU 125 = 101+125 = 226
ARTHUR DOFFRE = 86+54 = 140 (son nom réel)
EMMA = 32 (sa complice, connue par ce seul prénom)
NEUN ACHT SIEBEN ACHT VIER = 54+32+54+32+54 = 226 (la litanie de chiffres allemands qu'elle répète quand elle arrive chez Doffre)
  J'ai détaillé cela ici, où je remarquais aussi le numéro dans la collection, multiple de 86, et j'y ajoute maintenant le numéro ISBN de la première édition Pocket, 978-2266-16296-8, avec
- 226 correspondant à Editis, et longueur exacte de l'instrument Modulor;
- 16296, numéro de publication, qui peut se scinder en 16-296, deux nombres de la série Rouge (moitiés de ceux de la série Bleue);
- il reste 978 (livre), 6 (précisant Pocket), et 8 (clé de vérification), et l'ensemble est pratiquement équivalent à la litanie 9 8 7 8 4 d'Emma, car SECHS (6) a même valeur 54 que VIER (4):
NEUN SIEBEN ACHT SECHS ACHT = 54+54+32+54+32 = 226.
  Si je doutais fort de l'intentionnalité de la série 32-54-86-140-226 autour du Bourreau 125, ces nouveaux éléments me confortent dans l'hypothèse synchronistique...

  Lorsque je soupçonne une structure dorée dans un roman, je scrute le phi-point, comme dit John Barth (a-t-il épousé Lysine?), la césure d'or, soit ici le chapitre 34 parmi les 55. Il s'y passe certes des choses notables, c'est là que la pseudo-Lysine (c'est le nom d'une enzyme) entend parler de Traskman, et que le lecteur peut soupçonner qu'il est le Minotaure, le tueur que recherche Lysine. Toutefois il se passe des choses tout aussi notables dans d'autres chapitres, et la principale structure que je discerne dans le roman est les deux chapitres Camille, le premier et le dernier, encadrant les 53 chapitres des trois histoires imbriquées.
  1(53)1, ce peut être significatif quand on connaît les valeurs de
FRANCK THILLIEZ = 53 101,
et qu'on sait qu'il a utilisé ses initiales, F=6 et T=20, pour imaginer les 6 jours et 20 heures qui séparent Stéphane de Stéfur dans L'anneau de Moebius.
  Le nombre 101 a eu de nombreux avatars depuis la chambre 101 de 1984, et j'ai déjà évoqué à propos de Thilliez le manuscrit inachevé de Perec, "53 jours", où il est précisément question d'un manuscrit intitulé 53 jours, dont un personnage est Rémi Rouard, tandis qu'il est question dans Le manuscrit inachevé de Thilliez/Traskman d'un roman intitulé Le manuscrit inachevé, signé Enaël Miraure...

  La fin du chapitre 55 reprend presque à l'identique le chapitre 1, et dans ses Secrets Thilliez emploie l'expression "boucler la boucle" (j'avancerai pour ma part "clavis sans fin"). Mais au début du chapitre 55 le docteur F s'entretient avec un confrère, l'informe que sa patiente, après lui avoir raconté son histoire, est repartie en fugue psychique et s'est identifiée à une flic; il va tenter de la faire revenir à la réalité en jouant son jeu, et en lui resservant son récit.

  Ce billet est le 338e de Quaternité. Comme 3+3+8 = 14, nombre de vers d'un sonnet, et qu'il y a 14 lettres dans Franck Thilliez, j'ai eu envie de composer un sonnet en hommage à Labyrinthes et à Fibonacci, avec un acrostiche.
  Comme 53+101 = 154 = 14x11, j'ai choisi d'utiliser des vers de 11 pieds pour parvenir à ce total.
  Les Fibos 377 ou 610 ne convenant guère comme nombre de lettres pour 154 pieds, j'ai choisi 466, double du Fibo 233. Il y a 110 lettres dans le premier tercet, 68 signes dans le second (lettres+chiffres), avec 110/68 = 55/34. 288 signes dans le huitain, avec 288/178 = 144/89.
  La gématrie totale est 6765, 20e terme de la suite de Fibonacci, et, comme il l'a été dit plus haut, multiple de son 10e terme, 55. Les valeurs du huitain et des tercets réunis sont 4181 et 2584, 19e et 18e termes.
  Les nombres de mots correspondants sont, en comptant chaque nombre pour un seul mot, 54 et 32, nombres de la série Bleue correspondant aux Fibos 21 et 13. Ceci ne faisait pas partie des contraintes que je m'étais fixées, et je suis ravi que ça fasse apparaître deux jeux:
- un chiasme, 6 vers comptent 32 mots (=ACHT=8), 8 vers comptent 54 mots (=SECHS=6);
- un truisme, 86 = ACHT+SECHS = 32+54 = 86.
  Les vers 5 et 14 sont dans une police différente, pour dessiner le motif 4-1-8-1.
  Le premier vers a pour valeur 338, et forme donc le titre de ce 338e billet.
  Le Gématron permet de vérifier ces résultats.


Fibonacci régit de noirs labyrinthes,
Rendant moins virtuelles nos obscures craintes,
Au seuil trouble des oniriques contraintes.

Notons au point 377
Ce mystère pulsé d'un total succès
Kabbalistique en 55 versets.

Toutes nos peurs viendraient d'un trouble inutile,
Huit vers ne suffiraient pour l'anesthésier.
Il faut repousser la terreur érectile,
Les 610 plans de l'affreux charcutier,
Les quatre-vingt-neuf tranches du froid reptile,
Inscrire en nous ce reniement : "L'oublier !",
Et surtout, par quelque occultation subtile,
Zigouiller à tout jamais l'infect Thilliez.


  Je ne suis pas totalement satisfait du résultat, surtout du second tercet, et me réserve le droit d'y revenir...

  Ce billet étant achevé le soir du 11 mai, je le publierai demain 12/5 à 1:01, en hommage au Bourreau (=101=Thilliez) 125.


5.5.22

Tlön, le monde est Tlön


   7 avril: je me réveille avec l'immédiat souvenir de deux mots que j'avais sous les yeux:
Carola lunatotte
   En fait, faute de les avoir notés immédiatement, j'hésite ensuite entre "lunatotte" et "lunattote", mais il n'y avait aucun doute au moment de mon réveil.

   Ni l'un ni l'autre n'existe, mais "lunatote" oui. C'est la deuxième personne du pluriel de l'impératif futur du latin luno, "courber en forme de croissant".



  J'ignorais qu'il existe un impératif futur, en quelque langue que ce soit, et j'ignorais aussi qu'il existe un verbe qui pourrait se traduire par "luner", ce qui m'est immédiatement significatif.
   Je n'aurais jamais connu ce verbe sans l'Internet, où des programmes basiques fournissent les paradigmes complets de tous les verbes latins, alors qu'il est bien évident que personne n'ait jamais employé le mot lunatote.
   Une recherche m'apprend que le verbe "luner" a été employé en français, mais les usages sont rares et récents (1945 chez Bosco), peut-être chaque fois des néologismes. Littré ne connaît pas le mot.

  Pourquoi le verbe "luner" m'est-il significatif? A cause de la nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis Tertius ouvrant le recueil Fictions de Borges.
   Il est difficile de résumer cette nouvelle dont un point essentiel n'a été découvert que 60 ans après sa première publication, en 1941.
   Dans sa première partie, Bioy Casares parle à Borges de Uqbar, pays dont il est question dans le tome 46 de la Anglo-American Cyclopaedia, ce qui pousse Borges à consulter cette réimpression de l'Encyclopaedia Britannica, de 1902, mais la rubrique Uqbar ne figure pas dans le tome 46, TOR-UPS. Le volume s'achève sur la rubrique Upsala page 917, tandis que l'exemplaire de Bioy Casares a 4 pages de plus.

  Dans la seconde partie est abordée la littérature d'Uqbar, entièrement consacrée à une planète imaginaire, Tlön. Quelques détails sont donnés sur ses langues, le tlönien boréal dont la cellule primordiale est l'adjectif monosyllabique, un substantif étant formé par l'agglutination d'adjectifs.
   Le tlönien austral est centré sur le verbe. Cet exemple est donné:
Il n'y a pas de mot qui corresponde au mot lune, mais il y a un verbe qui serait en français lunescer ou luner. La lune surgit sur le fleuve se dit hlör u fang axaxaxas mlö soit, dans l'ordre; vers le haut après une fluctuation persistante, il luna.
  La pensée tlönienne est développée dans cette seconde partie, bien plus longue que la première qui ne donnait guère d'informations sur Uqbar, hormis les hypothèses sur sa localisation.
  Vient ensuite un "Post-Scriptum de 1947", déjà présent dans la première parution de la nouvelle en 1941. Il a été découvert depuis une prétendue première publication en 1940 une lettre montrant que Tlön (et en conséquence Uqbar) est l'invention d'une société secrète au début du 17e siècle. Son vague projet a été systématisé en 1824 par le millionnaire athée Ezra Buckley. Comme circulait la 3e édition de l'Encyclopaedia Britannica, en 20 volumes, Buckley entend montrer au prétendu Dieu créateur de ce monde la supériorité de l'homme en composant une encyclopédie de Tlön en 40 volumes. Cette édition secrète aurait été achevée en 1914, et il en est alors envisagé une édition plus minutieuse, écrite dans l'une des langues de Tlön, nommée provisoirement Orbis Tertius.
  Cette entreprise colossale a des répercussions sur le monde "réel", et Borges prévoit que d'ici un siècle seront découverts les 100 tomes de la seconde encyclopédie de Tlön. Les autres langues disparaîtront, et le monde sera Tlön...

  L'exégèse borgésienne a longtemps considéré que bien des points de la nouvelle étaient des inventions de l'auteur, notamment cette Anglo-American Cyclopaedia en 50 volumes, alors que la Britannica dont elle est censée être une réimpression n'a que 35 volumes. Or en décembre 2001, une recherche dans un catalogue informatisé a permis de découvrir une bien réelle Anglo-American Encyclopedia, en 50 volumes, publiée en 1917 à New York, et dont le volume 46 s'achève bien sur une page 917, conformément aux détails fournis par Borges.
  Les différences principales sont le nom exact, et que le volume 46 est TOT-UPS, au lieu de TOR-UPS énoncé par Borges.
   Borges avait affirmé posséder cette encyclopédie, et Bioy Casares en avait donné le nom exact dans un compte-rendu de la nouvelle en 1942.

  Ceci pourrait n'être qu'anecdotique, mais Alan Black développe dans cet article (en anglais) une thèse fascinante, probablement proche des intentions de Borges. Une différence essentielle avec la Britannica est l'absence dans cette édition de la rubrique Ur, pourtant l'une des premières villes mentionnées dans la Bible, Ur Chaldaeorum de la Vulgate, lieu de naissance d'Abraham, Ur ou Our des mots-croisés.
  Mieux, le berceau de notre civilisation aurait été la Mésopotamie, avec notamment l'empire développé autour d'Ur.
  Selon l'Encyclopaedia Britannica, "ur" signifierait originellement "the city", et Borges se serait ému de l'absence de cette "ville primordiale" dans une encyclopédie se prétendant exhaustive, d'autant que le préfixe allemand ur signifie "originel", ce dont il se sert probablement en employant à deux reprises le mot Ursprache, "langage originel".
   Il y a d'autres probables allusions dans la nouvelle, ainsi le concept le plus pur (puro en VO) des tlöniens serait ur
ur : la chose produite par suggestion, l'objet déduit par l'espoir.
  A la fin de la nouvelle, le narrateur, certain de la prochaine "tlönisation" du monde, dit ne guère s'en soucier, et continuer à travailler à sa traduction de l'Urn Burial de Thomas Browne (ouvrage réel, réflexion sur l'inanité de la vie à partir des inscriptions funéraires).
   Je pourrais ajouter que la lettre permettant de comprendre que Uqbar est une fiction vient de la ville brésilienne d'Ouro Preto ("or noir", mais on y lit aussi bien Ur que Our, deux translittérations de la ville mésopotamienne). L'exemple du verbe "luner" pourrait avoir été choisi parce que Ur est resté pendant des millénaires le sanctuaire du dieu lunaire, Nanna ou Sîn.

Note du 7/3/24: Patrick a consacré récemment un post à Tlön, à partir d'un livre de Sebald. J'ai posté ce commentaire:
Sebald écrit:
je devais prendre connaissance d'un texte intitulé Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, rédigé en 1940 à Salto Oriental, en Uruguay,(...)
Naïvement peut-être, car si Borges donne la première partie du texte écrite en 1940 "à Salto Oriental", sans plus de précisions, il date la suite de 1947, alors que la nouvelle fait partie du recueil publié en 1944.
Je ne savais pas que Salto Oriental était en URuguay, et j'y imagine un jeu de Borges qui a surdéterminé les "UR" dans la nouvelle, car l'absence d'Uqbar dans son encyclopédie imaginaire est inspirée par l'absence d'Ur dans une encyclopédie réelle, voir Tlön, le monde est Tlön.
C'est amusant que cette info provienne des Anneaux de satURne.
Salto est une ville importante, de l'autre côté du fleuve Uruguay, frontière entre l'Argentine et l'Uruguay, évidemment connue de tous les Argentins.

  Ainsi, alors que des générations de lecteurs ont vu dans cette nouvelle le développement de l'ajout imaginaire d'Uqbar dans une encyclopédie non moins imaginaire, sa source aurait été la suppression réelle d'Ur dans une encyclopédie non moins réelle, et Borges pourrait appartenir à une société secrète tentant de rétablir la réalité d'Ur...

   On peut envisager un autre renversement de vapeur, et je ne vois pas pourquoi Borges aurait renommé TOR-UPS le volume TOT-UPS, sinon pour accoler les lettres R et U. Le renversement donne ainsi spURot, Ur marks the spot? (X marks the spot est une expression courante)
   Dans son immense culture, Borges pouvait fort bien savoir que l'appellation hébraïque de la ville chaldéenne était homonyme du substantif hébreu 'our, "feu" ou "lumière", et connaître l'interprétation que Schuré avait proposée pour la création de la lumière, 'our, à partir du souffle divin, rou', évoquée dans le précédent billet. Un jeu analogue existe entre les mots arabes correspondants, nur et ruh.
   Borges fait apparaître dans sa nouvelle son ami Xul Solar, dont le "prénom" peut-être compris comme le miroir du latin lux, "lumière" (Xul transcrit en fait le nom de son père, Schulz, sa mère avait pour nom Solari). C'est Solar, qui pourrait signifier "soleiller", qui donne la traduction de la phrase tlönienne contenant le verbe "luner" (lunar en VO).

   L'incipit de la nouvelle est précisément:
C'est à la conjonction d'un miroir et d'une encyclopédie que je dois la découverte d'Uqbar.
   La seule citation exacte de Tlön, dument référencée, vient de Bertrand Russell.
   Parmi les occurrences de la syllabe RU, je remarque particulièrement "la première intrusion (intrusión en VO) du monde fantastique dans le monde réel". Cette intrusion, c'est une "boussole" (bjula en VO) dont le cadran porte des lettres tlöniennes. Le mot brújula ne contient pas seulement la syllabe RU, mais BRU, se renversant en URB, rappelant le latin urbs, urbis, "ville", dont on ignore l'origine. Certains envisagent un rapport avec le sumérien ur.
  Le Projet Babel a envisagé aussi un rapport entre le basque uri ou iri "ville", et le mot sumérien. De nombreux Argentins sont d'origine basque, comme la famille Uriburu dont sont issus deux présidents; il y a une rue Uriburu à Buenos Aires.

  Il me semble qu'il pourrait y avoir des allusions dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius à l'expression urbi et orbi, "à la ville et au monde".
   Ainsi, si au départ la société secrète a voulu donner réalité à l'imaginaire pays Uqbar (cachant la ville réelle Ur), le millionnaire Buckley s'est moqué de la modestie du projet et a orienté le projet vers la création d'un monde (ce pourrait être un jeu secondaire, ubris et orbis..., sinon ubris et obras, "oeuvres").
   Je reviens sur l'excipit, le narrateur travaillant sur sa traduction de Browne, alors qu'il sait que le monde va devenir Tlön... Ce narrateur c'est Borges, dont le nom signifie précisément "bourgeois", habitant d'un bourg, d'une petite ville, et Browne débute par BRO dont le miroir est ORB...
   ORB pour orbis, mais aussi pour orb, "aveugle" en occitan, et mon précédent billet m'avait fait découvrir ce mot grâce à la conjonction d'un rêve et de l'onomastique... Borges était déjà presque aveugle lorsqu'il a écrit Tlön, Uqbar, Orbis Tertius.

   J'ai lu très tôt le recueil Fictions, mais ce n'est que lorsque j'ai acquis des connaissances suffisantes en hébreu et en culture juive que j'ai entrevu toute la richesse de La mort et la boussole, allant bien plus loin que les jeux littéraires.
   C'est en 2013 qu'une coïncidence m'a fait approfondir Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, et voici comment débutait Sunshine Superman (allusion à Xul Solar):
  L'étude de Rouge-Gorge de Jo Nesbø m'a conduit à La mort et la boussole de Borges, et à un de ses avatars trouvé par hasard il y a quelques années, Fantaisie architecturale de Bernard Marcadé paru dans le Guide du Paris de l'Ivre de Pierres (mai 82). Le matin du dimanche 22 septembre une phrase de ce texte,
Brusquement il y eut une interminable odeur d'eucalyptus.
m'a fait vérifier que les mots en italique étaient une citation de Borges, et ils figurent effectivement dans l'incipit de cette nouvelle de Fictions.

  Quelques heures plus tard un colistier de la liste Oulipo proposait l'exercice de la Semaine du Livre, recopier la 5e phrase de la page 52 du livre le plus proche de soi, sans en indiquer les références. Les livres les plus proches de moi étaient alors ce Guide et Fictions, et je me suis aperçu que la phrase qui m'avait intrigué était la 5e de la page 52 du Guide.
  La 5e phrase de la page 52 de mon édition Folio de Fictions (1981) était merveilleusement significative :
Telle fut la première intrusion du monde fantastique dans le monde réel.
  Aujourd'hui où j'envisage que Borges ait joué dans la nouvelle avec les syllabes UR et RU, cette intrusión m'est encore plus significative, d'autant qu'il s'agit d'une bjula, "boussole", d'autant que la seconde intrusion est liée à la mort d'un client d'une auberge où le narrateur a passé une nuit.

   Borges a-t-il repris des éléments de Tlön (1941) dans La Mort et la Boussole (1942)? Peut-être, et je remarque que Spinoza, cité en tant que philosophe dans Tlön, est aussi le nom d'un informateur de Lönnrot dans La Mort, donné avec le prénom Baruj, forme espagnole du Baruch généralement associé au philosophe. On trouve aussi la forme Baruq,en tchèque par exemple, anagramme de Uqbar.
   Toutes les lettres de Baruj sont dans bjula, toutes celles de Tlön dans Lönnrot (un Lönnrot célèbre est le compilateur du Kalevala).

   Une autre intrusion de la nouvelle dans mon univers s'est produite en 2018, lors de l'écriture de Novel Roman.
   Son chapitre 15, Orphelin implacable, était consacré à Morvan Léon, inspiré par l'Orphelin de l'Europe, Gaspard Hauser, notamment pour les circonstances de sa mort. Gaspard, blessé dans un parc, est mort de la blessure qu'il s'était probablement infligée lui-même. On a retrouvé sur lui une lettre en écriture spéculaire, signée des initiales MLO. Le nom de Marie-Louise d'Autriche (Österreich) a été avancé.
  Mon Léon est pareillement blessé, au jardin Valmer à Marseille, à midi pour permettre l'anagramme VALMER NOON de NOVEL ROMAN. Il griffonne avant de mourir les lettres MLÖ en écriture spéculaire, en lesquelles les enquêteurs voient le nom d'une autre héritière de V-A Monlorné, Vernona Ölm (elle fera l'objet du chapitre suivant).

   Gef, qui a une connaissance encyclopédique de Borges, m'a signalé que mlö était un temps du verbe "luner" en tlönien austral, ce dont je ne me souvenais évidemment pas, mais je l'ai utilisé pour le chapitre suivant.
   Curieusement, dans le chapitre 14, l'anagramme choisie pour NOVEL ROMAN était VERNAL MOON, ce dont je m'étais réjoui, car la mort de Norman Love survenait dans la nuit du 16 avril 1908, effectivement la nuit de la pleine lune vernale, ce que je n'avais pas choisi, car mon projet était né du cambriolage ouvrant L'aiguille creuse, dans la nuit de ce 16 avril 1908.
   Je l'avais relié à l'affaire Rose-Croix, ce magnifique canular forgé au début du 17e siècle par Valentin Andreae, et pour cette raison le prénom de V-A Monlorné était Valentin-Andreae.
   Je ne me souvenais pas non plus alors qu'une des premières mentions d'Uqbar (sous la forme Ukkbar) était censée avoir été donnée en 1641 par un certain Johannes Valentinus Andreä (qu'on apprendra dans le post-scriptum être un membre de la société secrète fondée au début du 17e siècle).

   La conjonction de Valentin et de URB-BRU m'évoque le roman Le dimanche de la vie, de Queneau (1952), dont le héros est Valentin Brû. C'est un orphelin, et le billet précédent m'a conduit au latin orbus, "orphelin".
  Les noms propres du roman semblent privilégier les lettres BR (Brû, Bordeille, Bourrelier, Bordeaux, Bruges), mais ce serait une autre histoire...

   Pour boucler la boucle, Le dimanche de la vie a été adapté à l'écran par Jean Herman, alias Jean Vautrin, l'un des trois utilisateurs du verbe "luner" signalés par le lien donné au début du billet:
Il lunait encore sur la cour.
           Jean Vautrin, Symphonie-Grabuge, 1994