Après mon billet du 8 janvier, j'avais déjà commencé un billet sur Fred Vargas, resté en plan comme quelques autres.
Je rappelle que j'envisageais dans D'un marteau l'autre un lien entre les deux Missions spéciales de Fandorine, Le valet de pique et Le Décorateur, le premier étant Jack of spades en anglais, le second étant Jack the Ripper, Jack l'Eventreur que Boris Akounine a imaginé être un russe revenu continuer ses exploits à Moscou, discrètement éliminé par Fandorine.
Les figures des jeux de cartes français sont personnifiées, ainsi le valet de pique y est Hogier ou Ogier, un nom qui m'évoque une coïncidence entre deux romans parus en 2000 :
- La promesse de Melchior (mai 2000), d'Alain Demouzon, où le commissaire Jean-François Melchior enquête sur un tueur en série. Ce tueur se sentant en danger tue une amie de Melchior, Hélène Ogier, pour le déstabiliser. Il la tue selon le rituel de ses autres meurtres, ligotage avec de la corde bleue, morsures, prélèvements de cheveux et poils, bien qu'elle ne corresponde pas au profil de ses proies, de jeunes vierges.
- Les quatre fleuves (novembre 2000), roman graphique de Fred Vargas et Baudoin, où le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg enquête sur le tueur en série surnommé Le Bélier, qui massacre ses victimes à coups de serpe et leur écrabouille le visage à la masse. Le jeune Vincent Ogier pique au Bélier une sacoche contenant les preuves de ses crimes, le tueur le retrouve et le tue, sans respecter le rituel de ses autres meurtres, puisque Ogier ne répond pas au profil de ses victimes (Scorpion ascendant Scorpion), mais en laissant sa signature, un bélier stylisé.
Deux histoires parues la même année de tueurs en série tuant chacun un Ogier en dehors de leurs séries respectives, de quoi éveiller mon attention, d'autant qu'il existe un jeu où Ogier, le Valet de Pique, est l'intrus, le Pouilleux (ou Vieux Garçon, Mistigri, Valet Noir, l'intrus pouvant être aussi le valet de trèfle). Il se joue avec un jeu de 32 ou 52 cartes dont on ôte les 3 autres valets. Après distribution des cartes, chaque joueur pose sur la table les paires qu'il peut former. Ensuite chaque joueur fait tirer une carte de son jeu à son voisin, les paires formées sont éliminées, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une carte au perdant, l'affreux Ogier. Dans la variante familiale que je subissais jadis, les autres joueurs pointaient alors un index comminatoire vers le perdant, en clamant en choeur "C'est l'Pouilleux !"
J'ai rencontré Demouzon et Vargas en juin 2001, à l'occasion d'un salon du polar où de nombreux auteurs étaient conviés. J'avais déjà correspondu avec Demouzon à propos de ce roman et d'autres, j'y reviendrai. Concernant Ogier, il n'a pu que me répéter ce qu'il m'avait déjà écrit, qu'il choisissait les noms de ses personnages dans l'annuaire, en variant les initiales.
Le stand de Fred Vargas était proche du mien, et elle y était bien plus sollicitée. J'ai néanmoins profité d'une accalmie pour m'entretenir quelques instants avec elle. Elle ne connaissait pas le roman de Demouzon, elle ne se rappelait plus comment elle avait choisi le nom Ogier, et je crois lui avoir appris que c'était le nom du valet de pique.
Lorsque j'ai lu par la suite Sous les vents de Neptune, j'ai pu me demander si je n'étais pas pour quelque chose dans l'idée d'un assassin choisissant ses victimes pour leurs noms correspondant aux éléments d'un jeu, mais l'idée n'est pas inédite, et elle a notamment été exploitée par...
...Demouzon, dans 822 contre Bouclard, une des énigmes du Crime de la porte jaune, où l'assassin tue successivement un Bauer (nom allemand du pion aux échecs), un Knight , un Lévêque, une Castel (knight, bishop et castle noms anglais des fou, cavalier et tour), et une Reine. Comme le Trident de Vargas, le coupable comptait finir sa série par lui-même, Evariste Rey (rey, roi espagnol).
J'avais encore remarqué que le tueur de Vargas est le Bélier, tandis que celui de Demouzon est un Loup; il se nomme Antoine Wolf ("loup" anglais ou allemand), et a effectivement tout du grand méchant loup, comme il le sera montré plus loin. C'était alors un détail qui me semblait mineur, mais un peu de mémoire m'aurait permis d'entrevoir plus avant l'extrême intrication entre les oeuvres de Vargas et de Demouzon.
Pour ma décharge, j'avais peu apprécié L'homme à l'envers, premier grand succès de Vargas (mars 1999), où mon habitude des codes du polar m'avait fait démasquer le coupable dès les premières pages, aussi en avais-je bâclé la suite de la lecture.
Si je n'étais tout de même guère excusable d'avoir oublié que ce coupable était supposé être un loup, un loup-garou tuant des brebis et des hommes, une relecture m'a fait sauter aux yeux qu'un des membres de l'improbable trio qui traque ce loup-garou est un Melchior, un nom tout de même peu courant, et que dire alors de deux Melchior traquant chacun son loup dans deux romans publiés à un an d'intervalle ?
Certes Melchior n'est qu'un élément secondaire du nom complet du personnage, Soliman Melchior Samba Diawara, mais ce nom est donné à diverses reprises, et Soliman déclare à une occasion s'appeler Melchior tout court (pour alerter ses amis).
A signaler tout de même que Demouzon avait créé le personnage du commissaire Melchior avant que ce Melchior, fils adoptif de la première victime du loup-garou dans L'homme à l'envers, parte à sa chasse.
C'est aussi pour des raisons familiales que Melchior, sans mandat officiel, se lance sur la piste de l'assassin de la jeune Mariette Pontel, fille d'amis de sa cousine. Et son enquête gênant le "Loup" (Antoine Wolf) conduira donc le tueur à tuer l'amie de Melchior, nommée Ogier, tandis que le tueur du roman suivant de Vargas, le Bélier, exécutera aussi un Ogier
J'ai contacté Demouzon à la suite d'une relecture de Monsieur Abel (1979), où j'avais vu un beau schéma que l'auteur n’a pas reconnu comme intentionnel : cet ABEL, retraité dont on ne connaît que ce (pré)nom, décèle une série criminelle dans les morts qui surviennent dans sa petite ville, et les morts se prénomment, dans l'ordre où ils sont identifiés,
Augustin Bravier,
Bernard Noé,
Elisabeth Raguenaud,
Liliane Raguenaud,
initiales ABEL ! Abel vient finalement accuser celui qu’il estime responsable de la machination, lequel a tôt fait de lui démontrer l’inanité de sa construction : il a pris pour des meurtres un suicide, un accident et une mort naturelle, et c’est son enquête qui a provoqué l’assassinat effectif de Liliane… Abel rentre chez lui et se pend.
J'avais donné à Demouzon une des brochures que j'auto-éditais alors, où il était question de l'acrostiche ABEL comme du MKH (Mein Kampf Hitler) imaginé par Queen dans Et le huitième jour... Et voici que paraît La Promesse de Melchior en 2000, où je découvre, dans l'ordre où ils sont abordés, les meurtres de 3 femmes, les seules victimes identifiées de Wolf:
Mariette Pontel,
Karen Richeaume,
Hélène Ogier,
initiales MKH ! Je ne doute alors pas que Demouzon m'ait rendu hommage, et étudie ensuite les noms des victimes, donnant l'acrostiche PRO, comme la PROmesse du titre...
Puis je lis Perrault dans l’épellation de ces initiales P-R-O, Perrault auteur de Barbe-Bleue, conte inspiré par Gilles de Rais, or Wolf habite le pays de Retz, à Pornic, où Gilles de Rais avait un château, et le personnage est volontiers assimilé au loup-garou. PORnic débute encore par les initiales des noms des victimes; la localité est en fait nommée Saint-Marcellin-les-Grèves dans le roman, mais qui connaît la région y identifie sans peine Pornic (ce qui sera la seule chose que Demouzon admettra de mes spéculations, sans toutefois s'expliquer sur ce travestissement).
Le loup le plus connu de Perrault est plutôt celui qui a mangé le Petit Chaperon rouge. Alerté par les possibilités des noms des victimes,
Pontel-Richeaume-Ogier,
j'ai permuté leurs lettres jusqu'à obtenir
Le Chaperon Rouge imité
exacte anagramme me confirmant un jeu fort subtil de la part de l'auteur...
...qui a nié l'ensemble de mes spéculations, ici présentées au plus bref, tout en s'étonnant de leur pertinence, et en m'informant de quelques autres détails, le plus troublant étant que Demouzon voulait intituler son roman Melchior et le fil bleu, en référence au "fil rouge", ou point commun d’une série quelconque, mais l'éditeur n'a guère apprécié cette ficelle. Ainsi les petites demoiselles bleues mordues par Wolf avaient bien une relation immédiate au rouge...
Si donc tout ceci n'avait rien d'intentionnel, ce qui me comble d'aise, Demouzon en a été impressionné et m’a gratifié d'une discrète allusion dans son roman suivant, Melchior en Automne, où le commissaire rencontre la sœur de la Richeaume assassinée par Wolf, qu’il compare à un petit chaperon rouge…
Quelques brèves indications montreront que mes "décodages" de Demouzon n'avaient rien d'absurde, ainsi son Quidam (1980) est clairement une version moderne de La Belle au bois dormant, et les énigmes du commissaire Bouclard utilisent toute la panoplie des jeux de langage, comme l'acrostiche dans Animaux de compagnie, et l'anagramme dans Jeux de mots, jeux de vilains, où un tueur de dames de petite vertu révèle aux enquêteurs son nom et son adresse, sa rue de L'ETOILE étant notamment codée par l'anagramme de OEILLET.
Or chez Vargas, l'une des victimes du tueur de femmes de Sans feu ni lieu (1997) habite cette même rue de l'Etoile, choisie comme les autres localisations d'après un poème de Nerval, avec probablement une astuce intime de l'auteur comme indiqué dans le dernier billet.
Je n'ai pas vu d'anagramme immédiate dans ce roman, mais il est remarquable que ce tueur parisien vienne de NEVERS, où il a commis une autre série de crimes, tandis que le prochain roman de Vargas sera L'homme à l'ENVERS !
Quant au fil bleu du Wolf tueur de vierges, gardant en souvenir des cheveux et poils de ses victimes, il évoque les traces de cirage bleu accompagnant les assassinats de vierges dans Dans les bois éternels, le Vargas cru 2006, et les profanations de leurs tombes trois mois plus tard pour récolter leurs cheveux poussés après la mort...
La coupable, qui entendait dérouter les enquêteurs par ce "fil rouge" bleu, se prénomme Ariane.
C'est encore une Ariane qui est le "fil rouge" reliant les vraies proies du loup-garou de L'homme à l'envers, qui sont toutes trois des amants de la mère du tueur, Ariane Germant.
Si le nom de la femme de Barbe-Bleue n'est pas donné par le conte, Dukas et Maeterlinck l'ont baptisée Ariane dans leur opéra Ariane et Barbe-Bleue, dont l'argument est assez éloigné du conte originel. Il y a 5 épouses précédentes de Barbe-Bleue, toujours en vie mais prisonnières, et leurs noms sont propres à combler l'amateur babélien d'acrostiches :
Sélysette (mezzo-soprano)
Ygraine (soprano)
Mélisande (soprano)
Bellangère (soprano)
Alladine (rôle muet)
Dans l'ordre donné par le livret, ils forment SYMBA, or SIMBA est le nom du lion dans plusieurs langues africaines (et celui du Roi Lion). Google donne beaucoup de résultats avec cette orthographe, c'est notamment le nom d'un groupe funk californien qui a enregistré un album en 1980, dont la pochette est éloquente. Voyant que le 4e morceau de la seconde face dure 4'44", je le cherche sur YouTube, mais n'y trouve que le 1er morceau, Hold on, 7:34 sur le disque, coupé ici à 4:44...
Je rappelle que mes recherches sur Babel-Sesak m'ont mené au lion russe львев et au lion tokharien śiśäk, ce qui m'a fait découvrir le château triangulaire de Sisak. Or j'avais vu que les lieux des trois crimes MKH ou PRO de La Promesse de Melchior dessinaient un presque parfait triangle équilatéral dans notre hexagone, voir ci-contre la carte GoogleEarth, avec bien sûr Pornic au lieu de l'imaginaire St-Marcellin.
Mon amie dp a eu la curiosité de faire des recherches sur le nom Adamsberg, qui s'avère étonnamment peu connu en dehors du personnage du commissaire vargasien.
Une requête correctement formulée mène à l'ancien nom allemand d'une montagne de Ceylan, Sri Pada, "le Pied Sacré", Adam's Peak, Adamspik, Pic d'Adam, lieu sacré pour 4 religions, à cause d'une empreinte de pied géant à son sommet, qui serait selon les hindouistes celle de Shiva, selon les bouddhistes celles de Bouddha, selon les chrétiens celle de saint Thomas, et enfin selon les musulmans celle d'Adam.
Une montagne quadruplement sacrée, à Ceylan au-dessus de laquelle Jung se baladait dans ses visions de 44..., et revenant à plusieurs reprises dans ce blog avec le Pont d'Adam !
Mieux, les visiteurs peuvent prendre un sacré pied à l'aurore au sommet de ce Pic d'Adam, dont le cône triangulaire se projette pendant quelques minutes sur les nuages et les vallées environnantes. J'ai d'abord pensé que cette image était un trucage, une surimpression analogue à ce que j'avais réalisé avec l'Etoile de Babel, fondant les châteaux triangulaires de Wewel et Sisak, mais on en trouve aisément d'autres photos.
Sri Pada, nom sanskrit d'Adamsberg ou d'Adamspik, offre un curieux écho au vrai nom de l'homme à l'envers, le loup-garou, Padwell, avec well signifiant "bien", un des sens du sanskrit Śrī. Ce Padwell-Johnstone est un spécialiste des ours et des loups, et donc quelqu'un qui sait reconnaître leurs empreintes, leurs traces. Il évoque page 95 une grosse empreinte de patte repérée près du mont Vence.
Ce mont Vence est inconnu dans le Mercantour, comme le hameau des Ecarts où commence la piste sanglante du loup-garou, avec l'égorgement de la mère de Soliman Melchior. ECARTS est l'anagramme de TRACES, comme de CARTES.
Tout ceci m'amène au point culminant, au pic de cette page épique. On sait que les soeurs Vargas ont emprunté leur pseudo à la danseuse espagnole Maria Vargas, La Comtesse aux pieds nus. Or en espagnol les lettres B et V ont une prononciation quasi identique, ainsi VARGAS = BARGAS, lettres toutes présentes dans ADAMSBERG, laissant de reste les lettres DME, premières lettres de DEMouzon, sa cote dans les bibliothèques.
Ainsi le principal personnage créé par notre "reine du polar" a-t-il pour anagramme BARGAS + DEM, le nom de sa créatrice et la cote de celui qui fut dans les années 70 un autre "roi du polar", et qui a toujours son rang dans cette littérature, avec sa série des Melchior, un nom de roi mage, dérivé d'ailleurs du sémitique melech, "roi".
Il me semble qu'on a pu affubler Demouzon du diminutif Dem' (dans Métal Hurlant), ce qui n'aurait sans doute guère été de son goût, attendu qu'un écrivain catho signait du nom de plume Marc Dem.
Consultant sa fiche wiki, quelques minutes après avoir comparé Adamsberg à Padwell, je découvre que ce Dem a écrit 3 polars sous le pseudo Mark Demwell.
Quelques petites choses que je n'ai pu caser dans le fil principal :
Un lien privilégié entre Abel et Barbe-Bleue est le personnage Abel Tiffauges du Roi des Aulnes, de Michel Tournier. Quelques détails du roman donnent à penser que ses initiales AT ("athée") n'étaient pas indifférentes à l'auteur. Tiffauges est le château principal de Gilles de Rais, et mes investigations sur le triangle des crimes de Wolf m'avaient fait constater que, en partant des villes réelles de St-Quentin et St-Etienne, un triangle idéalement équilatéral aurait eu son troisième sommet à mi-distance entre Pornic et Tiffauges, les deux châteaux de Barbe-Bleue...
Chez Demouzon Ogier se prénomme Hélène, qui est l'un des noms de la dame de coeur (le plus souvent Judith, mais je me rappelle de jeux avec Hélène). Chez Vargas Ogier est tué par un Roland (Vinteuil), un des noms du valet de carreau (le plus souvent Hector).
Dans Le premier né d'Egypte, second polar de Demouzon, un tueur (manipulé) signe ses crimes en envoyant à ses victimes une dame de pique, en référence à leur faute originelle, un jeu sadique en mai 1944 (!) où elles ont obligé un jeune homme à tirer au sort sa vie ou sa mort, signifiées par les dames de coeur et de pique.
Sollicité par la revue Caïn, j'ai créé en 2001 le personnage récurrent de l'As Depic, et écrit en hommage aux victimes ABEL de Demouzon sa seconde aventure, Le cas Nard, où 4 soeurs d'initiales CAIN tuent un BELA. Si je pensais à Bartok, compositeur du Château de Barbe-Bleue, la présence d'une dame de pique au centre d'un mandala découlait du nom de mon personnage, créé avant de penser à cet hommage à Demouzon.
Mes criminelles étaient les SOEURS MORDYLAN, anagramme de RAYMOND ROUSSEL, auquel j'ai consacré une étude sur les acrostiches, avec notamment les 8 premiers vers d'un poème donnant pour acrostiche UDENAEAP, anagramme de PEAU D'ÂNE, un autre conte de Perrault...
Le billet commencé il y a deux mois se limitait à cette vidéo :
Je rappelle que j'envisageais dans D'un marteau l'autre un lien entre les deux Missions spéciales de Fandorine, Le valet de pique et Le Décorateur, le premier étant Jack of spades en anglais, le second étant Jack the Ripper, Jack l'Eventreur que Boris Akounine a imaginé être un russe revenu continuer ses exploits à Moscou, discrètement éliminé par Fandorine.
Les figures des jeux de cartes français sont personnifiées, ainsi le valet de pique y est Hogier ou Ogier, un nom qui m'évoque une coïncidence entre deux romans parus en 2000 :
- La promesse de Melchior (mai 2000), d'Alain Demouzon, où le commissaire Jean-François Melchior enquête sur un tueur en série. Ce tueur se sentant en danger tue une amie de Melchior, Hélène Ogier, pour le déstabiliser. Il la tue selon le rituel de ses autres meurtres, ligotage avec de la corde bleue, morsures, prélèvements de cheveux et poils, bien qu'elle ne corresponde pas au profil de ses proies, de jeunes vierges.
- Les quatre fleuves (novembre 2000), roman graphique de Fred Vargas et Baudoin, où le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg enquête sur le tueur en série surnommé Le Bélier, qui massacre ses victimes à coups de serpe et leur écrabouille le visage à la masse. Le jeune Vincent Ogier pique au Bélier une sacoche contenant les preuves de ses crimes, le tueur le retrouve et le tue, sans respecter le rituel de ses autres meurtres, puisque Ogier ne répond pas au profil de ses victimes (Scorpion ascendant Scorpion), mais en laissant sa signature, un bélier stylisé.
Deux histoires parues la même année de tueurs en série tuant chacun un Ogier en dehors de leurs séries respectives, de quoi éveiller mon attention, d'autant qu'il existe un jeu où Ogier, le Valet de Pique, est l'intrus, le Pouilleux (ou Vieux Garçon, Mistigri, Valet Noir, l'intrus pouvant être aussi le valet de trèfle). Il se joue avec un jeu de 32 ou 52 cartes dont on ôte les 3 autres valets. Après distribution des cartes, chaque joueur pose sur la table les paires qu'il peut former. Ensuite chaque joueur fait tirer une carte de son jeu à son voisin, les paires formées sont éliminées, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une carte au perdant, l'affreux Ogier. Dans la variante familiale que je subissais jadis, les autres joueurs pointaient alors un index comminatoire vers le perdant, en clamant en choeur "C'est l'Pouilleux !"
J'ai rencontré Demouzon et Vargas en juin 2001, à l'occasion d'un salon du polar où de nombreux auteurs étaient conviés. J'avais déjà correspondu avec Demouzon à propos de ce roman et d'autres, j'y reviendrai. Concernant Ogier, il n'a pu que me répéter ce qu'il m'avait déjà écrit, qu'il choisissait les noms de ses personnages dans l'annuaire, en variant les initiales.
Le stand de Fred Vargas était proche du mien, et elle y était bien plus sollicitée. J'ai néanmoins profité d'une accalmie pour m'entretenir quelques instants avec elle. Elle ne connaissait pas le roman de Demouzon, elle ne se rappelait plus comment elle avait choisi le nom Ogier, et je crois lui avoir appris que c'était le nom du valet de pique.
Lorsque j'ai lu par la suite Sous les vents de Neptune, j'ai pu me demander si je n'étais pas pour quelque chose dans l'idée d'un assassin choisissant ses victimes pour leurs noms correspondant aux éléments d'un jeu, mais l'idée n'est pas inédite, et elle a notamment été exploitée par...
...Demouzon, dans 822 contre Bouclard, une des énigmes du Crime de la porte jaune, où l'assassin tue successivement un Bauer (nom allemand du pion aux échecs), un Knight , un Lévêque, une Castel (knight, bishop et castle noms anglais des fou, cavalier et tour), et une Reine. Comme le Trident de Vargas, le coupable comptait finir sa série par lui-même, Evariste Rey (rey, roi espagnol).
J'avais encore remarqué que le tueur de Vargas est le Bélier, tandis que celui de Demouzon est un Loup; il se nomme Antoine Wolf ("loup" anglais ou allemand), et a effectivement tout du grand méchant loup, comme il le sera montré plus loin. C'était alors un détail qui me semblait mineur, mais un peu de mémoire m'aurait permis d'entrevoir plus avant l'extrême intrication entre les oeuvres de Vargas et de Demouzon.
Pour ma décharge, j'avais peu apprécié L'homme à l'envers, premier grand succès de Vargas (mars 1999), où mon habitude des codes du polar m'avait fait démasquer le coupable dès les premières pages, aussi en avais-je bâclé la suite de la lecture.
Si je n'étais tout de même guère excusable d'avoir oublié que ce coupable était supposé être un loup, un loup-garou tuant des brebis et des hommes, une relecture m'a fait sauter aux yeux qu'un des membres de l'improbable trio qui traque ce loup-garou est un Melchior, un nom tout de même peu courant, et que dire alors de deux Melchior traquant chacun son loup dans deux romans publiés à un an d'intervalle ?
Certes Melchior n'est qu'un élément secondaire du nom complet du personnage, Soliman Melchior Samba Diawara, mais ce nom est donné à diverses reprises, et Soliman déclare à une occasion s'appeler Melchior tout court (pour alerter ses amis).
A signaler tout de même que Demouzon avait créé le personnage du commissaire Melchior avant que ce Melchior, fils adoptif de la première victime du loup-garou dans L'homme à l'envers, parte à sa chasse.
C'est aussi pour des raisons familiales que Melchior, sans mandat officiel, se lance sur la piste de l'assassin de la jeune Mariette Pontel, fille d'amis de sa cousine. Et son enquête gênant le "Loup" (Antoine Wolf) conduira donc le tueur à tuer l'amie de Melchior, nommée Ogier, tandis que le tueur du roman suivant de Vargas, le Bélier, exécutera aussi un Ogier
J'ai contacté Demouzon à la suite d'une relecture de Monsieur Abel (1979), où j'avais vu un beau schéma que l'auteur n’a pas reconnu comme intentionnel : cet ABEL, retraité dont on ne connaît que ce (pré)nom, décèle une série criminelle dans les morts qui surviennent dans sa petite ville, et les morts se prénomment, dans l'ordre où ils sont identifiés,
Augustin Bravier,
Bernard Noé,
Elisabeth Raguenaud,
Liliane Raguenaud,
initiales ABEL ! Abel vient finalement accuser celui qu’il estime responsable de la machination, lequel a tôt fait de lui démontrer l’inanité de sa construction : il a pris pour des meurtres un suicide, un accident et une mort naturelle, et c’est son enquête qui a provoqué l’assassinat effectif de Liliane… Abel rentre chez lui et se pend.
J'avais donné à Demouzon une des brochures que j'auto-éditais alors, où il était question de l'acrostiche ABEL comme du MKH (Mein Kampf Hitler) imaginé par Queen dans Et le huitième jour... Et voici que paraît La Promesse de Melchior en 2000, où je découvre, dans l'ordre où ils sont abordés, les meurtres de 3 femmes, les seules victimes identifiées de Wolf:
Mariette Pontel,
Karen Richeaume,
Hélène Ogier,
initiales MKH ! Je ne doute alors pas que Demouzon m'ait rendu hommage, et étudie ensuite les noms des victimes, donnant l'acrostiche PRO, comme la PROmesse du titre...
Puis je lis Perrault dans l’épellation de ces initiales P-R-O, Perrault auteur de Barbe-Bleue, conte inspiré par Gilles de Rais, or Wolf habite le pays de Retz, à Pornic, où Gilles de Rais avait un château, et le personnage est volontiers assimilé au loup-garou. PORnic débute encore par les initiales des noms des victimes; la localité est en fait nommée Saint-Marcellin-les-Grèves dans le roman, mais qui connaît la région y identifie sans peine Pornic (ce qui sera la seule chose que Demouzon admettra de mes spéculations, sans toutefois s'expliquer sur ce travestissement).
Le loup le plus connu de Perrault est plutôt celui qui a mangé le Petit Chaperon rouge. Alerté par les possibilités des noms des victimes,
Pontel-Richeaume-Ogier,
j'ai permuté leurs lettres jusqu'à obtenir
Le Chaperon Rouge imité
exacte anagramme me confirmant un jeu fort subtil de la part de l'auteur...
...qui a nié l'ensemble de mes spéculations, ici présentées au plus bref, tout en s'étonnant de leur pertinence, et en m'informant de quelques autres détails, le plus troublant étant que Demouzon voulait intituler son roman Melchior et le fil bleu, en référence au "fil rouge", ou point commun d’une série quelconque, mais l'éditeur n'a guère apprécié cette ficelle. Ainsi les petites demoiselles bleues mordues par Wolf avaient bien une relation immédiate au rouge...
Si donc tout ceci n'avait rien d'intentionnel, ce qui me comble d'aise, Demouzon en a été impressionné et m’a gratifié d'une discrète allusion dans son roman suivant, Melchior en Automne, où le commissaire rencontre la sœur de la Richeaume assassinée par Wolf, qu’il compare à un petit chaperon rouge…
Quelques brèves indications montreront que mes "décodages" de Demouzon n'avaient rien d'absurde, ainsi son Quidam (1980) est clairement une version moderne de La Belle au bois dormant, et les énigmes du commissaire Bouclard utilisent toute la panoplie des jeux de langage, comme l'acrostiche dans Animaux de compagnie, et l'anagramme dans Jeux de mots, jeux de vilains, où un tueur de dames de petite vertu révèle aux enquêteurs son nom et son adresse, sa rue de L'ETOILE étant notamment codée par l'anagramme de OEILLET.
Or chez Vargas, l'une des victimes du tueur de femmes de Sans feu ni lieu (1997) habite cette même rue de l'Etoile, choisie comme les autres localisations d'après un poème de Nerval, avec probablement une astuce intime de l'auteur comme indiqué dans le dernier billet.
Je n'ai pas vu d'anagramme immédiate dans ce roman, mais il est remarquable que ce tueur parisien vienne de NEVERS, où il a commis une autre série de crimes, tandis que le prochain roman de Vargas sera L'homme à l'ENVERS !
Quant au fil bleu du Wolf tueur de vierges, gardant en souvenir des cheveux et poils de ses victimes, il évoque les traces de cirage bleu accompagnant les assassinats de vierges dans Dans les bois éternels, le Vargas cru 2006, et les profanations de leurs tombes trois mois plus tard pour récolter leurs cheveux poussés après la mort...
La coupable, qui entendait dérouter les enquêteurs par ce "fil rouge" bleu, se prénomme Ariane.
C'est encore une Ariane qui est le "fil rouge" reliant les vraies proies du loup-garou de L'homme à l'envers, qui sont toutes trois des amants de la mère du tueur, Ariane Germant.
Si le nom de la femme de Barbe-Bleue n'est pas donné par le conte, Dukas et Maeterlinck l'ont baptisée Ariane dans leur opéra Ariane et Barbe-Bleue, dont l'argument est assez éloigné du conte originel. Il y a 5 épouses précédentes de Barbe-Bleue, toujours en vie mais prisonnières, et leurs noms sont propres à combler l'amateur babélien d'acrostiches :
Sélysette (mezzo-soprano)
Ygraine (soprano)
Mélisande (soprano)
Bellangère (soprano)
Alladine (rôle muet)
Dans l'ordre donné par le livret, ils forment SYMBA, or SIMBA est le nom du lion dans plusieurs langues africaines (et celui du Roi Lion). Google donne beaucoup de résultats avec cette orthographe, c'est notamment le nom d'un groupe funk californien qui a enregistré un album en 1980, dont la pochette est éloquente. Voyant que le 4e morceau de la seconde face dure 4'44", je le cherche sur YouTube, mais n'y trouve que le 1er morceau, Hold on, 7:34 sur le disque, coupé ici à 4:44...
Je rappelle que mes recherches sur Babel-Sesak m'ont mené au lion russe львев et au lion tokharien śiśäk, ce qui m'a fait découvrir le château triangulaire de Sisak. Or j'avais vu que les lieux des trois crimes MKH ou PRO de La Promesse de Melchior dessinaient un presque parfait triangle équilatéral dans notre hexagone, voir ci-contre la carte GoogleEarth, avec bien sûr Pornic au lieu de l'imaginaire St-Marcellin.
Mon amie dp a eu la curiosité de faire des recherches sur le nom Adamsberg, qui s'avère étonnamment peu connu en dehors du personnage du commissaire vargasien.
Une requête correctement formulée mène à l'ancien nom allemand d'une montagne de Ceylan, Sri Pada, "le Pied Sacré", Adam's Peak, Adamspik, Pic d'Adam, lieu sacré pour 4 religions, à cause d'une empreinte de pied géant à son sommet, qui serait selon les hindouistes celle de Shiva, selon les bouddhistes celles de Bouddha, selon les chrétiens celle de saint Thomas, et enfin selon les musulmans celle d'Adam.
Une montagne quadruplement sacrée, à Ceylan au-dessus de laquelle Jung se baladait dans ses visions de 44..., et revenant à plusieurs reprises dans ce blog avec le Pont d'Adam !
Mieux, les visiteurs peuvent prendre un sacré pied à l'aurore au sommet de ce Pic d'Adam, dont le cône triangulaire se projette pendant quelques minutes sur les nuages et les vallées environnantes. J'ai d'abord pensé que cette image était un trucage, une surimpression analogue à ce que j'avais réalisé avec l'Etoile de Babel, fondant les châteaux triangulaires de Wewel et Sisak, mais on en trouve aisément d'autres photos.
Sri Pada, nom sanskrit d'Adamsberg ou d'Adamspik, offre un curieux écho au vrai nom de l'homme à l'envers, le loup-garou, Padwell, avec well signifiant "bien", un des sens du sanskrit Śrī. Ce Padwell-Johnstone est un spécialiste des ours et des loups, et donc quelqu'un qui sait reconnaître leurs empreintes, leurs traces. Il évoque page 95 une grosse empreinte de patte repérée près du mont Vence.
Ce mont Vence est inconnu dans le Mercantour, comme le hameau des Ecarts où commence la piste sanglante du loup-garou, avec l'égorgement de la mère de Soliman Melchior. ECARTS est l'anagramme de TRACES, comme de CARTES.
Tout ceci m'amène au point culminant, au pic de cette page épique. On sait que les soeurs Vargas ont emprunté leur pseudo à la danseuse espagnole Maria Vargas, La Comtesse aux pieds nus. Or en espagnol les lettres B et V ont une prononciation quasi identique, ainsi VARGAS = BARGAS, lettres toutes présentes dans ADAMSBERG, laissant de reste les lettres DME, premières lettres de DEMouzon, sa cote dans les bibliothèques.
Ainsi le principal personnage créé par notre "reine du polar" a-t-il pour anagramme BARGAS + DEM, le nom de sa créatrice et la cote de celui qui fut dans les années 70 un autre "roi du polar", et qui a toujours son rang dans cette littérature, avec sa série des Melchior, un nom de roi mage, dérivé d'ailleurs du sémitique melech, "roi".
Il me semble qu'on a pu affubler Demouzon du diminutif Dem' (dans Métal Hurlant), ce qui n'aurait sans doute guère été de son goût, attendu qu'un écrivain catho signait du nom de plume Marc Dem.
Consultant sa fiche wiki, quelques minutes après avoir comparé Adamsberg à Padwell, je découvre que ce Dem a écrit 3 polars sous le pseudo Mark Demwell.
Quelques petites choses que je n'ai pu caser dans le fil principal :
Un lien privilégié entre Abel et Barbe-Bleue est le personnage Abel Tiffauges du Roi des Aulnes, de Michel Tournier. Quelques détails du roman donnent à penser que ses initiales AT ("athée") n'étaient pas indifférentes à l'auteur. Tiffauges est le château principal de Gilles de Rais, et mes investigations sur le triangle des crimes de Wolf m'avaient fait constater que, en partant des villes réelles de St-Quentin et St-Etienne, un triangle idéalement équilatéral aurait eu son troisième sommet à mi-distance entre Pornic et Tiffauges, les deux châteaux de Barbe-Bleue...
Chez Demouzon Ogier se prénomme Hélène, qui est l'un des noms de la dame de coeur (le plus souvent Judith, mais je me rappelle de jeux avec Hélène). Chez Vargas Ogier est tué par un Roland (Vinteuil), un des noms du valet de carreau (le plus souvent Hector).
Dans Le premier né d'Egypte, second polar de Demouzon, un tueur (manipulé) signe ses crimes en envoyant à ses victimes une dame de pique, en référence à leur faute originelle, un jeu sadique en mai 1944 (!) où elles ont obligé un jeune homme à tirer au sort sa vie ou sa mort, signifiées par les dames de coeur et de pique.
Sollicité par la revue Caïn, j'ai créé en 2001 le personnage récurrent de l'As Depic, et écrit en hommage aux victimes ABEL de Demouzon sa seconde aventure, Le cas Nard, où 4 soeurs d'initiales CAIN tuent un BELA. Si je pensais à Bartok, compositeur du Château de Barbe-Bleue, la présence d'une dame de pique au centre d'un mandala découlait du nom de mon personnage, créé avant de penser à cet hommage à Demouzon.
Mes criminelles étaient les SOEURS MORDYLAN, anagramme de RAYMOND ROUSSEL, auquel j'ai consacré une étude sur les acrostiches, avec notamment les 8 premiers vers d'un poème donnant pour acrostiche UDENAEAP, anagramme de PEAU D'ÂNE, un autre conte de Perrault...
Le billet commencé il y a deux mois se limitait à cette vidéo :