J'ai relu il y a peu Quelques pièces pour un blason, ou les sept gestes de Perec, étude de Bernard Magné achevant Portrait(s) de Georges Perec, recueil paru en 2001 à la BNF sous la direction de Paulette Perec. L'étude du grand perecologue est si dense que je ne me souviens pas y avoir remarqué à première lecture, dans la section Quadrillage, que Perec avait d'abord situé l'immeuble de La Vie mode d'emploi (VME) dans le Marais, selon une dactylographie de 1975 des premiers chapitres de VME conservée à l'Arsenal; l'immeuble était alors dans
Je reviendrai plus loin sur cette coïncidence, essayant d'abord de réfléchir sur les raisons du changement.
Magné voit dans la persistence du quadrilatère partagé obliquement une figure essentielle perecquienne, se retrouvant par exemple dans les carrés de lettres traversés
par une diagonale significative, les hétérogrammes d'Alphabets, ou le Compendium du chapitre 51 de VME.
Je ne peux qu'y souscrire, remarquant de plus la formidable résonance avec un jeu en hébreu, où précisément le mot "hébreu" vient du verbe 'avar, "traverser", renversement de rava', "être carré". Une exégèse rabbinique en déduit que l'Hébreu est capable d'échapper à la stricte matérialité symbolisée par le carré.
C'est aujourd'hui le second anniversaire de la création de Quaternité. Dans mon premier billet anniversaire, un an déjà, je remarquais que Perec avait choisi de raconter dans VME la déportation de Paul Hébert, homophone du patriarche Héber, ancêtre éponyme des Hébreux; la raison invoquée pour le choix de ce nom était la référence au père Hébert du lycée de Rennes, modèle d'Ubu pour Jarry...
Les deux quadrilatères retenus par Perec sont en fait loin de ressembler à des carrés, et l'analyse des noms des rues du premier quadrilatère envisagé m'a amené à une hypothèse. Une nomenclature des rues de Paris les présente ainsi :
Renard (rue du)
St-Merri (rue)
Temple (rue du)
Verrerie (rue de la)
Leurs initiales RSTV sont 4 consonnes consécutives (ou éventuellement 4 lettres consécutives dans l'alphabet latin), or un énoncé géométrique définit un quadrilatère par 4 lettres consécutives correspondant à ses sommets, ABCD par exemple. Il ne doit pas y avoir beaucoup de possibilités de ce type à Paris, et il est frappant de trouver quelque chose d'analogue pour le choix ultérieur :
Jadin (rue)
Chazelles (rue de)
Léon-Jost (rue)
Médéric (rue)
à la condition de remplacer "Ch" par "K", ces lettres étant souvent équivalentes dans les transcriptions de noms sémitiques ou slaves.
Le premier cas auquel j'ai pensé est Paul Misraki, né Misrachi (c'est dans un livre de Misraki que j'ai remarqué le 4/4/4 que le 4 avril 44 était une date schématique), mais il y a beaucoup d'autres cas (tu parles, Karl !), le plus pertinent ici étant assurément le chapitre (Kapitel) 60 de VME, où 25 orthographes (au moins) du nom Cinoc sont envisagées, comme Cinoch, Cinok, Kinoch, Chinoc...
Il est encore remarquable que les deux situations permettent un tour d'îlot alphabétiquement croissant dans le sens des aiguilles d'une montre (pourvu de lire K pour Ch), et que les présentations par Perec obéissent au même motif 4-1-2-3 (V-R-S-T et M-J-Ch-L).
S'il faudrait scruter le plan de Paris pour préciser la rareté de telles configurations, du moins est-il assuré que ce type de préoccupation est caractéristique de Perec, qui dans Espèces d'espaces (1974) rêvait de visiter les Etats des USA par ordre alphabétique, puis dans Perec/rinations proposera en 1980 aux lecteurs de Télérama une série de jeux sur Paris, où de multiples itinéraires alphabétiques sont étudiés; curieusement les jeux consacrés au 17e crubelliérain proposent deux "errances" en R ne passant aucunement par des rues du 17e, s'achevant rue du Regard et rue du Renard, où aurait commencé la rue du Capitaine-Crubellier (Perec déplore que la rue du Renard n'aille pas jusqu'à la rue Rambuteau, or c'est au croisement avec la rue Simon-le-Franc que la rue du Renard devient la rue Beaubourg).
Si l'immeuble imaginé par Perec est nettement plus crédible dans la Plaine Monceau que dans le Marais, je remarque que son premier choix se situait presque au centre de Paris, et que VME multiplie les allusions à la centralité : le 11 se situe à peu près au milieu de la rue Simon-Crubellier, soit au centre du quadrilatère, et Perec commence son exploration de l'immeuble vers son centre, au milieu de l'escalier... Si Perec a dû renoncer à cette centralité dans Paris (soi-même au centre d'une France qui eut jadis la prétention d'être le centre du monde), l'excentration vers le 17e serait meilleure au point de vue de l'alphabet, où J-Ch-L-M est plus central que R-S-T-V.
Mieux, les lettres correspondant à JKLM sont exactement centrales parmi les 22 lettres de l'alphabet hébreu (Jod-Kaf-Lamed-Mem), où ce sont aussi les nombres 10-20-30-40 de somme 100, le carré de 10 structurant VME.
Perec ne faisait pas partie des auteurs dont les oeuvres intervenaient dans Sous les pans du bizarre, mais je n'avais pu m'empêcher d'y faire quelques discrètes références, dont cette adresse d'un des 5 latinistes parisiens au coeur de l'énigme : Noël Médec, 11 rue Simon-le-Cribleur.
J'avais repéré depuis longtemps cette anagramme de Crubellier, un ami (prénommé Jean) de Perec dont le nom apparaît dans la plupart de ses romans, depuis Les Choses jusqu'à "53 jours", et le criblage est une des Sept règles de Perec, que Magné nomme plutôt "remplissage", ou "saturation". En 1999 j'ai eu l'occasion d'échanger quelques lettres avec Marcel Bénabou, proche ami de Perec à l'Oulipo, alors président de l'Association des Amis de Georges Perec, mais aussi éminent latiniste universitaire, et son adresse rue Simon-le-Franc m'a rappelé le jeu Crubellier = le cribleur, ce qui m'a conduit à cette facétie dont toutes les facettes ne sont certes pas accessibles à tous, mais au moins me suis-je plus fait plaisir qu'avec une quelconque rue Machinchose.
En apprenant que Perec avait d'abord situé la rue Crubellier dans l'immédiat voisinage, je me suis demandé si je n'aurais pas répété la démarche de Perec, lequel aurait repéré le quadrilatère en venant visiter son ami Bénabou, mais celui-ci m'a informé qu'il n'avait emménagé rue Simon-le-Franc qu'après la mort de Perec.
Complet hasard donc, qui ne s'arrête pas là car mon roman exploitait également un quadrilatère dans Paris, ainsi que les progressions arithmétiques 3-4-5 et 10-11-12-13-14, et leurs équivalences dans l'alphabet latin CDE et KLMNO, ce qui avait déterminé la structure du roman et les noms de ses 5 premiers chapitres, Décès-Céder-Essais-Aider-Cesser, à lire phonétiquement DC-CD-EC-ED-CC, et des 5 derniers Cas-Elle...-...aime-Haine-Oh !, K-L-M-N-O.
Ces suites seraient liées au calendrier julien, et une curiosité de la traduction espagnole (chez l'éditeur Diagonal !) est que le chapitre Cesser, le seul qui se passe rue Simon-le-Cribleur, est devenu César, soit "César", alors que "cesser" se dit cesar en espagnol. Peut-être l'erreur est-elle postérieure à la traduction proprement dite, puisqu'il est effectivement souvent question de César dans le texte.
C'étaient les rangs des lettres KLMNO dans l'alphabet latin qui étaient importants, correspondant dans l'alphabet actuel aux lettres JKLMN, et voici que mon hypothèse sur Perec m'amène à un quadrilatère JKLM. Avec le N omis, mais en passant du 4e au 17e Crubellier a perdu son grade et gagné un Simon, renversement de n omis...
J'avais noté pendant l'écriture du roman des curiosités dont certaines m'ont d'ailleurs servi. Ainsi le personnage du libraire-détective Gondol imaginé par Pouy enquêtait sur trois meurtres de latinistes commis les 3/3, 4/4 et 5/5. Ceci me semblait une allusion suffisante au triangle de Pythagore, et je ne me suis rendu compte qu'après les avoir choisis que les lieux des meurtres pouvaient dessiner un parfait triangle 3-4-5, ce que j'ai ensuite introduit dans la résolution de l'énigme.
A vrai dire il y avait une certaine latitude dans les localisations, seule celle du premier meurtre étant très précise, sur le trottoir du 25 rue Franklin, sous l'immeuble d'Auguste Perret (à cause du latiniste Jacques Perret).
Le meurtre du 4/4 était sur un quai de la station Denfert-Rochereau, parce qu'il me fallait une station débutant par D sur la ligne 6.
Le meurtre du 5/5 était au domicile du latiniste Boulenger, rue des Francs-Bourgeois, client et ami de Gondol habitant à proximité (rue de Birague), ce qui justifiait sa participation à l'enquête. Ce nom m'avait séduit car la "bourgeoise" de Boulenger n'était pas franche (elle était l'amante de Noël Médec, rue Simon-le-Cribleur).
En prenant pour repère le Lion de la place Denfert (sans préjuger de la position du quai de la ligne 6), le segment Franklin-Denfert correspondrait au côté 4 d'un triangle 3-4-5 dont l'autre sommet Est serait à quelques mètres du carrefour des rues Francs-Bourgeois et Sévigné.
Il existe une autre possibilité de triangle parisien avec un sommet Ouest, qui se situerait dans le 17e, vers la place de Lévis. S'il était difficile de le faire coïncider avec le quadrilatère crubelliérain, plus intéressante était la rue proche La Condamine, au nom formé des mêmes lettres que Alcimédon, nom imaginé par Virgile, correspondant selon l'hypothèse creusée dans le roman aux séquences 3-4-5 et 10-11-12-13-14.
Ceci m'a conduit à faire se jeter sous un train l'autre latiniste, à partir du pont de la rue La Condamine, avec quelques échos à l'histoire de Grégoire Simpson du chapitre 52 de VME, qui lui se serait suicidé deux ponts plus loin, au pont Cardinet.
Voici le report des 4 lieux sur une carte GoogleEarth, avec une rotation soulignant la rectangularité (cliquer pour agrandir) : Il serait possible d'arriver à une exacte correspondance avec les deux triangles de Pythagore, en jouant sur l'étendue de la place Denfert et la longueur de la rue des Francs-Bourgeois.
Le seul latiniste survivant est Noël Médec, dont j'avais forgé le nom selon le même principe que Alcimédon.
Réfléchir sur Simon-le-Cribleur, alias Simon-le-Franc, m'a fait prendre conscience de répétitions que je suis assez certain de n'avoir pas préméditées, encore que le F et son rang 6 aient eu un rôle important dans mes préparatifs. Et cette quasi-saturation, ce criblage, concerne le mot franc...
C'est ainsi grâce à un client franc-maçon que Gondol pense au triangle de Pythagore, et trouve son hypoténuse joignant les sommets Franklin et Francs-Bourgeois.
Le premier suspect est Médec, habitant la rue inspirée par Simon-le-Franc.
Le suspect suivant, celui qui se jette du pont La Condamine, est Françoys-Napoléon-Alexandre Cortier (FNAC), mais il doit son nom à ce que, lors de la conception du roman, le héros de la série se nommait Fnak.
Benjamin Franklin est un célèbre franc-maçon, de même que Bartholdi, sculpteur du Lion de Belfort reproduit place Denfert (ci-contre une photo du Lion dans un état inhabituel après la manif du 22 octobre 2009 où il fut recouvert de tracts adhésifs).
Denfert-Rochereau était lui-même probablement franc-maçon (j'ai entendu jadis d'une oreille une émission à ce sujet), mais plus amusant est qu'il a eu l'honneur d'avoir son nom donné à cette grande place grâce à une homophonie plutôt qu'à ses mérites cependant non négligeables; c'est que la place se nommait précédemment place d'Enfer, et que les riverains ont saisi la première occasion d'un changement dans la continuité...
Je suis tout à fait certain de n'avoir pas songé en choisissant cette station Denfert, ou d'Enfer, que c'était l'anagramme phonétique de "des Francs", alors que l'anagramme phonétique imaginée par Saussure intervenait dans mon roman (ce fut encore une heureuse surprise de trouver la rue de Saussure très proche de la rue La Condamine).
Je me souviens avoir envisagé de donner à mes 4 latinistes morts aux sommets d'un rectangle des initiales successives, telles ABCD, mais j'ai préféré privilégier des jeux littéraires plus élaborés.
Voilà pour l'essentiel. Il y a encore de multiples échos avec mes diverses préoccupations, mais je vais m'en tenir à ce qui me semble le plus immédiat.
Il est ainsi amusant que j'ai associé plus que je ne l'imaginais au monde franc-maçon un personnage créé par Jean-Bernard Pouy, que ses amis nomment JiBé, alors qu'un des symboles essentiels de la maçonnerie est les colonnes Jakin et Boaz du temple de Salomon, souvent réduites à leurs initiales JB (ci-dessus le tableau Between J & B de Sebök Ferenc)
Je ne m'étais jamais soucié d'aller voir ce qu'il y avait au 11 rue Simon-le-Franc, où j'avais installé Noël Médec. Loin de Paris aujourd'hui, j'ai eu recours aux Pages Jaunes, qui permettent d'accéder aux photos des façades de presque toutes les maisons parisiennes. Il faut d'abord entrer une requête, et ce qui m'a semblé le plus immédiat était la recherche d'un hôtel près de la rue du Renard. Il se trouve que c'est précisément un hôtel, l'hôtel Beaubourg, qui occupe le 11 rue Simon-le-Franc.
Enfin un autre ami oulipien de Perec, Jacques Roubaud, a débuté en 1985 le cycle romanesque de La Belle Hortense, qui se passe dans un petit quartier d'une ville imaginaire. Il est cependant facile d'y reconnaître le quadrilatère formé par les rues des Francs-Bourgeois, des Archives, des Blancs-Manteaux et Vieille-du-Temple, dont les noms ont été travestis en restant identifiables. Ainsi la rue des Francs-Bourgeois est devenue la rue des Citoyens (elle s'est appelée rue des Francs-Citoyens pendant la Révolution).
la rue du Capitaine-Crubellier, qui partage obliquement le quadrilatère que forment entre elles les rues de la Verrerie, du Renard, St-Merri et du Temple.Dans la version finale de 1978, la localisation de la rue est passée du 4e au 17e, et elle est devenue la rue Simon-Crubellier,
qui partage obliquement le quadrilatère que forment entre elles, dans le quartier de la Plaine Monceau, les rues Médéric, Jadin, de Chazelles et Léon-Jost.J'aurais certainement réagi si j'avais vu auparavant la première localisation, car je connais bien ce quartier, à côté de Beaubourg, et il se trouve que dans mon roman Sous les pans du bizarre, écrit en 1999 et publié en 2000, j'avais imaginé dans ce quartier une rue Simon-le-Cribleur (ci-contre en jaune), anagramme évidente de Simon-Crubellier, correspondant dans mon esprit à la rue Simon-le-Franc, située juste au-dessus du quadrilatère (en rose) supposé traversé par la rue du Capitaine-Crubellier.
Je reviendrai plus loin sur cette coïncidence, essayant d'abord de réfléchir sur les raisons du changement.
Magné voit dans la persistence du quadrilatère partagé obliquement une figure essentielle perecquienne, se retrouvant par exemple dans les carrés de lettres traversés
par une diagonale significative, les hétérogrammes d'Alphabets, ou le Compendium du chapitre 51 de VME.
Je ne peux qu'y souscrire, remarquant de plus la formidable résonance avec un jeu en hébreu, où précisément le mot "hébreu" vient du verbe 'avar, "traverser", renversement de rava', "être carré". Une exégèse rabbinique en déduit que l'Hébreu est capable d'échapper à la stricte matérialité symbolisée par le carré.
C'est aujourd'hui le second anniversaire de la création de Quaternité. Dans mon premier billet anniversaire, un an déjà, je remarquais que Perec avait choisi de raconter dans VME la déportation de Paul Hébert, homophone du patriarche Héber, ancêtre éponyme des Hébreux; la raison invoquée pour le choix de ce nom était la référence au père Hébert du lycée de Rennes, modèle d'Ubu pour Jarry...
Les deux quadrilatères retenus par Perec sont en fait loin de ressembler à des carrés, et l'analyse des noms des rues du premier quadrilatère envisagé m'a amené à une hypothèse. Une nomenclature des rues de Paris les présente ainsi :
Renard (rue du)
St-Merri (rue)
Temple (rue du)
Verrerie (rue de la)
Leurs initiales RSTV sont 4 consonnes consécutives (ou éventuellement 4 lettres consécutives dans l'alphabet latin), or un énoncé géométrique définit un quadrilatère par 4 lettres consécutives correspondant à ses sommets, ABCD par exemple. Il ne doit pas y avoir beaucoup de possibilités de ce type à Paris, et il est frappant de trouver quelque chose d'analogue pour le choix ultérieur :
Jadin (rue)
Chazelles (rue de)
Léon-Jost (rue)
Médéric (rue)
à la condition de remplacer "Ch" par "K", ces lettres étant souvent équivalentes dans les transcriptions de noms sémitiques ou slaves.
Le premier cas auquel j'ai pensé est Paul Misraki, né Misrachi (c'est dans un livre de Misraki que j'ai remarqué le 4/4/4 que le 4 avril 44 était une date schématique), mais il y a beaucoup d'autres cas (tu parles, Karl !), le plus pertinent ici étant assurément le chapitre (Kapitel) 60 de VME, où 25 orthographes (au moins) du nom Cinoc sont envisagées, comme Cinoch, Cinok, Kinoch, Chinoc...
Il est encore remarquable que les deux situations permettent un tour d'îlot alphabétiquement croissant dans le sens des aiguilles d'une montre (pourvu de lire K pour Ch), et que les présentations par Perec obéissent au même motif 4-1-2-3 (V-R-S-T et M-J-Ch-L).
S'il faudrait scruter le plan de Paris pour préciser la rareté de telles configurations, du moins est-il assuré que ce type de préoccupation est caractéristique de Perec, qui dans Espèces d'espaces (1974) rêvait de visiter les Etats des USA par ordre alphabétique, puis dans Perec/rinations proposera en 1980 aux lecteurs de Télérama une série de jeux sur Paris, où de multiples itinéraires alphabétiques sont étudiés; curieusement les jeux consacrés au 17e crubelliérain proposent deux "errances" en R ne passant aucunement par des rues du 17e, s'achevant rue du Regard et rue du Renard, où aurait commencé la rue du Capitaine-Crubellier (Perec déplore que la rue du Renard n'aille pas jusqu'à la rue Rambuteau, or c'est au croisement avec la rue Simon-le-Franc que la rue du Renard devient la rue Beaubourg).
Si l'immeuble imaginé par Perec est nettement plus crédible dans la Plaine Monceau que dans le Marais, je remarque que son premier choix se situait presque au centre de Paris, et que VME multiplie les allusions à la centralité : le 11 se situe à peu près au milieu de la rue Simon-Crubellier, soit au centre du quadrilatère, et Perec commence son exploration de l'immeuble vers son centre, au milieu de l'escalier... Si Perec a dû renoncer à cette centralité dans Paris (soi-même au centre d'une France qui eut jadis la prétention d'être le centre du monde), l'excentration vers le 17e serait meilleure au point de vue de l'alphabet, où J-Ch-L-M est plus central que R-S-T-V.
Mieux, les lettres correspondant à JKLM sont exactement centrales parmi les 22 lettres de l'alphabet hébreu (Jod-Kaf-Lamed-Mem), où ce sont aussi les nombres 10-20-30-40 de somme 100, le carré de 10 structurant VME.
Perec ne faisait pas partie des auteurs dont les oeuvres intervenaient dans Sous les pans du bizarre, mais je n'avais pu m'empêcher d'y faire quelques discrètes références, dont cette adresse d'un des 5 latinistes parisiens au coeur de l'énigme : Noël Médec, 11 rue Simon-le-Cribleur.
J'avais repéré depuis longtemps cette anagramme de Crubellier, un ami (prénommé Jean) de Perec dont le nom apparaît dans la plupart de ses romans, depuis Les Choses jusqu'à "53 jours", et le criblage est une des Sept règles de Perec, que Magné nomme plutôt "remplissage", ou "saturation". En 1999 j'ai eu l'occasion d'échanger quelques lettres avec Marcel Bénabou, proche ami de Perec à l'Oulipo, alors président de l'Association des Amis de Georges Perec, mais aussi éminent latiniste universitaire, et son adresse rue Simon-le-Franc m'a rappelé le jeu Crubellier = le cribleur, ce qui m'a conduit à cette facétie dont toutes les facettes ne sont certes pas accessibles à tous, mais au moins me suis-je plus fait plaisir qu'avec une quelconque rue Machinchose.
En apprenant que Perec avait d'abord situé la rue Crubellier dans l'immédiat voisinage, je me suis demandé si je n'aurais pas répété la démarche de Perec, lequel aurait repéré le quadrilatère en venant visiter son ami Bénabou, mais celui-ci m'a informé qu'il n'avait emménagé rue Simon-le-Franc qu'après la mort de Perec.
Complet hasard donc, qui ne s'arrête pas là car mon roman exploitait également un quadrilatère dans Paris, ainsi que les progressions arithmétiques 3-4-5 et 10-11-12-13-14, et leurs équivalences dans l'alphabet latin CDE et KLMNO, ce qui avait déterminé la structure du roman et les noms de ses 5 premiers chapitres, Décès-Céder-Essais-Aider-Cesser, à lire phonétiquement DC-CD-EC-ED-CC, et des 5 derniers Cas-Elle...-...aime-Haine-Oh !, K-L-M-N-O.
Ces suites seraient liées au calendrier julien, et une curiosité de la traduction espagnole (chez l'éditeur Diagonal !) est que le chapitre Cesser, le seul qui se passe rue Simon-le-Cribleur, est devenu César, soit "César", alors que "cesser" se dit cesar en espagnol. Peut-être l'erreur est-elle postérieure à la traduction proprement dite, puisqu'il est effectivement souvent question de César dans le texte.
C'étaient les rangs des lettres KLMNO dans l'alphabet latin qui étaient importants, correspondant dans l'alphabet actuel aux lettres JKLMN, et voici que mon hypothèse sur Perec m'amène à un quadrilatère JKLM. Avec le N omis, mais en passant du 4e au 17e Crubellier a perdu son grade et gagné un Simon, renversement de n omis...
J'avais noté pendant l'écriture du roman des curiosités dont certaines m'ont d'ailleurs servi. Ainsi le personnage du libraire-détective Gondol imaginé par Pouy enquêtait sur trois meurtres de latinistes commis les 3/3, 4/4 et 5/5. Ceci me semblait une allusion suffisante au triangle de Pythagore, et je ne me suis rendu compte qu'après les avoir choisis que les lieux des meurtres pouvaient dessiner un parfait triangle 3-4-5, ce que j'ai ensuite introduit dans la résolution de l'énigme.
A vrai dire il y avait une certaine latitude dans les localisations, seule celle du premier meurtre étant très précise, sur le trottoir du 25 rue Franklin, sous l'immeuble d'Auguste Perret (à cause du latiniste Jacques Perret).
Le meurtre du 4/4 était sur un quai de la station Denfert-Rochereau, parce qu'il me fallait une station débutant par D sur la ligne 6.
Le meurtre du 5/5 était au domicile du latiniste Boulenger, rue des Francs-Bourgeois, client et ami de Gondol habitant à proximité (rue de Birague), ce qui justifiait sa participation à l'enquête. Ce nom m'avait séduit car la "bourgeoise" de Boulenger n'était pas franche (elle était l'amante de Noël Médec, rue Simon-le-Cribleur).
En prenant pour repère le Lion de la place Denfert (sans préjuger de la position du quai de la ligne 6), le segment Franklin-Denfert correspondrait au côté 4 d'un triangle 3-4-5 dont l'autre sommet Est serait à quelques mètres du carrefour des rues Francs-Bourgeois et Sévigné.
Il existe une autre possibilité de triangle parisien avec un sommet Ouest, qui se situerait dans le 17e, vers la place de Lévis. S'il était difficile de le faire coïncider avec le quadrilatère crubelliérain, plus intéressante était la rue proche La Condamine, au nom formé des mêmes lettres que Alcimédon, nom imaginé par Virgile, correspondant selon l'hypothèse creusée dans le roman aux séquences 3-4-5 et 10-11-12-13-14.
Ceci m'a conduit à faire se jeter sous un train l'autre latiniste, à partir du pont de la rue La Condamine, avec quelques échos à l'histoire de Grégoire Simpson du chapitre 52 de VME, qui lui se serait suicidé deux ponts plus loin, au pont Cardinet.
Voici le report des 4 lieux sur une carte GoogleEarth, avec une rotation soulignant la rectangularité (cliquer pour agrandir) : Il serait possible d'arriver à une exacte correspondance avec les deux triangles de Pythagore, en jouant sur l'étendue de la place Denfert et la longueur de la rue des Francs-Bourgeois.
Le seul latiniste survivant est Noël Médec, dont j'avais forgé le nom selon le même principe que Alcimédon.
Réfléchir sur Simon-le-Cribleur, alias Simon-le-Franc, m'a fait prendre conscience de répétitions que je suis assez certain de n'avoir pas préméditées, encore que le F et son rang 6 aient eu un rôle important dans mes préparatifs. Et cette quasi-saturation, ce criblage, concerne le mot franc...
C'est ainsi grâce à un client franc-maçon que Gondol pense au triangle de Pythagore, et trouve son hypoténuse joignant les sommets Franklin et Francs-Bourgeois.
Le premier suspect est Médec, habitant la rue inspirée par Simon-le-Franc.
Le suspect suivant, celui qui se jette du pont La Condamine, est Françoys-Napoléon-Alexandre Cortier (FNAC), mais il doit son nom à ce que, lors de la conception du roman, le héros de la série se nommait Fnak.
Benjamin Franklin est un célèbre franc-maçon, de même que Bartholdi, sculpteur du Lion de Belfort reproduit place Denfert (ci-contre une photo du Lion dans un état inhabituel après la manif du 22 octobre 2009 où il fut recouvert de tracts adhésifs).
Denfert-Rochereau était lui-même probablement franc-maçon (j'ai entendu jadis d'une oreille une émission à ce sujet), mais plus amusant est qu'il a eu l'honneur d'avoir son nom donné à cette grande place grâce à une homophonie plutôt qu'à ses mérites cependant non négligeables; c'est que la place se nommait précédemment place d'Enfer, et que les riverains ont saisi la première occasion d'un changement dans la continuité...
Je suis tout à fait certain de n'avoir pas songé en choisissant cette station Denfert, ou d'Enfer, que c'était l'anagramme phonétique de "des Francs", alors que l'anagramme phonétique imaginée par Saussure intervenait dans mon roman (ce fut encore une heureuse surprise de trouver la rue de Saussure très proche de la rue La Condamine).
Je me souviens avoir envisagé de donner à mes 4 latinistes morts aux sommets d'un rectangle des initiales successives, telles ABCD, mais j'ai préféré privilégier des jeux littéraires plus élaborés.
Voilà pour l'essentiel. Il y a encore de multiples échos avec mes diverses préoccupations, mais je vais m'en tenir à ce qui me semble le plus immédiat.
Il est ainsi amusant que j'ai associé plus que je ne l'imaginais au monde franc-maçon un personnage créé par Jean-Bernard Pouy, que ses amis nomment JiBé, alors qu'un des symboles essentiels de la maçonnerie est les colonnes Jakin et Boaz du temple de Salomon, souvent réduites à leurs initiales JB (ci-dessus le tableau Between J & B de Sebök Ferenc)
Je ne m'étais jamais soucié d'aller voir ce qu'il y avait au 11 rue Simon-le-Franc, où j'avais installé Noël Médec. Loin de Paris aujourd'hui, j'ai eu recours aux Pages Jaunes, qui permettent d'accéder aux photos des façades de presque toutes les maisons parisiennes. Il faut d'abord entrer une requête, et ce qui m'a semblé le plus immédiat était la recherche d'un hôtel près de la rue du Renard. Il se trouve que c'est précisément un hôtel, l'hôtel Beaubourg, qui occupe le 11 rue Simon-le-Franc.
Enfin un autre ami oulipien de Perec, Jacques Roubaud, a débuté en 1985 le cycle romanesque de La Belle Hortense, qui se passe dans un petit quartier d'une ville imaginaire. Il est cependant facile d'y reconnaître le quadrilatère formé par les rues des Francs-Bourgeois, des Archives, des Blancs-Manteaux et Vieille-du-Temple, dont les noms ont été travestis en restant identifiables. Ainsi la rue des Francs-Bourgeois est devenue la rue des Citoyens (elle s'est appelée rue des Francs-Citoyens pendant la Révolution).