La biographie de Jung par Deirdre Bair est un pavé de 1000 pages, plus 300 pages de notes (auxquelles l'accès n'est guère facile).
C'est un document irremplaçable en ce qu'il s'agit de la première biographie n'émanant pas de disciples de Jung, une bio qui sera, selon la couverture ci-contre,
Un chapitre touffu est consacré à un aspect méconnu de Jung, contredisant formellement toute idée de sympathie pour le nazisme de sa part, son recrutement comme agent secret par Allen Dulles lui-même, futur directeur de la CIA.
Deirdre Bair a dû fournir un travail de titan pour cette bio, consultant toutes les archives disponibles. Elle a notamment eu accès aux Protocoles, la transcription des entretiens avec Aniela Jaffé qui ont conduit à Ma vie - Souvenirs, rêves et pensées, et qui présentent de notables différences avec le livre édité. Si Jung lui-même a eu une grande part dans l'établissement du texte final, le témoignage des Protocoles montre plus de spontanéité, plus d'hésitations, et reflète probablement mieux le vrai Jung que le livre publié. On souhaiterait une publication in extenso de ces Protocoles.
Je me suis particulièrement intéressé au chapitre 32 de Bair, Les visions de 1944, où les Protocoles n'apportent rien de bien nouveau, sinon que le docteur H y apparaissait sous son nom réel, Haemmerli.
Bair situe la mort de Haemmerli quelques jours après le 4 avril; je soupçonne qu'elle s'est contentée de reprendre cette information que j'ai vue dans une autre bio de Jung, probablement dictée par l'envie de magnifier la prédiction par Jung de la mort prochaine de son médecin.
En fait, Haemmerli est mort le 30 juin 44 selon cette source officielle, ce qui dépasse nettement "quelques jours" mais n'est pas incompatible avec le "peu après" indiqué par Jung. Je remarquais ici que ce lent déclin était peut-être plus remarquable qu'une mort rapide, puisque le rétablissement de Jung en a été presque exactement parallèle. Je m'émerveillais que, selon Barbara Hannah, Jung eût quitté l'hôpital début juillet, mais voici ce qu'écrit Bair :
J'ai été particulièrement frappé, dans ce même chapitre 32, par cette information, page 757 :
S'il est difficile de juger de la réalité de ces diverses prédictions, il reste que la note 17 concerne au premier chef une prédiction de mort à 68 ans, or la fabuleuse équation de la vie de Jung autour du 4/4/44, exacte en jours, se simplifie en années en 68 ans (4x17) avant 44 et 17 ans après.
A remarquer aussi que les 4/5es de la bio de Bair, en 39 chapitres, tombent à 31,2 chapitres, soit au début de ce chapitre 32 traitant de la maladie de 44. Ce n'est pas époustouflant que les 4/5es d'une bio tombent aux 4/5es de la vie de l'intéressé, mais ce n'était en rien obligatoire.
On ne peut guère soupçonner d'agencements subtils de la part de Bair, laquelle attribue 69 ans à Jung lors de sa maladie, alors qu'il n'a fêté ses 69 ans que le 26 juillet 44, une fois tiré d'affaire.
Bair indique cependant en avant-propos qu'elle est entrée dans l'arène des biographes de Jung par effet de "synchronicité" : en peu de temps diverses personnes ne se connaissant pas entre elles lui ont parlé du besoin d'une biographie sérieuse de Jung... Elle en témoigne, en anglais, sur cette vidéo.
Le titre de ce message vient d'une curiosité de la traduction française, où page 228 il est question de l'ours du Jahrbuch, la revue de psychanalyse lancée par Freud; "ours" désigne un manuscrit dans le milieu de l'édition, surtout un gros manuscrit, mais je ne crois pas que cette acception soit familière en dehors de ce milieu, et j'ai trouvé amusant de voir ce terme traduit d'une Bair (vraisemblablement apparentée au bear anglais ou au Baer allemand, "ours"), dans un pavé concernant un citoyen suisse.
Note du 11/03/10 : J'ai appris que "l'ours" d'un journal est l'encadré où figurent les noms de ses collaborateurs. C'est néanmoins un mot rare, et cette acception ne figure pas dans mon Larousse encyclopédique.
C'est un document irremplaçable en ce qu'il s'agit de la première biographie n'émanant pas de disciples de Jung, une bio qui sera, selon la couverture ci-contre,
louée par les chercheurs, lue par le grand public, et abhorrée par les partisans - comme doit l'être toute bonne biographie.Le dernier point tient peut-être de l'accroche publicitaire, car la lecture du pavé ne révèle en rien une image négative de Jung, dont les aspects dérangeants ont déjà été abordés par les prétendues "hagiographies" des disciples, l'irascibilité, les changements d'humeur, quelques dérapages lors de l'avènement du nazisme, où il a accepté de conserver la vice-présidence d'une Société de psychothérapie dominée par les nazis.
Un chapitre touffu est consacré à un aspect méconnu de Jung, contredisant formellement toute idée de sympathie pour le nazisme de sa part, son recrutement comme agent secret par Allen Dulles lui-même, futur directeur de la CIA.
Deirdre Bair a dû fournir un travail de titan pour cette bio, consultant toutes les archives disponibles. Elle a notamment eu accès aux Protocoles, la transcription des entretiens avec Aniela Jaffé qui ont conduit à Ma vie - Souvenirs, rêves et pensées, et qui présentent de notables différences avec le livre édité. Si Jung lui-même a eu une grande part dans l'établissement du texte final, le témoignage des Protocoles montre plus de spontanéité, plus d'hésitations, et reflète probablement mieux le vrai Jung que le livre publié. On souhaiterait une publication in extenso de ces Protocoles.
Je me suis particulièrement intéressé au chapitre 32 de Bair, Les visions de 1944, où les Protocoles n'apportent rien de bien nouveau, sinon que le docteur H y apparaissait sous son nom réel, Haemmerli.
Bair situe la mort de Haemmerli quelques jours après le 4 avril; je soupçonne qu'elle s'est contentée de reprendre cette information que j'ai vue dans une autre bio de Jung, probablement dictée par l'envie de magnifier la prédiction par Jung de la mort prochaine de son médecin.
En fait, Haemmerli est mort le 30 juin 44 selon cette source officielle, ce qui dépasse nettement "quelques jours" mais n'est pas incompatible avec le "peu après" indiqué par Jung. Je remarquais ici que ce lent déclin était peut-être plus remarquable qu'une mort rapide, puisque le rétablissement de Jung en a été presque exactement parallèle. Je m'émerveillais que, selon Barbara Hannah, Jung eût quitté l'hôpital début juillet, mais voici ce qu'écrit Bair :
A la fin du mois de juin 1944, Jung rentra chez lui.Il doit être aisé d'obtenir la date exacte, et il serait passionnant de comparer les bulletins de santé de Jung et de Haemmerli du 4 avril au 30 juin.
J'ai été particulièrement frappé, dans ce même chapitre 32, par cette information, page 757 :
A soixante-dix ans, soit deux ans après l'âge qu'il avait prédit pour sa mort17, il se sentait tout à fait libre de dire où d'écrire ce qu'il voulait.L'appel de note renvoie à la note 17 de ce chapitre, qu'il faut aller chercher page 1215, précisant que Jung aurait prédit sa mort à 68 ans, ce dont ont témoigné J. Jacobi, B. Hannah et M.-L. von Franz. Toutefois la note mentionne une lettre de Jung du 8 août 46, où il écrivait qu'un rêve de 1927 lui aurait annoncé sa mort à 73 ans, en 1948, mais qu'un autre rêve récent lui permettait d'imaginer que quelques années de plus lui fussent octroyées.
S'il est difficile de juger de la réalité de ces diverses prédictions, il reste que la note 17 concerne au premier chef une prédiction de mort à 68 ans, or la fabuleuse équation de la vie de Jung autour du 4/4/44, exacte en jours, se simplifie en années en 68 ans (4x17) avant 44 et 17 ans après.
A remarquer aussi que les 4/5es de la bio de Bair, en 39 chapitres, tombent à 31,2 chapitres, soit au début de ce chapitre 32 traitant de la maladie de 44. Ce n'est pas époustouflant que les 4/5es d'une bio tombent aux 4/5es de la vie de l'intéressé, mais ce n'était en rien obligatoire.
On ne peut guère soupçonner d'agencements subtils de la part de Bair, laquelle attribue 69 ans à Jung lors de sa maladie, alors qu'il n'a fêté ses 69 ans que le 26 juillet 44, une fois tiré d'affaire.
Bair indique cependant en avant-propos qu'elle est entrée dans l'arène des biographes de Jung par effet de "synchronicité" : en peu de temps diverses personnes ne se connaissant pas entre elles lui ont parlé du besoin d'une biographie sérieuse de Jung... Elle en témoigne, en anglais, sur cette vidéo.
Le titre de ce message vient d'une curiosité de la traduction française, où page 228 il est question de l'ours du Jahrbuch, la revue de psychanalyse lancée par Freud; "ours" désigne un manuscrit dans le milieu de l'édition, surtout un gros manuscrit, mais je ne crois pas que cette acception soit familière en dehors de ce milieu, et j'ai trouvé amusant de voir ce terme traduit d'une Bair (vraisemblablement apparentée au bear anglais ou au Baer allemand, "ours"), dans un pavé concernant un citoyen suisse.
Note du 11/03/10 : J'ai appris que "l'ours" d'un journal est l'encadré où figurent les noms de ses collaborateurs. C'est néanmoins un mot rare, et cette acception ne figure pas dans mon Larousse encyclopédique.