Les rebonds sur les anges de mon dernier billet sont si touffus que je laisse la question un temps de côté, pour revenir à un autre thème qui m'est cher, les dates de Pâques dans la littérature, intentionnelles ou non.
Ou les dates liées aux jours essentiels de la semaine pascale, comme le Jeudi et le Vendredi.
Lors de mes premières analyses lupiniennes, j'avais vu plusieurs bizarreries tournant autour du Jeudi saint, jour de la Cène (l'Arsène ?) et de l'arrestation du Christ, dont trois liées à des erreurs voulues ou non :
- dans L'Aiguille creuse (1909), le cambriolage d'Ambrumésy a clairement lieu le soir du jeudi 23 avril 1908, mais il est une fois (chapitre 4) donné au 16 avril, Jeudi saint; cette nuit Lupin se trouve prisonnier d'une crypte où il sera supposé mourir.
- dans la nouvelle Le signe de l'ombre (1911), une date figure sur un tableau, 15-4-2, un temps envisagée pour être le 15 avril 1802, Jeudi saint; ce tableau a été peint, peu avant son exécution, par un personnage arrêté pendant la Révolution, mais s'il avait bien été arrêté un 15 avril le 2 y signifiait pour lui l'heure.
- Dans Les dents du tigre (1920), Lupin déclare:
Il y a cependant un problème, car l'action se passe sans équivoque juste après la guerre, soit en 1919, où le 1er avril n'était ni jeudi ni saint.
Une blague poissonnière ? peut-être pas, car diverses sources m'indiquaient que ce roman avait une autre version, publiée aux USA en 1914, ce qui me semblait à tel point bizarre qu'il ne m'était jamais venu à l'idée de regarder la traduction anglaise du livre, jusqu'à ce qu'un ami me le suggère, il y a quelques semaines.
Eh bien oui, The Teeth of the Tiger est bien paru à New York en 1914, puis à Londres en 1915, mais la France a dû attendre 1920 pour connaître cette aventure d'Arsène, pour des raisons bien compréhensibles : le début de la guerre a bloqué toutes les parutions, et ensuite l'heure n'était plus aux lupineries, quand le sol français était envahi par les hordes barbares.
Ce problème ne concernait pas les USA, et rien n'y a empêché la parution d'une traduction qui n'a jamais été modifiée ensuite, lorsque le roman est paru en France, adapté à l'après-guerre. On trouve ce texte en ligne, sous divers formats, montrant que les modifications ultérieures de Leblanc ont été minimales.
Elles touchent bien sûr essentiellement les dates. Dans l'historique de la famille Roussel, toutes les dates ont été ensuite augmentées de 5 ans, ce qui ne permet pas de dater exactement l'action, qui dans la version de 1920 est datée par référence à la guerre terminée quelques mois plus tôt, soit 1919.
Dans le texte anglais, la seule réelle précision date l'action de 3 ans après l'aventure de "813", qui elle-même n'était pas directement datée dans sa première édition de 1910. Dans l'édition de 1917, légèrement remaniée, l'action est donnée "deux ans avant la guerre", soit 1912, en total accord avec diverses données du roman. Ainsi The Teeth of the Tiger se passerait en 1915, et ceci est en accord avec le jeudi 1er avril également présent :
Il faut encore souligner que dans ces deux romans l'action est anticipée, bien que non explicitement datée. Les raisons de l'anticipation peuvent aisément se justifier par les intrigues, où Lupin avait besoin de temps après L'Aiguille creuse de 1908 pour créer sa nouvelle identité, et de plus de temps encore après "813" pour conquérir et pacifier la Mauritanie...
Le choix de l'imprécision (relative puisque ces trois romans sont liés par une chronologie explicite) permet bien des hypothèses, parmi lesquelles le désir de ne pas faire directement apparaître des dates significatives. Si on cherche un mercredi 17 avril postérieur à 1908, le premier venu est celui de 1912 où la lune éclipsa le soleil, et si on cherche un jeudi 1er avril postérieur à 1912, le premier venu est le Jeudi saint de 1915. Ce qui pourrait amener à se poser des questions sur cette famille Fauville (étymologiquement de fauves, ou à l'oreille faux-vil), où la tigresse Marie maîtresse de Sauverand (le Sauveur) aurait tué son mari et son fils Edmond (démon), une Sainte Famille inversée ?
N'ayant pu publier Les dents du tigre en 1914, Leblanc a participé à la propagande en écrivant un roman de guerre sans Lupin, L'éclat d'obus (1915, mais Lupin y apparaît à la demande de l'éditeur dans la réédition de 1923). Puis ce fut Le triangle d'or, publié en feuilleton du 21 mai au 26 juillet 1917 (42e anniversaire de Jung), où le premier héros est un brave capitaine, ensuite secondé par Arsène Lupin.
J'ai déjà commenté ce roman dont l'action est très précisément datée du 3 au 16 avril 1915, mais sans avoir alors soupçonné que l'action originelle des Dents du tigre débutait aussi en avril 1915. Si Lupin n'est présent dans Le triangle d'or que du 14 au 16, il apparaît une incompatibilité majeure avec son emploi du temps dans Les dents du tigre, où il passe notamment la nuit du 15 au 16 boulevard Suchet, il est vrai non loin de la rue Raynouard du Triangle d'or.
Je crois avoir montré que les dates de Pâques jouaient un rôle dans ce roman, où l'infâme Essarès tend un piège mortel à la femme qui le dédaigne et à son amant, le 14 avril 1895, dimanche de Pâques. L'amant présumé mort a en fait survécu, et a oeuvré dans l'ombre pour se venger d'Essarès et pour ressusciter son amour en rapprochant son fils le capitaine Belval de la fille de sa maîtresse, avec peu de succès puisque 20 ans après on la trouve mariée à Essarès devenu richissime.
Le roman débute dans la nuit du 3 au 4 avril 1915, nuit de la Résurrection, quand une mystérieuse pluie d'étincelles guide Belval vers la propriété de la rue Raynouard où résident Essarès et sa femme, comme l'étoile a guidé les rois mages vers le lieu de la Nativité, mais c'est de la vraie mort de son père que Belval est témoin, en ce dimanche de Pâques. Sans le savoir, car Essarès a échangé leurs identités cet autre 4/4, et c'est semble-t-il le père Belval devenu fou qui fait tomber le couple le 14 avril 1915 dans le même piège tendu aux parents le 14 avril 1895...
Il peut être intéressant de comparer cet imbroglio au début des Dents du tigre où, dans la nuit du 31 mars au 1er avril, l'ingénieur Fauville tue son fils Edmond et se suicide, maquillant leurs morts pour en faire accuser sa femme Marie-Anne et l'amant d'icelle. Dans la 1e version, c'est donc le soir du Jeudi saint qu'est arrêtée Marie-Anne, et bien que Lupin soit ensuite certain de son innocence il ne pourra empêcher sa mort en prison.
Est-ce par inadvertance que Leblanc a conservé le "jeudi 1er avril" dans la 2e version, incompatible avec l'année 1919 de l'action, ou parce qu'il a remarqué que le 1er avril était en 1920, année de parution, un Jeudi saint ?
La parution originelle en 1914 des Dents du tigre a un autre écho, avec l'énigme des multiples points de rencontre entre les oeuvres de Leblanc et de Raymond Roussel, étudiés notamment par Richard Khaitzine dans divers ouvrages, comme La langue des oiseaux (1996). Si je ne suis guère convaincu par les interprétations de Khaitzine, qui imagine une entente alchimique entre divers écrivains de la Belle Epoque, je ne peux que constater la pertinence des points soulevés, surtout quand ils recoupent mes propres préoccupations.
Le livre précité m'a ainsi appris que Khaitzine avait vu et publié avant moi une curiosité des Dents du tigre, où on recherche les héritiers Roussel, et où l'un d'eux, Gaston Sauverand, habite boulevard Richard-Wallace; après la mort de sa mère en 1911, Raymond Roussel a hérité de la propriété du 25 boulevard Richard-Wallace dont il a fait sa résidence principale.
A remarquer que les Fauville sont les premiers de ces héritiers Roussel, noms de même sens étymologique, dérivés de "fauve" et "roux" (couleur volontiers diabolique).
La mort des Fauville le jeudi 1er avril, première date mentionnée dans le roman (qui débute la veille, donc le 31 mars), pourrait être particulièrement significative sachant qu'en janvier 1914 a été publié le second roman de Roussel, Locus Solus, qui débute ainsi:
En bref, l'inscription des Dents du tigre dans la continuité directe de "813", et sa parution prévue en 1914 quelques mois après Locus Solus (publié en feuilleton en 1913), fait question, car peut-on faire plus "commençant avril" que le 1er avril ?
Et ce titre, alors qu'un épisode marquant de Locus Solus est la réalisation par une machine complexe d'une mosaïque en dents, montrant un reître prisonnier d'une crypte (l'ingénieur Fauville a de son côté imaginé un complexe mécanisme horloger pour accuser sa femme). Le "reître en dents" (pour "prétendant") a pour nom Aag, puni pour avoir tenté d'enlever la belle Christel selon une légende nordique.
Christel anagrammise "le Christ", et il est intrigant de trouver un autre Aag dans un autre écrit de Roussel, le 4e Document pour servir de canevas, où le chasseur Aag tue sa femme Hulda se prostituant le Vendredi saint... Le plus profond exégète de Roussel, Philippe Kerbellec, a probablement trouvé l'origine de ce curieux nom Aag, qui désignait en pharmacopée l'utilisation de deux ingrédients en égale quantité.
Ci-dessus Roussel photographié en 1927 à Jérusalem dans le Saint-Sépulchre.
Je m'arrête ici, tant les possibilités sont multiples, reître-Hippolyte (chevalier-dompteur de chevaux), Aag-Gaston, Christel-Sauverand...
Quel rapport avec Jung ? J'ai remarqué depuis longtemps les échos entre les échanges du 4 avril Belval-Essarès et Jung-Haemmerli, encore commentés en octobre dernier, mais je n'étais alors pas conscient de l'importance de la triade des lames de tarot consécutives étoile-lune-soleil, et des possibles résonances avec l'éclipse de "813", ou avec "l'étoile" menant le capitaine Belval vers Essarès le 4 avril 1915.
Par ailleurs le 1er avril (1949) est un exemple de synchronicité donné par Jung dans son essai consacré à la question, avec une accumulation de poissons divers.
A propos de 4 avril et de 44, une coïncidence récente me paraît relever de la synchronicité.
J'ai repéré récemment à Digne un conteneur de déchets destiné aux papiers, un peu démoli, permettant un accès immédiat aux papiers jetés. Depuis ce repérage, par hasard parce que je passe devant en faisant mes courses hebdomadaires, je jette un coup d'oeil à chaque passage, des documents jetés aux ordures m'ayant déjà été sources de prodigieuses coïncidences (comme le polycopié du professeur Weinreb).
Le 12 janvier, il y avait plusieurs livres au sommet du tas de papiers, donc jetés peu avant mon passage. Quelques livres de cuisine ne m'intéressant guère, et un roman J'ai Lu dont j'ignorais l'existence, Le second fils de l'homme, de Charles Sailor (1979, 1981 pour la traduction française).
Un ouvrier qui tombe du 24e étage et se relève sans une égratignure, puis se révèle capable de guérir les autres, sinon de les ressusciter... C'est le genre d'histoire qui m'attire, avec quelques réserves bien sûr puisque je n'ai rien de catho.
Bref j'ai lu ce J'ai Lu n° 1192, plutôt lisible en oubliant quelques partis pris, mais le second fils est hostile aux divers mouvements qui tentent de le récupérer, dont le Vatican, qui l'attendait depuis une prophétie faite par l'archange Uriel au pape Nicolas V en 1447 : Dieu enverrait à Ses enfants un homme qui mourrait en tombant d'une haute montagne en la 32e année de son âge, puis ressusciterait, et dont le coeur serait si pur qu'il ne pourrait cesser de battre avant le Vendredi saint de l'année suivante.
Cette date limite se trouve être le 4 avril 1980, année intéressante puisque divisible par 44. Cest la première année dans ce cas depuis 1936 (44 x 44), année de naissance de Perec.
J'espérais un climax ce 4/4/80, qui se produit en fait le 6 avril, dimanche de Pâques, où, après un beau discours, le Second Fils Joseph Turner demande à revoir le lieu de sa chute dans la 50e rue à Manhattan. Son corps disparaît mystérieusement de la limousine en passant devant l'immeuble...
Coïncidence : lorsque je suis repassé la semaine suivante à l'emplacement du conteneur, il avait disparu, de même d'ailleurs que les conteneurs à papiers de mon village. Le net m'a appris que la CC3V, la Communauté des 3 Vallées, ayant trouvé le bilan du tri des ordures insatisfaisant, était en train de mettre en place un nouveau réseau de collecte.
Autre coïncidence : après avoir récupéré Le second fils, je suis passé ce même 12 janvier à la médiathèque de Digne. Je n'y consulte certains périodiques que... périodiquement, et j'ai ce jour jeté un oeil sur les derniers numéros du Magazine Littéraire. J'y ai remarqué le n° 507 d'avril dernier, annonçant en couverture un extrait d'un roman de Mark Twain, N° 44, Le Mystérieux Etranger, important projet sans cesse remanié par Twain pendant les 15 dernières années de sa vie, dont cet état le plus achevé n'avait jamais été traduit en français.
Difficile d'en parler sans l'avoir lu... Ce commentaire m'apprend que le narrateur du roman se nomme Theodor, que n° 44 est un ange plutôt ambivalent, nommé Satan dans une autre version.
Incidemment Twain est mort le 21 avril 1910, alors que "813" paraissait en feuilleton dans Le Journal (du 5 mars au 24 mai).
Ou les dates liées aux jours essentiels de la semaine pascale, comme le Jeudi et le Vendredi.
Lors de mes premières analyses lupiniennes, j'avais vu plusieurs bizarreries tournant autour du Jeudi saint, jour de la Cène (l'Arsène ?) et de l'arrestation du Christ, dont trois liées à des erreurs voulues ou non :
- dans L'Aiguille creuse (1909), le cambriolage d'Ambrumésy a clairement lieu le soir du jeudi 23 avril 1908, mais il est une fois (chapitre 4) donné au 16 avril, Jeudi saint; cette nuit Lupin se trouve prisonnier d'une crypte où il sera supposé mourir.
- dans la nouvelle Le signe de l'ombre (1911), une date figure sur un tableau, 15-4-2, un temps envisagée pour être le 15 avril 1802, Jeudi saint; ce tableau a été peint, peu avant son exécution, par un personnage arrêté pendant la Révolution, mais s'il avait bien été arrêté un 15 avril le 2 y signifiait pour lui l'heure.
- Dans Les dents du tigre (1920), Lupin déclare:
Si je n’arrive pas, en quelques heures, à livrer à la justice l’assassin ou les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils, ce soir, jeudi, premier jour du mois d’avril, c’est moi, don Luis Perenna, qui coucherai sur la paille humide.En 1920, le 1er avril était Jeudi saint, et la personne que Lupin livre à la justice mourra en prison.
Il y a cependant un problème, car l'action se passe sans équivoque juste après la guerre, soit en 1919, où le 1er avril n'était ni jeudi ni saint.
Une blague poissonnière ? peut-être pas, car diverses sources m'indiquaient que ce roman avait une autre version, publiée aux USA en 1914, ce qui me semblait à tel point bizarre qu'il ne m'était jamais venu à l'idée de regarder la traduction anglaise du livre, jusqu'à ce qu'un ami me le suggère, il y a quelques semaines.
Eh bien oui, The Teeth of the Tiger est bien paru à New York en 1914, puis à Londres en 1915, mais la France a dû attendre 1920 pour connaître cette aventure d'Arsène, pour des raisons bien compréhensibles : le début de la guerre a bloqué toutes les parutions, et ensuite l'heure n'était plus aux lupineries, quand le sol français était envahi par les hordes barbares.
Ce problème ne concernait pas les USA, et rien n'y a empêché la parution d'une traduction qui n'a jamais été modifiée ensuite, lorsque le roman est paru en France, adapté à l'après-guerre. On trouve ce texte en ligne, sous divers formats, montrant que les modifications ultérieures de Leblanc ont été minimales.
Elles touchent bien sûr essentiellement les dates. Dans l'historique de la famille Roussel, toutes les dates ont été ensuite augmentées de 5 ans, ce qui ne permet pas de dater exactement l'action, qui dans la version de 1920 est datée par référence à la guerre terminée quelques mois plus tôt, soit 1919.
Dans le texte anglais, la seule réelle précision date l'action de 3 ans après l'aventure de "813", qui elle-même n'était pas directement datée dans sa première édition de 1910. Dans l'édition de 1917, légèrement remaniée, l'action est donnée "deux ans avant la guerre", soit 1912, en total accord avec diverses données du roman. Ainsi The Teeth of the Tiger se passerait en 1915, et ceci est en accord avec le jeudi 1er avril également présent :
(...) it is I, Don Luis Perenna, who will be lodged in durance vile on the evening of this Thursday, the first of April.Non seulement le 1er avril était un jeudi en 1915, mais c'était encore le Jeudi saint, ainsi mon idée la plus faiblarde sur les Jeudis saints lupiniens se trouvait finalement la plus pertinente, car liée à "813" où maints indices convergent pour indiquer que ce n'est pas par hasard que Leblanc a situé une scène essentielle de son roman le 17 avril (1912 donc) à midi à l'est de Paris, à l'instant exact d'une rare éclipse dont la ligne de centralité passait à quelques kms à l'est de Paris (l'éclipse comparable suivante sera celle du 11 août 1999).
Il faut encore souligner que dans ces deux romans l'action est anticipée, bien que non explicitement datée. Les raisons de l'anticipation peuvent aisément se justifier par les intrigues, où Lupin avait besoin de temps après L'Aiguille creuse de 1908 pour créer sa nouvelle identité, et de plus de temps encore après "813" pour conquérir et pacifier la Mauritanie...
Le choix de l'imprécision (relative puisque ces trois romans sont liés par une chronologie explicite) permet bien des hypothèses, parmi lesquelles le désir de ne pas faire directement apparaître des dates significatives. Si on cherche un mercredi 17 avril postérieur à 1908, le premier venu est celui de 1912 où la lune éclipsa le soleil, et si on cherche un jeudi 1er avril postérieur à 1912, le premier venu est le Jeudi saint de 1915. Ce qui pourrait amener à se poser des questions sur cette famille Fauville (étymologiquement de fauves, ou à l'oreille faux-vil), où la tigresse Marie maîtresse de Sauverand (le Sauveur) aurait tué son mari et son fils Edmond (démon), une Sainte Famille inversée ?
N'ayant pu publier Les dents du tigre en 1914, Leblanc a participé à la propagande en écrivant un roman de guerre sans Lupin, L'éclat d'obus (1915, mais Lupin y apparaît à la demande de l'éditeur dans la réédition de 1923). Puis ce fut Le triangle d'or, publié en feuilleton du 21 mai au 26 juillet 1917 (42e anniversaire de Jung), où le premier héros est un brave capitaine, ensuite secondé par Arsène Lupin.
J'ai déjà commenté ce roman dont l'action est très précisément datée du 3 au 16 avril 1915, mais sans avoir alors soupçonné que l'action originelle des Dents du tigre débutait aussi en avril 1915. Si Lupin n'est présent dans Le triangle d'or que du 14 au 16, il apparaît une incompatibilité majeure avec son emploi du temps dans Les dents du tigre, où il passe notamment la nuit du 15 au 16 boulevard Suchet, il est vrai non loin de la rue Raynouard du Triangle d'or.
Je crois avoir montré que les dates de Pâques jouaient un rôle dans ce roman, où l'infâme Essarès tend un piège mortel à la femme qui le dédaigne et à son amant, le 14 avril 1895, dimanche de Pâques. L'amant présumé mort a en fait survécu, et a oeuvré dans l'ombre pour se venger d'Essarès et pour ressusciter son amour en rapprochant son fils le capitaine Belval de la fille de sa maîtresse, avec peu de succès puisque 20 ans après on la trouve mariée à Essarès devenu richissime.
Le roman débute dans la nuit du 3 au 4 avril 1915, nuit de la Résurrection, quand une mystérieuse pluie d'étincelles guide Belval vers la propriété de la rue Raynouard où résident Essarès et sa femme, comme l'étoile a guidé les rois mages vers le lieu de la Nativité, mais c'est de la vraie mort de son père que Belval est témoin, en ce dimanche de Pâques. Sans le savoir, car Essarès a échangé leurs identités cet autre 4/4, et c'est semble-t-il le père Belval devenu fou qui fait tomber le couple le 14 avril 1915 dans le même piège tendu aux parents le 14 avril 1895...
Il peut être intéressant de comparer cet imbroglio au début des Dents du tigre où, dans la nuit du 31 mars au 1er avril, l'ingénieur Fauville tue son fils Edmond et se suicide, maquillant leurs morts pour en faire accuser sa femme Marie-Anne et l'amant d'icelle. Dans la 1e version, c'est donc le soir du Jeudi saint qu'est arrêtée Marie-Anne, et bien que Lupin soit ensuite certain de son innocence il ne pourra empêcher sa mort en prison.
Est-ce par inadvertance que Leblanc a conservé le "jeudi 1er avril" dans la 2e version, incompatible avec l'année 1919 de l'action, ou parce qu'il a remarqué que le 1er avril était en 1920, année de parution, un Jeudi saint ?
La parution originelle en 1914 des Dents du tigre a un autre écho, avec l'énigme des multiples points de rencontre entre les oeuvres de Leblanc et de Raymond Roussel, étudiés notamment par Richard Khaitzine dans divers ouvrages, comme La langue des oiseaux (1996). Si je ne suis guère convaincu par les interprétations de Khaitzine, qui imagine une entente alchimique entre divers écrivains de la Belle Epoque, je ne peux que constater la pertinence des points soulevés, surtout quand ils recoupent mes propres préoccupations.
Le livre précité m'a ainsi appris que Khaitzine avait vu et publié avant moi une curiosité des Dents du tigre, où on recherche les héritiers Roussel, et où l'un d'eux, Gaston Sauverand, habite boulevard Richard-Wallace; après la mort de sa mère en 1911, Raymond Roussel a hérité de la propriété du 25 boulevard Richard-Wallace dont il a fait sa résidence principale.
A remarquer que les Fauville sont les premiers de ces héritiers Roussel, noms de même sens étymologique, dérivés de "fauve" et "roux" (couleur volontiers diabolique).
La mort des Fauville le jeudi 1er avril, première date mentionnée dans le roman (qui débute la veille, donc le 31 mars), pourrait être particulièrement significative sachant qu'en janvier 1914 a été publié le second roman de Roussel, Locus Solus, qui débute ainsi:
Ce jeudi de commençant avril, mon savant ami le maître Martial Canterel m'avait convié, avec quelques autres de ses intimes, à visiter l'immense parc environnant sa belle villa de Montmorency.Un épisode de ce texte bizarre, comme toutes les oeuvres de Roussel, l'histoire de François-Jules Cortier, semble calqué sur les trois crimes d'Arsène Lupin, détaillés dans "813", où précisément pourrait apparaître une utilisation du "procédé" homophonique rousselien, avec notamment les "lettres de l'empereur", titre d'un chapitre, et la constatation jalouse "Elle l'aime !", trahissant le mystérieux L.M., prélude aux trois crimes d'Arsène comme à ceux de François-Jules. La séquence des "crimes" est absolument identique : après le "Elle l'aime !", Lupin et Cortier étranglent celle qui leur en préférait un autre, puis cet autre se suicide, puis un condamné à mort innocent est exécuté, sauvé in extremis dans le récit de Roussel, alors que Lupin arrive quelques instants trop tard.
En bref, l'inscription des Dents du tigre dans la continuité directe de "813", et sa parution prévue en 1914 quelques mois après Locus Solus (publié en feuilleton en 1913), fait question, car peut-on faire plus "commençant avril" que le 1er avril ?
Et ce titre, alors qu'un épisode marquant de Locus Solus est la réalisation par une machine complexe d'une mosaïque en dents, montrant un reître prisonnier d'une crypte (l'ingénieur Fauville a de son côté imaginé un complexe mécanisme horloger pour accuser sa femme). Le "reître en dents" (pour "prétendant") a pour nom Aag, puni pour avoir tenté d'enlever la belle Christel selon une légende nordique.
Christel anagrammise "le Christ", et il est intrigant de trouver un autre Aag dans un autre écrit de Roussel, le 4e Document pour servir de canevas, où le chasseur Aag tue sa femme Hulda se prostituant le Vendredi saint... Le plus profond exégète de Roussel, Philippe Kerbellec, a probablement trouvé l'origine de ce curieux nom Aag, qui désignait en pharmacopée l'utilisation de deux ingrédients en égale quantité.
Ci-dessus Roussel photographié en 1927 à Jérusalem dans le Saint-Sépulchre.
Je m'arrête ici, tant les possibilités sont multiples, reître-Hippolyte (chevalier-dompteur de chevaux), Aag-Gaston, Christel-Sauverand...
Quel rapport avec Jung ? J'ai remarqué depuis longtemps les échos entre les échanges du 4 avril Belval-Essarès et Jung-Haemmerli, encore commentés en octobre dernier, mais je n'étais alors pas conscient de l'importance de la triade des lames de tarot consécutives étoile-lune-soleil, et des possibles résonances avec l'éclipse de "813", ou avec "l'étoile" menant le capitaine Belval vers Essarès le 4 avril 1915.
Par ailleurs le 1er avril (1949) est un exemple de synchronicité donné par Jung dans son essai consacré à la question, avec une accumulation de poissons divers.
A propos de 4 avril et de 44, une coïncidence récente me paraît relever de la synchronicité.
J'ai repéré récemment à Digne un conteneur de déchets destiné aux papiers, un peu démoli, permettant un accès immédiat aux papiers jetés. Depuis ce repérage, par hasard parce que je passe devant en faisant mes courses hebdomadaires, je jette un coup d'oeil à chaque passage, des documents jetés aux ordures m'ayant déjà été sources de prodigieuses coïncidences (comme le polycopié du professeur Weinreb).
Le 12 janvier, il y avait plusieurs livres au sommet du tas de papiers, donc jetés peu avant mon passage. Quelques livres de cuisine ne m'intéressant guère, et un roman J'ai Lu dont j'ignorais l'existence, Le second fils de l'homme, de Charles Sailor (1979, 1981 pour la traduction française).
Un ouvrier qui tombe du 24e étage et se relève sans une égratignure, puis se révèle capable de guérir les autres, sinon de les ressusciter... C'est le genre d'histoire qui m'attire, avec quelques réserves bien sûr puisque je n'ai rien de catho.
Bref j'ai lu ce J'ai Lu n° 1192, plutôt lisible en oubliant quelques partis pris, mais le second fils est hostile aux divers mouvements qui tentent de le récupérer, dont le Vatican, qui l'attendait depuis une prophétie faite par l'archange Uriel au pape Nicolas V en 1447 : Dieu enverrait à Ses enfants un homme qui mourrait en tombant d'une haute montagne en la 32e année de son âge, puis ressusciterait, et dont le coeur serait si pur qu'il ne pourrait cesser de battre avant le Vendredi saint de l'année suivante.
Cette date limite se trouve être le 4 avril 1980, année intéressante puisque divisible par 44. Cest la première année dans ce cas depuis 1936 (44 x 44), année de naissance de Perec.
J'espérais un climax ce 4/4/80, qui se produit en fait le 6 avril, dimanche de Pâques, où, après un beau discours, le Second Fils Joseph Turner demande à revoir le lieu de sa chute dans la 50e rue à Manhattan. Son corps disparaît mystérieusement de la limousine en passant devant l'immeuble...
Coïncidence : lorsque je suis repassé la semaine suivante à l'emplacement du conteneur, il avait disparu, de même d'ailleurs que les conteneurs à papiers de mon village. Le net m'a appris que la CC3V, la Communauté des 3 Vallées, ayant trouvé le bilan du tri des ordures insatisfaisant, était en train de mettre en place un nouveau réseau de collecte.
Autre coïncidence : après avoir récupéré Le second fils, je suis passé ce même 12 janvier à la médiathèque de Digne. Je n'y consulte certains périodiques que... périodiquement, et j'ai ce jour jeté un oeil sur les derniers numéros du Magazine Littéraire. J'y ai remarqué le n° 507 d'avril dernier, annonçant en couverture un extrait d'un roman de Mark Twain, N° 44, Le Mystérieux Etranger, important projet sans cesse remanié par Twain pendant les 15 dernières années de sa vie, dont cet état le plus achevé n'avait jamais été traduit en français.
Difficile d'en parler sans l'avoir lu... Ce commentaire m'apprend que le narrateur du roman se nomme Theodor, que n° 44 est un ange plutôt ambivalent, nommé Satan dans une autre version.
Incidemment Twain est mort le 21 avril 1910, alors que "813" paraissait en feuilleton dans Le Journal (du 5 mars au 24 mai).