20.2.19

La luciole au bout d'un passage


  J'ai découvert Passage de l'auteur de SF Connie Willis lors de mon dernier passage à la médiathèque de Manosque.
  J'aurais certainement lu ce livre bien plus tôt si j'avais connu son existence, car il concerne un de mes centres majeurs d'intérêt, les NDEs ou EMIs, expériences de mort imminente.

  C'est un pavé de plus de 900 pages, dans lequel j'ai d'abord avancé assez rapidement, l'enjeu réel du roman tardant à se manifester. Et puis j'ai été pris au jeu, et espère n'avoir rien manqué d'essentiel dans le début de ma lecture.
  Le roman, dont cette page donne le résumé en anglais, a pour personnage principal Joanna Lander, psychologue au gigantesque hôpital Mercy General de Denver. Elle s'intéresse au phénomène des EMIs, mais a toutes les peines du monde à recueillir des témoignages fiables, car dans le même hôpital sévit Maurice Mandrake, chouchou de la directrice de l'hôpital, auteur d'un best-seller sur la question, La lumière au bout du tunnel.
  On songe évidemment au livre de Raymond Moody, un personnage qui m'intéresse car il est né le 30 juin 1944, le jour de la mort de Theodor Haemmerli, le docteur de Jung qui a refusé de prendre au sérieux l'expérience de Jung de mars 44, peut-être l'un des premiers témoignages détaillés de NDE. Un cas particulièrement intéressant, puisque Jung est revenu de "l'autre monde" avec un avertissement pour Haemmerli, qui en a ri, mais dont la maladie mortelle s'est effectivement déclarée peu après. Rien ne permet cependant de présumer qu'il en aurait été autrement s'il avait écouté Jung.
  Plus de détails sur mon billet d'octobre 2012, NDE & NDO.

  Joanna Lander est donc presque toujours précédée auprès des expérienceurs par Mandrake, lequel pollue leurs témoignages en s'efforçant de les faire coïncider avec sa propre vision de ce qu'il appelle EADI, Expérience de l'Au-Delà Imminent... Elle accepte la proposition de Richard Wright, médecin de l'hôpital qui se propose d'étudier des EMIs artificielles provoquées par une molécule, la dithetamine.
  Il se trouve que ceci n'est plus de la SF depuis quelques mois, car le 15 août dernier a été publiée une étude anglaise d'une équipe dirigée par Christopher Timmermann, sur les effets de la diméthyltryptamine, ou DMT, un hallucinogène connu depuis longtemps, et c'est probablement cette molécule qui a inspiré la dithetamine de Willis, inconnue des chimistes. On trouve l'étude complète ici, en anglais, et un résumé en français.

  Autre coïncidence temporelle. Mes deux derniers billets m'ont fait évoquer, je crois pour la première fois sur Quaternité, l'idée du luthiste Guy Marchand selon laquelle un ensemble tripartite A-B-C peut offrir un rapport d'or valide s'il apparaît un partage doré entre B et A+C.
  C'est précisément le cas pour Passage, dont les 60 chapitres sont répartis en 3 parties de 18-23-19 chapitres, avec 18+19=37, et 23-37-60 appartiennent à la suite additive 1-4-5-9-14-23-37-60... qu'un autre Guy, Guy Bernard, a nommée Suite de Pythagore. Guy Bernard est associé indirectement à une coïncidence rappelée dans le précédent billet.
  J'étudiais dans le billet NDE & NDO des échos entre NDE et Nombre d'Or. Ainsi, après la première approche de Raymond Moody, portant sur quelques centaines de cas, Kenneth Ring a soumis à des milliers d'expérienceurs un questionnaire d'où il a tiré dans Sur la frontière de la vie (1980) un schéma en 5 stades d'une NDE type, d'après les pourcentages recueillis :
1) - sensation de paix et de sérénité (60 %)
2) - séparation du corps physique (37 %)
3) - entrée dans l'obscurité (du tunnel) (23 %)
4) - vision de la Lumière (16 %)
5) - fusion avec la Lumière (10 %)
  La corrélation avec la suite "de Pythagore" est remarquable. Les études suivantes ont affiné les questionnaires, et le troisième point, "entrée dans l'obscurité (du tunnel)", a été abandonné au profit de "environnement étrange" qui fait l'objet d'un bien plus large consensus, et qui vient en première position des études actuelles. Ce tableau de l'étude récente montre les corrélations entre les résultats des questionnaires selon NDE et DMT.

  Il est donc curieux de trouver une possibilité de structure 23-37-60 dans Passage qui a été écrit lorsque le "tunnel" faisait encore partie des éléments clés des NDEs. Il y a davantage encore car mon billet d'octobre 2012 se penchait sur les premiers artisans du phénomène NDE, y constatant une surabondance de "noms dorés", avec notamment les deux acteurs principaux,
KEN RING = 30/48 et
RAY MOODY = 44/72, de moyenne 37/60 = (30+44)/48+72).

  J'en viens au contenu de Passage, où dans les deux premières parties la narration suit essentiellement Joanna, et dans quelques chapitres Richard. Dans la première partie, ils ont du mal à recruter quelques volontaires pour leurs expériences, et les résultats sont si peu significatifs que Joanna décide de participer elle-même au programme. Après quelques essais peu concluants, où elle se trouve dans un "passage" qu'elle sait connaître, sans arriver à l'identifier, elle parvient enfin dans le dernier chapitre de cette partie à sortir du passage, à rencontrer d'autres gens, et les indices récoltés l'amènent à identifier l'endroit.
  Elle était à bord du Titanic, non pas du vrai Titanic, mais d'une reconstruction de son cerveau à partir de ses connaissances, comme le film de Cameron. Si ceci ne fait pas de doute pour elle, elle a le sentiment que le fait cache une vérité profonde qu'elle cherche à élucider.
  Dans le premier chapitre du livre, Joanna a assisté un homme en train de mourir, Greg Menotti, lequel juste avant sa fin a proféré quelques paroles incohérentes, "58. Ils n'arriveront jamais à temps." En se renseignant sur le Titanic, Joanna apprend que le plus proche navire lors du naufrage était le Carpathia, à 58 miles, trop loin pour arriver avant que le Titanic ait coulé.

  Emerge alors l'idée que le Titanic jouerait un rôle dans les NDEs. Joanna qui est une "vraie" scientifique tente de dissocier ce qui dans son expérience vient de ses connaissances antérieures de ce qui pourrait être un accès transcendantal à l'événement réel. Diverses pistes sont suivies dans la seconde partie, tandis qu'elle continue ses expériences, se retrouvant chaque fois sur le Titanic.
  Enfin, l'un des patients qu'elle suivait, Carl Aspinall, dans le coma depuis si longtemps qu'on l'appelait Carl Coma, se réveille, et elle est la première à recueillir son témoignage. Carl n'était pas sur le Titanic, mais en Arizona, dans une histoire digne d'un western où il finissait seul avec un sac de courrier après l'attaque d'une diligence par les Indiens, et l'obsession de faire connaître sa situation. Il lui venait l'idée de communiquer par signaux de fumée, comme les Indiens.
  Joanna perçoit le point commun avec ses expériences, au fil desquelles il se dessinait la nécessité de parvenir, parmi les méandres des coursives du Titanic, à la cabine du radio. Elle comprend que la NDE serait un SOS envoyé par le cerveau mourant à tout l'organisme, ce que la conscience interprète de manière propre à chaque individu.
  Joanna veut aussitôt faire part de sa découverte à Richard, lequel était fort dubitatif devant ses excursions sur le Titanic. Nous sommes encore à l'époque où les portables étaient interdits dans les hôpitaux, et elle doit courir parmi les différents services pour trouver Richard. Il se dirigeait vers les urgences aux dernières nouvelles, mais elle y tombe sur un drogué en crise qui la poignarde mortellement.
  Dans le dernier chapitre de la seconde partie, Richard absorbe aussitôt une dose de dithetamine dans l'espoir d'entrer en contact avec Joanna agonisante, sur le Titanic, mais il se trouve devant les locaux de la White Star à New York, deux jours après l'annonce du naufrage.

  La dernière partie se répartit en une alternance de chapitres, où l'on suit d'une part les efforts de Richard pour découvrir ce que voulait lui annoncer Joanna, d'autre part ce qui se passe dans l'esprit de Joanna en perdition. J'ai été décontenancé par la fin du récit, car divers indices m'avaient conduit à l'idée que le Mercy General était lui-même une métaphore du cerveau mourant.
  Ainsi la première impression de Joanna après son incursion dans le "passage" est qu'il s'agit d'un couloir ou d'une passerelle de l'hôpital, un hôpital labyrinthique où l'on s'échange des recettes complexes pour se rendre d'un service à l'autre, au gré des réfections condamnant tel ou tel ascenseur, telle ou telle passerelle entre les différentes ailes. Ceci ressemblance fort aux errances de Joanna parmi les coursives et les ponts du Titanic.
  Il y a une cafétéria à l'hôpital, mais elle semble toujours fermée. De fait Joanna ne semble pas se préoccuper de faire de vrais repas, et elle est nourrie par les provisions que Richard trimballe dans ses poches.
  Joanna et Richard semblent être des personnes séduisantes. Le lecteur a accès à leurs pensées, mais il n'est jamais question d'un attrait charnel entre eux, ni envers quiconque.
  Enfin il y a cette mise en abyme de Joanna mourant alors qu'elle cherche à transmettre un message, lequel est précisément que la NDE serait une métaphore du SOS du cerveau mourant.

  Je n'ai trouvé aucun indice corroborant mon hypothèse dans la dernière partie, si ce n'est que Richard a l'idée d'établir une cartographie de l'hôpital, ce qui lui permet enfin de circuler entre les services sans avoir à demander son chemin. Il m'aurait semblé que la moindre des choses aurait été que ce plan fût accessible à tous (mais je fréquente hélas beaucoup les hôpitaux depuis deux ans, et j'ai ainsi erré lamentablement dans l'hôpital tortueux d'Aix avant d'établir mes petites recettes).
  Comme déjà dit, Passage compte plus de 900 copieuses pages, et je ne peux assurer avoir lu chacune en détail.

  Il y a tout de même une curiosité chapitre 41. Avant de commencer les expériences, Joanna a placé dans la pièce un objet qu'elle seule connaît, au sommet d'une armoire, invisible à moins de faire une décorporation. Lors de son unique expérience, Richard se sent quitter son corps, voir le sommet du crâne de l'assistante qui vient de lui injecter la dithetamine, et lui-même gisant sur le lit. Il distingue l'objet au-dessus de l'armoire, et s'en approche pour l'identifier.
Il faudra que j'en parle à Joanna. Mais elle ne le croirait pas. Elle penserait qu'il avait grimpé sur une chaise pour jeter un coup d'oeil. 
    Il n'est jamais question ensuite de cette décorporation, ni de cette vision qui viendrait étayer l'un des aspects les plus fantastiques de la NDE. Il est loisible d'imaginer que la narration suivait ici Richard en direct, mais que celui-ci ne se rappelait plus de sa décorporation à son réveil.  De fait, certains hôpitaux ont installé des objets cachés dans les salles de réanimation, dans des conditions plus scientifiques, mais aucun expérienceur jusqu'ici ne les a remarqués, sinon dans la fiction, notamment dans Le dernier homme bon dont j'ai parlé ici.

  J'ai pris la décision de consacrer un billet à Passage en arrivant au chapitre 55. Chaque chapitre a en exergue une citation, presque toujours les dernières paroles de quelqu'un. Voici la citation de ce chapitre 55:
Dans très peu de temps, je serai parti, même si je ne sais pas pour où. Nous venons de nulle part et nous n'allons nulle part. Qu'est-ce que la vie? Le papillotement d'une luciole dans la nuit.

Dernières paroles de Crowfoot, chef des Indiens pieds-noirs
  Patrick Bléron nomme "luciole" une coïncidence isolée, en attente peut-être de se joindre à une constellation. C'est l'un des tags de son blog Alluvions. Parmi les neuf articles concernés je remarque la luciole du 18 octobre 2017, ayant trait à la rencontre du 11 septembre 2001 dans deux livres. Il est question d'autres grandes catastrophes dans Passage, publié en avril 2001, et j'imagine que, si la thèse de Joanna avait quelque validité, nombre d'expérienceurs ultérieurs se trouveraient bloqués dans le World Trade Center en flammes.
  Parmi les coïncidences associées au 11 Septembre, en écho à Joanna, je pense à John O'Neill, "l'homme qui savait", l'agent du FBI qui, faute d'être écouté sur la dangerosité d'Al Qaida, a démissionné et a été engagé comme chef de la sécurité du WTC quelques jours avant l'attentat, où il est mort héroïquement.

  Le chapitre 55 débute ainsi:
  Il y avait des lucioles. Elle les voyait apparaître et disparaître dans les ténèbres qui l'entouraient. Je suis au Kansas, pensa Joanna. C'est sans doute un élément du récapitulatif de la vie. La fin devrait être proche, si elle se rappelait son enfance, lorsqu'elle allait rendre visite à ses parents campagnards, courir dans la nuit en compagnie de ses cousins en emportant un bocal pour les lucioles [...]
  Le Titanic a coulé, mais Joanna surnage sur un piano flottant dans l'eau...
  L'apparition du Kansas dans un contexte 55 m'évoque Le labyrinthe de la rose, où intervient le Kansas parce que c'est le 34e état incorporé à l'Union (note: dp me signale que le Je suis au Kansas de Johanna fait écho à une célèbre réplique de Dorothy dans The Wizard of Oz). La luciole tend vers la constellation ici, car les nombres de Fibonacci 55 et 34 sont aussi les valeurs des prénoms des deux expérienceurs qui ont conduit à l'hypothèse SOS,
JOANNA /  CARL = 55/34.
  Je remarque aussi le nom de Carl,
ASPINALL = 84, de même que WILLIS, l'auteur du roman, de même que HAEMMERLI, le docteur qui n'a pas écouté Carl (Jung), de même que PILGRIM, d'abord pour Jonathan Pilgrim, personnage du roman Veil, de George Chesbro (1986), ce colonel Pilgrim ayant créé un Institut pour étudier des NDEs provoquées artificiellement...  Il m'a fallu attendre 2015 pour calculer cette valeur de PILGRIM, alors que je connaissais dès 2008 le roman Pilgrim de Timothy Findley (1999), dont les deux principaux personnages sont Jung et Pilgrim, le roman débutant par le suicide de Pilgrim le 17 avril 1912, mais ce Pilgrim est un être spécial, un ange qui ne peut mourir. C'est l'annonce du naufrage du Titanic qui a fait envier à Pilgrim le sort des victimes.
  Je passe très vite sur le rappel JUNG/HAEMMERLI = 52/84 = 13/21 (identique donc à JUNG/PILGRIM) pour remarquer que c'est le jour de la sortie du coma de Carl que Joanna meurt, avec donc CARL/JOANNA = 34/55, les deux Fibos suivant 13-21. Carl Jung a commencé sa convalescence le 4/4/44, le jour où Haemmerli s'alitait pour ne plus se relever.

  La luciole apparaît au chapitre 55 parmi 60, et ceci me rappelle la prodigieuse coïncidence qui a précédé de quelques jours mon 60e anniversaire, la découverte du mot infini de Fibonacci dont les 60 premiers éléments sont codés par 5 séries de 12 dans une BD:
  Je découvris ensuite que ce mot infini correspondait à la suite A005614 du site de référence OEIS, et qu'il y figurait un commentaire d'une connaissance, daté du 6 juillet 2005, mon 55e anniversaire. Je pus proposer un commentaire le 6 juillet 2010, qui fut accepté.
  Les chiffres composant l'identifiant de la suite, 1-4-5-6, m'étaient significatifs, et je constate aujourd'hui que le dernier commentaire, du 10 novembre dernier, associe cette suite A005614 à A014565.

  J'ai depuis utilisé à diverses reprises cette représentation en A et B pour comparer diverses structures de récits alternés au modèle fibonaccien. La troisième partie de Passage obéit à une telle structure alternée irrégulière, avec 8 chapitres Joanna pour 11 chapitres Richard. Si le partage doré de 19 est 7-12, il se trouve ici que les 5 derniers chapitres ont une structure BABBA identique au modèle (avec B pour Richard et A pour Joanna).
  Le roman s'achève donc auprès de Joanna, qui a recueilli sur son piano une fillette, qu'elle identifie d'abord à la Demoiselle 1565 du cirque de Hartford. C'est un incendie qui a fait 167 victimes le 6 juillet 1944 (mon -6e anniversaire), dont une fillette non-identifiée connue comme Little Miss 1565 (oserai-je pointer la ressemblance avec la suite 14565?).

  Tout s'arrange pour Joanna et la fillette qu'elle a nommée Helen, car un navire approche pour les secourir, le porte-avions Yorktown dont il avait été question à maintes reprises dans le roman, ses marins leur faisant des signes. Tiens, le Yorktown a été lancé le 4 avril 1936 (et il me souvient que le WTC a été inauguré le 4 avril 1980 [Note du 04/09/24: non, c'était le 4/4/73], ce qui me rappelle que Perec et sa compagne, nés en mars 36 et mars 44, ont remarqué en mars 80 qu'ils avaient 44 et 36 ans).
  Passage s'achève sur une réplique de Joanna à Helen:
- Tous les navires finissent par couler, dit-elle en levant la main pour répondre aux signes de bienvenue. Mais ce n'est pas pour aujourd'hui. Pas pour aujourd'hui.
  Le jour même où j'achevais cette lecture, je m'inscrivis sur le groupe privé FB Les trouveurs de Rennes-le-Château, en grande partie par hasard. J'allais y jeter un oeil, et l'un des derniers messages postés, le 11 février, était un partage d'un compte public, avec cette illustration:
  Quelques jours plus tôt, le 9 février, s'inscrivit sur le groupe Synchronicity, où j'ai fait la connaissance de Patrick Bléron, une Amy Schulz à laquelle je souhaitai la bienvenue, et qui répondit qu'aux USA la graphie Schultz était prépondérante. Certes, mais il y a au moins Charles M. Schulz dont la célébrité est mondiale.

  Au naufrage du Titanic sont associées diverses coïncidences, et voici ce que j'écrivais dans ce billet:
J'ai une implication personnelle dans ce sujet, car en 2006, deux amis que je connais indépendamment et qui eux ne se connaissent pas, Bertrand Meheust et Jean-Pierre Le Goff, ont chacun écrit un livre sur la question, alors qu'il n'existait jusqu'ici aucun ouvrage français uniquement consacré à ces étrangetés. Celui de Jean-Pierre, Les abymes du Titanic, est paru 6 mois après celui de Bertrand, Histoires paranormales du Titanic, que Jean-Pierre a pu consulter, ce qui lui a permis d'ajouter un parallèle entre leurs vies, relatif aux naufrages.
  Hélas ce fut le dernier livre de Jean-Pierre, victime du naufrage Alzheimer.

  Je reviens à Passage, où Richard parvient finalement à comprendre le message de Joanna, grâce notamment à Amelia Tanaka, une volontaire du programme dithetamine qui avait abandonné après quelques séances. Cette étudiante avait déclaré n'avoir rien ressenti, mais elle avoue chapitre 56 avoir quitté le programme parce qu'elle avait connu une expérience traumatisante qu'elle ne voulait pas réitérer.
  Pour elle, le passage était la salle longue et étroite où elle effectuait ses TP de biochimie. Elle devait ouvrir un placard pour y prendre des produits, mais n'en trouvait pas la clé. Les tiroirs portaient des inscriptions absurdes, des lettres et chiffres mélangés, des formules chimiques où les chiffres n'étaient pas en indice comme il se doit, mais alignés avec les symboles atomiques.
  Ce dernier point m'est évocateur. J'ai rencontré des formules chimiques erronées dans le bizarre chapitre N du Procès-verbal de JMG Le Clézio, étudié dans ce billet d'octobre 2012, le seul autre billet du mois étant NDE & NDO:
CH4 + Cl2 = CH3Cl + ClH
CH3Cl + Cl2 = CH2CL2 + ClH
CH2Cl2 + Cl2 = CHCl3 + Cl4
CHCl3 + Cl2 = CCl4 + Cl4
  Les caractères en rouge sont erronés, et il faudrait ainsi lire ClH au lieu de Cl4 dans les deux dernières lignes.
  C'est le principal personnage du roman, Adam Pollo, qui se remémore ces équations. J'observais que son nom correspond au Fibo 89, tandis que la fille qui occupe ses pensées est connue par son seul prénom,
MICHELE = 55, le Fibo précédent.
ADAM POLLO = 19+70 = 89 a même valeur que
AMELIA TANAKA = 41+48 = 89.
  Ainsi, après CARL et JOANNA, 34 et 55, les expérienceurs clés sont tous des Fibos, pourvu d'avoir recours au nom complet pour cette dernière.
  Le Fibo suivant correspond au nom de l'auteur,
CONNIE WILLIS = 60+84 = 144,
comme à
PATRICK BLERON = 78+66 = 144.
  A propos de clé manquante, je rappelle qu'un personnage "clé" du précédent billet était
MICHELE (de) KLEF = 55/34 (comme JOANNA/CARL).

  Je rappelle encore que Le Clézio est l'auteur de Hasard, court roman en 20 chapitres titrés ou non. Le titre du roman fait référence au dé, et les 21 titres ou non-titres de l'ensemble se répartiraient logiquement selon leur alternance en 1-3-5-2-6-4, correspondant aux 6 faces du dé, avec de plus des partages d'or pour chaque face.
  Et je crois que c'est un "hasard"...
  Dans le roman, le Azzar est le yacht du cinéaste Moguer, et il coule à la fin du roman, à l'instant même de la mort de Moguer.

  EN OR... J'ai utilisé cette anagramme pour Sylvie RENO, l'un des membres "Golden Numbers" de l'association 813 étudiés dans mon premier billet de l'année. Je me suis alors rappelé d'un personnage nommé Lenny Nero dans le film Strange Days (1995) de Kathryn Bigelow, découvert en cherchant des oeuvres ayant pour thème la survie de l'âme après la mort. J'en avais parlé dans ce billet de mai 2010, que j'ai alors relu, sans ressentir la nécessité d'y renvoyer.
  Or le couple du film est formé par le blanc NERO et la noire MACE, engagés dans une ROMANCE qui est l'anagramme du scénariste du film, James CAMERON, réalisateur deux ans plus tard de Titanic, au succès planétaire.

  Sylvie Réno est une plasticienne, spécialisée dans la réalisation en carton d'objets courants, notamment d'armes à feu, et ceci fait écho au revolver que j'ai pu voir dessiné par un itinéraire d'un personnage de Belletto dans le précédent billet.

  Sylvie RENO a aussi un nom de valeur 144, comme Patrick blERON, lequel a rendu hommage à Bruno Ganz, disparu récemment, dans un article où il dit son admiration pour son rôle de Damiel dans Les ailes du désir.
  Ce film et ses avatars ont été aussi au coeur de mes préoccupations, voir notamment L'ange de la médiathèque.
  Les mortels qui recherchent la survie dans l'au-delà, les anges qui souhaitent devenir mortels... Après l'échange Jung-Haemmerli du 4/4/44 et l'échange Archer-Nomen du 6/6/66 de Hors la loi, je me demande s'il s'est passé quelque chose d'analogue le 8/8/88. Ce jour mourut Félix Leclerc, et naquit à Bucarest (bombardée le 4/4/44) une fille qui écrivit à 13 ans un roman à succès (a Romanian novel). Tiens, 4/4, 6/6 et 8/8 sont des dates du Doomsday rule de John Conway, et Connie Willis a écrit Doomsday Book.
  Je ne sais si Flavia Bujor a hérité quelque chose de Félix Leclerc, mais j'achèverai ce billet avec la fin d'une chanson de ce dernier :
Les humains, les pauvres humains
Sont bien à plaindre à la fin
Pourtant les anges du ciel
Échangeraient leurs deux ailes
Pour porter nos têtes folles
Danser notre farandole
Et puis finir comme des chiens
J'y comprends rien, rien, rien !

3.2.19

RB & B


RB & B : René Belletto et Bach.
  Le chapitre 14 de Hors la loi, BWV 544, étudié dans le précédent billet, m'a fait lire d'autres Belletto, et découvrir une bien plus formidable coïncidence bachienne dans L'enfer (1986), prix Femina et prix du Livre Inter.

  J'y passe illico. Le narrateur du roman, Michel Soler, est l'auteur d'une étude, Les fugues de Bach, qui a été remarquée par un grand pianiste, Rainer von Gottardt, lequel a enregistré en 1967 une interprétation exemplaire du Clavier Bien Tempéré. Michel admire tout particulièrement sa version du dernier Prélude-Fugue du premier cahier, en si mineur.
  Une de mes plus belles trouvailles dorées dans ce Clavier Bien Tempéré est ceci:
  Alors que le titre choisi par Bach (ci-dessus de sa main) a 24 lettres, DAS WOHLTEMPERIRTE CLAVIER, de même que l'oeuvre couvre les 24 tonalités, l'examen des nombres de mesures des 24 ensembles Prélude-Fugue (du premier cahier, je donnerai un tableau plus loin) fait apparaître 3 ensembles formant une suite d'or, avec 65, 105, et 170 mesures (soit 5 fois les nombres de Fibonacci 13-21-34), et à ces trois ensembles correspondraient les trois R du titre.

  Est-ce intentionnel? Je n'en sais rien, et suis tant habitué à rencontrer de pareilles relations dans des contextes élucidables que je n'imagine guère que Bach ait calculé tout ce qu'on lui prête.
  Ici Belletto est toujours en vie, et pourrait répondre à une question que je ne sens pour ma part nul besoin de lui poser.
  Monsieur RB, est-ce par hasard si votre génial interprète des 170 mesures du Prélude-Fugue de B a pour valeurs de ses prénom et nom 65 et 105?
  Car on a effectivement
RAINER GOTTARDT = 65 + 105 = 170,
et il y a 3 R dans son nom, comme les 3 R correspondant aux ensembles de 65-105-170 mesures.
  Voici les nombres de mesures des deux cahiers du CBT (1722 et 1744), avec les rangs des pièces, les lettres du titre, et les noms des tonalités selon la notation allemande:
  Les totaux donnés correspondent à la musique écrite, aussi au dernier R correspondent 123 mesures écrites, mais 170 mesures jouées, car le prélude est à reprises (donc 47+47+76=170).
  Tiens, pour le R précédent, le découpage de l'ensemble 15 en 19+86 mesures pourrait évoquer l'année de publication de L'enfer (le 1er janvier, et le premier Belletto chez P.O.L.).

  Avant de revenir à Belletto, je partage une nouvelle trouvaille opérée en reprenant cette correspondance entre lettres du titre et ensembles Prélude-Fugue.
  Les supputations sur des relations gématriques chez Bach sont multiples, utilisant divers systèmes, sans risquer d'être contredit par Bach qui n'a jamais donné d'indication sur d'éventuels codages.
  Plutôt que l'alphabet de 26 lettres, qui existait déjà à son époque, on l'imagine avoir utilisé l'alphabet Schwenter, avec 24 lettres (I et J confondus, de même que U et V). Dans ce système, Van Houten et Kasbergen voient le titre de l'oeuvre se décomposer en deux séries de 12 lettres de valeur égale,
DASWOHLTEMPE = RIRTECLAVIER = 133.
  J'ai aussi essayé l'alphabet latin de 23 lettres (idem, mais U, V et W sont confondus), et dans ce système l'adjectif que Bach a vraisemblablement forgé, wohltemperirte, se décompose en
WOHL  TEMPERIRTE = 53 + 123 = 176,
or 53 et 123 sont précisément les nombres de mesures (écrites) des deux derniers ensembles PF. Ils se décomposent en 66 mesures pour les préludes, et 110 pour les fugues, or
CLAVIER = 66 (toujours selon l'alphabet latin).
  Je m'en tiens là, en rappelant tout de même le pianiste Luis de Hors la loi, né le 6/6/66, amoureux de la pianiste
CLARA NOMEN = 35 61, or 35 fois 61 font 2135, nombre total de mesures (jouées) du premier cahier du CBT (2088+47, puisque seul le dernier prélude est à reprises).
  Ici, le narrateur Michel Soler, ancien pianiste, habite 66 rue de la République, à Lyon.

  Le roman débute le 1er août d'une année qui n'est pas explicitement précisée, mais qui semble être 1977. Michel Soler est impliqué dans deux affaires qui vont bien sûr se rejoindre.
  Il y a donc le pianiste Gottardt qu'il admire, et qu'il se désole de n'avoir pu voir lors du concert qu'il a donné à Lyon en août 1969, et qui a cessé l'année suivante de jouer, ayant perdu un doigt de la main gauche. Et voici que Gottardt le contacte, parce qu'il a lu Les fugues de Bach que Soler a publié en 1969, également. Se sentant proche de sa fin, Gottardt désire lui confier l'histoire de sa vie, pour en faire un livre.
  Venant d'apprendre cette offre totalement imprévue, Michel écoute le 1er août
un Prélude et fugue du Clavier bien tempéré, en si mineur, le dernier du premier livre, joué au piano par Rainer von Gottardt.
  Un long paragraphe est consacré au génie de Gottardt. Il nous est dit que le morceau dure 6'53. Les durées d'exécution sont très variables. Glenn Gould plie la chose en 6' tout juste, mais sans les reprises du prélude, alors que Youri Egorov y consacre plus de 17', avec les reprises. Le temps donné est-il celui correspondant à l'ensemble, ou seulement à la fugue? Belletto déclarait à Apostrophes qu'il pensait à l'interprétation de Gould.
  Michel reçoit donc les confidences de Rainer, venant d'arriver à Lyon, tous les jours, du 2 au 15 août. Rainer vivait depuis deux ans au Château Marmont, à Los Angeles. L'endroit est connu pour la mort de John Belushi, le 5 mars 1982, victime d'abus de drogues diverses. Il est assez fabuleux que
JOHN BELUSHI = 47 76
corresponde exactement aux nombres de mesures du prélude (sans les reprises) et de la fugue concernés, tandis que
RAINER  GOTTARDT = 170 correspond au nombre total de mesures jouées.

  Il est temps de rappeler que 47 et 76 font partie de la suite de Lucas, laquelle correspond aux approximations successives des puissances du nombre d'or. Le rapport 76/47 (1,617...) est ainsi une bonne approximation du nombre d'or ( 1,618...).
  Si je ne vois pas de lien direct entre le nombre d'or et Belushi, sa mort a suivi de près celle de deux écrivains qui ont évoqué explicitement le nombre d'or dans leurs oeuvres, et qui ont un nom doré. Le 3 mars mourait donc
GEORGES PEREC = 76/47, les mêmes valeurs que BELUSHI JOHN, et la veille c'était
PHIL DICK = 45/27, se simplifiant en 5/3, nombres de Fibonacci, et Dick lui-même a écrit que ce rapport 5/3 était suffisamment significatif du nombre d'or (dans L'invasion divine).

  J'ai déjà mentionné ces morts rapprochées, mais le lien entre le Château Marmont et le dernier Prélude-Fugue du CBT amène de nouveaux éléments. Dans son enregistrement de 1965, Gould joue prélude et fugue pratiquement au même tempo:
2'15/3'45 = 135/225 = 3/5 exactement, le 5 mars à l'américaine, le rapport entre les 33 mesures aériennes de la fugue BWV 544 évoquée dans Hors la loi et les 55 autres mesures.
  C'est aussi le rapport 66/110 entre les mesures des préludes et des fugues des deux derniers ensembles du CBT1. La somme 176, pouvant correspondre depuis peu pour moi à wohltemperirte, est aussi le nombre des onzains d'Alphabets de Perec, une oeuvre "bien tempérée" mettant sur un plan d'égalité les 10 lettres les plus usitées de l'alphabet d'une part, les 16 autres de l'autre. Je rappelle que ce partage est doré:
BCDFGHJKMPQVWXYZ / AEILNORSTU = 217/134 (1,619...).
  176 est aussi le nombre de vers du plus long psaume, à double contrainte, le psaume alphabétique 118 composé de 22 strophes de 8 vers.

  Michel Soler voit donc Rainer von Gottardt tous les jours pendant 14 jours (B-A-C-H =!), et il est à diverses reprises question du Prélude et fugue BWV 869. Le dernier jour, le 15 août, Rainer invite Michel à une exécution en commun de la fugue, et les deux hommes s'accordent parfaitement.
  Ils vont ensemble le soir à un concert organisé par des personnalités lyonnaises, les boliviens Hector et Isabel Dioblaniz. Rainer meurt à la fin de la cantate BWV 82, Ich habe genug.

  Parallèlement, Michel est engagé dans une étrange histoire. Le 2 août, le téléphone sonne chez lui, mais c'est quelqu'un qui demande l'Hôtel des Etrangers. Il accepte l'appel, on veut parler à un certain Lichem, chambre 228, il fait semblant de passer la communication, on lui donne un rendez-vous, il y va, et on lui donne un acompte de trente mille francs pour enlever un jeune garçon, Simon de Klef.
  Michel suit Lichem jusqu'au Bar des Archers. Lichem s'en va, mais Michel reste, fasciné par une jeune fille qui vient d'arriver; il la drague et se fait éconduire. Revenu chez lui, il tente de se suicider.
  Sauvé par un voisin, il va repérer les lieux où il doit kidnapper l'enfant, dans un tout autre quartier, c'est le frère de la fille qu'il a draguée la veille! Alors il "kidnappe" Simon, ou plutôt lui propose un jeu, l'emmène chez sa mère adoptive, Liliane Tormes, et informe Michèle de Klef qu'il ne sera fait aucun mal à son frère, lequel lui sera rendu si elle accepte de passer 24 heures en sa compagnie.
  Elle accepte, mais quand il vont récupérer l'enfant chez Liliane Tormes, la maison est ravagée par un incendie, Liliane est morte et l'enfant cette fois réellement kidnappé, par l'infâme Lichem.
  Michèle informe Michel que Simon a déjà été enlevé 3 ans auparavant, en août également, à Berlin, mais retrouvé quelques jours plus tard. Michèle de Klef et Michel Soler engagent un détective privé, Renaud Lossaire.
  Parallèlement, les entretiens avec Rainer continuent, et ce dernier lui apprend qu'il a joué un rôle dans l'enlèvement du petit Simon à Berlin, où sa compagne Ana de Tuermas l'a gardé chez eux, sans que lui sût de quoi il retournait. C'est très peu clair...
...et assez difficile à avaler pour le lecteur, pour moi du moins. Michel-Lichem-Michèle, Soler-Lossaire, Liliane-Ana, Tormes-Tuermas (mortes-muertas), serait-ce un roman à klefs?

    Je remarque la ressemblance du début de L'enfer (paru le 1er janvier 1986), le coup de téléphone pour Lichem qui arrive chez Michel, avec celui de City of glass publié quelques mois plus tôt aux USA, mais sa traduction Cité de verre ne paraîtra qu'en 1987. Le roman a pour personnage principal Daniel Quinn, écrivain de polars dont le héros est détective privé. Il reçoit un appel destiné à un certain Paul Auster, détective privé, et malgré ses dénégations se trouve engagé dans une étrange mission, prendre en filature Peter Stillman venant de sortir de l'asile où il a passé 13 ans, et constater que ses déambulations dans New York tracent un message, THE TOWER OF BABEL.
  J'ai été conduit à Cité de verre par les auteurs du polar Six couleurs pour l'enfer, où le détective David Larno est engagé par un client anonyme pour suivre un nommé Pierre Rivelle, logeant dans un hôtel de la rue Lecourbe. Larno s'avise que les déambulations de Rivelle dans Paris tracent un message, VOUS ALLEZ BIENTOT MOURIR, mais c'est Rivelle qui meurt avant la fin du message.

  Ceci m'a rappelé La bibliothèque de Villers, où Benoît Peeters imagine les crimes d'un certain Rivelle écrire, par les initiales des victimes, le mot LIVRE. Les auteurs de Six couleurs pour l'enfer m'ont assuré ne pas connaître ce roman, avouant s'être inspirés de Cité de verre pour l'idée du message écrit par des trajets urbains.
  Comme je le disais dans le précédent billet, c'est le titre Le livre (anagramme de RIVELLE) qui m'a conduit à acheter et lire ce roman de Belletto en 2014, et y découvrir qu'une partie de son intrigue concernait une clinique d'une rue imaginaire donnant dans la rue Lecourbe, et voici que L'enfer fait un autre lien avec Cité de verre, et avec Six couleurs pour l'enfer...

  La proximité des publications de City of glass et L'enfer me semble écarter l'idée d'une inspiration "normale", et le roman de Belletto pourrait d'ailleurs être la reprise d'un ancien projet, car il ne semble pas y avoir de raison précise à ce que l'action s'y déroule en août 77. Par ailleurs, l'idée d'un coup de téléphone indument reçu lié à un rapt revient dans deux autres de ses oeuvres, j'y reviendrai.
  Par contre, il pourrait avoir lu Six couleurs pour l'enfer et y faire écho dans Le livre, où le narrateur Michel Aventin (le prénom revient souvent chez Belletto) rêve d'un homme étendu dans son propre lit, vêtu de son pyjama, dont il entend la voix sans que les lèvres remuent:
  Et cette voix me révélait que j'allais mourir bientôt.
  Et même, c'est ce que je crus comprendre, qu'allait m'être révélé par lui le jour de ma mort...
- Vous allez mourir! Vous allez mourir le...
  Je l'interrompis d'un hurlement [...] et je fus emporté dans le tourbillon de je ne sais quelle chute, ou de je ne sais quel envol.
    Ce Michel est convaincu que l'homme est un patient de la clinique de la rue Lecourbe, et il trouve dans son courrier une lettre provenant du bureau de poste le plus proche de la clinique. L'enveloppe contient une feuille sur laquelle a été tracé maladroitement un grand chiffre, 6. C'est le 3 septembre, Michel va-t-il mourir le 6? Il se rend à la clinique, mais le mystérieux patient s'est enfui pendant la nuit. Il avait fait poster deux lettres la veille par une infirmière...
  J'ai poursuivi la relation du rêve jusqu'à son dernier mot, ENVOL, car j'ai utilisé ce mot, anagramme de NOVEL, dans le chapitre 11 de Novel Roman, où l'ex-colonel Vonel Moran, menacé de mort le 8 mars, se livre le 7 à d'étranges déambulations autour de son domicile, rue Lecourbe. J'ai évidemment choisi cette adresse en pensant à Six couleurs pour l'enfer et à Le livre, et sa promenade trace les lettres LOVE, puis N, en écho à La bibiothèque de Villers, où les victimes forment d'abord IVRE, puis L.

  Vonel interrogé sur sa balade répond qu'il se préparait à prendre son envol... J'ai bien sûr utilisé ce mot pour l'anagramme, mais je n'avais aucun souvenir qu'il apparaissait dans le récit du rêve de Michel Aventin, si évocateur de Six couleurs pour l'enfer.

  Belletto fait plusieurs descriptions détaillées des itinéraires suivis par Michel Soler dans Lyon, ou par Michel Aventin dans Paris. Les voies empruntées existent, et j'ai essayé de voir si les tracés pouvaient évoquer quelque chose.
  Chapitre 7, Soler revenant dans l'appart qu'il a loué pour le mois d'août au 66 rue de la République y trouve Lichem l'attendant, revolver à la main. Michel parvient à lui envoyer son pied dans les roupettes et à s'enfuir, poursuivi par Lichem. Son trajet est reproduit ci-dessus. Il parvient à semer Lichem, et revient à son appart, certain que l'autre ne le cherchera pas là. J'ai demandé à ma femme, ignorante de l'intrigue, ce que lui inspirait ce tracé, et elle a répondu "un revolver", ce à quoi j'avais un peu pensé aussi (ou plutôt à un pistolet). Lorsque Michel regagne son appart, il y trouve le revolver qui avait glissé sous un meuble, et il lui sera utile par la suite...
  Bon, ça ne prouve pas que Belletto eût calculé son itinéraire avec cette intention, il eût certainement pu faire mieux... Je remarque que son trajet le fait retourner à son point de départ, ce qui est le sens originel du latin revolvere.

  Quoi qu'il en soit, ce trajet éventuellement significatif me rappelle que j'ai un neveu qui habite Lyon, dont j'ai parlé ici. Christophe pratique l'ultra-trail et a remporté la dernière édition de L'échappée belle (144 km, plus de 10 000 m de dénivelé positif). Il s'amuse parfois lors de ses entraînements à tracer des figures dans Lyon, comme ce chamois réalisé en janvier 2017:

   La figure faisait alors écho aux coïncidences lyonnaises contées dans le billet, aujourd'hui je remarque que le revolver de Lichem-Michel apparaîtrait au niveau des pattes avant du chamois (ci-contre en bleu, avec le tracé GPS de Christophe en rouge), et que les autres parcours de Michel pourraient être représentés sur cette figure (mais ils ne m'évoquent rien).

  Rainer a demandé à Michel d'aller voir Ana de Tuermas, de lui dire qu'il l'avait aimée et qu'il l'aime encore. Michel va à Cadaqués où elle habite, mais Ana est muerta... C'est sa soeur Isabel qui habite sa maison, et il y a quelques semaines Isabel Dioblaniz pensant téléphoner à Ana est tombée sur Isabel de Tuermas qui a feint d'être sa soeur. L'autre Isabel lui demandait si elle connaissait un homme de main peu regardant, et c'est elle qui lui a envoyé Léonard Lichem...
  Michel sait maintenant que les Dioblaniz sont au coeur de l'affaire, et ce sont bien eux qui ont fait enlever le petit Simon, pour greffer ses yeux à leur enfant aveugle, Jesus. Il semble bien qu'ils étaient derrière le premier enlèvement aussi, mais bien des points restent obscurs (et j'ai passé pas mal de choses plus ou moins secondaires).

  Une thèse en ligne sur L'enfer souligne la similitude de l'écriture de Belletto avec la composition musicale. Sujet, contre-sujet, imitations, réminiscences multiples tissant une harmonie dont la complexité devient difficile à cerner.
  Ceci n'est pas très nouveau, mais chez Belletto on semble friser l'auto-plagiat. Comme je le disais dans le précédent billet, un épisode essentiel de Hors la loi (2010) reprend presque exactement le premier récit de Mourir (2002), et c'est encore dans L'enfer (1986) quelqu'un qui reçoit un coup de fil qui ne lui est pas destiné, à propos d'un enlèvement. Michel Soler y voit d'abord la soeur du gamin enlevé au bar des Archers, alors que dans Hors la loi c'est Luis Archer qui paye la rançon de Clara après l'avoir vue au café de l'Opéra (mais c'est Irène et non Clara). Sixte de même paye la rançon d'Armelle dans Mourir après l'avoir vue au café du Dragon (mais c'est Reine et non Armelle), et dans Hors la loi Luis rencontre enfin Clara rue du Dragon.
  Et je n'ai que quatre Belletto à l'esprit, encore faudrait-il relire Le livre. Le nombre 6 semble commun aux quatre, avec le 6 septembre où Michel Aventin doit mourir, le 6/6/66 où est né Luis Archer, le nom Sixte de son avatar dans Mourir, le 66 rue de la République où habite Michel Soler.
  Tiens, Rainer von Gottardt est né le 11 septembre 1917 au 66 Blickstrasse à Wiesbaden. Blick-(répu)Blique, ça n'a guère l'air fortuit, et Belletto lui est né le 11 septembre 1945.

  Il y avait un autre Belletto à la médiathèque, Ville de la peur (1997), que j'ai survolé. C'est une novélisation d'un des scénarios que Belletto a écrit pour la série TV Le Lyonnais, et l'intrigue est nettement plus logique. Au passage, c'est Belletto qui a composé le générique de la série, et qui l'interprétait lui-même à la guitare.

  Il y a probablement quelque peu davantage dans Ville de la peur que dans l'épisode TV. Le jeune inspecteur Selim Rey est devenu Michel Rey, et donc Lyon la "ville de Michel" (Michel Deville avait adapté au cinéma Sur la terre comme au ciel).
  Je suis ébahi d'y lire que ce que Michel préfère dans l'oeuvre pour luth de Bach est la fugue de la Deuxième suite, cette fugue BWV 997 étant précisément celle que Guy Marchand appelle la Passion selon Jean-Sébastien, celle que j'avais citée à propos de la fugue BWV 544:
  Dans Bach ou la Passion selon Jean-Sébastien (2003), Guy Marchand admet comme valide un rapport d'or entre une section médiane et la somme des sections l'encadrant, ainsi en va-t-il de ce qu'il appelle "Passion", la fugue BWV 997, en 3 sections 48-60-48 qu'il lit
48+48 / 60 = 96/60 = 8/5 (Fibonacci).
  Il en irait de même pour BWV 544:
27+28 / 33 = 55/33 = 5/3 (Fibonacci).
  J'y ai d'abord vu une coïncidence obligatoire, puisque l'étude de Guy Marchand est parue 6 ans après Ville de la peur, basée sur sa thèse de doctorat de 1999, mais Guy Marchand n'a rien d'un jeune étudiant. Il donne des concerts de luth depuis 1974, et conte ici comment il a prêté attention à la fugue BWV 997, peu après le bicentenaire Bach de 1985.
  Il n'y a donc rien d'impossible à ce que le guitariste Belletto ait rencontré le luthiste Marchand, et qu'ils se soient entretenus de Bach.
  D'un autre côté, j'ai été aussi guitariste et ai joué les suites pour luth de Bach. Bien avant de m'intéresser au nombre d'or ma pièce préférée était la fugue de la suite BWV 997.
  Tiens, il y a un Guy M. dans Hors la loi, Guy MERANCLANO (anagramme de CLARA NOMEN). 

  Il est aussi question dans Ville de la peur de la mort de Rainer von Gottardt et du livre de Michel Soler, Les fugues de Bach.

  Dans L'enfer, Michel partage son temps entre Rainer von Gottardt et Michèle de Klef. Si
RAINER / GOTTARDT = 65/105 = 13/21
est un rapport fibonaccien, il en va de même pour
KLEF / MICHELE = 34/55 (les Fibos suivant 13 et 21).
  Et les particules? Il est d'usage qu'un nom à particule soit cité sans particule quand il est employé seul (Goncourt, Karajan), mais qu'en va-t-il pour la numérologie? Il est clair que ce n'est pas une science exacte, aussi toutes les options sont possibles. Je constate qu'un autre rapport doré apparaît en prenant en compte la particule des autres Klef du trousseau, car le père et le fils s'appellent tous deux Simon de Klef (de même Daniel Quinn est employé par Peter Stillman junior pour surveiller son père Peter Stillman).
SIMON / DE KLEF = 70/43
n'est pas encore un couple doré quelconque. Lorsque je me suis penché sur le Clavier bien tempéré, j'ai constaté que les seuls rapports dorés indubitables entre prélude et fugue concernaient l'ensemble 14 (BACH!) dans chaque cahier, 24-40 mesures pour le premier, 43-70 pour le second.
  Il y a aussi l'ensemble 24 du premier cahier, les 47-76 mesures chères à Rainer, mais le rapport d'or n'est valable que pour la musique écrite, la musique jouée faisant entendre 94-76 mesures.
  Ainsi RAINER GOTTARDT, 65-105 correspondant aux ensembles PF 13-15 du premier cahier, à participé en 1974 à l'enlèvement de SIMON DE KLEF, 113 correspondant à l'ensemble PF 14 du second cahier.

  Je vois un écho avec un grand amateur de RAPT (Récrit Avisé Par la Textique), Ricardou qui a précisément "rapté" sa propre nouvelle Gravitation (1964) pour en faire L'enlèvement en 1988, où l'on lit:
  Il suffit [...] que L'ENLEVEMENT s'inflige, en bon élève, l'enlèvement d'une parmi ses propres lettres, pour obtenir L'ELEVE MENT.
  C'est donc la lettre N qui est enlevée, et l'enlèvement du petit SIMON me rappelle que ce prénom se renverse en N OMIS. Le détective SEPONS de Gravitation est devenu SNOPES dans L'enlèvement. La nouvelle décrit une fille jouant à la MARELLE, et la femme enlevée dans Mourir se prénomme ARMELLE.
  J'ai déjà fait le lien entre cette lettre N omise, lettre numéro 14, et l'affaire Elisabeth Lovendale (18 lettres de valeur 171, somme des nombres de 1 à 18, avec un N en position 14), en remarquant que L'enlèvement débute page 171 de l'édition 1988 de Révolutions minuscules.
  Rainer von Gottardt, du 11 septembre 1917 au 15 août 1977, a vécu 21888 jours, 171 multiplié par 128.

  Je n'ai pas encore lu tous les Belletto. J.S.B. est cité dans Mourir, mais aucun morceau n'est précisé. Je me souviens que dans une ancienne lecture, probablement Régis Mille l'éventreur, l'autre novélisation de la série Le Lyonnais, un personnage, probablement donc à nouveau Michel Rey, s'extasiait d'une transcription pour guitare du choral Jesu bleibte meine Freude, de la cantate BWV 147.
   Guy Marchand n'a pas répertorié BWV 147 parmi les Bach dorés, mais j'observe que
BELLETTO = 91,
et que 91/147 = 13/21, de même que
RAINER / GOTTARDT = 65/105 = 13/21,
dans L'enfer qui se termine le 31 août, qui est aussi le 21/13 du calendrier pataphysique.

  Pour ne pas conclure, je remarque la double importance de l'année 1969 dans le roman, celle où Soler a publié Les fugues de Bach, celle où Gottardt a rencontré Ana et l'amour... J'ai déjà souligné l'année 1969 de parution des Lieux-dits de Ricardou, et d'échange des lettres de Letters de Barth, mais c'est aussi une date importante de Cité de verre, où Peter Stillman senior a enfermé chez lui son fils dans une chambre noire à partir de 1960, 340 ans après l'arrivée du Mayflower en 1620, parce que l'épisode de la tour de Babel intervient 340 ans après le Déluge.
  Grâce à un incendie en 1969 dans l'immeuble des Stillman, le petit captif est découvert et libéré, le père interné. Un rapport avec l'odyssée lunaire la même année est suggéré.
  Lunaire-Soler? Incendie dans les deux romans dans une maison où est retenu un garçon (mais dans un cas Pierre vivant dans le noir est libéré, tandis que le petit Simon est réellement kidnappé lors de l'incendie lyonnais, et va passer le reste de ses jours dans le noir). Tiens, Jésus a renommé l'apôtre Simon, devenu Pierre.
  Je rappelle que la tradition juive relie les 340 ans (du Déluge à Babel) à la valeur du patriarche Sem, dont le nom hébreu shem signifie "nom", comme nomen.
  Lichem pourrait signifier en hébreu "au nom" "pour le nom", alors que "le nom" est une désignation de Dieu. Michel signifie "qui est comme Dieu".
  Je rappelle que shem s'écrit en hébreu avec les lettres de rangs 21 et 13 dans l'alphabet. Il va me falloir actualiser le billet récapitulant les coïncidences 21-13, comptant déjà plus de 120 cas.

Note de mai 2021: A propos de
RAINER / GOTTARDT = 65/105 = 21/13,
21-13 étant les rangs des lettres formant en hébreu le mot "Nom", désignation du Tétragramme YHWH, je viens de consulter cette page associant YHWH au nombre d'or; je ne la recommande guère, mais j'y ai remarqué un commentaire. Les valeurs (ou rangs) des lettres du Tétragramme sont
Y-H-W-H = 10-5-6-5, que le commentateur découpe en 105/65. On aurait donc bien
S/M = YH/WH = 21/13.
  Le billet Rêvolutions m'avait fait remarquer qu'en base 4, l'égalité
65 + 105 = 170 devenait
1001 + 1221 = 2222, des palindromes.
BACH est aussi un Tétragramme, et que j'ai été conduit à considérer le partage
BA/CH = 21/38, équivalent dans le principe à YH/WH = 21/13.
   Au-delà du principe, ceci m'avait conduit à l'égalité
21/38 = GO/TT, selon les équivalences de l'alphabet prêté à BACH.
   Nouveau vertige en constatant que cet autre Tétragramme divin est aussi le début du nom GOTTARDT.