1.4.22

Ono mastique (1)


  Je prévoyais de publier ces 3 billets le 3 mars, le 3/3, car le dernier d'entre eux serait le 333e de Quaternité. Leur écriture a cependant été difficile, et l'actualité éditoriale m'a semblé imposer de publier le 7 mars, 86e anniversaire de Perec, l'étude du roman en 86 éléments de NEO, publié quelques jours plus tôt et contenant plusieurs allusions perecquiennes.
  Ainsi ce seront 3 billets centrés sur le billet 333.
  Un calembour me tentait à partir du mot "onomastique", et la découverte d'un article What is Yoko Ono eating in Get back? m'a convaincu de l'exploiter, car Yoko semble être une bâfreuse de première... Dès sa première apparition dans le docu de Peter Jackson, au temps 12', elle est en train de becter.

  A partir de la mort de Régis Dutheil un 9/9, le billet de février me faisait évoquer l'actrice Ruth Roman, décédée le 9/9/99, et le naufrage de l'Andrea Doria, auquel elle avait survécu.
  J'avais été conduit à ce naufrage par deux romans lus juste avant ma découverte de l'harmonie de la vie de Jung autour du 4/4/44, romans tous deux situés en Crète, avec pour héroïnes des archéologues nommées Andrea et Dora.

  Après avoir rappelé cette coïncidence Andrea-Dora, j'ai lu un roman tout juste découvert, Mort imminente (1991) de Peter James, que j'aurais lu bien plus tôt si j'avais connu son existence car je suis passionné par les phénomènes OBE et NDE, l'expérience de mort imminente n'étant à mon avis qu'un cas particulier de "sortie du corps", laquelle peut être rapprochée d'états mieux étudiables, le rêve, les états de demi-sommeil, l'utilisation de substances psychotropes, la stimulation électrique de zones cérébrales...

  C'est un vaste sujet. L'essentiel me semble être que certains reviennent de ces expériences avec des informations qui n'ont pu être acquises de manière usuelle. Il y a aujourd'hui tant de témoignages qu'il semble difficile de nier la réalité du phénomène, surtout lorsqu'on a connu comme moi de telles expériences.
  Information... C'est un mot clé pour divers théoriciens du phénomène, Jacques Vallée, Philippe Guillemant, et précisément Régis Dutheil, dans l'article de Nouvelles Clés signalé dans le billet. La réalité des faits ne nous est accessible que par l'information, mais la synchronicité suggère que l'information peut créer les faits...

  Un personnage de Mort imminente, anesthésiste provoquant des arrêts cérébraux chez ses patients, pratique l'OBE à volonté, ce qui était aussi le cas du narrateur d'un roman découvert peu avant, Le jour où je suis mort de James Herbert (Nobody True), débuté, et abandonné. Je l'ai repris, pour redécouvrir que la femme du narrateur se prénomme Andrea, tandis que la médium de Mort imminente qui perçoit la dangerosité de l'anesthésiste se prénomme Dora.

  C'était un résumé d'une partie du billet du 2/2, auquel j'ai ajouté cette note:
Note du 7/2: Je suis en train de lire Mort... ou presque (2007) de Peter James. Chapitre 91, deux titres de romans d'une bibliothèque (meuble) sont précisés, Le rocher de Brighton de Graham Greene et Nobody True de James Herbert (le traducteur ne donne pas le titre français du roman de 2003, traduit en 2005). Chapitre 100, il est question d'une "expérience de mort imminente"...
  C'est la 3e enquête du flic récurrent de l'auteur, Roy Grace. Je l'ai lu agréablement, y déplorant cependant quelques ficelles des auteurs de thrillers pour allonger la sauce...
  Brian Bishop semble avoir assassiné sa femme et sa maîtresse. Malgré des preuves ADN certains éléments ne collent pas, et Grace en vient à soupçonner l'existence d'un jumeau. Oui, Bishop né sous X avait bien un jumeau, adopté par une autre famille, mais il est mort...
  Le mot de la fin est qu'il s'agissait de triplés. Belle idée, sauf qu'elle avait déjà été exploitée dans Le mot de la fin, d'Ellery Queen (1958), un roman d'une fascinante complexité.
  Le ressortant de mon rayon Queen, j'ai la surprise d'y trouver face à sa première page une citation du Bishop (évêque) Hall que j'avais trouvée je ne sais où, et notée là:
Nothing so much abates the courage of a Christian, as to call his brother, Adversary. (Rien ne diminue autant le courage d'un chrétien que d'appeler son frère Adversaire.)
  J'ignore donc totalement comment j'avais découvert cette citation, car je ne suis en rien féru d'apologie chrétienne. Je suppose que l'avais notée en partie à cause du nom Hall, car c'est le docteur Cornelius Hall qui accouche Claire Sebastian d'un garçon à Mount Kidron, et Claire meurt en mettant au monde un second bébé, que son père refuse de voir, car c'est l'assassin de sa femme, et il s'enfuit avec le premier garçon. On apprendra à la fin du roman qu'un troisième garçon était mort-né, et que le docteur Hall avait fait passer le second garçon pour son propre fils.
  Je l'avais notée aussi à cause du mot "Adversaire", car le roman suivant de Queen est L'Adversaire (1963), souvent commenté sur Quaternité. Les titres de ses chapitres se réfèrent au jeu d'échecs, et l'intrigue se déroule sur l'échiquier de York Square, aux quatre coins duquel s'élèvent des tours, et les différents personnages sont associés à des pièces du jeu. Si bishop est le nom usuel du "fou",  Queen a choisi une autre désignation, archer, pour nom d'un personnage.
  Je ne savais évidemment pas qu'une autre affaire de triplés concernerait un Bishop, et suis certain d'avoir noté cette citation avant 2007, avant l'écriture de Mort... ou presque.
  Je découvre aujourd'hui que Joseph Hall était évêque d'Exeter (l'évêché d'Exeter est célèbre chez les experts de Perec, cf Les revenentes).

  J'ai découvert il y a peu Mo Hayder, par la boîte de livres voyageurs d'Esparron, avec Rituel et Viscères. J'avais un a priori négatif envers elle, probablement parce que je confondais son premier roman, Birdman, avec un autre titre qui m'avait déplu. Toujours est-il que le 25 janvier, j'ai été voir ce qu'il y avait de HAYder à la médiathèque de Manosque, et c'est cette démarche qui m'a fait découvrir Mort imminente de Peter JAMes à proximité.
  J'ai donc emprunté le 25 janvier Tokyo et Les lames à Manosque, puis Proies et Pig Island à Gréoux, le même jour. J'ai lu les trois premiers pour le plaisir d'intrigues bien construites, sans rebond vers mes préoccupations synchronistiques, mais les choses ont changé avec Pig Island.
  Le journaliste Joe Oakesy enquête sur l'Eglise des ministres de la cure psychogénique, une secte qui refuse les soins de la médecine officielle, fondée par Malachi Dove, ensuite désavoué par ses disciples lorsqu'il s'est précipité à l'hôpital lors de l'accouchement problématique de sa femme.
  Oakesy a eu affaire à la secte 20 ans plus tôt, à Santa Fe, aux USA. Il a feint être atteint d'un cancer, la femme de Dove lui a enlevé à main nue la tumeur, dont il est parvenu à s'emparer. L'analyse a montré qu'il s'agissait d'un foie de porc en décomposition. L'article publié pour dénoncer les pratiques de la secte lui vaut un anathème de Malachi Dove, lequel lui annonce qu'il compte se tuer dans un avenir indéterminé, et qu'il associera ce jour le sort du journaliste au sien.

  Je m'arrête sur ce nom, Malachi Dove, qui est peut-être le nom "réel" du personnage. Malachi est un prénom usité chez les Anglo-Saxons, issu du prophète Malachie, dont le nom signifie "mon messager", "mon ange".
  J'ai étudié ici un roman de Laurie King, Hantises (1999), où Anne Waverly, professeur de théologie,  infiltre sous le nom Ana Wakefield la secte Change. Son leader Jonas Seraph est soupçonné de préparer un suicide plus ou moins collectif.
  Il est né Jonas Fairweather, et sa vocation messianique lui a fait adopter le nom Seraph, en hébreu nom d'un type d'ange, le séraphin, mais c'est aussi le "serpent brûlant" dont il a été question dans l'hypothèse d'une origine hébraïque du carré SATOR.
  Jonas est comme Malachie l'un des douze petits prophètes de l'Ancien Testament. C'est la grécisation de l'hébreu Iona (ou Yona), qui en tant que substantif signifie "colombe".
  Ainsi ce gourou suicidaire est un "colombe ange", tandis que Malachi Dove serait un "ange colombe", puisque c'est aussi le sens de l'anglais dove.

  Lorsque j'ai découvert ceci, je me suis souvenu avoir vu peu avant le mot Iona dans un roman. Je ne savais plus où, sinon que c'était dans un roman anglais, et GoogleBooks m'a permis de trouver que c'était dans Proies (2010), le premier que j'avais lu des Hayder empruntés le 25 janvier.
  C'est dès le chapitre 2, où Jack Caffery, le flic héros de plusieurs romans, vient visiter le pasteur Jonathan Bradley dont la fille Martha vient d'être enlevée. Le pasteur porte un sweatshirt bordeaux, avec le mot Iona brodé sous une harpe. Il existe le groupe de musique celtique Iona, et des T-shirts associés, comme celui ci-dessus. J'imagine que des modèles antérieurs avaient une harpe.

  Je reviendrai sur ce mot Iona qui m'est extrêmement significatif. La rencontre de ce gourou "ange colombe" m'a fait me renseigner sur Mo Hayder, pour apprendre qu'elle était morte en juillet dernier, à 59 ans.
  Son nom selon l'état civil était Clare Dunkel, ce qui m'a ébahi, car Clare est évidemment parent de "clair", tandis que l'allemand dunkel signifie "sombre", "obscur", et je connaissais un autre jeu "clair-obscur", précisément dans Le mot de la fin mentionné plus haut, où Claire Sebastian meurt en mettant au monde des triplés, à Mount Kidron; kidron signifie "obscurité" en hébreu. Un autre personnage du roman a un nom pouvant faire écho à cette antinomie, Samson Dark; samson signifie "solaire" en hébreu, et dark "obscur" en anglais.

  Le roman Hantises de Laurie King a pour titre original  A darker place.

  Cette page en anglais, The double life of Clare Dunkel, amène d'intéressantes précisions, encore que "double vie" soit une litote.
  Elle est née Clare Damaris Bastin à Londres le 2 janvier 1962, et a eu une vie agitée dans le swinging London, "défonce, sexe, et rock'n roll"... 
  Sous le nom Candy Davis, elle a participé à un sitcom et d'autres programmes télévisuels, et posé pour des revues...
  A 25 ans, elle est partie au Japon, où elle a galéré pendant 3 ans, mais cette expérience lui servira pour écrire Tokyo.
  Puis elle est allée étudier le cinéma à Los Angeles, et est revenue en 1995 en Angleterre, où elle a pris le nom "Clare Dunkel", j'imagine en toute connaissance de l'antinomie.
  Elle s'est donc consacrée à l'écriture de polars, publiés à partir de 2000 sous le pseudo Mo Hayder. Je constate que c'est l'anagramme de l'expression courante Oh, my dear, par exemple titre d'une comédie musicale de 1918, d'une chanson de 1972, d'un roman récent.
  Un nouvel avatar venait de voir le jour, avec un nouveau genre style SF, et un nouveau pseudo, Theo Clare, sous lequel vient de paraître un nouveau roman, The book of sand. Je constate que c'est l'anagramme de The oracle, notamment nom d'un personnage féminin de la saga Matrix.

  Je reviens à Pig Island, son 4e roman (2006). L'Eglise des ministres de la cure psychogénique refait parler d'elle, car elle s'est installée sur une petite île écossaise, Pig Island, et quelqu'un qui passait par là a pris une étrange photo, montrant un être d'apparence humaine, mais semblant pourvu d'une queue.
  Joe Oakesy n'avait de problème qu'avec Malachi Dove, rejeté par la secte, laquelle lui permet de venir enquêter sur place. Il a la surprise de découvrir que Malachi Dove habite aussi sur l'île, mais vit isolé depuis longtemps, barricadé dans un terrain surveillé par des caméras.
  En bref, Joe découvre que la créature entrevue sur la photo est la fille de Malachi, Angeline (ce qui semble montrer que Hayder savait que malach signifie "ange"), 18 ans, dont l'existence était inconnue.
  Angeline n'a connu que son père et sa mère, morte récemment. Elle a une particularité, car son embryon s'est fusionné avec un embryon jumeau dans l'utérus de sa mère, et elle est née avec une jambe supplémentaire, comme Franck Lentini. Cette jambe part de sa colonne vertébrale, et ressemble à une queue.
  Joe est fasciné par cette malformation. Angeline lui dit que son père est devenu fou, se livre à d'abominables expériences, et a de sombres projets.
  De fait, les 30 membres de la secte sont tués, dynamités dans leur église, et Malachi a disparu. Joe revient sur le continent avec Angeline, mais Malachi semble rôder autour d'eux, et la femme de Joe est torturée et assassinée...

  30 morts sur une île évoquent aisément L'île aux 30 cercueils, de Maurice Leblanc, un nom également antinomique ("maure" signifie "sombre"). Si l'auteur ne l'a pas choisi, il l'a utilisé, notamment dans ce roman gothique où le principal personnage de l'île est le druide Maguennoc ("blancheur" en breton), connaissant son secret, une pierre sombre au pouvoirs miraculeux.
  Je soupçonne Agatha Christie de s'être inspirée de cette île où personne ne survit, réalisant ainsi une ancienne prophétie, pour écrire ses Dix petits nègres, avec peut-être un indice de reconnaissance envers Leblanc: l'homme qui organise le séjour des personnes choisies sur l'île du Nègre se nomme Morris.
  Mais le "racialement korrekt" a opéré, d'abord aux USA où le titre est devenu And Then There Were None, sans altération du texte, et 80 ans après l'écriture de ce roman vendu à plus de cent millions d'exemplaires, il n'y a plus de nègres dans une nouvelle "traduction". Ils sont maintenant des soldats, après avoir été des Indiens dans diverses adaptations au cinéma.
 

  Pig Island est un polar, et il y a des retournements. Cette affaire de "queue", bien qu'il ne s'agisse finalement pas d'une vraie queue, m'éveille plusieurs échos.
  Le jour où j'ai emprunté Pig Island à Gréoux, j'y rendais un roman emprunté peu avant, Mortel sabbat, de Preston et Child (2015), une enquête de leur inspecteur Pendergast présent dans de nombreux romans. J'avais lu quelques mois plus tôt Credo, de Douglas Preston seul, qui m'avait beaucoup plu, et ai donc été tenté de lire un Pendergast.
  Hélas! l'inspecteur est horripilant, et son enquête ne m'a pas retenu, aussi j'ai vite abandonné. Toutefois, il faut traverser un parc pour accéder à la médiathèque de Gréoux, et j'ai mis à profit ces quelques minutes pour aller voir la fin du roman, et y découvrir que la créature terrorisant les habitants d'Exmouth (Massachusetts) avait une queue, comme un démon...
  Après la découverte de la "queue" d'Angeline, j'ai réemprunté Mortel sabbat, et n'ai encore pas réussi à suivre l'intrigue. Nous sommes dans la région de Salem, où subsiste depuis des siècles une communauté pratiquant la sorcellerie. Une famille de cette communauté est dotée de gènes permettant les naissances épisodiques d'êtres pourvus d'une queue, les Morax, sacrifiés pour amadouer le Diable, mais le dernier Morax a échappé à tout contrôle...

  En 2019, j'ai parlé dans ce billet de La prophétie des papes, de Glenn Cooper (2013), essentiellement pour une formidable coïncidence numérique, que je laisse de côté ici.
  Cette prophétie est la fameuse prophétie de Malachie... Cooper imagine l'évolution à côté des humains "normaux" de Lémures, humains maléfiques pourvus d'une queue, et Saint Malachie était l'un d'entre eux. Sa prophétie couvrant 112 papes s'achève à notre époque, et un complot ourdi de longue date vise à faire élire un pape Lémure...

   Je ne me souviens d'aucune autre fiction "réaliste" où des humains sont caudés, et ici l'un d'eux est l'auteur présumé de la prophétie des papes, Malachie, sans lien immédiat avec le Malachi(e) de Hayder, père d'une créature pourvue d'un appendice monstrueux. Mais ma mémoire est faiblarde, je le sais.

  L'intrigue de La prophétie des papes utilise une version alternative du Docteur Faust de Marlowe, contenant un message caché:
MALACHY IS KING, HAIL LEMURES (Malachie est roi, salut aux Lémures)
  Retrouver ce message dans le contexte du Malachi Dove de Hayder et du Jonas Seraph de King me rappelle qu'il y a une forte ressemblance en hébreu entre les mots "roi", MLK (מלך), melekh, et "messager", "ange", MLAK (מלאך), melakh.
  J'ai consacré trois billets successif à ce rapport "roi-ange",
Jour des rois,
J'm'en calisse,
Cassiel, Maleldil, Nathaniel,
mais ce nouveau cas provoque un dessillement, et je n'avais pas pensé à cette ressemblance pour le "Malachie est roi" de Glenn Cooper, ni pour l'ange Seraph de Laurie King.

  Et c'est un Régis (Dutheil) qui a démarré ces échos en cascade, Régis venant du latin rego, "diriger", et plus loin de l’indo-européen commun *reĝ-, "droit, juste, roi".

  Je tenterai dans le billet suivant de récapituler les histoires d'anges, colombes, rois, et autres.

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