8.2.24

une étoile aînée

à Yosef & Oren

  Un récent billet m'a conduit au site Torah Numerology se proposant de démontrer que le premier verset de la Tora, Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, est un miracle qui ne peut qu'avoir été conçu par Dieu...

  Un petit problème est que Yosef Sebag, comme Oren Evron, les deux principaux auteurs du site, sont des Juifs traditionalistes, pour lesquels la Tora est l'oeuvre de Dieu, dictée par lui à Moïse il y a plus de 3000 ans, et ils ne font que corroborer cette croyance par leurs trouvailles.
  Or la grande majorité de ceux qui s'intéressent à la question, y compris la majorité des pratiquants du judaïsme, admettent les conclusions des études bibliques, à savoir que la Tora n'est pas un document mosaïque, mais une mosaïque de documents, issus de diverses époques et de divers rédacteurs, mêlés sans grand souci de cohérence.
  Le récit biblique de la création a été jugé écrit lors de l'exil en Assyrie, c'est une refonte monothéiste des mythes mésopotamiens.
  Par ailleurs, il apparaît que les hébreux n'ont adopté l'alphabet numéral, d'où découle la gématrie, qu'après la fixation à peu près définitive du canon biblique, ainsi il est difficile d'imputer toute relation de cet ordre au génie des rédacteurs bibliques...

  Je n'y insiste pas, il y a toute une littérature sur ces questions. Les sceptiques peuvent s'en contenter pour décréter que toutes les analyses gématriques n'ont aucun fondement et donc aucun intérêt. D'autres en revanche peuvent avancer que l'omnipotence divine a influé les rédacteurs pour leur faire écrire des textes qui ne révèleraient leur complexité qu'en notre ère numérique...

  Pour ma part, je suis fasciné par l'ingéniosité déployée par certains exégètes, sans me laisser séduire par ce qu'ils en déduisent.
  D'autres ont fait des découvertes sur le premier verset du Coran, en arabe, d'autres sur celui de l'Evangile de Jean, en grec, d'autres sur des textes profanes... C'est un fait que, si on étudie une série de nombres sous toutes les coutures, il peut dans quelques cas apparaître certaines relations entre eux, et il suffit ensuite de ne présenter que ces cas pour monter un dossier quelque peu convaincant.
  Il y a plus que cela dans Gn 1,1, où des relations immédiates apparaissent dès la première approche, 7 mots et 28 lettres, 28 triangulaire de 7.
  La valeur des 7 mots est 2701, triangulaire de 73, et 2701 est un semi-premier, produit des deux nombres premiers 37 et 73. Il a été vu depuis longtemps que 37 et 73 sont des nombres "étoilés", correspondant à des étoiles de David, et Vernon Jenkins proposait il y a plus de 20 ans cette Star of stars, Etoile d'étoiles, formée de 2701 points (73 étoiles de 37 points).

  Le site Torah Numerology propose une vingtaine de pages assez touffues. Il y aurait quelques précisions à apporter dans plusieurs cas, montrant que, pour de simples raisons arithmétiques, certaines relations ne sont pas aussi prodigieuses qu'il l'est avancé.
  Je ne vais m'intéresser ici qu'à la page Beyond Decimal, "au-delà du système décimal". Il est encore connu depuis longtemps que, si on ajoute à 2701 son renversement 1072, la somme est 3773 (alors que 2701=37.73).
  C'est évidemment quelque chose qui dépend de la base où sont représentés les nombres, ici 10. Yosef Sebag dit avoir cherché parmi les 8 premiers millions de nombres premiers si d'autres couples offraient la même propriété dans les bases de 2 à 36 (les plus faciles à représenter en utilisant les lettres A à Z comme chiffres de 10 à 35), et n'a trouvé que 4 autres cas. Il en écarte 2 en introduisant la propriété du couple 37-73 que 73=2x37-1, et il reste:
- en base 7: 257 et 527 dont le produit est 20237, qui additionné à 32027, donne 52257;
- en base 28: 9J28 et J928 dont le produit est 6J0328, qui additionné à 30J628, donne 9JJ928.
  En base 10, ces opérations deviennent:
- 257 x 527 = 20237, soit 19 x 37 = 703;
- 9J28 x J928 = 6J0328, soit 271 x 541 = 146611.
  Selon Yosef, ces résultats sont merveilleux, car les bases 7 et 28 correspondent aux 7 mots et 28 lettres de Gn 1,1. Par ailleurs 37 est comme 73 un nombre étoilé, et 703, triangle de 37, est la valeur des deux derniers mots de Gn 1,1, en 7 lettres.
  Enfin 541 est aussi un nombre étoilé, et c'est la valeur de l'hébreu Israël, dont un symbole historique est précisément l'étoile à 6 branches.
 

  En poursuivant son investigation dans les bases supérieures, Yosef trouve d'autres couples de nombres premiers, d'abord en bases 70 et 73, et à chaque fois le plus grand nombre est à nouveau étoilé... Il suggère que nous touchons ici à la sagesse divine qui dépasse de loin nos pauvres possibilités humaines...
  De telles assertions me hérissent, et j'ai décidé d'étudier plus avant cette étrange propriété, mais en prenant pour premier critère les nombres triangulaires et non les nombres premiers. Réfléchissant au programme qu'il me faudrait écrire, je me suis vite aperçu que c'était extrêmement simple, car, pour que les chiffres X et Y dans une certaine base puissent former les nombres XY et YX tels que YX soit égal à 2 fois XY - 1, il faut et il suffit que
Y = 2X+1, et que la base soit X+Y (ou 3X+1).
  Il n'y a plus qu'à regarder ce qui se passe pour la somme du produit XY.YX en base X+Y et de son renversement, et voici ce que j'ai trouvé. Les 5 premières colonnes de ce tableau donnent en base décimale les chiffres X, Y, les nombres XY et YX, la base X+Y; la dernière colonne donne la somme du produit XY.YX et de son renversement en base X+Y.
 

  Quelques constatations:
- La colonne YX correspond exactement à la suite des nombres étoilés, le "miracle" suggéré par Yosef est tout simplement arithmétique;
- La colonne XY correspond non moins exactement à la suite des nombres hexagonaux centrés;
- La dernière colonne montre une curieuse récurrence ternaire, 10000-YXXY-XYYX; il est aisé de démontrer que c'est absolument normal, sans nul besoin d'intervention de YHWH ou de la Trinité.

  Quelques remarques:
- Les deux suites de nombres figurés débutent par le trivial 1, ce qui correspondrait à X=0 et Y=1; il n'y a pas de base 1 selon la numération de position usuelle, mais il s'agit d'une convention, et on peut aisément imaginer une numération en base 1, correspondant au compte primitif en bâtons.
- Dans une base quelconque X+Y, la somme YXXY+XYYX est 10000 (mais X et Y sont différents dans chaque ligne du tableau).

  Il me semble fort improbable que Yosef ou Oren n'ait pas découvert ce schéma, d'ailleurs Yosef a trouvé quelques autres cas au-delà de la base 73, et remarque que chaque fois YX est un nombre étoilé (après avoir pris contact avec lui, il admet n'avoir pas vu la loi générale).
  Pourtant considérer les cas où XY et YX ne sont pas tous deux premiers pourrait amener d'autres éléments étayant la thèse de la particularité de Gn 1,1. Ainsi Vernon Jenkins note que les sommes des valeurs de ses mots impairs et pairs sont 10x169 et 3x337, 169 étant le nombre hexagonal d'ordre 8, 337 le nombre étoilé de même ordre, ce qui permet cette construction ternaire en 2701 points:
 

  Parmi le type de commentaires donnés sur le site de Yosef, on pourrait trouver que la valeur moyenne des mots pairs du verset est le nombre étoilé 337, formé des chiffres clés 3 et 7.
  Il pourrait encore être souligné qu'aux nombres hexagonal et étoilé au 4e rang, 37 et 73, correspondent au 12e rang 397 et 793.
  On trouve ensuite au 37e rang (!) 3997 et 7993, mais ça s'arrête là (ici les 1000 premiers nombres étoilés).

  Aussi, si X=3 et Y=7 mènent à XY=37, YX=73, et à la somme 3773 du produit 2701 et de son renversement, 3773 qui se lit aussi XYYX, il se trouve qu'en bases 37 et 73 les mêmes opérations conduisent également à XYYX.

  Question 3 et 7, 3+7=10 et 3x7=21 constituent les X et Y de la 7e ligne du tableau, conduisant pour XY et YX aux nombres premiers 331 et 661, mais la dernière opération donne 10000 en base 31.
  Or 661 est bien sûr un nombre étoilé, et la valeur du nom Esther, l'héroïne du livre éponyme, avec son tuteur Mardochée. Il est évident que ces noms Mardochée et Esther sont liés aux dieux mésopotamiens Mardouk et Ishtar, Ishtar qui est l'étoile ou l'astre Vénus, et ces mots "étoile" comme "astre" sont apparentés à Ishtar (Astarté ailleurs).
  Ceci a été vu par phrère Sam, et j'y ajoute que la fleur "aster" est en hébreu moderne אסתר, les mêmes lettres écrivant "Esther".

  Sam note que 661 est aussi la valeur de שושנה, shoshana, "lis", fleur importante dans la Bible (Cantique des cantiques notamment); il est envisagé un rapport entre ses 6 pétales et l'Etoile de David.
  Le nom de la fleur est probablement lié à שש, shesh, "six" en hébreu.

  Voici donc ce qu'il en est des rapports de Gn 1,1 avec les nombres étoilés. Je trouve ça merveilleux, mais il me semble nécessaire de relativiser en mettant en rapport avec de nombreux autres dossiers vertigineux, sans contenu religieux.
  Les 28 lettres et 7 mots du verset me rappellent ainsi la mort de Bach un 28/7, avec de multiples coïncidences associées dont, acquisition récente, la transcription hébraïque de son nom, de valeur 287.

  Je ne m'étais jamais particulièrement penché sur les nombres étoilés, et ce billet m'a fait prendre conscience que 121 en faisait partie, 121 carré de 11 magnifié par les hétérogrammes de Perec dans Alphabets. Le billet précédent m'y avait fait penser, avec la Tour et la Force arcanes 16 et 11 du tarot, et il y a 16 séries de 11 onzains dans le recueil.
  J'ai examiné assez rapidement les onzains. Les lettres correspondant aux pointes de l'étoile sont faciles à repérer, positions 1-11-23, idem à partir de la fin. Près de 50 onzains permettent de former des mots de 6 lettres, ou de 7 en incluant le centre. Ce qui m'a le plus marqué est le onzain 30, dont les 6 sommets forment SERIEL; Perec indique en 4e de couv' que son procédé est analogue à la musique sérielle. J'ai imaginé en 2005 une forme poétique hétérogramme en 351 lettres (351 somme des lettres de l'alphabet); pour une raison assez impérieuse, le seul poème ainsi composé avait pour titre LASSO SERIEL (le onzain 30 débute par Lao-Tseu).
  Le onzain 35 contient les mots "Stardust" (un standard de jazz) et "étoiles". La représentation en étoile fait apparaître, en sautant une ligne, STAR D'ETOILES (la star of stars ou étoile d'étoiles vue plus haut).
  Le jour où j'ai vu ceci (2 février), quelqu'un nommé Lestoille me commandait un livre.

  En 2006, Jérémie Piscicelli partagea sa contrainte de l'astérie sur la liste Oulipo. Elle utilise une étoile de 37 lettres, avec en principe un mot de 7 lettres s'y lisant par deux fois. Il posta de nombreuses astéries sur la liste, avec diverses variantes, comme cet enchaînement de trois astéries sur un thème jungien, Toi l'enfant intérieur. La formule se répartit en TOILENF - FANTINT - TERIEUR. Le texte en est

Tiens, offre-toi l’idéal
Né de la naïveté,
Joue, flâne, et, amical enfant du limon,
Insufflant ta lueur,
Ose, tel grandi,
Te renouer et te bénir.


  On peut voir sur zazipo d'autres de ses créations
  D'autres oulipotes ont suivi, pas toujours en suivant les mêmes règles.

  Je m'y étais essayé pour la BLO13, laquelle devait être remise à Jacques Perry-Salkow lors de la manifestation Retour de Babel, aussi j'avais opté pour une mise en avant des lettres BABEL, pensant aussi à l'étoile de Babel qui m'obsédait alors.  L'astérie palindrome était inspirée par L'étrange monsieur Bedloe de Poe, et je note aujourd'hui que le nombre étoilé 37 mène au palindrome 5225 en base 7. En partie à cause des diagonales isogrammes de certains onzains d'Alphabets, 3 d'entre eux ont les mêmes lettres en palindrome pour les sommets des deux triangles (106, 108, et 134).
  Jacques habitait un immeuble nommé L'Etoile Bleue, à Tours, et j'avais utilisé d'autres lettres clés, les 12 intersections des 6 segments de l'étoile de David, pour faire ressortir L'ETOILE BLEUE dans divers poèmes:
  Jérémie contribuait aussi à cette BLO13, comme à d'autres BLOs (dont la mienne, la BLO15).

  J'ai souhaité composer un hétérogramme de 121 lettres qui serait aussi une astérie, ce que j'ai évidemment baptisé astérogramme.
  Pour la première fois, j'ai utilisé le schéma de placement des lettres de Jérémie pour inscrire deux fois ASTERIE dans mon poème, mais l'excellent Alexandre Carret a répondu par un astérogramme qui me semble bien supérieur, et que voici:
 

  La formule à lire 2 fois en étoile est ici LIRE MOT (ETOILeR M?, ou M'ETOILeR, puisque je suis concerné). La série hétérogramme est AEIOU LMRSTV, et le texte en clair est
Rémi vous l'a trouvé,
Mit là, sous l'art.
Vîmes ta rime voulue à mort,
Vils volumes taris :
- mort, - vie (l'autre mal) ou - vista.
Ô muse, vrillâmes (Roi, tu vivotes) l'arum.
  Vu le thème funèbre, cet arum est probablement l'arum black star...

  J'ai vite vu que le 7e nombre étoilé est 253, un nombre triangulaire également utilisé par Perec, dans sa construction
253 = 121 + 121 + 11,
ainsi un astérogramme de 253 lettres pourrait se décomposer en deux astérogrammes de 121 lettres, précédés d'un titre en 11 lettres. Il m'a semblé que DEUX ONZAINS ferait un titre idéal, et il restait à trouver un sujet.
  Je me suis souvenu, grâce à Perec qui a utilisé dans un chapitre de La Vie mode d'emploi les nombres 253 et 413, que 253 est la valeur de 666 écrit en toutes lettres, alors que la dernière phrase du verset 13,18 de l'Apocalypse, dans la traduction de Louis Segond est:
Car c'est un nombre d'homme, et son nombre est (=413)
six cent soixante-six. (=253)
avec 413+253 = 666.

  3 astéries avec chacune 6 pointes, ça me semblait imposer de composer une formule avec ces 6-6-6 pointes, et je suis arrivé à LOUONS SEC NOS DEMONS. Voici le résultat:
 

  Les deux onzains utilisent les séries hétérogrammes AEIOULNRST +C et +M. Le texte se lit
                       DEUX ONZAINS
Ecrit là :
Nous écartions Luc (là rite),
nous crions "Autel saint, reculons ! Au ciel, tort !"
Seul Caïn, roi, lut sa corne en roc,
il tua son écart, l'usine à truc, silo.
La mitre, nous la tuerions, mon ami, sur le timoré nul...
Satan, ultime sort en or, simulateur malin !
Oser l'animus !
Tout rima selon mutin à résolu nil,
Maestro !
  Les formules en 6 lettres se lisent circulairement, dans le sens des aiguilles d'une montre, j'avais d'abord prévu quelque chose de valeur 216 (6.6.6), mais des conflits m'ont conduit à modifier en cours de route pour arriver à
LOUONS SEC NOS DEMONS = 241,
nombre ne m'évoquant rien jusqu'à ce que je vois que
DEUX CENT QUARANTE-ET-UN = 253,
nombre de lettres de l'astérie et valeur de SIX CENT SOIXANTE-SIX.

  Pour revenir à l'hébreu, avec l'article agglutiné au substantif, "l'aster" et "le lis" sont des mots de valeur 666 (האסתר et השושנה).

  La valeur des 253 lettres est 3276, un nombre qui m'a conforté dans l'idée d'utiliser des onzains en C et M, car 3276 est le 26e nombre tétraédrique, ou somme des 26 premiers triangles. Perec a magnifié le triangle de 26 dans Alphabets.
  Les triangulaires ont été utilisés par les anciens gématres, et notamment la somme 2300 pour les 23 lettres de l'alphabet latin par un certain Michael qui a composé au 16e siècle 316 vers de valeur 2300...
  J'avais essayé de faire de même avec la somme 3276 pour 26 lettres, voir ici.

Note du 10/2: Reprenant l'étoile "star d'étoiles" composée à partir du onzain 35, j'y remarque que l'astérie intérieure, telle qu'utilisée par Jérémie Piscicelli, est formée des triangles SAT ORN.
  J'ai été amené dans le billet Saturnale au mot Satorn, ancienne forme de Saturne, un astre donc...
  J'étais arrivé à ce mot à partir des onzains en F d'Alphabets, le n° 46 essentiellement, et le premier onzain auquel j'ai pensé lorsque j'ai réalisé que 121 est un nombre étoilé était le n° 45, en F également, où il est question de la "trionfale Tora".
  Pour les tenants et aboutissants de ce "satorn", se reporter au billet cité.

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