14.10.22

deux poèmes glorifiant un et deux

à Perec & Pingala

  Le précédent billet m'a conduit à la suite additive Alphabet, que l'OEIS identifie comme A022388:
6-13-19-32-51-83-134-217-351-...
  Je l'ai baptisée ainsi parce que la somme des rangs des 26 lettres de notre alphabet est 351, et que Perec a séparé ces lettres en deux groupes pour son recueil Alphabets:
ESARTINULO = 134, les 10 lettres les plus fréquentes en français, utilisées dans chaque poème;
BCDFGHJKMPQ VWXYZ = 217, les 16 autres lettres, chacune étant utilisée pour une suite de 11 poèmes composés avec cette lettre et les 10 précédentes.
  Le partage des 10 lettres en voyelles et consonnes livre
AEIOU = 51, et
LNRST = 83, à nouveau des nombres de la suite Alphabet...

  Je ne crois pas que ceci ait été intentionnel, mais mon étude du recueil met en évidence d'autres relations mettant en oeuvre les suites additives, toujours sans qu'il soit possible d'y prouver des intentions, mais suscitant le questionnement.
  J'y reviendrai.

  Pour l'heure, le précédent billet m'a conduit à la suite Alphabet sur l'OEIS, où elle est identifiée comme A022388. Un contributeur y remarque que le terme n+1 de la suite correspond au nombre de façons de remplir la figure en t ci-contre avec des carrés et des dominos (ou doubles carrés).

  Il m'a paru intéressant de partir de n = 3, et de composer un poème de 32 octosyllabes où carrés et dominos seraient figurés par mono- et dis-syllabes.
  L'idée s'est trouvée confortée quand je me suis avisé qu'en Morse le mot "alphabets" se code
(.- .-.. .--. .... .- -... . - ...)
dont le découpage avec point=1, trait=2, correspond à 32 syllabes, autorisant un découpage en 4 octosyllabes.
 
  Il va de soi que mon poème va parler d’Alphabets. Je savais que Gef avait développé des programmes pour utiliser le Morse dans des créations poétiques, comme celles-ci, et sitôt la demande formulée, il a pu me fournir une liste de 5329 mots codant un quatrain d'octosyllabes...
  Cette liste utilise une particularité hexagonale, "é" y est codé par "..-.." (et "è" par ".-..-").
  Peut-être 8 de ces mots couvriraient-ils l'ensemble des 32 combinaisons nécessaires, mais, outre que je n'ai plus l'esprit assez affûté pour en programmer la recherche, je doute qu'une quelconque série fournisse un sens satisfaisant.
  Aussi j'ai choisi assez rapidement 3 mots dans la liste de Gef, que j'ai complétés par une formule de mon cru, où figure Perec:

disparité (-.. .. ... .--. .- .-. .. - ..-..)
totalisante (- --- - .- .-.. .. ... .- -. - .)
tabouisée (- .- -... --- ..- .. ... ..-.. .)
si Perec est E.T. (... .. .--. . .-. . -.-. . ... - . -)

  Mon poème commencerait par le quatrain "alphabets", puis viendrait 3 quatrains formés avec les autres combinaisons, puis les 4 quatrains codant pour "disparité totalisante tabouisée si Perec est E.T."
  Cette disparité 1-3-4 peut évoquer le nombre 134, valeur de la série de 10 lettres présente dans chacun des 1936 "vers" du recueil, et mon étude accorde aussi une certaine importance à la séquence 1-3-4.

  Je peux maintenant donner le poème. Je ferai ensuite quelques commentaires, mais, puisque le cas se présente tout de suite, je signale qu'en hébreu les lettres aleph beth forment le mot אב, av, signifiant "père" (et la lettre suivante, gimel, a donné notre C).

Dans l’aleph beth hébreu ces lettres
se lisent PERE. C’est donc l’être
du nom de PEREC, poilu pitre,
qui fit un recueil de ce titre.

En ce livre des plus curieux,
chaque lettre trouve sa place
dans onze carrés, ardu jeu
dont jamais le gars ne se lasse.

Pour une lettre en onze onzains,
une onzine y devient torture,
colonne et rangée, et s’y joint
la lecture oblique en gageure.

Quelle suite fut vue en Inde
comme propre à l’écrit nouveau ?
celle où vingt six lettres se scindent
en seize et dix, doubles Fibos.

Sachant que cinq et cinq font dix,
pour un calcul faisons ce choix :
voyelle ou consonne et on lit
cinquante et un quatre vingt trois.

Entre telles valeurs codées,
l’expert y décèle un rapport
bien plus sûr que vingt coups de dés :
ici paraît le nombre d’or.

Ainsi ce nombre, prisé fort,
dans le recueil surgit partout :
le plus fréquent des mots est « or »,
par ses deux ratios, Un et Tout.

De plus il nous mène en Egypte,
Khéops dont l'angle aux dieux s’encrypte…
la question m’est souvent au cœur :
est-ce que Perec vint d’ailleurs?


  Le 3e quatrain fait allusion aux 11 poèmes de la suite en C, où, outre la contrainte hétérogrammatique du recueil, la dernière colonne de chaque poème décline en onzine la formule L'USINE A TROC, et où 2 des poèmes offrent des diagonales isogrammes (O rutilances et Tu ris la noce).

   J'y fais aussi allusion au onzain 160, où figure "sa torture l'onzain".

  Le 4e quatrain rappelle que la suite de Fibonacci était connue avant notre ère par les poètes d'Inde, précisément pour les découpages de vers en mono- et dis-syllabes.
   Le partage par Perec de l'alphabet en 10 et 16 lettres correspond aux doubles des nombres de Fibonacci 5 et 8. Je rappelle que Perec a envisagé une contrainte utilisant ces doubles pour l'épithalame en beaux présents composée pour ses amis Kmar et Nour, avec les nombres 68 et 110 pour les 2 dernières strophes, correspondant précisément aux valeurs des lettres différentes des noms des mariés :
- MREND+KAB = 68
- MREND+OUICH = 110 sur

   Le 5e quatrain "disparité" m'a permis d'introduire les nombres 51 et 83, écrits sans traits d'union à la manière de Ricardou dans ses textes symétricologiques (de toute façon l'Académie voit 3 mots dans "cinquante-et-un").

   Les "ratios" du 7e quatrain font allusion au fait que le rapport pondéré des occurrences du mot "or(s)" est 34/55, très proche de 0,618, le nombre d'or, ce qui m'émerveille, d'autant plus que ce n'est encore probablement pas intentionnel.

  L'Egypte du 8e quatrain rappelle que 51-83 n'est pas seulement le partage doré de 134 en deux entiers, c'est aussi l'angle d'or 51,83° (dont le cosinus est 0,618). Certains voient la pyramide de Khéops construite selon un triangle d'or, mais il semble plus probable que ses architectes aient choisi une hauteur de 280 coudées et une demi-base de 220 coudées, l'angle réel étant alors plutôt 51,84°.
   Un onzain mentionne Louqsor (et l'or):
L'astre qui n'a sort lésant
L'or qui trinque
(sa Louqsor latine)
qui trône, las...
  Voici maintenant le découpage syllabique des 8 quatrains:

121211  122,111  1112,21  1112111

112112  22211  122,21  1211111
121112  12122  212,111  12212
221111  21122  1111211  111122

2111111  112211  212111  211211
2222  21212  11111111  22121 (22112)
212,21  11222 1121111  1112,111
1111112  211112 (211121) 121211 (122111) 111212

  Ces combinaison sont obtenues en adoptant le sens normal de lecture sur la figure en t, de haut en bas et de gauche à droite. Il y aurait ambiguïté lorsque un domino (ou 2) tombe au rang 4, levée par une ponctuation lorsque le domino est vertical (après ses 2 syllabes).

  Plusieurs problèmes sont survenus en cours de réalisation. J'aurais pu retravailler l'ensemble du poème pour les résoudre, mais je me suis dit que, tant qu'à faire d'imiter Perec, je pouvais m'accorder aussi quelques clinamens ou erreurs, ainsi il y a plusieurs écarts à la règle dans Alphabets, comme dans ce onzain 26 où il y a 2 L en ligne 5.

  Le premier problème est au 6e quatrain, où je me suis aperçu, après son écriture, que la combinaison 22121 ne faisait pas partie de celles autorisées (il est impossible qu'une combinaison se termine par 121, selon ma convention). J'ai choisi de respecter le Morse, et supprimé une combinaison proche (22112) de la liste.

  Même problème pour le dernier quatrain, avec la combinaison 211121, employée pour coder PER(EC), et il ne semblait pas y avoir moyen de le caser autrement.
  Comme j'étais satisfait d'avoir fait écho par le dernier vers (est-ce que Perec vint d’ailleurs?) au déchiffrement Morse du quatrain (si Perec est E.T.), j'ai fait une entorse au Morse en remplaçant cette combinaison par celle autorisée 211112.
  Cette décision est associée à la suivante, où la combinaison 121211 codant pour (PER)EC avait déjà été utilisée pour coder AL de "alphabets". Il n'était pas question d'y revenir, aussi j'ai décidé de privilégier le Morse en répétant 121211, et en supprimant la combinaison proche (122111) de la liste.

  J'en viens à l'approche numérique, en soulignant d'abord que alpha beta comme aleph beth sont les deux premières lettres des alphabets grec et hébreu. Les Grecs et les Hébreux ont en outre utilisé ces lettres comme nombres 1 et 2 dans leurs systèmes de numération.
  Au niveau Morse, la première lettre codée est "a", soit ".-" ou "12". Les dernières lettres codées sont "E T", soit ". -" ou "1 2".

   La contrainte de départ mène à 66 dissyllabes et 124 monosyllabes, soit en tout 190 mots, mais il y a aussi 11 mots de 0 syllabes, menant au total 201.
  A partir de la première mouture, quelques petites modifications m'ont conduit à un total de 809 lettres de valeur 10002 (8 et 9 sont d'actualité depuis le 8/9 dernier, et .809 est la moitié du nombre d'or 1.618, alors que les jumeaux 0,809 des Silences de Dieu de Sinoué ont joué un rôle dans ma découverte du 8/9/2008).

  Si les quatrains 2 à 4 ont été composés sans se préoccuper du Morse, il n'est pas interdit d'y revenir après coup, ainsi les 4 octosyllabes du 2e quatrain peuvent par exemple se lire:
- 1 12 112, "eau";
- 22 211, "MD", pouvant évoquer OTTO (8!) APFELSTAHL M.D. dans W;
- 12 22 1, "AME", sans commentaire...
- 121 1 111, "res" la chose latine...
  Morse, où est ta victoire?
 

note du 15/10: le mot "tabouisée" a évoqué à çoeur dp, née comme moi en 1950, Geneviève Tabouis, journaliste dont nous écoutions jadis en famille les Dernières nouvelles de demain, et sa célèbre formule Attendez-vous à savoir, ce qui m'avait fait intituler une page de mon site Nathan-dez vous à savoir. Je viens de la remettre en ligne, car elle était inaccessible depuis la fermeture du site.
Mon billet précédent, consacré à un roman où une tour était détruite par un attentat, m'avait conduit à citer cette page en lien avec la mort de Bruno Latour, que Tobie Nathan faisait tuer en 1995 par un assassin, attal en égyptien, ce qui pouvait être une prémonition de l'attentat d'Atta contre les Twin Towers, or dans un roman de Nathan postérieur au 11 septembre sont codées les lettres ATTA pour un motif explicite qui m'a paru fragile. La page Wikipédia Tabouis m'apprend que Léon Daudet l'avait surnommée Madame Tata la voyante, TATA anagramme de ATTA.
Il est plutôt tabouisé que Tabouis était payée par Moscou pour orienter ses chroniques de façon favorable à l'URSS.

  Il se trouve que, il y a peu, le 4 octobre, j'ai composé un autre poème basé sur les décompositions du vers en mono- et dis-syllabes, à la fois proche de Perec, puisque ses vers étaient tous anagrammes d'une série de 21 lettres, et de Pingala et des poètes indiens, puisqu'il était basé sur les décompositions du vers de n syllabes, égales au nombre de Fibonacci n+1.

  Le récent billet sur les 89 chapitres de Werber, où il est beaucoup question de parité, blanc-noir, un-deux, m'a conduit à (re)calculer
UN + DEUX = 35 + 54 = 89,
or il m'est important qu'en latin, selon l'alphabet latin,
UNUS + DUO = 71 + 38 = 109,
et la confrontation des deux relations a été un choc immédiat, car 89 et 109 sont, dans le système décimal, les dénominateurs des fractions équivalentes à la somme à l'infini de tous les termes des séries additives pondérés par les puissances de 10.
  J'explique cela ici. Le premier cas ne pose pas de problème, mais le second semble paradoxal, car il conduit à constater, par exemple avec la suite de Fibonacci :
  L'éternité c'est long, surtout vers la fin, disait Woody, mais ici ce serait plutôt vers le milieu, car la relation implique que la fraction, au nombre infini de chiffres, se termine par les chiffres 211 (et en fait par autant de chiffres déterminés qu'on souhaite, puisque cette infinité répète une période de 108 chiffres)... Autrement dit, cet infini est multiple de 108...

  Bref, le dessillement un-deux-89-109 m'a rappelé que j'avais écrit en 2018 un poème en 21 heptasyllabes épuisant les 21 décompositions correspondantes, inspiré par le fait que la contrainte mène à 71 monosyllabes et 38 dissyllabes, valeurs latines de UNUS et DUO.
  La somme fibonaccienne 89 pour UN-DEUX m'a donné envie de réitérer l'exercice, avec des contraintes additionnelles:
- chaque tercet énoncerait les nombres un-deux-trois;
- les vers seraient tous anagrammes de la série de 21 lettres
eeeeaaiiou dllnnrssttx = 252 = 21 x 12, comportant 12 lettres différentes.

Voici le résultat:
Un, la noix sait, le dé stère,
deux tétins, élan solaire
en aidant le sexuel trois.

un sol extra te sied, laine,
deux, net or, la liste saine,
diesel texan, l’aune trois.

un, toxine, et l'air de lasse,
rotin allié, deux entasse,
axe le duel saint en trois.

détails, on râle, un existe,
deux ailes, le non artiste
dénua le latex sien, trois.

Un, loi sans l'aire de texte,
le duo traine l'anis sexte,
le Sénat l'indexe au trois.

or un détient les axiales,
a-t-il deux reines tonales ?
anal, le sexe enduit trois.

lieder, talions, un, extase,
tension, deux élit, l’arase,
Eden s'exalte au Nil, trois.
  Le poème de 2018 offrait un sens bien plus suivi, mais j'ai au moins démontré que le projet peut aboutir.
  Sans doute de plus doués ou plus patients feraient mieux, et ceci vaut également pour le poème précédent, aussi, pour faciliter l'émulation, voici la liste des 32 combinaisons d'octosyllabes:

11111111 1111211
22112 2222
221111 22211
211112 21122
212,111 212,21
112112 11222
121112 12122
122,21 122,111
2111111 211211
1211111 121211
1121111 112211
1112,21 1112,111
1111112 111122

1112111
21212
12212
212111
122111
111212
 

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