18.10.18

Ricardou, Schulz, Turing...


Chapitre 17: QUE D'OR! ANNEE DE LA FOI
  Rien de ce chapitre n'était prévu dans le projet de 1998. Le jeu N-LOVE N-AMOR, magnifié par les nouveaux ambigrammes, m'a fait ressentir la nécessité d'un personnage N. Amor pour faire pendant au N. Love du chapitre 14. Je ne lui ai pas trouvé d'autre prénom que Nolven, d'où la nécessité d'une idylle celto-ibérique... Il y a eu un film philippin de cape et d'épée intitulé Conde de Amor.
  Je l'ai d'abord vu uniquement comme un alchimiste, et me suis souvenu d'un texte marquant de Canseliet, où il conte une étrange expérience alchimique pendant laquelle les phases du Grand Oeuvre sont ponctuées par les notes de la gamme sorties d'on ne sait où. Sans me sentir tenu d'y croire, j'avais été troublé par ce texte (dans L'Alchimie expliquée sur ses textes classiques).

  Donc j'ai voulu voir mon Amor alchimiste tenter une expérience de ce genre, non pour fabriquer la pierre philosophale, mais pour se transformer lui-même (comme un ancien dieu, disait Hugo). Et bien sûr, ça foirerait.
  Il fallait une raison pour que l'expérience se déroule précisément le 3 juin 1908, le jour programmé de la mort de Nolven. J'ai pensé au nombre d'or, et cherché s'il s'était passé quelque chose de marquant vers la fin 1179, au moment de l'ère chrétienne en rapport d'or avec le 3 juin 1908. J'ai aussitôt remarqué la Bataille du gué de Jacob, qui m'a frappé car ma page récente consacrée au nombre 171 m'avait fait évoquer Peniel, le nom donné par Jacob à l'endroit où il a lutté avec l'ange. J'y mentionnais le commentaire d'un chercheur qui associait la valeur 171 de Peniel au verset Gn 17,1, où Dieu apparaît à Abraham, et au verset Mt 17,1, consacré à la transfiguration de Jésus.

  Tant qu'à faire d'avoir un amateur du nombre d'or, autant en profiter pour en faire un musicologue amateur, et pouvoir ainsi aborder l'analyse de la formule Credo in unum deum, et ce qu'en a fait Bach. J'en ai profité pour remettre en ligne une première étude sur la Messe en si mineur.
  Toujours tant qu'à faire, autant faire de Amor un peintre, puisque c'est en peinture que le nombre d'or s'est manifesté à la fin du 19e, et j'ai songé à Jan Verkade, celui qui a introduit le nombre d'or en France, dont le premier disciple notable a été Sérusier, qu'il a convaincu d'aller à Beuron. Sérusier en a ramené les "saintes mesures" qu'il a communiquées à ses amis nabis.
  La page Wiki anglaise m'a appris que la conversion de Verkade s'était faite en lisant Séraphîta et en écoutant la Messe en si mineur de Bach, que j'avais déjà prévue de faire commenter par Amor.

  Je m'étais déjà intéressé il y a 5 ans à Séraphîta, à cause d'un personnage de AS Byatt, et le billet que j'y ai consacré est précisément intitulé Seraphita.
  Le roman de Balzac, en ligne ici, conte donc l'assomption d'un(e) androgyne, avec maints développements théoriques. J'ai adapté en conséquence l'expérience de N. Amor pour en faire un retour à une androgynie primordiale, et j'en ai fait une répétition de ce qu'aurait été la lutte de Jacob avec l'ange.
  Après avoir planifié cela, j'ai été stupéfait, en lançant une recherche "Jacob" dans le texte en ligne, de voir que Balzac mentionnait la lutte de Jacob dans sa courte dédicace.

   Les "tableaux de N. Amor" sont en fait:
1 - Un détail de L'Aven au Bois d'Amour, aussi nommé Le Talisman, de Sérusier, un tableau qui a fait date et qui est en grande partie à l'origine du groupe des nabis.
2 - Une toile de Verkade lui-même, la seule que j'ai trouvée d'un format approximativement doré, mais sa composition ne semble pas l'être.
3 - Une toile de 1912 de mon oncle Jean Souverbie, présenté ici. Né en 1891, il était un peu jeune pour faire partie des nabis, mais il avait été remarqué par Maurice Denis, et est resté proche de lui jusqu'à sa mort, où il lui a été offert de reprendre l'atelier des Saintes Mesures. Il a préféré créer sa propre Académie de la Section d'Or...
4 - Un dessin de Gustave Doré, rogné pour être doré.
5 - L'Esprit du Printemps, d'Alfons Mucha. J'ai vu cette toile sur une page sur Rennes-le-Château, commentée car l'abbé Saunière en possédait une lithographie. L'auteur de la page ne remarque pas le format assez doré de la toile, alors qu'il fait volontiers intervenir le nombre d'or dans des cas bien plus litigieux. Les sections d'or soulignent un endroit précis, que je me suis défendu de nommer ici...

  J'ai imaginé pour modèle une fille de Mucha prénommée Béa, pour avoir les 8 premiers termes de la suite de Fibonacci, AABCEHMU = 1-1-2-3-5-8-13-21.

  Il y a quelques allusions à la "belle histoire" de Rennes-le-Château, comme le nom Bernomartus, anagramme de Nestor Burma faisant apparaître deux ours, ber et artus, l'animal cher à Plantard. La date 1188 de rupture avec le Temple fait allusion à la coupure de l'Orme, et la transmission ternaire au Prieuré de Sion.

  Je n'étais plus pleinement conscient, en faisant de ce 3 juin 1908 un jour calculé selon le nombre d'or, que dans ma nouvelle castelrennaise L'enchanté réseau, Enée-Ursin Bargère parvenait au but ultime de sa vie le jour de son 53e anniversaire, le 16 avril 1908, et que, par hasard, ces 53 ans avaient pour section d'or exacte le jour de son arrivée à Rennes-le-Château, le 17 janvier 1888.
  Je rappelle que ce même Jeudi saint 16 avril 1908 est celui de la mort programmée de N. Love, lequel m'a conduit à lui trouver le pendant N. Amor.
  Dans la nouvelle, je faisais psalmodier par l'abbé Bargère lors de l'expérience finale la formule Sol Fidei, le Soleil de la Foi, deux mots importants dans ce chapitre (en rappelant au passage que l'Or et le Soleil sont des symboles équivalents). Ce que psalmodie Amor, ci d'or / de mu / mu nu, est bien entendu une anagramme de credo in / deum / unum, respectant les deux césures dorées.

  CARL JUNG = 86 a vécu presque 86 ans, dont la grande section d'or est 53, et il est mort en 1961, 37 fois 53. D'où il est logique que la petite section d'or de sa vie tombe en 1908. La petite section d'or de ses 31360,8 jours est 11978,7 jours, ce qui tombe le 13 mai 1908 (134e jour d'une année bissextile, 134 valeur d'ARSENE LUPIN, et il est paru ce mois d'octobre Le retour d'Arsène Lupin, où Frédéric Lenormand imagine un nouvel exploit du gentleman, au printemps 1908 précisément j'y reviendrai).

  Pour ce chapitre alchimique, il m'a semblé devoir trouver l'anagramme de NOVELROMAN à partir des symboles chimiques, et il m'a paru devoir mettre de côté les N pour avoir LOVE AMOR.
  Le premier essai s'est avéré satisfaisant, avec Aluminium, Molybdène, Vanadium, Oxygène, Erbium, Al-Mo-V-O-Er, permettant quelque chose comme
  A     L
  M O
  V O
  E     R
  Les numéros atomiques correspondants sont, Al 13, Mo 42, V 23, O 8, et Er 68, somme 154, soit la valeur (latine) de Rosencreutz. Et le 3 juin est usuellement le 154e jour de l'année! Certes, en 1908 c'est le 155e jour, mais il y a divers moyens de contourner ce problème (partir de la mort de Monlorné le 2 janvier par exemple).
  L'échec de l'expérience peut suggérer une irruption intempestive d'azote, élément N de numéro 7, pour lequel Amor n'a que haine parce qu'il signifie "non-vie", l'azote qui est un gaz de formule N2, NN qui viendrait compléter l'anagramme fatale NOVELROMAN, et qui selon les numéros atomiques donnerait
AlMoVOEr + NN = 154+14 = ROSENCREUTZ+BACH.
  L'oxygène aussi est un gaz, de formule O2, et pour n'avoir qu'un seul O j'ai imaginé l'oxygène monoatomique qu'on ne doit pas rencontrer à tous les coins de rue. La réactivité de ce gaz pourrait être une cause de l'échec d'Amor,  plus surement due à la disposition de ses damiers "en trigone", anagramme de "nitrogène", autre nom de l'azote.

  La construction imaginée par Amor pour parvenir à ses fins compte 154 points, ou cupules.

  Hier encore j'avais 20 ans... Je l'avais un peu oublié, en tout cas je n'y pensais pas en imaginant la folle expérience de Nolven.
  Achevant mon second cycle de chimie, un article de Planète m'avait fait découvrir les transmutations biologiques avancées par Louis Kervran. J'avais acheté ses livres, et pris contact avec lui, espérant faire mon troisième cycle dans son labo, mais il n'avait pas de crédits pour des thésards.
  J'avais choisi parmi ce qui m'était proposé un labo de catalyse par les métaux, où, après un temps de familiarisation, j'ai proposé de faire des expériences sur ce qui avait amené Kervran à sa théorie, la transmutation d'azote en oxyde de carbone, N2 en CO, mêmes nombres de protons et de neutrons. J'avais un type d'expérience en tête, faire passer de l'azote sur divers réseaux de métaux portés à l'incandescence, avec un piège à CO en sortie. Ceci n'a guère été du goût du patron du labo, et j'ai abandonné ma thèse...
  Plus tard, il m'a semblé que ce que j'envisageais n'était pas très éloigné des expériences de fusion froide, laquelle n'a pas été clairement établie.

  154+14 = 168, le nombre de pieds d'un sonnet en alexandrins, ce qui m'a donné l'envie de retrouver l'écriture inspirée de Valmoreno, évoqué au chapitre 5, pour un poème bien entendu issu du tome 14 de ses oeuvres. 

Le huitième revient, c'est encor le premier.
  Ami, quand tu voudras atteindre le summum,
  treize grains tu prendras de pur aluminium,
  et quarante-deux grains de molybdène émié.
  Encor il y faudra, sur le galbé damier,
  vingt-trois grains affinés de sage vanadium,
  et soixante-huit grains de délébile erbium,
  ainsi va le soleil à l'absidial fumier.

Il est dit dans le livre où lisent les dieux
  qu'il règnera sur mer et sur les dix lieux
  l'homme de l'en-deça comme de l'au-delà,
  le rejeton du comte et de la marquisotte,
  l'homme ursin qui connaît le goût de l'or.
                                                             Cela,
c'est blanchir le soleil si l'amour ne biseaute.

  La contrainte principale est assez douce. Les 154 premiers pieds ont pour valeur 4995, la valeur d'un alphabet numéral complet grec ou hébreu, avec un partage 3087 pour les 8 premiers vers, décrivant le processus, et 1908 pour les presque 5 vers suivants, le partage d'or évoqué dans le chapitre.
  Ces presque 5 vers sont supposés décrire l'individu qui réussira le processus, avec plusieurs allusions à Ricardou. Les "dix lieux" sont bien entendu les "lieux-dits", et parmi les variantes que Ricardou propose de son titre figure "les dieux lisent". Le rejeton du comte et de la marquisotte fait allusion à la nouvelle Le lapsus circulaire, où le petit Ricardou serait le fils du comte Ryvéla et de la marquise des Ays.
  Les 14 derniers pieds laissent entendre "l'azote" par leurs rimes. Et bien sûr, "soleil blanc" c'est Nolven, et "amour"...
  J'ai composé ce sonnet dès que l'idée m'est venue d'un Nolven Amor alchimiste, bien avant qu'il s'y adjoigne le thème de l'androgynie, et je n'ai pas jugé utile de le modifier.

  Les diverses propositions numériques du chapitre sont toutes exactes, mais les personnages sont seuls responsables de leur interprétation.

  Pourquoi Richelieu? Je songeais à loger Amor dans l'île Saint-Louis, d'abord en référence à la dernière nouvelle des Huit coups de l'horloge, et puis je me suis dit qu'il y avait déjà eu bien assez d'héritiers potentiels à Paris. J'ai regardé les lieux divers utilisés jusqu'ici, voir s'il n'y aurait pas une figure quelconque à compléter. Non, il aurait fallu y songer plus tôt.
  Les départements utilisés jusqu'ici étaient le 13, le 14, le 28, le 33, le 35 (2 fois), le 38, le 75 (9 fois), somme 236. Le nombre le plus proche me tentant étant 273, il fallait le 37, et je me suis souvenu qu'en rédigeant mon billet Richelieu Indre-et-Loire j'avais vu la proximité de la ville historique avec un rectangle d'or.

  Je ne sais si le cardinal était réellement un fan du nombre d'or, mais cette page donne 620 x 390 m pour dimensions de Richelieu, ce qui est une bonne approximation.

  Canseliet utilisait la gamme naturelle dans sa réalisation de l'Oeuvre, j'ai plutôt choisi la gamme dorienne, ré-mi-fa-sol-la-si-do-(ré).
  Le huitième revient, c'est encor le premier fait allusion à la fois à la gamme, et à l'oxygène (monoatomique).
  La gamme effectivement entendue va être quelque chose comme ré-mi-fa-sol-la-si-do-la, cette dernière note étant en fait légèrement plus aiguë qu'un la. Il s'agit d'une part d'arriver à la valeur 171 pour les noms des notes, d'autre part d'avoir en finale quelque chose avoisinant la-si-do-la#, soit AHCB (BACH).

  Les oulipotes m'avaient gratifié pour mon 60e anniversaire de la BLO15, Rémi face au lacis doré, gamme dorienne phonétique. Fred Schmitter avait trouvé cette belle idée, mais quelqu'un l'avait eue avant lui. J'ai découvert quelques mois plus tard que c'était un morceau de musique de Daniel Schell, né le 5 avril 1944 (ces Daniel et Fred m'évoquent le Queen principal, Fred Dannay, né Daniel Nathan).
  Il est question dans mon billet Seraphita d'un personnage de fiction né le 6 avril 1944:


  Ce qu'il est dit des lettres Yod et Waw est légèrement fantaisiste, quoique le Yod soit effectivement assimilé à la goutte de sperme fécondatrice. Je pense encore ici aux chromosomes X et Y, X qui aurait dû être W si le compte des chromosomes avait été correct. Il y a aussi une arrière-pensée pour Perec qui voyait X et W tous deux composés de deux V.
  La lettre féminine par excellence est le Hé, et le Tétragramme YHWH est souvent vu comme une famille complète à lui tout seul, le Père Y, la Mère H, et leurs fils et fille W et H...

  Jung cite souvent l’aphorisme de Marie la Prophétesse, “ L’un devient deux, deux devient trois, et du troisième naît l’un comme quatrième “, que je me suis permis de légèrement modifier.
  Tiens, après coup je remarque que la Quaternité faisant face à AMOR est composée de Alban, Hortense, Victor, Honoré, initiales AHVH, dont la translittération en hébreu peut se lire ahava, "amour".

  L'Atalante fugitive est une étrange réalisation, alliant graphisme, texte et musique, dont il ne doit pas y avoir beaucoup d'exemples. On trouve ici le texte complet de l'édition française, avec les commentaires d'Etienne Perrot, et les fugues au format Midi, peu convaincantes. J'y vois ce commentaire, plaçant les fugues de Maier au-dessus de celles de Bach: Considero la música de "Atalanta fugiens" más importante que por ejemplo "Kunst der Fuge" de J.S. Bach.
  Je découvre ce commentaire après avoir signalé que
ATALANTA FUGIENS = KUNST DER FUGE = 144, mais au moins Bach a-t-il trouvé un titre en 12 lettres pour ce 12e Fibonacci qui est aussi le carré de 12.
  YouTube propose une version chantée des 50 fugues de l'Atalante...


  Ce billet est le 267e de Quaternité, 267 qui est 3 fois 89, le Fibonacci précédant 144. Alors, pour faire vite, j'ai choisi 3 personnes pour qui le nombre d'or a pu avoir de l'importance et dont la valeur du nom est 89. Pas de problème pour Schulz et Turing, Ricardou est plus douteux, mais il n'est plus là pour démentir que le φ, symbole du nombre d'or, apparaissant dans les deux dernières phrases de Révélations minuscules, en guise de préface, à la gloire de Jean Paulhan, comptant 183 et 226 mots, est sans rapport avec le Modulor du Corbusier, où 183 et 226 cm sont deux mesures dorées consécutives.

  A propos des suites additives de type Fibonacci, j'ai vu des relations d'or dans Le dernier homme bon, thriller qui a des points communs avec Novel Roman. Des morts mystérieuses se succèdent selon un ordre mathématique précis, dans ces deux romans comme d'ailleurs dans La bibliothèque de Villers (1980), que j'affirme n'avoir pas connu lorsque j'ai eu l'idée de Novel Roman, en 1998. Je l'affirme aussi pour Le dernier homme bon, publié en 2010.
  Je l'ai utilisé dans le chapitre 10, commenté ici, mais voici autre chose. Dans Le dernier homme bon, les 36 Justes cachés, selon une tradition juive, sont éliminés les uns après les autres dans des conditions implacables, chaque vendredi. Après 35 morts, le dernier d'entre eux, Niels Bentzon, trouve le moyen d'échapper à sa mort programmée, or
NIELS BENTZON = 59 + 96 = 155
est un nom doré.
  Or le terme suivant de la série 59-96-155 est 251, valeur latine de Christian Rosencreutz qui semble jouer un rôle dans les morts de 1908. Je n'ai fait le rapprochement qu'en écrivant ce chapitre 17 qui m'a fait signaler le découpage doré des 251 mesures du Confiteor en 155-96. Je rappelle que les exégètes de Bach emploient volontiers l'alphabet Schwenter en 24 lettres (avec W) plutôt que l'alphabet latin en 23 lettres. Dans cet alphabet Schwenter ROSENCREUTZ = 155.

  Note du 20/10: J'ai donc fait naître Nolven Amor au Pays de Galles pour justifier son prénom (autant que faire se peut), et voici que j'apprends en écrivant le billet suivant que l'émasculation volontaire dans le culte de Cybèle se nommait le sacrifice des Galles. Ce culte voyait aussi un état primitif androgyne de la déesse mère.

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