31.3.24

l'oxymore est-il un pléonasme ?


à Othello & Abimélec

  Suite du précédent billet qu'il est plutôt nécessaire d'avoir lu avant de se lancer dans celui-ci.
  J'y revenais sur les expressions hébraïques zwi migdal, "cerf tour", et migdal oz, "tour force", et signalais la découverte de phrère Sam: l'actrice du Magicien d'Oz, Judy Garland, avait acquis un château dans le Sussex, The Deer Tower, la "Tour de la Biche".
 

  L'expression migdal oz est associée au verset Pr 18,10, "Le nom YHWH est une tour forte", tandis que le mot zwi est associé d'une autre manière au tétragramme YHWH; son codage atbash livre hashem, "Le Nom", désignation usuelle du tétragramme qu'il est interdit de prononcer.

  J'ai utilisé tout au long du billet précédent l'orthographe zwi pour le mot hébraïque צבי, "cerf". J'adopte généralement la translittération ÇBY, mais pour ce mot Ç peut être transcrit ç, ts, tz, s, z, B b, v, w, bh, b, Y i,y, et il faut y ajouter le choix de noter ou non le shwa, voyelle brève entre Ç et B amuïe en hébreu moderne, ce qui permet d'envisager 100 transcriptions pour un mot de 3 lettres...
  Après avoir publié le billet, je l'ai relu quelques jours plus tard pour corriger d'éventuelles fautes, et c'est alors que j'ai remarqué quelque chose qui aurait pu me frapper bien plus tôt.
  Il y a fort longtemps que je suis fasciné par l'atbash, code que personne ne conteste avoir été utilisé dans la Bible, et je m'étais établi un lexique des couples de mots hébraïques atbash, en feuilletant le Sander & Trenel. Les cas sont assez rares, quelques dizaines, pour que la plupart me soient restés en mémoire, et c'est ainsi qu'il m'est apparu aussitôt significatif que La mort et la boussole de Borges évoque à la fois les bordels de Buenos Aires, des Zwi Migdal donc, et le Nom YHWH, ZWI étant l'atbash de HSM, "Le nom".
  Or oz, "force", est un auto-atbash en hébreu, les lettres OZ devenant ZO. Les couples atbash et les mots auto-atbash sont beaucoup plus rares dans notre alphabet de 26 lettres. Cette page les répertorie pour l'anglais, avec 21 couples et 8 mots auto-atbash, dont le plus long et le plus remarquable est WIZARD.
  J'avais remarqué que le titre Wizard of Oz, associait OZ, auto-atbash en hébreu, et le plus notable mot auto-atbash dans notre alphabet, WIZARD, "magicien", mais ce n'est qu'à cette relecture que je me suis avisé que, WIZARD étant auto-atbash parce que WIZ se transforme en DRA, la translittération hébraïque ZWI a un atbash remarquable (HSM, "Le Nom").
  La composition de cette couverture du livre de L.F. Baum offre quelques compléments, ainsi OZ est immédiatement  suivi par by, le premier des 8 mots auto-atbash donnés sur la page citée.
  Or en hébreu, les lettres usuellement translittérées BY ont pour atbash SM, "nom", et by introduit le nom de l'auteur.
  Ce "nom" est Baum, "arbre" en allemand, et en hébreu l'arbre est עץ, OÇ, dont l'atbash est ZH, le démonstratif "ce", "ceci".
 

  Toujours sur la couverture, OZ est précédé par of, dont l'atbash dans notre alphabet est lu, or précisément au-dessus de ce of il y a -FUL, dernière syllabe de WONDERFUL.
  Ainsi se présente la succession auto-atbash de 10 lettres UL WIZARD OF (difficile d'imaginer mieux sans intentionnalité), suivie de OZ, auto-atbash en hébreu, puis de l'auto-atbash BY, introduisant le nom Baum, correspondant en hébreu au couple atbash "arbre-ceci".

   La succession UL WIZARD OF offre, outre sa propriété auto-atbash, la remarquable association des mots "louf" (fool en anglais) et wizard, dérivé de l'adjectif wise, "sage". C'est qu'au départ un wizard était un "sage", et ce n'est qu'à partir du 16e siècle que le terme a pris un sens occulte.
  Précisément, l'oxymore, figure de rhétorique associant des contraires, signifie littéralement "fin-sot", et un exemple d'oxymoron est wise-fool:
 

  Il est plutôt rare d'avoir recours à une coupure de mot dans un titre, en couverture, et, quelle qu'ait été l'intention du maquettiste, cette coupure fait apparaître sur une seule ligne FUL WIZARD, pouvant s'entendre fool wizard.
  Les arcanes du tarot m'ont occupé récemment, et je rappelle que l'arcane 1 est le Magicien, tandis que l'arcane sans nombre est le Mat, le Fou. Il est parfois considéré comme le dernier, venant après l'arcane 21, les correspondances du Magicien et du Fou étant alors les lettres hébraïques א, Alef et ת, Tav, le premier couple atbash.

  A la syllabe isolée FUL correspond l'atbash UFO, acronyme de Unidentified Flying Object (OVNI), et l'intrigue montre Dorothy et son chien emmenés par un cyclone sur une autre planète, "au-dessus de l'arc-en-ciel" (le terme UFO date de 1947, le WONDER-FUL WIZARD de 1900).

  Le chien se nomme Toto, et l'hébreu otot signifie "signes", "lettres". Le singulier ot peut s'écrire sous forme défective par l'auto-atbash AT.
  Divers développements ici sur ce mot otot et sa valeur 813 (dans la graphie AWTWT). A propos de 813, j'avais jadis scindé ce nombre en 8-13, nombres de Fibonacci, correspondant aux initiales H-M. Il y a bien longtemps, lors d'une émission Sacrées musiques, j'avais été surpris d'entendre d'une oreille Stéphane Goldet énoncer plusieurs fois ces initiales H-M, avant de comprendre qu'il s'agissait de l'hébreu hashem, "Le Nom".
  Je rappelle que 813 est la valeur du 3e verset de la Genèse: Dieu dit "Que la lumière soit!", et la lumière fut. Je suis revenu à maintes reprises sur le codage, attribué à Einstein dans un thriller, de l'injonction divine en hébreu translittéré, yehi or !, par l'atbash bvsr li ! dans notre alphabet.
  Il n'est encore pas inutile de rappeler que Toto est un chien américain, dog se renversant en God, "Dieu", et les arithmosophes n'ont pas manqué de souligner que ce mot a la même valeur 26 que le Tétragramme YHWH.

  Dans notre alphabet, OZ devient par atbash LA, ce qui peut faire sens pour L.F. Baum, mort à L.A. (Los Angeles). Incidemment, l'hébreu SM peut se vocaliser shem, le substantif "nom", mais aussi sham, l'adverbe de lieu "là" (l'auto-atbash hébreu OZ donne donc LA dans notre alphabet, et il est suivi par l'auto-atbash BY dans notre alphabet, qui donne SM en hébreu, "là").
  Chez nous, ZOLA est un des rares auteurs au nom auto-atbash (avec BLOY). Je me sens encore tenu de rappeler que l'un des cas les plus ahurissants contés par Jung est celui d'un voisin, mort depuis peu, venu dans un rêve lui montrer un livre dans sa bibliothèque. Jung a été le lendemain voir sa veuve, et a demandé à voir la bibliothèque; le livre était un roman de Zola, Das Vermächtnis der Toten, "Le legs des morts".
  J'indiquais dans le billet concerné que le titre donné par Jung ne correspondait pas à la réelle traduction allemande du roman de Zola, Das Vermächtnis eines Sterbenden, "Le legs d'un mourant", ce qui me semble plutôt arguer en faveur de la véracité du récit (il y en a beaucoup de ce type dans l'autobiographie). Je n'avais rien trouvé en ligne à l'époque, mais aujourd'hui cette page (en allemand) reprend l'anecdote; l'auteur donne directement le titre Das Vermächtnis eines Sterbenden, sans mentionner l'erreur de Jung. Peut-être une nouvelle édition de son autobiographie a-t-elle été publiée, avec des corrections, ou c'est un nouveau mystère...

  Çoeur dp m'a rappelé que Zo était l'illustrateur des Nouvelles impressions d'Afrique, de Roussel. J'y avais pensé, mais ce rappel m'a fait prendre conscience que le mot "force" était présent dans un vers
Combien change de force un mot suivant les cas !
vers que j'avais cité dans mon roman, mais qui était curieusement devenu
Combien change de force un mot selon les cas !
  Or deux autres cas "suivant > selon" sont apparus à peu près concomitamment, dans l'opéra Impressions d’Afrique de Giorgio Battistelli, et dans un RAPT (récrit avisé par la textique) de La disparition, par Ricardou. Voir les détails ici.
  Dans le neuf, il y a que ce vers ouvre une note de la 4e NIA, tandis que la note suivante débute par ce vers
Tour que valent ceux-ci, quant à l'attrait du neuf:
  Force et Tour...

  La récente découverte que 121 était aussi bien un carré qu'un nombre étoilé m'a rappelé qu'une des 6 phrases symétricologiques analysées par Ricardou dans sa Préface est une phrase de 121 mots avec "force" au centre. Je m'étais demandé ici si ce n'était pas une allusion à "sephor", "oiseau" en hébreu, la signature de Ricardou étant une patte d'oiseau.
  Une autre des 6 phrases analysées a dans sa première version 108 mots, centrés sur Nouvelles impressions d'Afrique (la version analysée a 105 mots, centrés sur Nouvelles).

  Il y a davantage, mais je n'ai guère envie de replonger dans la complexité ricardolienne, sans rapport immédiat avec Borges ou l'atbash (pour l'instant).
 Un hasard m'a mené en juillet à découvrir que "boussole" se dit en hébreu moderne matspen, MÇPN, dont l'atbash est YHWT, ou JHVT, selon la translittération de Borges.
 

  La correspondance n'est assurée que pour les trois premiers cas, mais l'affaire du Nom est un leurre pour attirer Lönnrot dans le mirador de la villa au Sud, où il n'est plus question d'articuler la dernière lettre du Nom. Je remarque au passage que les deux dernières lettres de "boussole" (en français) sont les initiales d'Erik Lönnrot, victime prévue de la machination.
  Le mot matspen vient de tsafon, "Nord", et en hébreu "au Nord" se dit metsafon, MÇPWN, dont les 3 premières lettres donnent encore par atbash YHW. Le premier crime de La mort et la boussole est au Nord, à l'Hôtel du Nord, précisément.
   "Hôtel du Nord" est en français dans le texte original, et sa ressemblance avec une maison close a peut-être un rapport avec le film de 1938 de Carné, où M. Edmond (Jouvet) est le mac de Raymonde (Arletty). M. Edmond envisage de changer d'atmosphère, en partant à Toulon. C'est précisément dans la rue de Toulon qu'a lieu le dernier incident chez Borges, l'enlèvement de Gryphius par des hommes costumés en arlequins (la rue de Toulon, où les bordels côtoient les marchands de Bibles, fait référence selon Borges au Paseo de Julio à Buenos Aires, dans le quartier juif).
  Le Nord, tsafon, dérive du verbe tsafan, "cacher", or Lönnrot est en suédois "orme rouge", mais le préfixe lönn- exprime aussi l'idée de "secret".

  Dans les acquisitions récentes, il y a encore que le mot "centre" vient du grec kentron, désignant d'une part la pointe d'un compas, ou l'aiguille d'une boussole, d'autre part un vêtement fait de pièces éparses, comme l'habit d'Arlequin.
  Les hommes costumés en arlequins font partie du plan de Scharlach, afin d'aiguiller Lönnrot vers le losange et vers un 4e crime au Sud. Le kentron pourrait surdéterminer la machination, avec l'aiguille en forme de losange. Je pense encore aux clones de La mort et la boussole, comme L'adversaire et La bibliothèque de Villers, où le centre joue un rôle essentiel.

  Un attribut fréquent d'Arlequin est la mandoline, au nom dérivé de l'amande, et les initiales MYDAGEL des victimes de la nouvelle de Borges évoquent aussi bien migdal, "tour" hébraïque, que amygdalê, "amande" grecque.
  L'arcane sans numéro du tarot, le Mat ou Fou, est l'Excuse ou la Mandoline dans le jeu de salon.
  Le Mat et la Mort (un pléonasme bilingue puisque mat signifie "mort" en persan), arcanes sans numéro et sans nom, correspondent aux lettres hébraïques SM, dont l'atbash est BY, se renversant en YB, évoquant le "coeur" égyptien (l'hiéroglyphe ib ou jb).
  L'intrication s'accroît, avec "coeur" souvent synonyme de "centre".
  Si "Le Nom" est Dieu, en anglais God se renversant en dog, le coeur est en arabe kalb proche du chien, kleb.

  J'ai eu la curiosité de chercher les ELS migdal oz et zwi migdal dans la Bible. J'avais signalé deux occurrences de migdal oz au sens figuré, et ceci m'a permis d'en repérer une autre occurrence, cette fois au sens littéral, dans le livre des Juges (Jg 9,51)
  Ce chapitre conte la mort honteuse d'Abimélec, juge dévoyé qui a succédé à Gédéon. Abimélec parvint au pouvoir grâce aux Sichémites, mais Dieu créa une dissension, se servant d'Abimélec pour exterminer les Sichémites, brûlés dans la tour où ils s'étaient réfugiés.
  Abimélec assiégea ensuite Tébets, où le même scénario sembla se reproduire, les habitants se retranchant dans une "tour forte" (migdal oz), mais alors qu'il se préparait à incendier la tour, une femme lui jeta une pierre qui le blessa mortellement.
  Outre les 3 occurrences directes de migdal oz, il y a 12 ELS de saut inférieur à 65536 (le saut maximal permis par le logiciel Torah4U2). Aucune occurrence directe de zwi migdal, mais 9 ELS, et le logiciel signale un croisement avec migdal oz, précisément l'occurrence ouvrant le verset Jg 9,51).


  Je rappelle que, au mieux, les ELS relèvent de la synchronicité, puisqu'il est parfaitement établi que la Bible a connu maintes variations au cours des siècles, et qu'il en existait de multiples variantes jusqu'à ce que l'une d'elles devienne un texte imprimé, modèle de (presque) toutes les éditions ultérieures.
  Certains logiciels permettent d'utiliser les autres manuscrits complets connus, les codex de Leningrad et d'Alep, dans lesquels les ELS basées sur un saut important comme celui-ci (40902) n'existent plus, tandis que probablement d'autres apparaissent...
  Ceci dit, je constate qu'il est "intéressant" que l'ELS zwi migdal démarre 8 lettres avant migdal oz, qui ailleurs (Ps 18,10) est "le nom YHWH", tandis que l'atbash de zwi est hashem, "Le Nom". Par ailleurs, l'ELS débute sur le Tsadé de Tebets, l'endroit où se joue le destin d'Abimélec, selon la volonté de YHWH, le texte est parfaitement clair sur ce point.
  Le cas qui a popularisé le "code biblique" est la prédiction de l'assassinat de Rabin, et j'ai étudié ici des "prédictions" peut-être plus pointues réalisées par Borges et Queen...

  Une petite chose encore. Je me suis demandé si l'on pouvait faire mieux que la succession auto-atbash ULWIZARDOF, en 10 lettres. On peut évidemment construire un texte abscons à partir des couples voyelle-consonne AZ, EV, IR, OL, UF, YB, mais le français connaît un mot auto-atbash de 8 lettres, VIVRIERE. Il ne m'a fallu que quelques instants pour trouver plusieurs occurrences de "culture vivrière vitale", avec une succession de 12 lettres.
  Qui dit mieux?

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