25.7.10

mel & co...

Je reviens sur la représentation donnée dans le précédent billet, le carré de Dürer surchargé des chiffres romains du cadran solaire voisin, somme 52 correspondant aux cases bleues, ou 4 fois 13 somme de chaque paire de cases bleues, et des 4 syllabes de me-len-co-lia, mot de valeur 84 selon l'alphabet latin, ou 4 fois 21, somme de chaque paire de cases rouges. J'avais omis de signaler que la dernière syllabe, lia, offrait elle-même la valeur 21, se superposant à la paire de nombres du carré la plus attrayante pour l'amateur de constructions dorées, 13+8 = 21, addition de la série de Fibonacci, comme 21+13 = 34, présente dans chaque colonne.
Je signalais l'identification par certains du signe entre Melencolia et I à une esperluète, &, mais d'autres remarquent que le signe ressemble à un S, pouvant rappeler le cartellino de la gravure souvent associée Le chevalier, la Mort et le Diable, où la date de composition est précédée d'un S.
Melencolias serait alors un pluriel, "mélancolies", avec pour valeur 102, se découpant en 63 pour les 3 premières syllabes et 39 pour la dernière, parfait partage d'or correspondant à 3 colonnes du carré.
Cette proposition est entièrement gratuite, encore que la lecture d'un S dans le signe mystérieux n'est pas mon fait (on pourrait encore déduire du titre Melencolia 1 qu'il suggère plusieurs melencolias). Toujours est-il qu'elle offre un fascinant parallèle avec une autre spéculation, à propos d'un ouvrage qu'a certainement connu Dürer.
Le début du 16e siècle s'est passionné pour Hypnerotomachia Poliphili, publié en 1499 à Venise, traduit en français en 1546, Le songe de Poliphile. Les lettrines de ses 38 chapitres délivrent l'acrostiche
POLIAM FRATER FRANCISCVS COLVMNA PERAMAVIT
J'ai évoqué le cas ici, remarquant que la division de l'ouvrage en deux livres de 24 et 14 chapitres divisait l'acrostiche en
POLIAM FRATER FRANCISCVS CO = 252 = 12 x 21
LVMNA PERAMAVIT = 156 = 12 x 13

soit 4 fois
MELENCO = 63 = 3 x 21
LIAS = 39 = 3 x 13

Et la coupure se fait à chaque fois après les mêmes lettres, CO...
...ou encore entre les lettres O et L, qui ont dans l'alphabet latin les rangs 14 et 11; le format de la gravure semble être 11:14, avec pour unité le rayon de la sphère, éventuel O, et (14:11) au carré est une bonne approximation du nombre d'or.
L'acrostiche qui désignerait comme narrateur le frère François Colonne (dont le nom serait donc mis en colonne) vaut encore 3 fois les 4x(21+13) des 4 colonnes (columnas) du carré magique.

Je suis charmé de trouver réunies ici mes deux amours, quaternité et nombre d'or. La question de la validité historique de ces relations ne me concerne guère, avant tout parce qu'elle est indécidable. La gématrie sera utilisée massivement à partir du début du 17e siècle dans la chrétienté, déclinée sous de multiples formes. Les cas recensés antérieurement sont rares, mais existent, privilégiant la gematria simplex latine utilisée ci-dessus. On pourrait rapprocher cette relative ignorance de l'histoire de la gématrie du fait que le carré de Melencolia a longtemps été connu comme le premier carré magique européen, alors qu'il n'en est rien.
Il est au moins acquis que Dürer et l'auteur de l'Hypnerotomachia avaient des préoccupations communes. On trouve au chapitre 4 une construction basée sur un carré divisé en 16 cases (comme le carré magique), et au chapitre 17 un temple décagonal (le polyèdre de Dürer est construit à partir du décagone).

Aller plus loin outrepasse mes compétences, et je voudrais plutôt souligner des coïncidences sauvages qui n'ont aucune chance d'être intentionnelles.
Je signalais la parenté de l'acrostiche de The Greek Coffin Mystery - by Ellery Queen, en deux books de 21 et 13 chapitres, avec celui de l'Hypnerotomachia. Si Queen alias Dannay bibliophile ne pouvait ignorer le "plus beau livre du monde", la coïncidence 21-13 me semblait essentiellement due au fait que l'obligé "by Ellery Queen" compte 13 lettres. 21 lettres est une longueur assez normale pour les premiers romans de Queen, construits selon le même modèle de 4 mots, ainsi les American Gun, Siamese Twin et Spanish Cape mysteries ont aussi 21 lettres, néanmoins Queen reste pour de multiples raisons privilégié dans mes études dorées.

La nouvelle donnée de la césure CO-L offre d'étranges échos, avec le substantif co-ffin notamment, qui est un "cerceuil grec", ko-phi-nos, centré sur phi qui est l'actuelle désignation (datant du 20e siècle) du nombre d'or.
A ce mot COFFIN correspondent ces titres de chapitres. Alors que les ELS, autre genre d'acrostiche, de "jour d'or" m'avaient mené au livre des Chroniques et à la prédiction d'Isaïe au roi Ezéchias, ce qui m'avait ensuite conduit à Melencolia, je suis ébahi de trouver pour premiers titres Chronicles, "Chroniques", Omen, "présage", Foresight, "prévision".
CO correspond aux lettres latines de rangs 3-14, or une bonne part du premier livre du Greek Coffin Mystery concerne de louches allées et venues dans la chambre 314 du Benedict Hotel, où transite notamment le tableau de Léonard de Vinci (qu'admirait Dürer) que se disputent les protagonistes. Il n'est plus question de cette chambre 314 dans le second livre.

La traduction Deux morts dans un cercueil de ce 4e roman a constitué la première apparition du nom Queen en France, dans la collection Détective, tandis que la collection L'Empreinte publiait presque simultanément son 5e roman, Le mystère des trois croix. Je me suis émerveillé ici de la réédition de ces deux romans par Jacques Sadoul (bonne fête !) dans une même collection, sous les numéros 2449 et 1514, en rapport d'or.
Le numéro 1513 figure aussi ci-dessus, car 2449/phi = 1513,5..., et il se trouve que ce recueil de pastiches contient la première nouvelle (1945) faisant à ma connaissance intervenir le nombre d'or dans une énigme policière.
J'achevais mon étude de ce cas par cette phrase
Je remets à plus tard les développements qui ne manqueront pas de découler de ce cas, conjoignant mes deux principales dilections numériques, le nombre d'or et la quaternité.
en n'imaginant pas que j'allais retrouver ce numéro 1514 dans la date de composition de Melencolia, figurant dans le carré magique permettant de lire dans chaque colonne l'addition 21+13 correspondant aux 34 chapitres du Greek Coffin original (car la traîtresse traduction a fusionné deux chapitres, et je comptais parler dans le dernier billet du carré magique de la Sagrada Familia, imité de Dürer mais recalculé pour obtenir la constante 33).
1513 est encore la date de la gravure dite Le Chevalier, la Mort et le Diable, souvent associée à Melencolia, mais l'historien Pierre Vaisse fait ici un sort à ces allégations, dans un document audio du 4/4 dernier.

Le nom de la lettre phi s'écrit en deux lettres phi-iota, de valeur 510, ce qui correspond à la somme 408+102 des co-expressions latines, mais encore au nombre de lettres du sonnet de Perec Vocalisations, 497, accompagné de la signature "Arthur Rimbaud" utilisée sans vergogne par Perec pour sa récriture de Voyelles.
J'ai déjà souvent commenté la suprême bizarrerie qui m'a fait proposer un 5e arrangement des lettres de Vocalisations, pour leur valeur 6272, deux ans avant de découvrir le schéma 4-1 des 5 fois 6272 jours de la vie de Jung. Ma fascination pour le sonnet de Perec est telle que j'en avais codé les 14 vers dans les 14 chapitres numérotés de mon roman écrit en 1999, et la signature "arthur rimbaud" dans le dernier chapitre, non numéroté. Les 510 lettres étaient ainsi codées dans 15 chapitres, avec donc une moyenne de 34 par chapitre, la constante du carré de Dürer.

J'ai écrit et publié Sous les pans du bizarre grâce àLE MEC DU RER Jean-Bernard Pouy, que j'avais rencontré en avril 99 et qui avait apprécié mes trouvailles sur ses oeuvres. Pour le remercier, j'en avais fait le criminel du roman, auteur de 4 meurtres dans le seul but de promouvoir son oeuvre littéraire...
Il y était question du Pouy de vérité, exégèse ésotérique de ses romans à la Série Noire, mais pas spécialement du 5e d'entre eux, La clef des mensonges (1988), histoire de la cavale de la jeune Alix Ternaud traquée par pandores et barbouzes de tout poil, détentrice d'un secret contenu dans une mystérieuse boîte, qu'ouvre la non moins mystérieuse clé LG28T...
Le mystère plane jusqu'à la dernière page, où la boîte dévoile enfin son contenu, qui n'est autre que Melencolia, une gravure d'époque en principe conservée au Louvre.
Je me permets de dévoiler ce dénouement, car le roman s'achève, après la description de la gravure qu'il incombe au lecteur d'identifier, sur le mot tronqué co..., à la ligne suivant le mot Melencolia (ici dans l'édition originale de 1988 en Série Noire) :Il va de soi que "cette co..." a une interprétation triviale immédiate, mais je suis abasourdi de retrouver une telle coupure après avoir précisément envisagé la coupure Melenco-lias.
JiBé utilise diverses contraintes, notamment l'acrostiche dans La pêche aux anges (1986), dont les 26 chapitres épellent l'alphabet par leurs lettres initiales et finales, pour illustrer une idée de Wittgenstein...
Précisément, cette affaire Melencolia survient dans le contexte des coïncidences avec la BLO 15 fêtant mes 60 ans (4 fois 15), et ceci me fait me souvenir que j'ai composé pour les 60 ans de JiBé (le 2 janvier 06) un hommage imité des strophes en 60 vers de 60 signes du Compendium de La Vie mode d'emploi, avec ici en diagonale 4 fois les 15 lettres jeanbernardpouy.
Sans l'avoir calculé, mon 5e vers concernait la boîte mystérieuse du 5e roman SN, tandis que le 4e évoquait son 3e roman, dont l'acrostiche alphabétique rappelle l'Hypnerotomachia.

l’employé modèle des obsèques évitant le sieur spinoza baruj
le détective daltonien ignorant ce sur quoi il doit enquêter
l’anarchiste espagnol sourdingue qui en a gros sur la patate
le gitan lecteur de wittgenstein allant à la pêche aux anges
tout un univers de mensonges contenu dans une drôle de boîte


Comme dans Sous les pans du bizarre, j'ai codé ici les lettres signifiantes par un corps plus gros (à partir du j en haut à droite).
Alix apparaissait au vers 39 (je rappelle la coupure en Melenco = 63, lias = 39).

la belle alix se foutant complètement à loilpé dans l’église

J'entends encore un écho entre Alix et OLIX première ligne du carré magique composé par Alain pour mon propre 60e anniversaire, donné dans le billet précédent.
Curiosités additionnelles :
- le roman est en 36 sections non numérotées, séparées par des astérisques, 36 qui est le carré de 6 et la somme des 8 premiers nombres (des deux premières tétrades qui suffisent à définir un carré magique d'ordre 4);
- pas d'acrostiche immédiat ici, mais les 3 premières sections débutent par E-M-L, premières lettres de MELencolia dans le désordre;
- la dernière page donnée ci-dessus compte 21 lignes, avec de possibles répartitions Fibo en 8+13, entre une cloche (au-dessus du carré magique) et un sablier (surmonté du cadran solaire, l'autre élément numérique de la gravure), ou 13+8, pour la principale description de la gravure et les dernières pensées du gendarme Pierre Zapala.

Melenco-lias encore : j'ai jadis appris que l'Ere Secondaire comprenait 4 systèmes, Trias, Lias, Jurassique et Crétacé. Me renseignant aujourd'hui j'apprends que le Lias n'est plus considéré que comme le début du Jurassique, appelé aussi Jura noir ("mélan-colie" vient du grec "humeur" (kholê) "noire" (melas).
Ainsi le carré magique d'ordre 4 qui m'a mené à la césure Melenco-lias me fait découvrir que le Lias n'existe plus mais est intégré au Jurassique. Il se trouve que vers 1995 j'ai développé un programme de carré magique gématrique, essentiellement pour trouver des solutions à la formule du titulus, Iesus Nazarenus Rex Iudeorum en 25 lettres de valeur 325 (comme la somme des nombres de 1 à 25). Parce que la plus belle solution débutait par IURAS, je l'ai appelée "carré IURAS", en pensant à une traduction anglaise Jurassic square, en écho au récent Jurassic Park de Spielberg.

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