17.7.22

sympathie vers Méphistophélès

pour Anna

  La liste Oulipo s'est penchée en mai et juin dernier sur la contrainte sympathique, proposée en 2003 par Alain Chevrier. Au départ, il s'agissait de produire des textes où chaque mot devait partager au moins une lettre avec le ou les mots adjacents. Tiens, la liste Oulipo est gérée par Sympa (SYstème de Multi-Postage Automatique).
  La nouvelle approche a formalisé la contrainte. La 1-sympathie stricte consiste en ce que deux mots voisins aient une lettre en commun, mais pas plus. Puis vient la 2-sympathie stricte, etc. Gef a proposé quelques textes ici.
  Une autre idée est de composer un texte par les lettres communes, et Gef proposa le 6/6 un sonnet 1-sympathique strict codant pour les 111 lettres d'un verset du Cantique des cantiques. Le sonnet est loin d'être aussi lisible que beaucoup d'autres créations de Gef, mais il s'agissait d'abord de montrer la faisabilité de la contrainte, et j'envisageai aussitôt une réalisation sympathique à plusieurs niveaux.

  Un texte A coderait pour un texte B, lequel coderait pour un texte C, jusqu'au texte E, nécessairement le plus court possible. J'ai vite choisi "âme", en pensant au Compendium de La Vie mode d'emploi (LVME), où Perec a codé 60 fois ce mot dans 3 "strophes" de 60 "vers" de 60 espaces typographiques chacun.
  La 1-sympathie stricte demandant plus de 4 lettres en moyenne pour en coder 1, il était envisageable que mon texte A final compte environ 1500 lettres, ce qui était compatible avec une autre contrainte envisagée, nécessitant 1849 espaces typographiques.
  Je suis parvenu sans peine à coder le mot "âme", en 15 lettres:
Sans mal, Rémi code
Vérification sur l'outil proposé par Gef

  Plusieurs tentatives ont échoué pour l'étape suivante, principalement parce que la contrainte est plus difficile qu'il n'y paraît, mais aussi parce que je n'avais aucune idée directrice.
  Je décidai d'abandonner le projet.

  Et vint l'affaire Palau, détaillée dans le précédent billet. L'acteur Palau a joué aussi bien Faust, vendant son âme au Diable (Yves Montand), que le Diable, achetant son âme à Maximus Léo (Pierre Fresnay).
  Les Palau vont en enfer, et il m'a semblé devoir revenir au labyrinthe où je m'étais enfermé, et essayer d'en trouver l'issue.

  D"autant que le Diable est présent dans LVME, et plusieurs exégètes ont étudié sa présence dans plusieurs chapitres, alors qu'aucune contrainte ne le concerne.
  Je me suis particulièrement intéressé au lien entre LVME et L'adversaire, d'Ellery Queen, où cet adversaire se révèle être le Diable.

  J'ai aussi commenté à diverses reprises une curiosité: le chapitre 1 (ou 01) a pour coordonnées 66 sur la grille 10x10 représentant l'immeuble, et Perec a décidé de ne pas écrire le chapitre prévu pour la 66e position, chapitre qui aurait eu pour coordonnées 01.
  Perec a fait une déclaration obscure à propos de l'élimination de ce chapitre 66, indiquant que le Diable devait y apparaître, or le principal sujet du chapitre 65 est l'entreprise de la Lorelei, une Américaine installée au début des années 50 rue Simon-Crubellier, où elle faisait payer des fortunes à des clients désireux de signer un pacte avec le Diable. Elle les mettait en présence de Méphistophélès, un complice qui leur faisait signer le pacte de sang...
  Le précédent billet m'a fait découvrir
MEPHISTOPHELES = 170, et
MEPHISTO  PHELES = 105  65, avec
105/65 = 21/13, mes Fibos fétiches.
  Or, dans ce chapitre 65, les deux formes Méphistophélès et Méphisto sont employées.

  Ceci m'a conforté dans l'idée d'aller au bout de mon idée sympathique, d'autant que la "sympathie" est manifeste pour Méphisto, qui possède 7 lettres en commun avec ce mot.
  Je verrais bien une diablesse nommée Méphistya... De fait, un jeu de rôles connaît une comtesse Méphistia.

  Bref, il m'a fallu adapter les règles du codage sympathique, et voici ce que j'ai décidé:
- lorsque plusieurs lettres du texte à coder sont en ordre alphabétique, je m'autorise à utiliser deux mots seulement pour les coder;
- je m'autorise aussi à employer la 0-sympathie, ou "contrainte du snob", pour faciliter l'intelligibilité des textes.
  Plus simplement, le message codé sera l'ensemble ordonné des lettres données par l'outil de Gef, appliqué au texte codant, pourvu de choisir un degré de sympathie suffisant. 26 permet de toujours afficher les lettres partagées entre mots successifs (mais je n'ai pas dépassé la 4-sympathie).

  J'ai conservé mon premier codage,

Sans mal Rémi code


et j'ai réussi à coder ces 15 lettres en seulement 13 mots, et 54 lettres:

Si lasse, Anna signe MUS, moral larvé: Eh, mon maître, illico, code idem.


  La candidate au pacte se prénomme "Anna", parce qu'elle code pour un "a" et un "n". Après coup, je me dis que j'aurais pu économiser une lettre avec "Ana", ou "Ann". Le code par lequel elle doit signer est "MUS", pour coder un "s" et un "m", et les voyelles "i-e-a" étaient interdites. C'est après coup que je me suis avisé que Anna Mus est proche de animus, "âme" en latin, et qu'elle pourrait se présenter par un palindrome:
Sum Anna, Anna mus (je suis Anna, Anna la souris).
 
  Pour l'étape suivante, je suis parvenu à 48 mots et 196 lettres:

Mais, s'il allait sans sûr socle, Rémi vanta, dans un rare cas si original, gêne mutée, MUS signé. Promo, amour, bal, le lot arrive, avatar né et déchu mollah, nom en jump, amitié, riant rêve, miel... Il le dit: voici contrat, code déifié. Ils devront, dame, mourir.


  Sachant que l'étape suivante serait difficile, j'ai fait au plus court, évidemment au détriment du sens, afin d'avoir plus de libertés pour le texte final.
  S'il y a certainement moyen de mieux faire, à chaque étape de ces codages, je signale que je n'ai pas souvenir de texte (court) m'ayant demandé plus de temps de réalisation. J'aimerais donc passer à autre chose, et je m'arrête donc à ce texte final de 337 mots et 1401 lettres, que je fais suivre de ses 4 décodages.

Rémi mata la miss siliconée, star. Il glapit à l'allumeuse, l'ami fatal: Si rationnelle tu es, sais-tu, ange Anna, que par mes dons spéciaux tu verras fuir Satan. Sois mon ciel pascal, refonde pure foi. En réalité, mon amie, vis voracement, tant il faut aimer. Tu adhéreras donc au pacte divin, sans risque, un grand rêve s'approche, fulgurant. Ce valable discours calma Anna. Heureuse, s'avisant godiche, ou décervelée, rosissant, elle dit: Il faut signer, là, me garantir digne aval, gala dingue, et amour. Ni hargne veule, ni mur mutilant. De toi, étrange homme, j'espère la fécondité. Marque MUS sans hésiter, ici, mets-y ton âme. Si tu signes, gagnant, si tu fais le mauvais écho, perdu. Parlons, fou sympa, de MUS, ce nom optimal à vos yeux. Moi, mon réel nom est Ukvol, Uqbar prononce-t-on, débat snob. Ali Qaleb, l'émir de Ykvol Uqbar, me cloitra longuement, bavard racé brun. Ali m'appelait houri, je vivais, élève souris, le sauvage violait. Anna, tu étais la souris, car, en latin, mus, c'est ça. Le dé! cornu diable de Schulz! Chu mon moral, l'alias Uqbar, eh! chassons nom miteux en nous! Et jouir, Judas, empoté impur, avec ma mine, partir, et il vient, leur croix sainte rôdant, rêve venteux, mer. Ami redis-le. Il le redit, divulguant verso: On vit si férocement, c'est nigaud, il faut miser coup confiant, entre roublards. Va, ose, tu connaîtras le constant code de prédilection. Si tu signes, faut griffer ici en bas, c'est là. Ce petit canif, tu vois, c'est un scalpel, il permet, sans risque d'oedème et d'inflammation, d'affranchir l'insistant oeuvre. Vas-y! la piqure sans regret affranchira l'accord. Elle dit: Que mon être s'efface! j'ai honte, quoi, j'ai peur d'un engagement tu, j'aimerais donc aller tout de go, dire d'emblée oui, ça galope! M'acheminer où? Vers tout, le symbiotique amour, le road trip, le vrai reposoir.

Mais, s'il allait sans sûr socle, Rémi vanta, dans un rare cas si original, gêne mutée, MUS signé. Promo, amour, bal, le lot arrive, avatar né et déchu mollah, nom en jump, amitié, riant rêve, miel... Il le dit: voici contrat, code déifié
. Ils devront, dame, mourir.

Si lasse, Anna signe MUS, moral larvé: Eh, mon maître, illico, code idem.

Sans mal, Rémi code

AME


  Je ne chercherai pas à justifier tous mes choix, car beaucoup sont dus à ma paresse ou à ma lassitude.
  Il est certain que ce dernier texte demanderait à être divisé en alinéas, pour marquer les interventions respectives de Rémi et d'Anna, mais ceci m'était difficile à cause de l'autre contrainte de ce texte final, devoir compter 1849 espaces typographiques.
  Pourquoi 1849? parce que c'est le carré de 43, permettant une représentation "carrée" du texte, avec une police à chasse fixe. Certes la réalisation qui suit n'a rien de carré, car le format du blog interdit d'espacer les caractères pour y parvenir.
  La raison du choix du carré de 43 sera donnée dans le prochain billet.

  Voici donc le représentation en lignes de 43 caractères. J'y ai mis en rouge les lettres qui conduisent au AME final. Il devrait y en avoir 48, il n'y en a que 46 grâce à une économie au précédent codage, ou le texte source offrait deux "e" successifs.


Note: Je m'aperçois (avant que Gef ne me le signale) que mon texte final omet le codage du 38e mot, "il", du texte précédent. On va dire que c'est mon clinamen, et que ce IL représente PEREC=47, puisque le texte final ne code que 47 mots.
  Je pourrais probablement corriger, mais le texte a subi déjà tant de triturations qu'il ne m'est plus du tout sympa... A propos du passage le plus abscons, "leur croix sainte rôdant, rêve venteux", je me suis avisé ensuite que EOLE apparaissait verticalement (sur le "O" de "rôdant"); les 4 vents sont aussi les 4 niveaux de l'âme...

Note 2 heures après la note précédente: Il m'est souvenu que, dans L'art du X écrit en hommage à Perec, où il est aussi utilisé un codage diagonal, par mots, Ricardou a volontairement omis une phrase codant un "il", 74e mot du paragraphe initial de 96 mots. Je crois avoir expliqué pourquoi, ou au moins comment, ici.
  Mon "il" oublié correspond aux lettres 147-148 du texte précédent, et 148 c'est deux fois 74.
  La chose ahurissante, c'est que, dans cette partie IV qui comptait dans la 1e édition 95 phrases, il a été oublié une phrase dans la 2e édition, codant pour un autre "il", 65e mot du paragraphe initial. Satan s'en mêle encore, avec le Méphistophélès du vers 74 du Compendium qui fait allusion au chapitre 65 de LVME...

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